Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Le chanoine Etienne Delaruelle est mort le 11 juin 1971. Son œuvre historique — une centaine de titres — et son influence sur les historiens du christianisme médiéval furent considérables. Il faut donc se féliciter de la réédition en un seul recueil de vingtquatre de ses articles, dont certains étaient restés peu connus, et qui tous illustrent la profondeur de l'érudition, la sensibilité de la pensée, la passion de ce grand historien.
Le moment de cette réédition est bien choisi : les travaux sur la « religion populaire » se sont multipliés ces dernières années, faisant pour la plupart référence à l’ œuvre pionnière de l'historien disparu. Les quatre années écoulées donnent ainsi le recul nécessaire pour apprécier son apport, juger la fécondité de sa démarche et l'influence de sa pensée.
Chanoine Étienne Delaruelle ( † 1971) left a considerable corpus of historiography. In his wake, historians of medieval religion no longer concerned themselves uniquely with the élite but took interest in the masses, no longer studied only institutions but also manifestations of piety. Twenty-four articles of É. Delaruelle have recently been collected and republished. They not only provide an opportunity to appreciate the richness of his work, but call for critical reflection, an appeal which is equally valid for his numerous disciples. The vagueness of concepts used (what does "popular" mean?), a priori judgments on the nature of "popular religion" (affectivity, naïveté, primitivism, childishness) reveal a lack of knowledge of folk culture and a failure to appreciate the extent of the conflict between the culture of the populus and that of the clerics in feudal society. A theory of the way in which feudal society functioned, coupled with an anthropological approach could lead to a formulation of other interpretations of the phenomena studied by É. Delaruelle (ex.: the question of christianization vs. acculturation) and noticeably enrich the field of medieval studies.
A propos d'une réédition : Étienne Delaruelle, La piété populaire au Moyen Age, avantpropos de Ph. Wolff, introduction par R. Manselli et André Vauchez, Torino, Bottega d'Erasmo, 1975, XXVIII-563p.
1. Notamment: Les religions populaires. Colloque international, 1970. Textes édités par B. Lacroix et P. Boglioni, Québec, Les Presses de l'Université Laval, Histoire et Sociologie de la Culture 3, 1972, VIII- 155 p. ; Manselli, R., La religione popolare nel Medioevo (Sec. VI-XII), Torino, G. Giappichelli, 1974, 131 p.Google Scholar, dont l'introduction méthodologique a été rééditée dans : id., « La religione popolare nel Medioevo : prime considerazioni metodologiche », Nuova Rivista Storica, LVIII, 1974, pp. 1-15 : plus récemment et couvrant l'ensemble du Moyen Age : id., La religion populaire au Moyen Age. Problèmes de méthode et d'histoire, Conférence Albert-le- Grand, 1973, Montréal, Institut d'Études Médiévales Albert-le-Grand : Paris, Librairie J. Vrin, 1975, 234 p. — La religion populaire en Languedoc (XIIIe-début XIVesiècle), Cahiers de Fanjeaux 11, Toulouse, Privât, 1976. Enfin, une large place est volontairement faite aux laïcs dans A. Vauchez, La spiritualité du Moyen Age occidental (VIIIe-XIIe siècles), Paris, P.U.F., Collection « Sup-1'historien » 19, 1975, 176 p.
2. Grundmann, H., « Litteratus-Illitteratus. Die Wandlung einer Bildungsnorm vom Altertum zum Mettelalter », Archiv für Kulturgeschichte, 40, 1958,CrossRefGoogle Scholar Heft 1.
3. Coirault, P., Notre chanson folklorique (Étude d'information générale). L'objet et la méthode. L'inculte et son apport. L'élaboration. La notion, Paris, 1941, 468 Google Scholar p. Et surtout Van Gennep, A., Manuel de folklore français contemporain, tome I, vol. I, rééd. Paris,Google Scholar A. et J. Picard, 1972, pp. 1-110.
4. La Société Thomiste, ces trois dernières années, a réuni plusieurs colloques sur ce thème, à l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes, Paris.
5. Boglioni, P., « La religion populaire au Moyen Age. Éléments d'un bilan », dans Les religions populaires. Colloque international, 1970, op. cit., pp. 55-56.Google Scholar
6. Mandrou, R., Magistrats et sorciers en France au XVIIe siècle. Une analyse de psychologie historique, Paris, Pion, 1968, 585p.Google Scholar L'auteur (p. 9), prévient: « … psychologie collective, cette discipline encore mal définie et mal reconnue, à l'intérieur de la vaste Maison des historiens ».
7. Par exemple, c'est bien sous le titre « Psychologie collective » qu'Alphonse Dupront place sa recherche.
8. de Bont, W., « La psychologie devant la religion populaire », dans Les religions populaires. Colloque international, 1970, op. cit., pp. 17-22.Google Scholar
9. Ce pourrait être l'objet d'une étude de sociologie critique comparable à P. Bourdieu et M. de Saint-Martin, « Les catégories de l'entendement professoral », Actes de la recherche en sciences sociales, 3, 1975, pp. 68-93. Dans une perspective historique, cette étude rencontrerait aussi les conclusions de de Certeau, M., Julia, D., Revel, J., « La beauté du mort : le concept de culture populaire », Politique aujourd'hui, décembre 1970, pp. 3-23.Google Scholar Sur l'histoire des études de folklore, l'ouvrage de Cocchiara, G., Storia del folklore in Europa, Torino, Einaudi, 623 p.Google Scholar, reste fondamental.
10. R. Manselli, La religione…, op. cit., p. 22.
11. A. Vauchez, op. cit.
12. P. Boglioni, op. cit., p. 63.
13. Idée reprise depuis dans Duby, G., Guerriers et paysans, VIIe-XIIe, Premier essor de l'économie européenne, Paris, Gallimard, 1973, p. 226.Google Scholar
14. Le médiéviste tirera le plus grand profit de la réflexion sociologique et anthropologique sur le sujet, notamment Bourdieu, P., « Genèse et structures du champ religieux », Revue française de Sociologie, XII, 1971, pp. 295-334CrossRefGoogle Scholar et M. Augé, « Dieux et rituels ou rituels sans dieux ? » dans Middleton, J., Anthropologie religieuse, textes fondamentaux, présentation de Marc Augé, Paris, Larousse, 1974, pp. 9,Google Scholar 36, et Augé, M. et coll., La construction du monde, religion, représentations, idéologie, Paris, François Maspero, 1974, 136 p.Google Scholar
15. Les mêmes travers se trouvent aussi chez bon nombre d'historiens « modernists », récemment critiqués, en des termes souvent proches des nôtres, par N. Z. Davis, « Some tasks and themes in the study of popular religion », dans C. Trinkaus et H. A. Oberman (éd.), The pursuit of holiness in late medieval and Renaissance religion. Papers from the University of Michigan Conference, Leiden, Brill, E. J., Studies in Medieval and Reformation Thought, X, 1974, pp. 307-336.Google Scholar
16. A. Vauchez, op. cit., p. 149. Sur la difficulté d'une distinction de la magie et de la religion, et la persistance au moins jusqu'à la Réforme d'une « ecclesiastical magie », voir le grand livre de Thomas, K., Religion and the décline of magie. Studies in popular beliefs in sixteenth and seventeenth century England, London, 1971, XVIII-716p.Google Scholar, particulièrement pp. 76-77, 498, 640-665.
17. C'est ce que leur reproche André Vauchez dans la préface à É. Delaruelle, op. cit., p. XVIII.
18. Godelier, M., Horizon, trajets marxistes en anthropologie, Paris, François Maspero, 1973, pp. 315-392.Google Scholar
19. Il est remarquable que cette dénonciation soit insérée dans l'énumération des Vices par Thomas de Chobham : Thomae de Chobham, Summa confessorum, éd. F. Brommfield, Louvain- Paris, Nauwelaerts, Analecta Mediaevala Namurcensia, 25, 1968, pp. 466-487. A verser au dossier des études en cours dans ces domaines, où le Moyen Age reste malheureusement largement absent : Vernant, cf. J.-P. et coll., Divination et Rationalité, Paris, Éditions du Seuil, 1974, 322 Google Scholar p.
20. Godelier, M., op. cit., et Sur les sociétés précapitalistes, textes choisis de Marx, Engels, Lénine, préface de M. Godelier, Centre d'Études et de Recherches marxistes, Paris, Éditions Sociales, 1970, pp. 13-142.Google Scholar
21. Nous trouvons donc insuffisantes les définitions données dans : Sur le féodalisme, Centre d'Études et de Recherches marxistes, Paris, Éditions Sociales, 1971, pp. 13-34.
22. J. Le Goff, « Culture cléricale et traditions folkloriques dans la civilisation mérovingienne », dans Bergeron, L. éd., Niveaux de culture et groupes sociaux, Paris, Mouton, 1967, pp. 21-32,Google Scholar et id., « Culture ecclésiastique, culture folklorique au Moyen Age : saint Marcel de Paris et le dragon », dans Ricerche storiche ed economiche in memoria di Corrado Barbagallo, II, Napoli, 1970, pp. 53-90. Sur un plan plus général, voir aussi les remarques méthodologiques de première importance de Graus, F., Volk, Herrsçher und Heilige im Reich der Merowinger, Prague, 1965, pp. 269 Google Scholar ss.
23. Delumeau, J., Leçon inaugurale au Collège de France, Chaire d'Histoire des mentalités religieuses dans l'Occident moderne, Paris, Collège de France, 1975, 37 Google Scholar p. Toutefois la lecture de Le Roy Ladurie, E., Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1975, 646 p.Google Scholar, amène à nuancer les conclusions de J. Delumeau : hérétique ou pas, la Haute-Ariège a été, dès avant le début du XIVe siècle, touchée en profondeur par le christianisme. Voir à ce sujet les remarques de Duby, G., « Vint-cinq croquants du XIVe siècle », Le Nouvel Observateur, 579, 15-21 décembre 1975, pp. 60-62.Google Scholar
24. Et parfois sous nos yeux : Gallini, C., Il consumo del sacro. Feste lunghe di Sardegna, Bari, Laterza, Biblioteca di cultura moderne 714, 1971, 313 p.Google Scholar
25. Le modèle reste : Hertz, R., « Saint Besse, étude d'un culte alpestre », rééd. dans Sociologie religieuse et folklore, Paris, P.U.F., 1970, pp. 110-160.Google Scholar
26. Ce n'est sans doute pas un hasard si c'est en Allemagne de l'Ouest (H. Grundmann) et en Italie (R. Morghen) que se trouvèrent les tenants les plus résolus de ces interprétations.
27. Musy, J., « Mouvements populaires et hérésies au XIe siècle en France », Revue Historique, 513, janvier-mars 1975, pp. 33-76.Google Scholar
28. Köhler, E., « Observations historiques et sociologiques sur la poésie des troubadours », Cahiers de Civilisation médiévale, VII, 1964 Google Scholar ; id., L'aventure chevaleresque. Idéal et réalité dans le roman courtois, trad. française, Paris, Gallimard, 1974, 320 p. ; Le Goff, J. et Le Roy Ladurie, E., « Mélusine maternelle et défricheuse », Annales E.S.C., 1971, pp. 587-622.Google Scholar
29. Voir E. Le Roy Ladurie, Montaillou…, op. cit., qui a utilisé les registres d'inquisition de Jacques Fournier, évêque de Pamiers (1318-1325). Voir aussi, pour la Bohême, Maček, J., Jean Hus et les traditions hussites, trad. française, Paris, Pion, 1973, pp. 132,Google Scholar 271-272.
30. Mêmes remarques dans J. Delumeau, op. cit., p. 26, qui observe cette « acculturation » à l'époque moderne. Pour l'apparition des premiers confessionnaux, J. Delumeau donne la date de 1516, mais E. Le Roy Ladurie, Montaillou…, op. cit., p. 512, en a repéré un dès le début du XIVe siècle, non dans la montagne, mais dans une ville de la plaine. Le phénomène est à tous égards fondamental.
31. Bourdieu, P., Esquisse d'une théorie de la pratique. Précédé de trois études d'ethnologie kabyle, Genève-Paris, Droz, 1972, 284 CrossRefGoogle Scholar p : un guide pour l'ensemble des sciences humaines.
32. J. Delumeau, op. cit., p. 6.
33. Le lecteur est ici fondé à nous demander de quels résultats concrets nous pouvons faire état : c'est pourquoi nous nous permettons de renvoyer à notre étude : « ‘Jeunes’ et danse des chevaux de bois. Le folklore méridional dans la littérature des exempta (XIIIe-XIVe siècles) », dans La religion populaire en Languedoc (XIIIe-début XIVe siècle), op. cit.