La séance qui se tient à la Chambre des députés en cet après-midi du mardi 8 juin 1926 est particulière. Dans son objet d’abord, puisque figure à l’ordre du jour un thème rarement évoqué dans l’hémicycle : l’indemnité parlementaire. À l’exception du bref débat de 1920, un tel sujet n’avait plus été abordé en séance pendant deux décennies. Depuis la polémique qui avait entouré son augmentation de 9 000 à 15 000 francs en novembre 1906, la question était même savamment évitée. L’opprobre subi par les « quinzemillistes » – terme désignant les élus s’étant octroyé la substantielle augmentation – était un souvenir trop présent pour que d’autres se risquent sur ce terrain miné.
Le débat de 1926 est également singulier, car la Chambre est partagée en deux blocs qui ne respectent pas les clivages politiques habituels. D’un côté, l’extrême gauche, parti communiste en tête, rejoint une fraction de la droite bourgeoise dans son refus de toute augmentation. L’argumentation, certes, diffère. Pour les premiers, cette demande est indécente au moment où l’on impose à la population les efforts indispensables à la reconstruction du pays. Pour les seconds, cette revalorisation est dénoncée comme inutile : réminiscence d’un temps où l’activité parlementaire était une charge, la droite voit dans la fonction de député moins un métier qu’un honneur – qui constitue sa propre rétribution. Dans l’autre camp, la gauche socialiste, les radicaux et le centre droit forment une alliance de circonstance, qui défend une réforme destinée à assurer un revenu « décent » aux élus, garantissant leur « indépendance ». Il faut, selon les mots du député de la Côte-d’Or Henri Barabant, « que tout député, quel qu’il soit, [ait] le droit de vivre dignementFootnote 1 ».
Le parlementaire socialiste, qui ferraille contre les demandes de renvoi, avance un argument souvent repris par les partisans d’une augmentation de l’indemnité : ses concitoyens auraient une idée biaisée du revenu qu’elle procure, l’estimant bien plus élevé qu’il ne l’est. Plus précisément, les Français confondraient la somme octroyée à l’élu – celle rendue publique – avec le revenu finalement perçu. « Il est tout de même bon, énonce Barabant du haut de la tribune, que le public sache quelles sont les retenues qui incombent au député sur son indemnité. Personne n’a osé faire cette énumération. Je vais l’oserFootnote 2. » S’ensuit une longue liste des dépenses quasi-nécessaires dans le cadre du mandat : déplacements, double logement, frais de représentation, propagande électorale, bienfaisance et autres donations, etc. Selon Barabant, à peine un tiers de l’indemnité est utilisable à des fins personnelles. Si tel est le cas, c’est peu dire que l’indemnité effectivement perçue par les élus ne correspond en rien à la perception qu’en ont les électeurs.
On n’a guère étudié le montant de l’indemnité revenant aux parlementaires, pourtant essentiel pour saisir la condition matérielle des élus et, par suite, le type d’activité qu’est la politiqueFootnote 3. Plusieurs travaux ont certes évoqué les controverses qui ont entouré la fixation du montant de l’indemnité. Celui, souvent cité, d’Alain Garrigou fournit de nombreux éléments sur la situation pécuniaire des parlementaires au tournant du xxe siècleFootnote 4. Quelques autres pourraient être évoqués – s’intéressant cependant principalement au xixe siècleFootnote 5 –, tout comme devrait l’être une série de monographies traitant de la question de l’indemnisation des élus au début du xxe siècle, quoique ces dernières s’en tiennent à une description des règles juridiquesFootnote 6. Certaines contributions encore, qui décrivent le mode de vie des élus, donnent à voir des budgets de parlementaires mais sont circonscrites à une période donnéeFootnote 7. Quant à celles qui proposent une approche diachronique, elles s’appuient, faute de sources aisément accessibles, sur des estimations au mieux approximativesFootnote 8. Finalement, en dehors de la période la plus récente, on ne dispose pas d’études sur la rémunération effective que l’indemnité parlementaire procure aux représentants de la nation.
Si cette méconnaissance n’est pas propre à la France, elle y est cependant prononcée. Au Royaume-Uni, le montant de l’indemnité parlementaire depuis 1911 est connu et analysé de longue date – notamment au regard des déterminants de ses évolutionsFootnote 9. Les données états-uniennes sur l’indemnité des élus depuis 1789 sont également mises à disposition par le Congressional Research Service, de même que l’indemnité suisse depuis 1920Footnote 10. Toutefois, peu de ces travaux estiment le revenu réel tiré de l’activité (seule l’indemnité générale retient leur attention), et aucun à notre connaissance ne rapporte le montant de l’indemnité perçue au niveau de vie de la population dans la longue durée. Récemment, Frédéric Monier écrivait, à propos de la France du xixe siècle, que « si l’on dispose d’études historiques ou sociohistoriques sur le métier politique, celles-ci, à quelques exceptions près, ne dispensent pas de lumières sur les revenus des élus et sur l’argent gagné à exercer des mandatsFootnote 11 ». Le constat pourrait être étendu à bien d’autres pays.
Ce qui pourrait être matière à indignation démocratique se présente à l’historien comme une double énigme. La première résulte de cette absence de connaissances sur une donnée aussi essentielle. Le manque de travaux ne s’explique ni par un oubli de la part des chercheurs ni par un manque d’intérêt pour le sujet, mais par la difficulté de connaître le montant de l’indemnité. Comment se fait-il que, dans ce lieu si intensément scruté qu’est le Parlement et au sein d’une institution qui produit autant de traces sur son activité quotidienne, cette information soit si ardue à obtenir ? Cet obstacle invite à s’interroger sur les conditions de la connaissance ou, plutôt, de la méconnaissance qui entoure la rémunération des élus. Si tous les silences de l’histoire méritent d’être examinés de la sorte, celui-ci interpelle particulièrement.
La seconde énigme réside dans le montant de cette indemnité à proprement parler. Quel revenu peut-on tirer de la politique depuis le début du xxe siècle, c’est-à-dire une fois que la rémunération des élus est devenue un principe accepté et que les débats se sont portés sur son montant plutôt que sur sa légitimité ? Comment celui-ci évolue-t-il, et comment positionne-t-il les élus dans la hiérarchie des revenus ? Répondre à cette question est riche d’enseignements pour les sciences sociales du politique, en comblant certains manques criants en la matière.
Ces dernières années, la question de la « professionnalisation de la politique » est redevenue un objet d’intérêt primordial dans les sciences sociales françaises et européennesFootnote 12. Les chercheurs ont ainsi analysé la biographie des élusFootnote 13, le temps consacré à l’exercice du mandatFootnote 14 ou encore les apprentissages nécessaires à l’activité politiqueFootnote 15. En revanche, en dépit d’une référence omniprésente à la définition de Max Weber selon laquelle le professionnel est celui qui vit « pour et de la politiqueFootnote 16 », peu de ces travaux se sont finalement intéressés aux revenus et à leur évolution. Répondre à la question des rétributions que procure le mandat de député (indépendamment du niveau de revenu total de ces derniers ou de leur appartenance sociale) constitue pourtant une manière centrale de caractériser le type d’activité qu’est la politiqueFootnote 17.
C’est à ces deux énigmes que cet article se propose de répondre. Il montre que la difficile connaissance du montant réel du revenu que l’indemnité confère aux élus est largement due à un effacement délibéré de toute publicité autour de cette question, tant il est compliqué pour les députés, dès la Révolution française, de se prononcer publiquement sur leur propre rémunération et tant ces débats ont prêté à polémique. Sans être systématiquement orchestré, le défaut d’information a souvent été favorisé par les élus eux-mêmes afin de mettre à distance une question perçue, probablement à raison, comme un vecteur d’antiparlementarismeFootnote 18.
Comment le niveau effectif de l’indemnité parlementaire a-t-il évolué dans le temps ? La comparaison avec le salaire ouvrier démontre que, de la fin du xixe siècle à nos jours, l’indemnité place les députés solidement dans le haut de la hiérarchie des revenus français. Des fluctuations existent toutefois selon les périodes, qui font significativement varier la position des élus au sein de cette élite. Ces dernières décennies, on observe ainsi un net décrochage des députés par rapport aux plus hauts revenus.
Fort de ces constats, l’article interroge ce que la rétribution matérielle des parlementaires révèle des conceptions successives du mandat de député. Cette analyse est conduite à partir de l’examen de différentes dimensions matérielles du mandat de député telles que la retraite, la couverture des frais de mandat, l’assurance chômage ou le régime fiscal. Pris ensemble, ces éléments montrent que, de la fin du xixe siècle aux années 1980 environ, l’activité parlementaire a été principalement conçue comme une profession libérale, le député devant être totalement libre de déterminer les modalités d’exercice de son mandat. À partir de la fin des années 1980, une inflexion marquée a contribué à rapprocher la condition matérielle des députés d’un statut de salarié et, plus précisément, de cadre.
Une question inflammable de moins en moins évoquée
La réticence des parlementaires à évoquer publiquement leur propre rémunération est palpable tout au long du xxe siècle. L’histoire de la création de l’indemnité parlementaire, au début de la Révolution, en constitue les prémices éclatantes.
La matrice révolutionnaire
Si l’indemnité parlementaire a fait son entrée dans l’histoire française dès les premiers mois de la Révolution, ce fut par la petite porteFootnote 19. Le « traitement » des députés a en effet été créé par un décret de l’Assemblée nationale du 1er septembre 1789 (fig. 1) au sujet duquel les notes préparatoires au procès-verbal de séance précisent, de manière tout à fait exceptionnelle : « […] doit être porté sur une feuille séparée, afin qu’il ne soit pas imprimé dans le procès-verbalFootnote 20 » (fig. 2). De fait, le décret fondateur de l’indemnité parlementaire n’a jamais été publié – pas plus au procès-verbal que dans la collection officielle des décrets des assemblées révolutionnaires, dite collection Baudouin –, mais il est bien entré en vigueur, la presse s’en faisant l’écho au fil du mois de septembre 1789. Ce décret a été si bien mis à part qu’il est resté hors de portée des historiens tout au long du xxe siècle. On a toutefois pu retrouver cette pièce fondatrice aux Archives nationalesFootnote 21.
Le silence qui entoure déjà la rémunération des élus ne doit rien au hasard. Comme l’a démontré René Garmy, il résulte de la demande des nombreux bureaux de l’Assemblée qui ont eu à examiner cette questionFootnote 22. Cette absence de publicité s’explique par le désir ardent, de la part des élus, de ne pas paraître intéressés, et donc de ne pas sembler utiliser leurs fonctions de représentants de la nation pour en tirer un profit personnel. Telle est la critique que tente de parer Mirabeau auprès de ses électeurs : « […] loin de nous la vile pensée de substituer le mobile de l’intérêt à celui du patriotisme et de payer à prix d’or des services dont le bien public doit être le but et la récompenseFootnote 23 ». Mais, insiste-t-il, ne pas « salarier » les représentants serait plus dommageable encore, car cela reviendrait à priver l’Assemblée de personnalités qui n’auraient pas de moyens de subsistance et, de facto, à réserver la représentation politique à « une aristocratie d’hommes riches », lesquels n’hésiteraient pas à acheter les suffrages de leurs électeurs et à vendre les leurs. « L’honneur de servir la nation va devenir le patrimoine de quelques familles » et les mandats « seront à l’enchère », menace-t-il. Mieux vaut donc rétribuer les députés que de risquer d’exclure de l’Assemblée des hommes de vertu présents jusque dans le peuple ou de favoriser la corruption par la gratuité du mandat.
On retrouve cette dialectique de la vertu à l’occasion de l’un des principaux débats de l’époque révolutionnaire portant sur l’indemnité parlementaire, celui des 23 et 24 nivôse an III (12 et 13 janvier 1795)Footnote 24. Du fait de l’élévation du coût de la vie, les 18 livres quotidiennes (soit huit fois le salaire ouvrier) que les députés s’étaient attribuées en 1789 sont devenues insuffisantes pour beaucoup. Certains conventionnels proposent, en conséquence, de réévaluer le montant de l’indemnité en le doublant. Dans les débats qui s’ensuivent, trois positions se font jour, qui définissent les contours du champ argumentatif autour de l’indemnité jusqu’au xxe siècle. D’une part, le rapporteur Thibault, appuyé par Pierre-Joseph Cambon, plaide pour que la nation indemnise « honorablement » les députés, ce qui nécessite l’indexation de l’indemnité sur le prix des denrées. À l’inverse, les Montagnards récusent toute augmentation de l’indemnité : la vertu des représentants suffit à les rendre riches. Ils demandent que l’on s’occupe d’abord de la situation des soldats mutilés et des fonctionnaires publics dans le besoin : « […] ne faisons pas croire que nous voulons de l’argent ; ne faisons pas dire que nous puisons dans le trésor publicFootnote 25 », s’insurge Duhem. Sont enfin rappelées, comme repoussoir, les positions des monarchiens de 1789, qui s’étaient opposés à la création de l’indemnité ou à sa fixation à un niveau suffisant : « […] c’est l’abbé Maury, ce sont la noblesse et le clergé, qui, pour éloigner les pauvres, n’ont fait décréter en 89 qu’une indemnité de 18 livresFootnote 26 », affirme Cambon pour appuyer la nécessité de la réévaluation, afin que les députés puissent vivre « dans une honnête aisance », selon l’expression de l’un d’entre eux. Le doublement de l’indemnité est finalement adopté par la Convention thermidorienne.
Les assemblées révolutionnaires assument donc, en 1789 comme en 1795 (soit bien avant le débat de 1906Footnote 27), que les députés puissent vivre de leur mandat, car telle est la condition à la fois de la vertu des députés et de la représentativité de l’Assemblée. Néanmoins, il se révèle difficile, dans le même temps, de ne pas tenir compte des particularités du mandat parlementaire. Une autre tension s’instaure alors, entre le nécessaire particularisme du mandat représentatif et la volonté des députés de ne pas se différencier de l’ensemble de leurs concitoyens. Le terme même d’« indemnité » est le fruit de cette tension. Les députés avaient en effet instauré, le 1er septembre 1789, un « traitement » à leur bénéfice, et non une indemnité.
L’ambiguïté du vocable retenu apparaît à nouveau le 12 avril 1792, quand les commissaires de la trésorerie nationale interrogent l’Assemblée pour savoir s’il convient d’appliquer aux députés la loi qui veut que toute personne sollicitant un versement du Trésor public doit d’abord démontrer qu’elle s’est acquittée de ses contributions obligatoiresFootnote 28. Les députés recevant un « traitement », il n’y aurait pas lieu de les en exempter. Au cours du débat qui s’ensuit, l’Assemblée décide d’abord de s’appliquer le droit commun, les députés « ne [devant] pas être distingués des autres citoyens », sauf à recréer des privilèges, puis, à la réflexion, s’en exonère, au motif qu’ils tiennent leur confiance directement de leurs électeurs, et non de leur fortune. Après la clôture de ce débat, et comme pour en tirer les conséquences, l’Assemblée décide de substituer le terme d’« indemnité » à celui de « traitement ». Avec cette seconde naissance de l’indemnité s’affirme le double corps des députés : le député-représentant, soumis à des contraintes et à des règles propres, et le député-personne privée, qui doit être traité à l’égal de ses concitoyens.
Restent à définir les contours et les limites de cette spécificité. Quelles sont les dépenses et les charges matérielles inhérentes au bon accomplissement du mandat de député ? Le décret du 1er septembre 1789 couvrait déjà les frais de transport, dits « frais de route ». Les lois du 5 frimaire an VI (25 novembre 1797) et du 29 thermidor an VII (16 août 1798) y ajoutent des frais postaux et des frais de bureau. Elles pourvoient également à la fourniture et à l’entretien des costumes des députés et prévoient que « les représentants du peuple sont logés aux frais de la République », évoquant même l’emploi, par certains représentants, de « secrétaires » pour les aider à accomplir leurs missionsFootnote 29. À la fin du Directoire, les dépenses prises en charge représentent ainsi 61 % du montant de l’indemnité et sont donc loin d’être négligeables. Certains frais couverts de manière forfaitaire ainsi que des contributions en nature des assemblées (afin de pourvoir, par exemple, au costume des députés) complètent l’indemnité à proprement parler.
L’élaboration de la loi du 5 frimaire an VI (25 novembre 1797), qui porte en particulier sur les frais de correspondance des députés, illustre une dernière tension : celle qui met aux prises, d’une part, l’égalité de principe entre tous les députés et, d’autre part, le constat que certains ont davantage de frais que d’autres. Le Conseil des Cinq-Cents et celui des Anciens, qui succèdent, en 1795, à la Convention nationale, hésitent et changent à plusieurs reprises de formule tant l’équation paraît insoluble. Sont successivement envisagés une indemnité forfaitaire, le rétablissement de la franchise de port pour les députés et le versement d’une indemnité différenciée en fonction de la proximité avec ParisFootnote 30. Si, en l’occurrence, la différenciation de l’indemnité selon le lieu d’élection est retenue, le principe d’égalité continue à prévaloir pour l’essentiel. Comme l’énonce l’un des rapporteurs de cette loi, les députés, « quel que soit le département qui les a nommés, sont les membres de la même famille, tous également intéressés au sort de la République, au bonheur commun. Il ne peut donc être établi entr’eux aucune différence sous aucun rapportFootnote 31 ».
Les débats révolutionnaires cristallisent ainsi les tensions constitutives de l’indemnité parlementaire : entre nécessité d’une rémunération et soupçon d’intéressement ; entre volonté de ne pas se distinguer des autres citoyens et spécificité du mandat parlementaire ; entre égalité des représentants et frais spécifiques à certains d’entre eux. Cet ensemble de contraintes rend le débat public autour de ces sujets particulièrement difficile pour les députés. Elles ne disparaîtront pas durant les deux siècles suivants, la Révolution jouant le rôle de matrice des enjeux liés à l’indemnité parlementaire.
« Un tel sujet nous est particulièrement pénible »
Si l’histoire de l’indemnité parlementaire est étroitement liée, au xixe siècle, à la succession des régimes politiques (elle est supprimée par les monarchies censitaires, qui énoncent le principe de gratuité du mandat, puis brièvement par le Second EmpireFootnote 32, et rétablie par les Républiques), il faut toutefois se garder d’une lecture linéaire qui n’en ferait un enjeu de débats qu’en républiqueFootnote 33. Tout au long du xixe siècle, elle demeure un sujet sensible. Un épisode en particulier a marqué des générations de républicains, celui de la mort héroïsée du député Alphonse Baudin, le 3 décembre 1851, alors qu’il tentait de rallier les faubourgs parisiens à la résistance au coup d’État napoléonien. Aux ouvriers en lutte qui lui reprochaient les 25 francs de l’indemnité parlementaire, Baudin aurait répondu : « Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs », avant de monter sur la barricade et d’y être tuéFootnote 34.
C’est de cette histoire tourmentée qu’héritent les députés des débuts de la IIIe République. Si le principe de l’indemnité est confirmé en 1871 puis en 1875Footnote 35, celle-ci est simplement rétablie à son niveau de 1848, et les républicains, conscients de cette mémoire polémique, repoussent autant que possible son augmentation en dépit de l’inflation. Après une tentative avortée en 1899, c’est en 1906 que les parlementaires prennent l’initiative de porter leur indemnité de 9 000 à 15 000 francs par an. Malgré les précautions destinées à déjouer l’attention de l’opinion publique (la navette parlementaire entre les deux assemblées est, chose rare, réalisée en une seule journée), cette augmentation provoque des réactions nombreuses, violentes et durables, qui constitueront un nouveau traumatisme dans la mémoire républicaineFootnote 36. Si le principe d’une indemnité parlementaire « suffisante et intangibleFootnote 37 », selon les mots de Robespierre à la Convention, adopté par la République de l’an I ne sera plus jamais remis en cause par celles qui lui succéderont, son montant demeure en revanche un sujet inflammable.
L’un des premiers orateurs du débat de 1938, Marcel Coquillaud, exprime le sentiment général des députés, qu’ils soient favorables ou défavorables à l’augmentation : « Messieurs, affirme-t-il solennel, un débat sur un tel sujet nous est particulièrement pénibleFootnote 38. » Un spectre hante en effet les discussions, au point de s’y inviter souvent explicitement : la crainte de l’antiparlementarisme, présente dans tous les échanges qui se tiennent à la Chambre à ce sujet, de 1899 à la fin des années 1950Footnote 39. Là n’est toutefois pas le seul argument déployé. Les positions et les arguments révolutionnaires ont fixé les termes d’une controverse qui ressurgit périodiquement : le mandat comme honneur et comme charge (conception aristocratique du mandat), l’indemnité comme condition d’un recrutement parlementaire démocratique et l’assimilation nécessaire du député aux travailleurs (portée par les communistes).
Une étude systématique montre que les arguments afférents à ces positions se retrouvent mentionnés tout au long du xxe siècleFootnote 40. Ce qui varie, cependant, c’est la fréquence des débats sur l’indemnité. Relativement réguliers dans la première moitié du xxe siècle (l’indemnité est portée à la discussion en séance en 1899, 1906, 1920, 1926, 1928, et encore en 1938), leur rythme reste soutenu tout au long des années 1950. Après 1958, en revanche, l’indemnité parlementaire disparaît brutalement de la séance publique, comme si l’avènement de la Ve République avait réussi à mettre sous l’éteignoir une question aussi pressante que pénible. Mais l’incendie était-il éteint ?
La production du secret
Une branche de la sociologie et de la philosophie des sciences analyse non pas la production du savoir, mais celle de l’ignorance. Dans son livre sur les « guerres du cancer » (Cancer Wars), l’historien Robert N. Proctor a ainsi montré comment l’industrie du tabac avait sciemment exercé une désinformation sur les effets cancérigènes de ses produits en promouvant le doute par rapport aux résultats scientifiquesFootnote 41. L’intérêt de ce concept de non-savoir (« agnotology ») est d’inviter à s’interroger sur les raisons de l’absence de connaissance. Car comme l’écrit R. N. Proctor, l’ignorance n’est pas toujours un projet concerté, une machination savamment planifiée. À côté de « la censure, la désinformation » comme sources de non-savoir, il évoque dans une liste non exhaustive la « bêtise, l’apathie, […] la foi et l’oubli »Footnote 42. Dans le cas de l’indemnité, cette source n’est évidemment pas du même ressort que celle, concertée, mise en place par les industries du tabac ou certains groupes climato-sceptiques. On ne peut désigner un acteur évident ni déterminer un moment critique où il aurait été décidé de masquer le montant de l’indemnité parlementaire au public. Il s’agit plutôt d’un concert de petites occultations, de la rencontre d’intentions multiples au fil des décennies qui vont, pendant longtemps, rendre impossible la connaissance précise du revenu réel que l’indemnité procure aux députés, pour les citoyens comme pour les chercheurs.
Bien plus certainement que le changement de régime en 1958, deux éléments expliquent l’effacement progressif de toute discussion sur le sujet à l’Assemblée. Le premier consiste à assurer une revalorisation automatique de l’indemnité des élus en l’alignant sur un indicateur donné. Cette mesure, évoquée sans succès dès les années 1920, est finalement adoptée en 1938 par les deux Chambres avec l’indexation de l’indemnité parlementaire sur les évolutions du traitement des conseillers d’ÉtatFootnote 43. La lecture des débats préliminaires à cette loi donne le sentiment que tout a été soigneusement réglé en amont : la proposition de loi est cosignée par le président de la Chambre, les trois questeurs et le président de la commission de la comptabilité, signe de l’entente préalable de tous les députés dont la voix compte sur cette question. Elle a aussi été déposée tardivement pour éviter de donner prise au débat public et le rapporteur indique, au cours des débats, que le Sénat est d’accord sur son contenu et la votera dans des termes identiquesFootnote 44. Des oppositions se manifestent, bien sûr, depuis les camps habituels : le groupe communiste proteste et demande la création d’une commission d’enquête sur les incompatibilités parlementaires et sur l’origine de la fortune de certains parlementaires, quand la droite conservatrice, par la voix de Louis Marin, s’y oppose. La loi est toutefois votée à une large majorité.
Le texte, en apparence technique, a des conséquences importantes. Plutôt que d’avoir à décider collectivement et publiquement d’une somme, les parlementaires lient, à partir de cette date, l’augmentation de leur revenu à l’évolution du traitement des fonctionnaires. Le montant de cette indemnité, si souvent citée comme l’indice de la vénalité et de la déconnexion des gouvernants, n’aura plus à être discuté en séance publique. Le symbole chiffré est remplacé par une procédure aussi complexe que régulière de réévaluation automatique. Le montant reste public, mais disparaissent de facto les débats en séance afférents à la revalorisation. Il y a peu de doutes sur l’intention précise des législateurs quand ils proposent l’indexation. En 1947, le député de droite Jean Legendre reconnaît, au moment où une possible revalorisation ponctuelle donne lieu à une intense campagne de presse, que l’indexation votée en 1938 « avait voulu, en donnant un caractère d’automatisme à l’augmentation de l’indemnité parlementaire, éviter que de tels débats vinssent devant l’AssembléeFootnote 45 ». La solution trouvée ne fait que prolonger d’autres tentatives de soustraire ces débats au public, depuis l’absence de publication du décret qui institue l’indemnité, en septembre 1789, jusqu’au raccourcissement extrême de la navette parlementaire, en 1906.
Les débats relatifs à l’indemnité parlementaire ne disparaissent toutefois pas totalement. Très régulièrement dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, la question revient à l’ordre du jour. À l’automne, à l’occasion du vote du budget, des discussions sont engagées autour de facilités accordées aux élus – souvent, à cette époque, à propos des frais de secrétariat que l’Assemblée a commencé à prendre en charge – à l’initiative, cette fois, des députés communistes qui en font une tribune pour dénoncer la politique « anti-sociale » du gouvernement. Les dynamiques de l’entre-deux-guerres ressurgissent alors. D’un côté, on trouve des députés qui, comme avant 1914, se plaignent de la difficulté de « boucler leur budget » avec leur seule indemnité et, de l’autre, des critiques qui saisissent l’occasion de se distinguer, politiquement autant que moralement, du reste des élus. Ces controverses disparaissent à la fin des années 1950 pour ne plus réapparaître publiquement ensuite que de manière très épisodique jusqu’aux années 1990, sans jamais retrouver la vigueur des débats antérieurs.
Un second facteur explique cette soudaine disparition d’un thème jusque-là récurrent des séances parlementaires : le soutien matériel apporté, progressivement mais très clairement, par l’Assemblée à ses élus. Ici réside l’autre source d’ignorance relative à l’indemnité parlementaire : l’institution va peu à peu prendre en charge des dépenses qui incombaient auparavant aux parlementaires. Plutôt que de verser la somme directement aux élus, l’Assemblée les décharge graduellement de nombreux frais. La complexité comme le secret du budget des assemblées, autonomes financièrement, garantissent l’absence de publicité.
Pour bien saisir ce qui se joue alors, il est important de se défaire d’un biais présentiste, qui verrait dans l’indemnité un revenu bénéficiant entièrement à l’élu – ce qu’elle est effectivement aujourd’hui, mais n’a pas toujours été. De ses origines révolutionnaires à la fin du xxe siècle, l’indemnité a une double fonction : assurer la subsistance de l’élu, d’une part, et prendre en charge des frais imposés au parlementaire dans l’exercice de ses fonctions, d’autre part. Pendant près de deux siècles, revenu personnel et frais de mandat, voire dépenses de campagne, ont ainsi été inextricablement mêlés en une seule et même somme sous la qualification d’« indemnité parlementaire ».
Les débats témoignent de la confusion comptable entre dépenses personnelles et frais de mandat. En 1953, Maurice Deixonne, député socialiste, plaide pour une augmentation de l’indemnité. Il offre, à l’appui de son argumentation, un décompte particulièrement précis qui mérite d’être restitué car il a valeur de témoignage sur la condition parlementaire dans les années 1950 :
[…] je voudrais apporter quelques éléments auxquels j’ai réfléchi, qui peuvent montrer à l’opinion publique et aux quelques collègues qui pourraient en douter, que la situation de la grande majorité des parlementaires n’est vraiment pas celle qu’ils imaginent. […]
Le public ignore les retenues que nous subissons, bien entendu, pour la retraite, la Sécurité sociale, l’abonnement à la Société nationale des chemins de fer français auquel les parlementaires de province doivent ajouter le prix des couchettes qui leur permettent de subir sans trop de fatigue les deux voyages de nuit qu’ils sont tenus d’affronter tous les huit ou quinze jours, les abonnements au métropolitain et à l’autobus ; les cotisations parfois très élevées au groupe parlementaire, qui se doublent souvent de cotisations à leur fédération départementale ; les frais d’automobile – laissons l’amortissement de côté – le garage, l’entretien, l’essence…
Au centre. L’assurance.
… les frais de taxi à Paris, car ce n’est pas l’embryon de service automobile qui peut faire face à tous les besoins ; les frais de secrétariat, de bureau, de téléphone, parfois le double téléphone ; le logement à Paris, car le logement est bien double lui – je me permets d’ajouter que les frais de repas ne sont peut-être pas exactement les mêmes selon qu’on prend ceux-ci en famille ou dans un hôtel de la capitale – les cotisations diverses qu’ils sont conduits à verser à toutes les sociétés ou aux particuliers qui s’imaginent que le parlementaire est une société de bienfaisance, que nous sommes obligés de payer sur l’indemnité parlementaire proprement dite. Et je ne veux pas parler de l’usure malheureusement trop évidente des vêtements dans ces voyages perpétuels, les campagnes électorales que nous sommes tenus de faire non seulement pour notre élection, mais pour toutes celles où nous sommes sollicités et les conférences à travers tout le paysFootnote 46.
L’énumération rend compte d’une réalité de l’indemnité parlementaire, conçue et utilisée comme une somme globale censée couvrir différents besoins. Une telle description est, par ailleurs, cohérente avec celles faites par différents élus ou par des observateurs. Dans son travail sur le baron de Mackau, Éric Phélippeau fournissait une description précise de ses dépenses de propagande électorales aux débuts de la IIIe RépubliqueFootnote 47. Un demi-siècle plus tard, André Tardieu ne dit pas autre chose dans son ouvrage de 1937, La profession parlementaire, quand il écrit que « l’indemnité est nécessaire, car le métier coûte cherFootnote 48 ». Ces dépenses, induites par le mandat, sont d’ailleurs explicitement reconnues par la loi de 1938 qui instaure l’indexation. En assurant une imposition sur les 11/20e de la somme totale, elle acte la double fonction de cette indemnité, à la fois revenu (fiscalisé) et défraiement (exempt d’impôt).
En plus de la règle d’indexation, la seconde source d’ignorance tient donc à la prise en charge progressive, par l’Assemblée, d’une partie des dépenses incombant précédemment aux élus, leur octroyant de facto un surcroît de revenu. Ainsi, quand l’inflation entame le revenu parlementaire, le problème est toujours réglé de la même façon : via une augmentation des frais parlementaires pris en charge par l’institution. On trouve les traces les plus claires de ces opérations dans les procès-verbaux du Bureau de l’Assemblée nationale. Organe multipartite de décision politique pour les questions internes à l’institution, le Bureau se réunit en général une fois par mois. C’est là que sont discutées les questions liées aux conditions matérielles des parlementaires. C’est aussi là qu’on trouve trace des dépenses assumées par l’Assemblée pour ses membres. À la lecture des procès-verbaux et des dossiers de séance, il est clair que, pour les hauts responsables de l’institution, octroyer des moyens supplémentaires aux députés revient à leur assurer un surcroît de revenu personnel.
Ainsi, lors d’une discussion sur les conditions de vie des parlementaires qui a lieu en 1972, on trouve la mention suivante : « M. le président [Achille Peretti] insiste sur la nécessité de faire en sorte que les députés puissent exercer normalement leur mandat sans se compromettre. Il faut qu’ils puissent vivre décemment, ce qui implique d’une part une augmentation des indemnités de secrétariat qui devraient être portées à 3 000 puis même à 5 000 [francs], et le recrutement par les groupes de collaborateurs politiquesFootnote 49. » De même, en 1978, alors que l’inflation galopante érode le pouvoir d’achat et que les débats sur la condition de vie parlementaire sont monnaie courante au Bureau, une discussion a lieu sur la meilleure manière d’augmenter les parlementaires. Un élu insiste alors pour que l’augmentation de l’aide dactylographique envisagée par le Bureau soit « attribuée directement aux députés et non à leurs secrétaires, comme cela a été le cas lors de l’augmentation du traitement des collaborateurs », faute de quoi elle n’aura pas les effets désirésFootnote 50. Il était difficile d’être plus explicite : l’aide au travail de secrétariat doit permettre de maintenir un niveau de revenu jugé digne.
Cette prise en charge croissante des frais parlementaires ainsi que l’indexation sur le traitement des fonctionnaires constituent les deux mécanismes qui ont abouti à la disparition de ces questions de l’agenda parlementaire après 1960. Peu transparent, un tel renfermement est compréhensible, au moins au sens que donne la sociologie à ce terme. Du point de vue des députés, attaqués à chaque tentative de revalorisation, prendre des chemins plus discrets pour faire évoluer leur niveau de vie est finalement assez rationnel. Ces choix rendent en revanche plus complexe la connaissance du revenu que l’indemnité procure aux élusFootnote 51.
Un revenu d’élite, en déclassement
Malgré la difficulté d’accéder à l’information, il est possible d’estimer le revenu que les parlementaires tirent de leur mandat et, ainsi, de déterminer à quel niveau de la hiérarchie des revenus leur indemnité les positionne et comment cette place a évolué au fil du xxe siècle.
Une estimation du revenu des députés
Produire une estimation du revenu effectif des élus implique de multiplier les sources, certaines publiques, et la plupart issues des archives de l’Assemblée nationaleFootnote 52. Pour ce faire, nous sommes partis du montant de l’indemnité versée aux députés. Fixé par la loi avant 1938, il est ensuite indexé aux évolutions du traitement des membres du Conseil d’État, qui dépend lui-même de la revalorisation du traitement des fonctionnaires. Concrètement, à compter de 1938, à chaque publication d’un décret modifiant la valeur du point d’indice de la fonction publique, les questeurs de l’Assemblée adoptent un arrêté, non public, qui réévalue en conséquence et dans les mêmes proportions l’indemnité parlementaire. Une telle somme représente l’indemnité faciale, celle reçue pour vivre, mais aussi – jusqu’en 1997 – celle qui prend en charge tout ou partie des dépenses induites par l’activité parlementaire. Sur le graphique proposé plus bas (fig. 3), elle est représentée par la courbe du haut (« indemnité totale », voir tableau 1).
Année | Montant | Année | Montant | Année | Montant | Année | Montant | Année | Montant |
1901 | 9 000 | 1926 | 27 000 | 1951 | NA | 1976 | 169 891 | 2001 | 78 800 |
1902 | 9 000 | 1927 | 45 000 | 1952 | NA | 1977 | 187 343 | 2002 | 79 834 |
1903 | 9 000 | 1928 | 45 000 | 1953 | NA | 1978 | 206 519 | 2003 | 80 426 |
1904 | 9 000 | 1929 | 60 000 | 1954 | 1 710 000 | 1979 | 223 257 | 2004 | 80 828 |
1905 | 9 000 | 1930 | 60 000 | 1955 | 2 089 750 | 1980 | 249 587 | 2005 | 81 511 |
1906 | 15 000 | 1931 | 60 000 | 1956 | 2 260 000 | 1981 | 283 780 | 2006 | 82 509 |
1907 | 15 000 | 1932 | 60 000 | 1957 | 2 440 500 | 1982 | 316 753 | 2007 | 83 380 |
1908 | 15 000 | 1933 | 60 000 | 1958 | 3 840 000 | 1983 | 341 579 | 2008 | 83 846 |
1908 | 15 000 | 1934 | 60 000 | 1959 | 5 319 000 | 1984 | 373 021 | 2009 | 84 377 |
1909 | 15 000 | 1935 | 60 000 | 1960 | 54 360 | 1985 | 389 976 | 2010 | 84 990 |
1910 | 15 000 | 1936 | 60 000 | 1961 | 56 916 | 1986 | 402 187 | 2011 | 85 202 |
1911 | 15 000 | 1937 | 60 000 | 1962 | 62 714 | 1987 | 404 607 | 2012 | 85 202 |
1912 | 15 000 | 1938 | 60 000 | 1963 | 67 676 | 1988 | 414 743 | 2013 | 85 202 |
1913 | 15 000 | 1939 | 82 500 | 1964 | 73 047 | 1989 | 419 914 | 2014 | 85 202 |
1914 | 15 000 | 1940 | 87 625 | 1965 | 77 483 | 1990 | 431 675 | 2015 | 85 202 |
1915 | 15 000 | 1941 | 87 625 | 1966 | 80 575 | 1991 | 445 375 | 2016 | 85 202 |
1916 | 15 000 | 1942 | 0 | 1967 | 83 8089 | 1992 | 461 771 | 2017 | 85 713 |
1917 | 15 000 | 1943 | 0 | 1968 | 87 589 | 1993 | 461 771 | 2018 | 86 516 |
1918 | 15 000 | 1944 | 0 | 1969 | 95 711 | 1994 | 473 028 | 2019 | 86 879 |
1920 | 27 000 | 1945 | 0 | 1970 | 99 513 | 1995 | 493 188 | 2020 | 86 879 |
1921 | 27 000 | 1946 | NA | 1971 | 107 267 | 1996 | 493 188 | 2021 | 86 879 |
1922 | 27 000 | 1947 | 499 500 | 1972 | 113 616 | 1997 | 495 636 | ||
1923 | 27 000 | 1948 | 711 700 | 1973 | 121 912 | 1998 | 507 179 | ||
1924 | 27 000 | 1949 | 102 8160 | 1974 | 135 270 | 1999 | 512 230 | ||
1925 | 27 000 | 1950 | 1 174 328 | 1975 | 154 641 | 2000 | 512 230 |
Note : En 2021, un député français percevait au titre de son indemnité 86 879 euros bruts par an pour l’exercice de son activité parlementaire. Pour l’estimation de l’indemnité effectivement perçue, voir les fichiers de données disponibles sur Open Science Foundation (10.17605/OSF.IO/5Z42A) ainsi que sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture » ; ils accompagnent également la version numérique de l’article (10.1017/ahss.2023.3). Les montants sont donnés en anciens francs de 1901 à 1959, puis, à partir de 1960, en francs et enfin, depuis 2001, en euros.
Il faut alors déduire de cette somme les dépenses qui incombent aux élus dans l’exercice de leur mandat. S’il est difficile d’évaluer leurs montants, on peut se référer à la distinction établie par la loi en 1938. Au moment de l’indexation, il est en effet précisé que seuls 11/20e de l’indemnité seront fiscalisés, les 9/20e restants étant supposés couvrir les frais de mandat du député. Cette estimation légale est évidemment imparfaite, car on imagine bien qu’entre le député parisien et celui de province (qui doit avoir deux logements), entre celui qui doit se déplacer dans une vaste circonscription et l’élu du 7e arrondissement qui peut parcourir toute sa circonscription à pied, entre celui qui cumule une position d’élu local (et peut faire prendre en charge certaines dépenses de déplacement et des frais de secrétariat par sa collectivité) et le simple député, de fortes variations existent. Elle reste toutefois la meilleure approximation du revenu effectif de base. Sur le graphique, on fait alors figurer ces 11/20e de l’indemnité par une seconde courbe, qui représente une estimation basse du revenu des élus (« reste à vivre légal »).
Ces deux montants de l’indemnité parlementaire constituent des bornes entre lesquelles évolue normalement le revenu des élus au titre de leur mandat, mais elles ne sont pas de bonnes estimations de la somme dont les députés disposent réellement pour vivre. Elles le sont de moins en moins à travers le temps puisque, comme nous l’avons dit, l’Assemblée prend progressivement en charge certaines des dépenses liées au mandat. Quelques-unes d’ampleur limitée d’abord : participation aux frais de double résidence (1926), accès préférentiel à la compagnie des wagons-lits (1946), carte de circulation SNCF et RATP à taux préférentiels (1946, révisée en 1958). À partir de la fin des années 1950, ces aides en nature deviennent plus régulières, plus importantes aussi : gratuité d’une ligne téléphonique (1958), prise en charge du salaire d’une « dame secrétaire » pour cinq élus (1968), possibilité d’engager une secrétaire à plein temps (1971), crédit collaborateur (1975) ou encore mise à disposition d’un logement parisien à la suite de l’édification de l’immeuble Chaban-Delmas (1975). Elles ont pour effet, selon les mots d’un questeur à la fin du xxe siècle, « d’accroître l’indemnité parlementaire netteFootnote 53 ».
Pour évaluer ces contributions en nature, nous les avons d’abord relevées systématiquement dans les procès-verbaux du Bureau, pour ensuite les monétiser. Elles ont alors été partiellement additionnées aux 11/20e de l’indemnité totale. La courbe en pointillé représente cette estimation du revenu effectif perçu par les élus, somme qui peut être prise comme une estimation basse du revenu des députésFootnote 54. Les multiples sources d’incertitudes justifient qu’on traite cette valeur avec prudence. Elle paraît toutefois être une approximation raisonnable du revenu dont pouvaient disposer les élus au titre de ce mandat, indépendamment des stratégies individuelles (emploi de collaborateurs familiaux, achat de la permanence, cumul des mandats permettant la mutualisation des frais, etc.) ou collectives (reversement de l’indemnité au parti, mutualisation d’une partie de cette dernière au sein du groupe parlementaire, etc.). On en veut pour preuve la proximité entre notre estimation et les déclarations et décomptes qu’on peut trouver dans les débats ou les monographies de parlementaires. En 1997, un changement a priori d’importance corrobore par ailleurs notre analyse. Cette année-là, une décision du Bureau distingue pour la première fois formellement la somme reçue par les élus pour leur usage propre de l’« indemnité représentative de frais de mandat » (IRFM). Cette dernière, désormais versée sur un compte séparé, est destinée à couvrir les frais engagés dans le cadre de l’activité parlementaire. La première, en revanche, doit revenir entièrement au député, et est fiscalisée depuis 1993. Autrement dit, la réforme de 1997 distingue, en droit, l’indemnité-revenu de l’indemnité-prise en charge des frais.
Or, au moment où est votée cette réforme qui attribue l’ensemble de l’indemnité au seul usage personnel des élus, la question du montant est l’objet de bien peu de débats. On pourrait s’étonner de ce silence pour un sujet qui suscite d’habitude beaucoup de discussions, au moins dans le cadre discret des réunions du Bureau. Toutefois, ni en séance ni lors des réunions du Bureau des mois qui précèdent, cette question n’est soulevée. Certes, il s’agit d’une augmentation, mais elle offrirait la possibilité aux oppositions de se faire entendre – elles ont rarement manqué pareille occasion par le passé. Pourquoi une telle retenue ? C’est que l’indemnité-revenu est fixée à un montant finalement proche de la somme que touchaient les députés à cette date, ce qui correspond à une opération blanche pour eux. Ces derniers n’auraient alors eu aucune raison de s’étonner de ce qui autrement serait apparu comme une spectaculaire augmentation.
La création de l’IRFM offrit en revanche une manne supplémentaire que certains députés allaient utiliser, pour partie, à des fins personnelles. La somme versée pour frais de mandat n’était en effet pas contrôlée, ce qui permit à plus d’un élu d’augmenter ses revenus en l’employant pour un usage personnelFootnote 55. Cette pratique, bien que non conforme à la destination de cette indemnité, fut, de l’avis de nombreux parlementaires, fréquente quoique non systématique, et de moins en moins acceptée à mesure de l’institution de règles plus strictes. À partir de 2015, il est désormais interdit pour un député d’acheter sa permanence parlementaire avec son IRFM tout en conservant sa propriété, ce qui était possible – voire encouragé – auparavant. Depuis 2018, les frais de mandat doivent être justifiés et un contrôle peut avoir lieu, susceptible d’entraîner des demandes de remboursementFootnote 56. C’est ce qui explique l’évolution de la courbe estimée sur la figure 3 : cette dernière dépasse le niveau de l’indemnité faciale à partir du milieu des années 1990, pour y coller de très près à partir de 2018. Rappelons que cette somme ne correspond pas au total des revenus des élus, lesquels peuvent avoir des activités ou des rentes qui s’y ajoutent. Cette estimation ne prend pas non plus en compte les illégalismes plus ou moins évidents, ni les avantages disponibles issus du cumul des mandats. Elle constitue simplement une estimation, à notre sens basse, du revenu perçu au titre de leur mandat par les députés à un moment donnéFootnote 57.
Un revenu d’élite sociale, qui fluctue sensiblement
R. Garmy notait, à propos de l’indemnité révolutionnaire, le décalage existant entre le montant auquel les députés l’avaient fixée en 1789 et les conditions de vie de leurs contemporains. Son niveau facial était six à dix fois celui du salaire journalier d’un ouvrier parisien, et allait au-delà de ce que gagnait un avocat renommé. Le montant de 18 livres avait pourtant fait l’objet d’un accord très large des députés. Il plaçait les parlementaires, pour reprendre ses termes, « parmi les citoyens privilégiés », notant que dans l’esprit des intéressés, « un élu ne peut, décemment, vivre à moins »Footnote 58.
Dans les discussions parlementaires sur l’indemnité, on lit pourtant régulièrement que son niveau serait insuffisant pour vivre. En 1906, le député socialiste Antide Boyer affirme dans Le Matin : « Vous voulez savoir comment un député équilibre son budget ? C’est bien simple : il n’y arrive pasFootnote 59. » Pour le député Barabant, en 1926, « le député qui n’a que son indemnité parlementaire ne peut plus vivreFootnote 60 ». Il arrive même que des députés opposés au relèvement de l’indemnité pour des raisons d’opportunité s’accordent sur ce constat. C’est le cas d’Henri Rillart de Verneuil qui affirme, au cours de la même séance : « En 1920, j’ai voté contre le relèvement de l’indemnité parlementaire […]. Depuis, je me suis rendu compte qu’un député qui a une situation modeste et une famille ne peut pas vivre à ParisFootnote 61. » Après la Seconde Guerre mondiale, le député socialiste Albert Aubry soutient qu’« à l’exception des représentants d’un seul parti, quelque quatre-vingts collègues sont obligés, chaque mois, de demander des avances à la caisse parce qu’ils ne peuvent joindre les deux boutsFootnote 62 ». Le député socialiste Maurice Deixonne conclut ainsi son raisonnement au cours de la séance du 11 décembre 1953 : « ce qui reste à un parlementaire, en mettant les choses au mieux, c’est le salaire d’un ouvrier qualifié, ni plus ni moinsFootnote 63 ».
Bien plus tard, les mêmes remarques émaillent les réunions du Bureau. Au cours de la séance du 5 décembre 1990, c’est le député UDF Pascal Clément qui « se demande comment ces députés [qui n’ont que leur indemnité] peuvent vivre ». Quelques instants plus tard, la députée socialiste Marie-France Lecuir affirme « qu’élue depuis neuf ans, elle vient seulement de retrouver, après déduction de ses frais de mandat, le niveau de vie de professeur certifié avec 20 ans d’ancienneté qui était le sien avant son électionFootnote 64 ». Le tableau dressé de la condition parlementaire est sombre, et invite à se poser la question de la position des élus dans la hiérarchie des revenus. Depuis le début du xxe siècle au moins, les débats sur l’indemnité ont régulièrement pris les ouvriers pour référence. Les intentions n’étaient pas toujours les mêmes : pour les élus communistes, il s’agissait de revendiquer leur proximité avec les classes populaires ; pour d’autres, de faire remarquer l’insuffisance de l’indemnité qui excédait à peine cette somme, prise comme un référent implicite d’un salaire faible.
Le graphique suivant (fig. 4) rapporte l’indemnité estimée au salaire ouvrier moyen sur toute la période. Il apparaît ainsi que le revenu tiré de l’activité parlementaire a fortement varié. Une chose est sûre : le revenu effectif du parlementaire a toujours été largement supérieur au salaire ouvrier – en moyenne quatre fois et demie sur la période. Des fluctuations substantielles existent toutefois : on distingue clairement les phases de réévaluation (1906, 1957-1959), de même que les moments où l’inflation non compensée entame le pouvoir d’achat des élus. C’est le cas au sortir de la Première Guerre mondiale.
Ce graphique explique certains malentendus récurrents relatifs au montant de l’indemnité. La courbe en trait plein représente le ratio entre l’indemnité faciale et le salaire ouvrier. L’écart est très souvent de 1 à 5, parfois de 1 à 12 (en 1906). Cette somme n’est toutefois pas celle qu’obtient l’élu in fine, et si l’écart reste toujours fort avec le salaire ouvrier, il est en réalité bien moindre dès lors que l’on considère la part de l’indemnité qui demeure au député. La perception du revenu des élus est ainsi déformée par rapport aux sommes effectivement reçues par ces derniers, ce qui, dans les moments de crise, nourrit largement les rhétoriques antiparlementaires. La figure 4 montre aussi un croisement des courbes dans les années 1990, soit un peu avant que l’Assemblée distingue clairement, par la réforme de 1997, l’indemnité-revenu de l’indemnité pour frais, les avantages en nature fournis par l’institution ayant permis d’augmenter discrètement le revenu des députés.
Si l’écart avec le revenu ouvrier est aussi important, comment expliquer les récriminations répétées des députés ? Une partie de la réponse tient, nous l’avons dit, à l’indivision des comptes. L’argent personnel peut, en effet, être investi pour des usages politiques. Il n’était ainsi pas rare, au xixe comme au début du xxe siècle, que des élus dépensent la quasi-totalité de leur indemnité pour une campagne électoraleFootnote 65, soit bien au-delà des sommes présentées dans notre estimation. Dans les années 1920, ces dépenses massives sont d’ailleurs mentionnées lors des débats relatifs à l’indemnitéFootnote 66, sous l’angle de l’inégalité qu’elles introduisent entre les parlementaires. L’argument avancé est que, en l’absence de financement public des campagnes, la faiblesse de l’indemnité fausse la concurrence entre les élus fortunés et les autres. La frustration des députés sans patrimoine est alors grande par rapport à leurs collègues nantis. Tout comme l’existence de l’indemnité fut, au siècle précédent, un combat de gauche destiné à améliorer la représentativité des élus, son montant est vu comme un élément central d’une représentation plus large. On comprend alors mieux pourquoi ce sont les députés socialistes qui portent presque toujours ce combat : la lutte pour la revalorisation de l’indemnité est non seulement une manière de réduire la distorsion de concurrence, mais elle apparaît aussi comme un héritage de combats toujours présents dans les mémoires quoique lointains.
Ces protestations tiennent également à la définition de la « vie » prise comme référence. Très souvent, elle vise un mode de vie bourgeois : celui des députés ou des personnes qu’ils fréquentent. Dans le budget largement déficitaire que fournit Jean Bernard en 1898, on relève des frais de blanchissage, le salaire de la « bonne », la « pension des enfants », ou encore « le tailleur » pour « Monsieur », « Madame » comme pour « les enfants », soit une série de dépenses que ni les ouvriers, ni les couches nouvelles naissantes ne pouvaient envisagerFootnote 67. D’autres évoquent, dans les années 1950, une situation où le député fait vivre l’ensemble du ménage et permet à sa femme de rester à la maisonFootnote 68. Assez classique dans la bourgeoisie, cette division du travail ne valait pas pour les autres groupes sociaux et l’on verra que les députés communistes pointent cette référence sociale implicite de leurs collègues. En 2017 encore, plusieurs députés du parti majoritaire ont, sous couvert d’anonymat, déploré le faible niveau du revenu parlementaire, qui les aurait contraints à réduire leur niveau de vieFootnote 69.
Une baisse de revenus récente mais indéniable
Au-delà de ces rapprochements équivoques avec le bas de l’échelle sociale, les parlementaires se considèrent aussi comme appartenant, ou comme devant appartenir, à l’élite. Une telle remarque invite à déplacer la comparaison du revenu des élus, non plus par rapport aux ouvriers, mais par rapport aux fractions supérieures de la société française. Pour replacer la position des députés français dans l’échelle des revenus, nous avons donc eu recours aux données fiscalesFootnote 70. La série retenue est ici celle des données fiscales individuellesFootnote 71. Elles sont, dans le graphique suivant (fig. 5), mises en regard de l’estimation du revenu effectif des députés. On voit ainsi qu’en 1910, ce dernier se situe autour du dernier centile des revenus fiscaux. Dit autrement, les députés gagnent au titre de l’indemnité, selon nos calculs, environ ce que déclarent les 1 % des Français disposant des plus hauts revenus cette année-là. Si cette expression n’avait alors pas cours, ils sont solidement installés dans les « classes supérieures » de la société de l’époque. Avant cette date, on ne dispose pas des données fiscales, mais des comparaisons ponctuelles montrent une situation semblable, surtout après 1906 et l’augmentation tant contestéeFootnote 72.
L’indemnité connaît un décrochage par rapport aux plus hauts revenus durant la Première Guerre mondiale et la période de la reconstruction postérieure à celle-ci. À la fin de la guerre, l’indemnité effective est inférieure au niveau des 3 % des Français aux plus hauts revenus. Elle va rester à ce niveau pendant près d’une dizaine d’années, avant que les augmentations de 1926, puis de 1928 ne viennent substantiellement augmenter le revenu des députés. L’indemnité place alors les parlementaires dans les 2 %, puis à proximité du dernier pour cent des Français les mieux payés. L’interruption due à la Seconde Guerre mondiale mise à part (l’indemnité parlementaire étant supprimée par la loi du 11 août 1941 à la suite de l’instauration de l’« État français »), les parlementaires demeurent parmi les Français les mieux payés pendant près de deux décennies, jusqu’à la fin des années 1950. En quelques années, l’indemnité connaît en effet une progression très forte – doublant même entre 1957 et 1959.
Lors de son installation, le pouvoir gaulliste a-t-il, en quelque sorte, offert une compensation aux députés auxquels il retirait une grande partie de leur pouvoir en imposant une nouvelle Constitution et le parlementarisme rationaliséFootnote 73 ? À bien y regarder, cette hypothèse n’est pas corroborée par les sources disponibles. Les archives de la questure de l’Assemblée montrent, d’une part, que les augmentations ont commencé avant le retour au pouvoir du général de Gaulle. Elles ont lieu plusieurs fois par an entre 1956 et 1959 suivant l’évolution du point d’indice de la fonction publique. D’autre part, cette même année 1958 est celle où l’indemnité de secrétariat est supprimée. Votée en 1953, elle donnait chaque année lieu à des controverses au moment du vote du budget. Elle est alors remplacée par une somme destinée à la prise en charge d’une série de dépenses liées aux transports directement versée aux élus, ce qui explique une large partie de l’augmentation constatée. S’y ajoutent les effets de la loi organique du 13 décembre 1958, qui intègre dans l’indemnité parlementaire une indemnité de fonction, à l’image de celle dont bénéficient les fonctionnaires, représentant un quart de son montant et qui constitue la seule augmentation en bonne et due forme pour cette année – loin du doublement précédemment évoquéFootnote 74.
Ces évolutions placent toutefois, au début des années 1960, les élus parmi les 0,5 % (p. 99,5) des Français les mieux payés, sans compter les éventuels autres revenus dont ils pourraient disposer par ailleurs. Ils conservent cette position jusqu’aux années 2000. Un double décrochage se produit alors. D’un côté, les très hauts revenus connaissent une forte croissance relativement au reste de la population, ainsi que le montre la courbe la plus haute (p. 99,5-99,6) sur la figure 5. Les causes d’une telle augmentation ont été bien analysées : l’imposition d’un nouveau régime actionnarial, qui vise à maximiser les dividendes et favorise la rémunération du capital par rapport à celle du travail ; surtout, la financiarisation croissante de l’économie, en France comme dans d’autres pays, qui a fortement poussé les salaires très élevés vers le haut, augmentant par là même grandement les inégalitésFootnote 75. Par rapport aux autres revenus du travail, ceux des députés compris, seuls les revenus d’une petite élite financière ont connu une croissance marquée, au moins jusqu’à la crise de 2008. Ce n’est toutefois pas là le seul changement, la baisse relative du revenu des élus ne s’expliquant pas seulement par la hausse des revenus du capital dans les classes supérieures.
D’un autre côté, un second décrochage, encore plus notable, a aussi eu lieu avec la population dans son ensemble. Car si le revenu des élus évolue au même rythme que le revenu médian jusqu’aux années 2000, il décroît en termes réels ensuite. Le fait est remarquable : depuis les années 2000, le revenu effectif des députés a progressé au rythme des réévaluations légales des salaires de la fonction publique, ce qui signifie que leur pouvoir d’achat a baissé. Ce phénomène a touché bien d’autres groupes sociaux, les fonctionnaires en premier lieu. Une étude de long terme du salaire réel des enseignants du second degré a montré qu’il avait connu un sommet en 1980, avant de baisser continûment depuisFootnote 76.
Reste toutefois que ce déclassement économique lié à l’érosion de l’indemnité parlementaire est certainement plus important que la courbe ne le laisse penser, pour deux raisons. D’une part, certaines facilités apportées par l’Assemblée à ses membres n’ont pas toujours été utilisées conformément à leur objet, s’agissant par exemple de l’IRFM ou du crédit collaborateurFootnote 77. Le passage à un système de notes de frais et l’interdiction des collaborateurs familiaux en 2018 ont mis fin à ces pratiques et ont induit une diminution des ressources financières de certains parlementaires. D’autre part, la transformation plus structurelle du champ politique induite par la limitation drastique du cumul des mandats à partir de 2017 a conduit un grand nombre de députés à devoir renoncer à la rémunération supplémentaire liée à un mandat local. Les effets de ces mesures s’ajoutent à la diminution du montant réel de l’indemnité parlementaire.
D’une conception à l’autre
Le niveau de l’indemnité parlementaire connaît un point d’inflexion autour des années 1990, décrochant alors par rapport aux revenus des couches sociales supérieures. Cette évolution n’est pas isolée : l’étude du statut matériel des députés, en particulier concernant la retraite, le chômage, la fiscalité ou la couverture des frais montre également un profond basculement durant ces années. En creux, c’est une nouvelle conception de l’activité parlementaire qui se dessine. Alors que le statut matériel des députés les apparentait, depuis le début du xxe siècle, aux professions libérales, il les rapproche de plus en plus, à partir des années 1980, d’un statut de cadre salarié.
La conception libérale du mandat
Depuis la Révolution française, deux qualités sont invoquées de manière récurrente dans les débats parlementaires portant sur la condition matérielle des députés : l’indépendance et la dignité. L’indemnité doit permettre un exercice autonome du mandat, c’est-à-dire non susceptible de pressions, et garantir un niveau de vie digneFootnote 78 aux élus de la nation, la fameuse « honnête aisance » déjà évoquée. Le mandat parlementaire n’étant comparable à nulle profession, il devient nécessaire, pour répondre à ces deux exigences, de créer un corpus de règles spécifique formant un statut financier ad hoc. C’est la réunion de ces trois éléments (indépendance et dignité garanties par un statut spécifique) que l’on se propose de dénommer « conception libérale » de l’activité parlementaire.
L’exemple de l’assistance parlementaire offre à cet égard un prisme éclairant. Après des tentatives avortées pour doter les parlementaires d’un secrétariat collectifFootnote 79, de longues négociations s’ouvrent entre 1969 et 1970 pour permettre aux députés de recruter du personnel. Un bras de fer se joue alors entre le président de l’Assemblée d’une part, s’appuyant pour l’occasion sur le groupe communiste, et les questeurs et plusieurs membres du Bureau d’autre part. Après cinq réunions du Bureau, le président Achille Peretti renonce à faire transiter l’indemnité de secrétariat par les groupes politiques, pour la verser directement et individuellement à chaque député qui pourra en disposer librementFootnote 80. Dit autrement, les députés ont tordu le bras du président en refusant la « collectivisation » de certains de leurs moyens de travail. Il ne saurait non plus être question de brider la pleine liberté de recrutement du député. Ainsi, moins d’un an après la création de l’indemnité de secrétariat, une centaine de femmes et de filles de députés sont employées sur ces fonds, selon le questeur Lucien NeuwirthFootnote 81.
C’est cette vision libérale du mandat qui explique également que des mécanismes de reddition de comptes soient souvent envisagés, mais jamais mis en œuvre. L’idée de moduler l’indemnité des députés en fonction de leur présence, par exemple, est régulièrement avancée. En témoigne l’intervention très applaudie du même Maurice Deixonne en défense de l’indemnité de secrétariat, en 1953 : « […] si quelqu’un dépose un amendement pour demander qu’on cesse de payer l’indemnité d’un membre de cette assemblée qui n’y a pas paru depuis un an, je le vote des deux mainsFootnote 82 ». Aucun amendement en ce sens n’est pourtant déposé, ou voté. Si la nouvelle loi organique de 1958 relative à l’indemnité des membres du Parlement permet, en théorie, de moduler le montant de l’indemnité de fonction en tenant compte de la participation aux séances, les sanctions afférentes ne sont pas mises en œuvre, le Bureau assumant cette inapplication alors même que les bancs vides de l’Assemblée sont un sujet de critiques récurrentFootnote 83. Autre exemple, celui de la transparence financière du patrimoine ou des revenus des députés. Elle est parfois demandée, durant l’entre-deux-guerres, comme contrepoint des augmentations de l’indemnité, et son principe est même adopté à plusieurs reprises, mais elle n’est, elle non plus, jamais mise en œuvreFootnote 84.
Cette conception libérale du mandat n’est cependant pas la seule à exister. D’une part, dans l’entre-deux-guerres, pour de nombreux élus conservateurs, une réelle indépendance nécessite d’avoir les moyens de vivre en dehors de son mandat parlementaire. Il s’agit donc d’une indépendance par rapport au mandat et non d’une indépendance procurée par le mandat. Fils de banquier, banquier lui-même et chargé des activités philanthropiques de l’entreprise, Ferdinand Bougère est l’un de ceux qui revendiquent cet amateurisme parlementaire. Lors du débat de 1926, il affirme que dans la mesure où les sessions ne sont pas permanentes, elles permettent amplement au député de conserver une activité professionnelle. Et le député conservateur de citer l’exemple de cet élu maréchal-ferrant qui avait été contraint de changer de profession à la fin de son mandat faute de pouvoir reprendre une activité dont il avait perdu la pratique. « Je me demande si nous devons nous considérer comme vivant du mandat parlementaire », s’interrogeait quelques années avant lui le député conservateur Charles Ruellan lors du débat de 1920.
D’autre part, si la position conservatrice ne trouve plus guère à s’exprimer après-guerre, la conception libérale du mandat continue à se heurter à celle promue par les députés communistes. Ces derniers opposent à ce modèle libéral une assimilation alternative du mandat au salariat. Ainsi les élus communistes ne perçoivent-ils pas directement leur indemnité. Cette dernière est versée au parti communiste, lequel leur reverse l’équivalent d’un salaire d’ouvrier qualifiéFootnote 85. À l’idée que l’honorabilité impliquerait une rémunération élitaire, les élus communistes opposent un revenu commun, aligné sur celui de la majorité des travailleurs. En séance publique, le député Alexandre-Étienne Piquemal ironise, en 1926, sur la métamorphose qui se produirait chez ses collègues juste après leur élection : « Est-ce que, parce que l’on est député, le lendemain de la conquête du mandat législatif, on est dans l’obligation d’aller dans la boutique qu’on ne fréquentait pas la veille pour s’y transformer et devenir un représentant plein de morgue du peuple, dédaignant ses habitudes de la veilleFootnote 86 ? » En conséquence, les députés communistes offrent une opposition systématique à toute augmentation de l’indemnité et dénoncent la prise en charge croissante des frais des députés par l’Assemblée. Pour eux, les représentants de la classe ouvrière doivent demeurer à son image, y compris sur le plan financierFootnote 87. Ce modèle demeure cependant isolé, les socialistes eux-mêmes faisant leur la vision libérale du mandatFootnote 88, et leur objection tend par ailleurs à s’affaiblir à partir des années 1960, lorsque les communistes entrent dans une logique de négociation, au Bureau, plutôt que de contestation, dans l’hémicycle.
Bien que remise en cause, la conception libérale du mandat domine pendant la plus grande partie du xxe siècle. On pourrait penser que cette vision du mandat de député n’est qu’un paravent destiné à protéger le monde politique de contraintes nouvelles, mais elle conduit aussi les députés à refuser de s’octroyer des protections analogues à celles du salariat. Il en va ainsi, par exemple, de la reconversion des députés battus, question qui se pose notamment avec une particulière acuité à la suite des dissolutions de 1962 et de 1968. À chaque fois, une interprétation rigoureuse des règles est retenue, conduisant à interrompre, dès le mois suivant l’annonce de la dissolution, le versement de l’indemnité parlementaire et n’autorisant pas, autrement que par des secours ponctuelsFootnote 89, le versement d’une allocation facilitant la reconversion professionnelle des anciens parlementaires ou le versement d’une allocation-chômage qui aurait pu être prise en charge par l’institutionFootnote 90. Les parlementaires assument donc une partie des sujétions que peut engendrer une conception libérale du mandat parlementaire. Est également refusée, jusqu’en 1997, la dissociation, proposée à plusieurs reprises, de l’indemnité personnelle du député et de ses frais de mandat. L’objectif de cette mesure était simple : assurer à tous les élus une rémunération qui ne soit pas dépendante de l’accomplissement du mandat, et ainsi distinguer l’élu de la personne privée du représentant. Si cette proposition n’est pas sérieusement discutée alors qu’elle pourrait bénéficier matériellement aux parlementaires, c’est non seulement que le sujet de l’indemnité reste délicat, mais aussi que la dissociation proposée pourrait conduire à brider la liberté du parlementaire dans l’allocation de ses ressources.
Les cadres de la République
De la fin du xixe siècle jusqu’au tournant des années 1980, la condition matérielle des députés est donc principalement marquée par le souci d’assurer l’indépendance et la dignité des parlementaires ; elle aboutit à les doter d’un statut financier autonome, construit sur mesure. Cette conception libérale du mandat va connaître une série d’inflexions à partir des années 1980. À compter de cette décennie, la revendication d’indépendance des députés va devoir se concilier avec d’autres préoccupations, conduisant à la convergence progressive, quoique toujours incomplète, de la condition financière des parlementaires avec le droit commun du salariat.
Ce rapprochement transparaît en premier lieu dans le domaine fiscal. Alors que, depuis 1938, l’indemnité parlementaire avait un caractère hybride (entre une partie imposable, assimilée à un revenu, et une partie exonérée d’imposition, représentative de frais de mandat), reflet de la dualité du corps du député, ce système prend fin le 1er janvier 1994 avec son assujettissement à l’impôt sur le revenu, à l’image d’un revenu du travailFootnote 91. De même, l’indemnité se voit désormais assujettie aux cotisations et contributions sociales.
Cette métamorphose salariale est aussi marquée par la création d’un véritable régime d’assurance chômage pour les députés non réélus. Alors que les législatures successives avaient refusé cette perspective, une première allocation générale est créée au bénéfice des députés sortants, en 1991Footnote 92. À la suite des élections de 1993, qui voient un renouvellement majeur de l’Assemblée puisque 282 députés ne sont pas réélus, une allocation de fin de mandat est créée, qui permet de maintenir pendant cinq mois au plus l’indemnité parlementaire des députés sortants (hors indemnité de fonction et de résidence) qui n’ont pas encore atteint l’âge de la retraite et ne disposant pas de ressources équivalentes à cette dernière, allocation qui devient dégressive pendant les dix-huit mois suivants. Même si les caractéristiques de cette allocation de fin de mandat diffèrent du régime de chômage des salariés, c’est bien une véritable assurance chômage que les députés créent en 1994, visant à garantir, moyennant une cotisation acquittée sur l’indemnité parlementaire, un revenu de substitution en fin de mandat à celles et ceux qui se trouveraient dépourvus de ressourcesFootnote 93. Ce régime spécifique aux parlementaires est définitivement aligné sur le droit commun en 2018.
Si la fiscalisation de l’indemnité et la création d’une assurance chômage traduisent la même évolution – celle de la fin de l’exceptionnalisme du statut matériel des parlementaires – dans un sens tantôt défavorable, tantôt favorable pour les finances des parlementaires, la création d’une enveloppe dédiée aux frais de mandat démontre la forte tension qui existe entre le souci de l’indépendance matérielle et le rapprochement avec le droit commun du salariat. L’IRFM, fondée en 1997 par le Bureau de l’Assemblée et d’un montant sensiblement équivalent à l’indemnité parlementaire, a pour objet de bien distinguer le revenu des députés des dépenses afférentes à leur activité, mimant par là même les frais professionnels dont peuvent bénéficier les salariés, en particulier les cadres du secteur privé. Elle n’est acceptée par les membres du Bureau qu’à condition de demeurer exempte de contrôles, lesquels empiéteraient sur l’indépendance d’exercice du mandat parlementaire. Le président de l’Assemblée, Philippe Séguin, souhaite ainsi pouvoir opposer à l’administration fiscale un « certificat magique »Footnote 94 qui empêcherait toute vérification de l’utilisation de l’IRFM. Ce n’est qu’en 2018 que les frais de mandat des parlementaires sont soumis à un examen interne à chaque Chambre, sur présentation de justificatifs, achevant ainsi en grande partie le rapprochement avec le salariat.
Cette évolution manifeste de façon exemplaire la tension entre préservation de l’indépendance des députés et identification au salariat qu’illustre également la limitation progressive du cumul des mandats (en 1985, 2000 et 2014Footnote 95), destinée à faire du mandat parlementaire l’activité unique de son titulaire. Il en va de même de la soumission des députés à des déclarations de situation patrimoniale à partir de 1988 ; de la modulation du montant de l’indemnité parlementaire en fonction de la présence effective des députés en commission à partir de 2010 (qui instaure un contrôle inédit des présences et des rythmes de travail) ; de la création de règles déontologiques en 2011 ; ou encore de l’alignement progressif du régime de pension des députés sur le droit commun, achevé en 2018. Dans ce contexte, les réformes des années 2017-2018 qui interdisent le recrutement de collaborateurs familiaux ou suppriment les sommes discrétionnaires mises à disposition des élus pour les associations et collectivités (connues sous le nom de réserve parlementaireFootnote 96) ne font que poursuivre cet alignement progressif du mandat parlementaire sur le statut matériel des salariés, concrétisant la comparaison que formulait, dès 1992, le président de la commission des finances, Jean Le Garrec : « […] si chacun de nous s’y prêtait, on s’apercevrait alors que le revenu d’un parlementaire accomplissant convenablement sa fonction – c’est la grande majorité des cas – correspond à peu près à celui d’un cadre moyen d’une entreprise moyenne, ni plus, ni moinsFootnote 97 ».
D’autres travaux restent à mener pour expliquer les raisons de cette profonde inflexion conduisant à remettre en cause l’exceptionnalisme du mandat parlementaire. L’une d’elles réside sûrement dans le mouvement de réglementation du financement de la vie politique à partir des années 1980, sous la pression de l’opinion publique et des scandalesFootnote 98. Dans ce contexte, la condition financière des députés, exorbitante du droit commun, est perçue comme un privilège. Le député Jean-Jacques Jegou déclare en 1990 à la tribune, de manière typique : « […] dans toutes nos circonscriptions, on parle des indemnités qui nous sont versées. […] nous sommes parlementaires, et nous devons être plus blanc que blancFootnote 99 ». Cette volonté de rapprochement du droit commun ressort par exemple des débats de 1991 sur la fiscalisation de l’indemnité parlementaire, thème hautement symbolique puisque c’est à l’occasion d’un débat de nature fiscale qu’avait été forgée l’expression d’« indemnité parlementaire » en 1792, pour la distinguer d’un traitement. Le ministre de l’Intérieur, Philippe Marchand, dévoile les ressorts de cette proposition en déclarant que « l’alignement de la situation fiscale de tous les élus locaux et parlementaires sur le droit commun de l’imposition des revenus serait, nous le pensons, de nature à atténuer l’incompréhension que peut nourrir l’opinion publique à l’égard de la classe politiqueFootnote 100 ».
Cette normalisation progressive ne doit pas masquer qu’ont été élaborées, durant la même période, de nouvelles règles spécifiques aux députés. Elles ne portent cependant plus sur leur situation matérielle, mais visent à les soumettre à un niveau d’exigence et de contrôle renforcé par rapport à celui applicable à leurs concitoyens, règles que l’on peut regrouper sous l’expression de normes d’exemplaritéFootnote 101. Régularité fiscale, déontologie, publication des intérêts détenus, possibilité de consulter le patrimoine des députés sont autant de nouveaux impératifs qui contribuent au maintien de la spécificité du mandat parlementaire, tout en en bouleversant les contours.
Voilà plusieurs décennies que les sciences sociales ont pris l’activité politique pour objet. Sous le terme de professionnalisation, les chercheurs ont décrit les étapes de la carrière des élus, le profil des personnes qui le deviennent ou encore les savoir-faire acquis dans le champ politique. Bien moins nombreux ont été les travaux dédiés aux conditions de vie matérielle, malgré la centralité de la question de l’argent pour la définition de la « professionnalisation de la politique » évoquée par M. Weber au siècle passé. Comme nous avons pu le montrer, cette absence tient moins à un désintérêt qu’à une difficulté intrinsèque : connaître le revenu effectif qu’on pouvait tirer de l’activité politique n’avait rien d’évident.
Un tel silence est toutefois regrettable, pour trois raisons au moins. D’abord parce que l’existence, mais encore plus l’organisation du secret sont des éléments révélateurs d’une difficulté récurrente à parler d’argent en politique. À travers le long xxe siècle, en dépit de variations de revenus importantes, il n’a jamais été possible d’évoquer sereinement la rétribution des élus, et ceux-ci ont presque toujours tenté d’éviter le sujet. Ensuite parce que cette rétribution positionne la politique dans la hiérarchie des revenus et, par conséquent, dans la hiérarchie sociale. Cette information permet de situer, dans la société française, le type d’activité qu’est la politique : dans notre cas, une activité d’élite, mais en déclassement depuis quelques décenniesFootnote 102. Enfin parce que ces informations sur le montant, le régime indemnitaire et les avantages associés complètent notre compréhension du type d’activité qu’est la politique : conçue comme une profession libérale au début du xxe siècle, la condition matérielle des élus les rapproche du traitement des cadres depuis un peu moins d’un demi-siècle.
L’étude matérielle de la rémunération politique met en lumière plusieurs facettes du métier politique. Elle fournit, en dépit de son caractère apparemment aride, une série d’informations qui dépassent largement la question des revenus pour interroger l’activité politique, les formes de sa professionnalisation, le type de personnel politique qu’elle peut engendrer, l’antiparlementarisme et ses évolutions ou encore la théorie de la représentation politique.