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Véronique Beaulande-Barraud, Les péchés les plusgrands. Hiérarchie de l’Église et for de la pénitence (France, Angleterre,xiiie-xve siècle), Rennes,PUR, 2019,348 p.

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Véronique Beaulande-Barraud, Les péchés les plusgrands. Hiérarchie de l’Église et for de la pénitence (France, Angleterre,xiiie-xve siècle), Rennes,PUR, 2019,348 p.

Published online by Cambridge University Press:  01 August 2023

Catherine Vincent*
Affiliation:
catherine.vincent14@wanadoo.fr
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Histoire religieuse (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

L’essai de Véronique Beaulande-Barraud, issu de son mémoire d’habilitation à diriger les recherches, se situe au carrefour de deux thématiques de recherche sur l’Église latine médiévale qui se sont montrées très fécondes depuis quelques années : la centralisation du gouvernement autour de la figure du pape et la « judiciarisation » du fonctionnement non seulement de l’institution, mais aussi, et plus largement, du discours chrétien, si l’on pense à celui qui est alors tenu sur les fins dernières où s’articulent jugement dernier et jugement particulier. On ne sera pas surpris de voir l’autrice, qui s’était déjà fait connaître par une étude approfondie sur l’excommunicationFootnote 1, poursuivre son exploration des censures et autres modes d’expression de la discipline chrétienne par l’étude de la réserve en matière pénitentielle. Or, qui dit « réserve » fait immédiatement penser à la « réserve pontificale » : celle-ci s’affirme à partir du xiie siècle dans des domaines variés, que ce soit en matière de proclamation de la sainteté, de dévolution des bénéfices ou de pénitence. Décentrant le regard, l’ouvrage se penche sur l’ensemble de la hiérarchie ecclésiastique, loin de se cantonner à la seule réserve pénitentielle pontificale. En effet, de longue date, on a mis en évidence l’importance de cette dernière dans la pastorale médiévale, surtout à partir des xiie-xiiie siècles, sans porter toute l’attention requise aux différents échelons de l’institution qui, par-delà les appels à la conversion et à la confession dont résonne la prédication, assuraient l’administration du pardon des fautes et de la pénitence due au titre de la satisfaction. Car il y a faute et faute, selon la gravité et/ou le caractère public de l’acte commis : c’est précisément sur ces distinctions que repose l’élaboration d’une hiérarchie de réserves qui ne se limite pas à l’échelon supérieur, celui du pape, mais concerne aussi l’échelon qui lui est immédiatement inférieur, celui de l’évêque.

Pour faire connaître les « cas épiscopaux », ignorés ou peu présents dans la production historiographique, V. Beaulande-Barraud a choisi de se focaliser sur un terrain limité au nord du royaume de France et à l’Angleterre, régions où les statuts synodaux abondent et pour lesquelles les archives des officialités ne sont pas trop indigentes. En revanche, elle n’a pas hésité à utiliser des sources qui intéressent l’ensemble du monde chrétien latin pour ce qui est du droit canonique – retenant les grands classiques, dont le Corpus juris canonici, la Summa de penitentia de Raymond de Peñafort et la Summa aurea d’Hostiensis –, de la formation des confesseurs (traités et manuels) et de la prédication, avec trois grandes figures réparties dans l’ensemble des siècles considérés : Jean de Fribourg, Antonin de Florence et Jean Gerson. Quatre extraits, dont trois inédits, de ces diverses sources sont proposés en annexe, dont on aurait aimé que leur choix soit brièvement justifié.

Après un chapitre préliminaire fort utile pour rappeler les notions majeures (formes de la pénitence chrétienne, for pénitentiel, for judiciaire) et les étapes antérieures à la chronologie retenue, l’ouvrage s’organise en deux grandes parties de trois chapitres chacune. La première suit la construction de la norme. Si l’usage d’envoyer en pèlerinage pénitentiel à Rome les auteurs des fautes les plus graves est très ancien, il ne s’agit pas à proprement parler encore de « cas réservés » ; ceux-ci s’élaborent en droit alors que se construit le pouvoir pontifical. Quant aux cas réservés à l’évêque, ils n’apparaissent pas avant le xiiie siècle dans la documentation. Ils constituent dès lors une voie, parmi d’autres, par laquelle les prélats affirment leurs propres prérogatives entre celles de la papauté et celles du proprius sacerdos, soit le curé de paroisse, qui a pour mission d’entendre les confessions de ses ouailles au moins une fois par an depuis le concile de Latran IV en 1215 (notons que la législation diocésaine prescrit souvent l’obligation pour les trois fêtes majeures de Noël, Pâques et Pentecôte). Ce faisant, il fallut distinguer cette compétence épiscopale de celles qui relevaient de la justice rendue par les évêques et étaient remplies par les officialités alors en plein essor, au prix d’une distinction des fors qui n’est pas encore pleinement acquise à la fin du Moyen Âge, où les cas épiscopaux sont parfois qualifiés de « crimes ». Autre signe d’un processus très empirique, la difficulté de saisir quel sens était donné aux cas réservés, à l’exception de ce qui vient d’être dit sur l’affirmation de la hiérarchie et le fait qu’il s’agit de « grands » péchés, souvent « manifestes » (publics) donc sources de scandale et, pour cela, passibles d’une pénitence solennelle, elle aussi publique. Les « plus grands » d’entre eux sont cependant traités à Rome : mieux définis, ils concernent principalement les atteintes à la personne des clercs (cas placé au premier rang des classements établis par les traités), à l’institution ecclésiastique et à la communauté des fidèles par la fréquentation des excommuniés. Au niveau diocésain, la définition des cas réservés fait encore, au xve siècle, l’objet d’une casuistique dont témoigne l’exemple de l’homicide vu par Antonin de Florence.

La seconde partie se penche sur les problèmes que ne manqua pas de soulever pour les fidèles l’application concrète de ce dispositif pénitentiel. Compte tenu de la nature normative de la majorité des sources et du fait que bien des données de la discipline pénitentielle sont couvertes par le secret de la confession, répondre (ou tenter de répondre) aux questions posées (où, quand, comment, par qui) tient de la gageure. Il a fallu toute la maîtrise des archives des institutions ecclésiastiques et des justices d’Église acquise par V. Beaulande-Barraud pour parvenir à saisir ces éléments de pratique, autour de l’office chargé de la mise en place de la réserve, celui du pénitencier, que l’on repère à Rome (où se distinguent les pénitenciers majeurs ou mineurs) et auprès des évêques. Il reste que les traces de décisions relatives aux cas réservés présentes dans les archives des officialités montrent que la distinction des fors – le for interne (celui de la conscience et de la pénitence) et le for externe (celui de la justice et de la peine) – n’a pas toujours été rigoureuse. Le dernier chapitre en arrive à des considérations ecclésiologiques : si les cas réservés épiscopaux ont sans nul doute servi le pouvoir des évêques, ils n’ont pas été sans susciter de vives réserves, dont témoigne Jean Gerson, qui y voyait un risque majeur d’éloigner les fidèles de la confession. Mieux encore, ils firent l’objet de stratégies de contournement à travers divers privilèges, paradoxalement issus des institutions dont ils relevaient, que ce soit ceux qui furent octroyés par la papauté aux membres des ordres mendiants en tant que confesseurs ou ceux dont bénéficièrent certains fidèles libres de choisir leur confesseur et, pour celui-ci, de les absoudre de tout type de péché. Enfin, certains fidèles préférèrent se rendre directement à Rome, où la pénitencerie apostolique a pu traiter de cas épiscopaux, mais dans une proportion difficile à évaluer. Il serait pourtant faux de rester sur une note d’échec en la matière puisque la doctrine et la pratique des cas réservés aux évêques furent réaffirmées et consolidées par le concile de Trente, à la suite des précédents médiévaux.

De cette étude menée au plus près des sources, ce qui permet à l’autrice de s’appuyer sur de nombreux exemples, on retiendra la mise au jour de la construction d’une norme et d’un processus judiciaire : une construction expérimentale, qui ne fut pas imposée par le haut et opéra par tâtonnements en fonction des titulaires des divers sièges épiscopaux envisagés. C’est pourquoi V. Beaulande-Barraud évoque à plusieurs reprises des flottements, des « zones grises » qui attestent que la norme des cas réservés était loin d’être encore harmonisée dans l’Église latine à la fin du Moyen Âge, bien qu’elle soit reconnue et présente dans les diocèses. Preuve en est, la difficulté d’établir des listes et la variation de ces dernières d’un diocèse à l’autre. On soulignera également les cascades de délégation dont l’absolution des cas réservés a fait l’objet, à l’échelon tant romain que diocésain, dans la perspective de rendre accessibles des règles qui pouvaient vite devenir pesantes pour ceux qui les subissaient et inciter les fidèles, pour éviter ces contraintes, à s’éloigner de la confession, au risque de compromettre leur salut, comme l’a bien senti Gerson. On comprend dès lors en quoi la question des cas réservés, pontificaux ou épiscopaux, s’inscrit dans l’ensemble des dispositifs permettant de dépasser l’étape pénitentielle pour bénéficier in fine de la grâce divine. À plusieurs reprises, V. Beaulande-Barraud établit des liens avec la pratique des indulgences et évoque, au terme du dédale judiciaire des cas réservés et autres censures ecclésiastiques, le « triomphe de la grâce »Footnote 2. À contrecourant de l’image répressive qui s’attache encore à l’Église médiévale, elle en vient donc à clore son ouvrage par une formule à laquelle on adhère pleinement, quand elle évoque une institution qui « persiste à se penser d’abord comme médiatrice de la grâce » (p. 281).

References

1 Véronique Beaulande, Le malheur d’être exclu ? Excommunication, réconciliation et société à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006.

2 On se permet de renvoyer ici à Esther Dehoux, Caroline Galland et Catherine Vincent (dir.), Des usages de la grâce. Pratiques des indulgences du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2021.