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Bertrand Lavoie. Le droit et la religion à l’hôpital : Une ethnographie du pluralisme des valeurs aux urgences. Montréal: Presses de l’Université de Montréal, 2024, 144 pp.

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Bertrand Lavoie. Le droit et la religion à l’hôpital : Une ethnographie du pluralisme des valeurs aux urgences. Montréal: Presses de l’Université de Montréal, 2024, 144 pp.

Published online by Cambridge University Press:  13 January 2025

Gilles Beauchamp*
Affiliation:
Chercheur postdoctoral, Département de philosophie, Université du Québec à Montréal, Centre de recherche en éthique, Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ), Canada Email: beauchamp.gilles@courrier.uqam.ca
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Abstract

Type
Book Review / Compte rendu
Creative Commons
Creative Common License - CCCreative Common License - BY
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Copyright
© The Author(s), 2025. Published by Cambridge University Press on behalf of Canadian Law and Society Association / Association Canadienne Droit et Société

Malgré les débats récurrents concernant la place du religieux dans l’espace public québécois, la religion dans les salles d’urgence semble avoir jusqu’ici échappé à l’attention de la recherche universitaire. Dans cet ouvrage concis, Bertrand Lavoie propose une analyse empirico-conceptuelle des manières dont les soignants accueillent et gèrent les pratiques religieuses dans le quotidien des urgences québécoises. Il s’agit de comprendre les réponses complexes de ceux-ci dans un contexte relativement imprévisible et flexible, où n’existe aucune ligne directrice pour la gestion des besoins religieux à l’urgence.

Le contexte des urgences comporte une multitude de contraintes de temps, d’espace et de ressources et les relations entre le personnel et les usagers sont marquées par une grande asymétrie de pouvoir et de connaissance. Le personnel est pressé et constamment à la recherche de solutions, alors que les usagers sont en situation de grande vulnérabilité et de dépendance envers le personnel. Dans ce contexte, les demandes d’accommodements pour motifs religieux semblent rarement répertoriées, rendant incontournable la méthode d’enquête privilégiée par Lavoie – l’observation in situ accompagnée d’entretiens semi-dirigés – pour comprendre comment ces demandes sont reçues et gérées.

Le premier chapitre présente l’état du droit québécois et canadien en ce qui concerne la liberté de conscience et de religion et la non-discrimination. Ces droits protègent sans limites le penser, mais le faire reste limité en raison « du respect du droit d’autrui, de l’ordre public ou d’impératifs sociétaux » (p. 35). L’obligation d’accommodement raisonnable naît de ces droits et est ancrée dans l’égalité réelle et la dignité humaine. La notion de contrainte excessive permet néanmoins de refuser légitimement une telle demande d’accommodement. C’est donc dans cette perspective que Lavoie documente et analyse les raisons offertes par les soignants pour accepter ou refuser les demandes des usagers concernant leurs besoins religieux.

Le deuxième chapitre conclut à une dynamique de respect et de réticence de la part du personnel soignant. Dans l’ensemble, les soignants qui font partie du groupe majoritaire ont une attitude de réticence face à la religion en général et se sentent plutôt mal à l’aise face aux demandes des patients. Ils sollicitent souvent leurs collègues qui appartiennent à des groupes minoritaires pour leur plus grande compréhension des besoins religieux des patients. Néanmoins, les soignants ne font pas trop de cas des besoins religieux et les jugent légitimes dans une logique de personnalisation du religieux, au même titre que d’autres besoins personnels, tant que ceux-ci ne nuisent pas à la mission de l’urgence : les soins prodigués à l’ensemble des patients. Ce chapitre inclut une importante discussion critique de la discrimination, du culturalisme, des stéréotypes et des préjugés qui peuvent nuire aux soins que les populations minorisées recevront, bien que cela ne constitue pas le cœur de l’analyse.

Le troisième chapitre révèle les raisons qui servent de justification à l’acceptation ou au refus d’accommoder certaines pratiques religieuses aux urgences. Lavoie montre que ces jugements sont faits au cas par cas et sont basés sur des considérations pragmatiques principalement liées au temps et à l’espace; ces considérations influencent ce qui est perçu comme raisonnable. La contrainte du temps est variable, de sorte que différents moments de la journée peuvent entraîner des réponses différentes, alors que les contraintes matérielles liées à l’espace sont plus prévisibles. Il y a néanmoins une fin de non-recevoir lorsque les accommodements demandés engendreraient des iniquités entre patients ou lorsqu’ils nuiraient aux soins d’un enfant.

Le raisonnable devient donc la norme implicite. Au quatrième chapitre, Lavoie explicite davantage cette norme pratique du raisonnable qui guide l’action des soignants et « qui contraste avec la gestion publique québécoise du pluralisme des valeurs, de plus en plus tournée vers un objectif de restriction et d’interdiction » (p. 87). Les soignants sont guidés par les effets des demandes dans le contexte. La norme pratique du raisonnable permet une approche permissive, mais conditionnelle. « Les soignants en arrivent à négocier habilement et intelligemment les différences, notamment par la créativité, l’efficacité et l’humilité » (p. 97) et ce, dans « la constance des règles tout en s’adaptant au changement » (p. 104).

À mon sens, un aspect demeure sous-discuté et constituerait une avenue pertinente pour de futures recherches. Bien que Lavoie mentionne avec justesse la position vulnérable dans laquelle se trouvent les patients (p. 51) et leur capacité potentiellement limitée d’exprimer leurs besoins religieux dans cette position (pp. 57-58), cette notion n’est pas mobilisée dans l’analyse. En effet, dans quelle mesure l’approche ad hoc, au cas par cas, du personnel soignant – qui se base sur la compatibilité avec les services d’urgence (temps, espace, respect des droits des autres) – conduit-elle à des solutions largement acceptées par les patients précisément à cause de leur position de vulnérabilité?

En conclusion, l’ouvrage de Lavoie constitue une contribution importante à la compréhension de la présence et de la gestion de la religion à l’urgence et contribue à la réflexion sur la gestion du pluralisme des valeurs religieuses dans l’espace public québécois en ouvrant sur des possibilités qui vont au-delà de l’approche d’interdiction prisée par le gouvernement actuel. Cette recherche invite à s’inspirer du modèle pragmatique que le personnel soignant adopte pour faire face aux actes et expressions du religieux des patients susceptibles d’entraîner des demandes d’accommodement.