Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Si, à ses grandes époques, la culture populaire a pu non seulement se montrer mais aussi se dire, elle a été réduite, en des temps moins heureux, à seulement se montrer pendant que des observateurs extérieurs se chargeaient de la décrire et de dire ce qu'elle « signifiait ». Réduite à se montrer : cette « réduction » doit être entendue non pas au sens figuré, comme une opération intellectuelle, mais au sens le plus littéral, comme soumission et diminution dans la société, comme ségrégation dans l'espace et restriction dans le temps. La réduction intellectuelle viendra, mais comme simple reflet de cette réduction de fait. Un dossier intitulé « Charivaris », tenu au siècle dernier par l'administration départementale des Hautes-Pyrénées, permet de préciser le rapport entre les coutumes villageoises et ceux qui les observent.
Using as the basis of our work a file on “charivari” which was compiled by the prefecture of the Hautes-Pyrenees during the first half of the last century, we propose to clarify the relationship between village customs and those who follow them. Charivari have been studied in France principally in relation to marriage economy. The present documentation allows us to go beyond this framework and examine the relationships between the peasants and the bourgeoisie within the power structure of the village communities, at a time when this folkloric activity was used on a naiion-wide scale as a means of expressing opposition to the Regime. In an appendix, we shall see how the “coutume de la ronce” loses its meaning, retaining only its symbolic representation, money.
1. « Seront punis d'une amende de onze à quinze francs inclusivement… (§ 8), les auteurs ou complices de bruits ou tapages injurieux ou nocturnes troublant la tranquillité des habitants. »
2. Rosapeixy, N., Us et coutumes de Bigorre, Paris, Champion, 1891, p. 16 Google Scholar.
3. Signalons, mais en est-il besoin, la partie consacrée au charivari et à la course à l'âne du Manuel de folklore contemporain, I, II de A. Van Gennep et sa très importante bibliographie, pp. 614-628 (voir en particulier, Fortier, Beaulieu, hérelle), qui nous concerne à cause de la proximité géographique de la zone étudiée. Le Bondidier, M., « Le charivari dans les Hautes-Pyrénées », Revue du folklore français, 2, 1931, p. 40 Google Scholar.
4. Lévi-Strauss, C., Mythologiques I, Le cru et le cuit, p. 294 Google Scholar. Renvoyons à la critique pertinente qu'en a faite Thompson, E. P. dans son remarquable article « ‘Rough music’ : le charivari anglais », Annales ESC, 1972, pp. 285–312 Google Scholar.
5. E. P. Thompson, op. cit.
6. Gauvard, C., Gokalp, A., «Les conduites de bruit et leur signification à la fin du Moyen Age: Le charivari», Annales E.S.C., 1974, pp. 693–704 Google Scholar.
7. Van Gennep, A., op. cit., I, II, p. 619 Google Scholar.
8. Bladé, J.-F., Poésies populaires de la Gascogne, Paris, Maisonneuve, 1881-1882, II, pp. 289–291 Google Scholar.
9. On semble avoir la langue particulièrement acérée dans le Sud-Ouest, bien que la chanson transcrite par Bladé, op. cit., paraisse des plus anodines aujourd'hui ; ou n'aurait-il publié qu'un texte innocent ?
10. Il est intéressant de voir que, même pour un remariage, qui se fait d'ordinaire sans faste, cette époque est respectée.
11. Comme l'indique C. Lévi-Strauss, op. cit.
12. N. Rosapeixy, op. cit.
13. « Des chansons si déshonnêtes qui portent atteinte à notre honneur ainsi qu'à celui de nos parents… ils ont fait faire des cahiers composés de chansons si déshonnêtes que la nature en frémit » (Lagarde, 1831, lettre du sieur Croizadeau au préfet).
14. « La brigade a trouvé établi sur des chars avec des planches, un tribunal, avec une table garnie de papiers et pièces propres à simuler une espèce de procédure. Il y avait président, juges et avocats en tenue, plus’ les criminels représentant la famille contre laquelle on charivarisait, et assistés d'un curé complètement costumé » (Barlest, 1856, rapport du brigadier de gendarmerie au préfet).
15. « … Une charrette, sur laquelle on avait placé un âne ; trois individus, dont l'un était habillé en femme, étaient sur cette même charrette et se livraient aux gestes les plus indécents ; plusieurs de ceux qui l'accompagnaient faisaient entendre des chants obscènes » (Maubourguet, 1836, lettre du maire au préfet). Voir aussi Hitte, 1832.
16. Smith, A. W., « Some folklore éléments in movements of social protest », Folklore, 77, hiver 1966, pp. 241–252 CrossRefGoogle Scholar. « Hère then a popular disturbance once again provides évidence — by means of the association of ‘skimmington ‘ and tumult — of a social custom — that of ‘rough music’ or ‘charivari'… ‘the sole custom', writes Miss Violet Alford, ‘boasting written testimony of its existence previous to the Middle Ages'. The whole custom is an act of popular justice directed against a variety of moral offences which might ail be classified as failures to live up to the responsabilities of one's position, perhaps a fitting verdict on a royal permitter of enclosures ! », p. 244.
17. «… Considérant 3°) que c'est en méconnaissant soit ces définitions incontestables, soit en se mettant en état de révolte contre le texte et l'esprit des lois, soit enlfoulant aux pieds les défenses de l'autorité locale, que certains individus de cette commune ont troublé l'ordre en organisant un charivari… » (Larreüle, 1840).
18. Davis, N. Z., «The reasons of misrule : Youth groups and charivaris in sixteenth century France», Past and Présent, 50, 1971, pp. 41–75 CrossRefGoogle Scholar.
19. Sauf bien sûr quand le maire, au lieu de rejeter purement et simplement la plainte, a réussi à trouver des arguments aptes à déconsidérer le plaignant aux yeux du préfet : un « voleur » (Nouilhan, 1833), un « fauteur de troubles » si, de toute évidence, la victime est un déshérité ou un illettré. Notons que le seuil inférieur social pour le préfet est beaucoup plus élevé que le seuil inférieur social pour la communauté.
20. « Les chansons déshonnêtes troublent notre repos ainsi que celui des habitants des communes voisines, ce qui va finir mal (sic) attendu que les jeunes gens de ces dernières communes se trouvent compris dans ces chansons atroces » (Lagarde, 1831, lettre des frères Nicaud au préfet).
21. Van Gennep, A., op. cit., I, II, pp. 201–203 Google Scholar.
22. C'est pourquoi nous ne tracerons pas une frontière aussi nette entre « la violence physique non médiatisée par opposition à la violence distanciée, ritualisée et symbolique », Thompson, , op. cit., p. 308 Google Scholar ; cf. aussi Fabre, et Lacroix, , La vie quotidienne des paysans du Languedoc au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1974, p. 414 Google Scholar et passim.
23. J. B. Thiers, Traité des superstitions selon l'Écriture Sainte, les décrets des Conciles et les sentiments des Saints Pères et des Théologiens, Paris, Antoine Dezalies, 1679.
24. Van Gennep, A. rapporte qu'en basse Normandie, jusqu'au début du XIXe siècle, les veufs n'avaient pas droit à une messe de mariage, op. cit., I, II, p. 621 Google Scholar.
25. C'est à l'occasion d'un charivari que Charles VI faillit mourir au bal des Ardents. Dans le roman de Fauvel, le peuple charivarise Fauvel et Vaine Gloire qui ne sont pas mariés religieusement.
26. Lalou, H., « Des charivaris et de leur répression dans le Midi de la France », Revue des Pyrénées, 16, 1904, pp. 493–514 Google Scholar.
27. La pelote en Provence, la pignore dans le Sud-Ouest.
28. Hérelle, G., Études sur le théâtre basque ; le théâtre comique. Chikitoak et Koblak ; mascarades soulétines ; tragi-comédie de Carnaval ; parades charivariques, Paris, Champion, 1925, pp. 23–57 Google Scholar.
29. « La crise tant économique que politique atteignit son point culminant dans le courant de 1830. Des émeutes contre la taxation des denrées alimentaires furent signalées sur tout le territoire », Aguet, J.-P., Les grèves sous la Monarchie de Juillet (1830-1847), Genève, Droz, 1954, p. 2 Google Scholar.
30. Aguet, J.-P., op. cit., p. 10 Google Scholar : « La période qui s'étend de la fin de 1830 au milieu de 1833 fut constamment troublée, surtout en son début, par des incidents politiques — manifestations ou mouvements lancés par des factions politiques d'opposition, qu'il s'agisse des monarchistes légitimistes ou des républicains —, ou sociaux, manifestations de chômeurs, émeutes de marchés, actes de ludisme, typiques des temps de crise, auxquels s'ajoute un nombre, relativement limité, semble-t-il, de grèves. »
31. G. Peignot, Histoire morale, civique, politique et littéraire du charivari depuis son origine vers le XIVe siècle, Paris, 1833.
32. Donc en période de Carnaval.
33. Auquel semble répondre le général Bugeaud dont Peignot rapporte le discours du 25 mai 1832 : « … D'après tout cela, il est évident qu'un patriote comme moi doit être charivarisé par des patriotes comme nous et ceux qui nous envoient. Et voilà donc la liberté que vous voulez nous donner ? Celle des émeutes et du charivari ? C'est le despotisme de la rue, le plus odieux de tous !… », Peignot, , op. cit., p. 275 Google Scholar.
34. « Tels sont, en aperçu, les moyens principaux par lesquels nous espérons justifier le choix du titre que nous adoptons, soit qu'on l'entende dans le sens de cette improbation bruyante qui désormais s'est classée si joyeusement dans nos moeurs politiques, soit qu'on comprenne, par ce mot de « charivari », un mélange, un pêle-mêle, une macédoine. Nous voulons qu'en effet cet enfant de la « Caricature » soit, d'une part comme une macédoine, comme un personnage complet où se reproduisenffncessamment, par le crayon et la plume, tous les aspects divers de ce monde kaléidoscopique où nous vivons ; et nous voulons que, d'autre part, il soit comme un de ces orchestres populaires, également habiles à célébrer et à tympaniser, à moduler avec justice et le blâme et l'éloge, et enfin qu'il signale, à l'instant même, par le carillon ou par l'aubade, tout ce qui surgira, chaque jour, de bien ou de mal, de beau ou de laid, de ridicule ou d'admirable, dans notre si mobile société», Le Charivari, édition O, 1832.
35. Lefebvre, H., « Sociologie de la bourgeoisie », dans Au-delà du structuralisme, Paris, Anthropos, 1970, pp. 182–193 Google Scholar. Et encore cette citation qui éclaire la mention des décorations et la pudeur des victimes quant aux injures dont elles ont été victimes : « … la correction ne paraît pas seulement dans l'allure générale (du bourgeois) mais dans des signes définis… N'oublions pas parmi les signes distinctifs les décorations…, le discours qui emploie certains mots et exclut au nom du tact et de la bienséance d'autres mots», p. 183.
36. Sarrancolin, Abadie de, Indicateur des Hautes-Pyrénées, Tarbes, 1856, p. 116 Google Scholar.
37. Bakhtine, Mikhail, L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, Paris, 1970, p. 372 Google Scholar.