De nombreuses publications ont été consacrées ces derniers temps aux Arabes avant l'Islam. Outre les fouilles américaines de Mârib dont les résultats épigraphiques commencent à être connus, il faut signaler surtout le manuel d'A. Grohmann critiquable sur divers points, le gros travail de H. von Wissmann qui poursuit ses recherches de géographie historique et le livre de Mme N. V. Pigoulevskaja dont on reparlera ici plus au long. Il faut mettre à part la somme que d'infatigables travailleurs commencent à nous donner. Il s'agit de Franz Altheim et de Ruth Stiehl dont on connaît les monumentaux ouvrages sur tous les aspects de la Spätantike. Depuis longtemps, ces deux savants s'intéressaient aux Arabes anciens. Ils annoncent maintenant un ouvrage non moins monumental sur l'histoire des Arabes dans le monde antique en cinq volumes. Deux ont déjà paru. Le troisième en est aux dernières épreuves et le quatrième est prêt en manuscrit m'informe F. Altheim à la date du 2 octobre 1965. Je parlerai seulement ici du premier qui va jusqu'au début de l'Empire.

La vie intellectuelle de la République de Weimar a produit, entre autres, une curieuse forme de 'marxisme « ouvert » appelé à s'implanter en France au lendemain de la deuxième guerre mondiale, à la faveur d'un climat intellectuel et politique rappelant, dans une large mesure, celui de Weimar. M. Merleau-Ponty — sans doute le premier penseur français à rendre justice à l'oeuvre de Karl Korsch — a parlé à ce propos de marxisme occidental ; en fait, comme l'a observé R. Aron, il s'agit là plutôt d'une forme de marxisme d'Europe centrale. Les trois principaux représentants de ce courant sont G. Lukàcs, Karl Mannheim et sans doute Karl Korsch, dont l'ouvrage le plus important vient d'être traduit en français.

« Les récents progrès des sciences sociales bouleversent encore une fois… notre discipline historique. » « La science a progressé au XXe siècle » : Frédéric Mauro l'affirme dans l'introduction de la troisième partie « Débats et Combats. Direction de Recherches » du beau livre qu'il vient de consacrer à près de trois siècles d'expansion européenne. Il suffirait pour s'en convaincre de mesurer le chemin parcouru entre l'ancienne et la nouvelle Clio dont les contours sont, désormais, définitivement fixés.

Le bond en avant de l'histoire, depuis que, dans la conjoncture difficile donc féconde des années 30, elle s'est insérée dans le flux en expansion des sciences de l'homme, ce petit livre d'une étonnante densité en porte témoignage. Frédéric Mauro est informé, comme peu d'historiens de sa génération, de toutes les sciences de l'homme. Sa culture va de l'économie mathématique à la sociologie, en passant par l'ethnologie et l'anthropologie culturelle. Il domine, avec aisance, une bibliographie de mille titres savamment hiérarchisés, à laquelle s'ajoutent ses propres recherches sur tout le secteur portugais, plus une expérience de voyageur au regard neuf et sympathique.

Comme pour bien d'autres, la découverte ou la lecture, ces dernières années, de l'œuvre de Mariátegui s'est opérée le plus souvent de façon paradigmatique : l'étude du « Gramsci péruvien » — quand Gramsci lui-même était encore qualifié, il n'y a pas si longtemps, de « Lénine italien » — paraissait ainsi vouée aux directives d'une téléologie à peine déguisée. La Bio-bibliographie de José Carlos Mariátegui de Guillermo Rouillon, après l'essai — parfois bien contestable il est vrai — qu'Eugenio Chang-Rodriguez a consacré à Mariátegui dans son ouvrage sur La littérature politique du Pérou, semble devoir permettre enfin une étude plus objective de l'œuvre du penseur péruvien. Sa parution, au moins, signifie d'ores et déjà qu'on peut tenter pour la première fois une lecture de cette œuvre qui rompe avec certains stéréotypes ou modèles déjà construits.

Présenté parallèlement à l'Abstract of British Historical Statistics, le livre de Ph. Deane et W. A. Cole marquera une date : le premier essai d'interprétation de l'important matériel statistique sur l'économie anglaise depuis la fin du XVIIe siècle, systématiquement rassemblé par le Department of Applied Economies de l'Université de Cambridge, soutenu par le Committee on Economie Growih du Professeur Simon Kuznets. L'emploi des méthodes de l'économie globale n'y contredit nullement une extrême prudence critique. Sans illusions sur le caractère « hautement audacieux » ou « très approximatif » de tel ou tel de leurs calculs, attentifs à souligner la direction de l'erreur probable, les auteurs ont tenu à pousser leurs hypothèses jusqu'à leurs implications ultimes, pour tenter de cerner des notions encore étrangères à l'historien : tels le revenu par tête ou le taux de formation de capital. Par ses méthodes et son information, l'ouvrage se situe à la jonction de l'économie et de l'histoire.

H. Schurer, bibliothécaire à l'Université de Londres (School of Slavonic Studies) vient de consacrer à Karl Radek un très intéressant article l. La matière, certes, est loin d'être épuisée, mais cette étude fournira certainement un point de départ commode pour l'étude de ce personnage hors-série, un des hommes-clés de l'histoire des premières années de l'Internationale communiste, auteur prolixe et pourtant pratiquement inconnu aujourd'hui. Radek, pendant les années qui suivirent la Révolution russe, fut en effet non seulement un des premiers personnages de l'Internationale — et même son secrétaire pendant quelques mois — mais encore le mentor du P.C. allemand jusqu'au fiasco de 1923.

Historien, Pierre Chaunu ne craint pas, on le sait, les grandes entreprises. Il en a donné une nouvelle preuve en s'attaquant cette fois à un immense et difficile sujet : l'histoire de l'Amérique. Entendons, comme l'indique bien le titre, d'une Amérique saisie dans son unité aussi bien que dans sa diversité. L'intention de l'auteur n'est donc pas d'ajouter un titre de plus à la liste déjà longue des histoires collectives de l'Amérique qui, combinant, avec plus ou moins de bonheur, des découpages géographiques, chronologiques et méthodiques, présentent en tranches inégales les destinées du Nouveau Monde. Elles débouchent généralement, avec la balkanisation du XIXe siècle, sur une juxtaposition décevante d'histoires nationales. En dépit de leurs dimensions, de tels ouvrages ne sont complets qu'en apparence : ils aboutissent trop souvent à privilégier tel ou tel aspect de l'histoire du continent, selon l'origine de la collection et la nationalité des auteurs. Les historiens espagnols font la plus belle part à l'Amérique hispanique, en s'attardant plus spécialement sur les épisodes de la découverte et de la conquête ; l'histoire de la colonisation anglaise et des États-Unis, celle des établissements français, parfois même celle du Brésil, ne se voient réserver que quelques chapitres mal liés à l'économie d'ensemble de l'ouvrage.