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Published online by Cambridge University Press: 02 January 2013
The purpose of this article is to evaluate from a legal and critical perspective the recognition of regional languages by the introduction, in July 2008, of article 75-1 in the French Constitution of 1958. The author evaluates the impact of the reference to regional languages; the contributions of this state recognition; its symbolic, psychological, and legal effects; and also its limits. Without calling into question the benefits of the state recognition process, the author concludes that a simultaneous self-recognition by the speakers themselves and by the non-speaker members of local communities is also necessary.
L'objectif de cet article est de porter un regard juridique et critique sur la reconnaissance constitutionnelle des langues régionales françaises par l'insertion de l'article 75-1 dans la Constitution du 4 octobre 1958, lors de la réforme constitutionnelle du 21 juillet 2008. L'auteure évalue la portée de la référence, les apports, les effets symboliques, psychologiques et juridiques, ainsi que les limites de cette reconnaissance. Sans remettre totalement en cause les bienfaits du processus de reconnaissance étatique, l'auteure met l'accent sur l'importance d'une reconnaissance autonome simultanée, par les locuteurs eux-mêmes et les membres non-locuteurs des communautés locales qui respectent ces langues.
1 Livre blanc pour l'avenir des langues provençale et niçoise, 4 octobre 2003, en ligne: http://prouvenco.presso.free.fr/libreblanc.html
2 Certains juristes interrogent également la réponse apportée par le Constituant français le 21 juillet 2008, notamment Christian Lavialle. Selon cet auteur, « […] cette constitutionnalisation n'est pas si favorable qu'on pourrait l'imaginer pour les langues régionales. Elle réalise en effet une nationalisation voilée de celles-ci. […] le risque est le nominalisme, c'est-à-dire que le mot remplace la chose, c'est-à-dire la pratique hic et nunc de celles-ci sur le territoire national », Lavialle, Christian, «Du nominalisme juridique. Le nouvel article 75-1 de la Constitution du 4 octobre 1958», R.F.D.A., 6, Novembre-Décembre 2008, p. 1110Google Scholar.
3 Ordonnance de Villers-Cotterêts, Article 111: «De dire et faire tous les actes en langue française […]». Cette disposition avait pour objectif de renforcer le français contre le latin.
4 Constitution de la France, 1958, Article 2: «La langue de la République est le français.» Cette disposition a été constitutionnalisée le 25 juin 1992. L'objectif du Constituant était de préserver la Français face à l'anglais.
5 Un rapport rendu au ministre de l'Éducation nationale en 1999 recensait 79 langues régionales dont 39 langues d'outre-mer. Bernard Cerquiglini, Les langues de la France, avril 1999, en ligne: http://www.dglf.culture.gouv.fr/lang-reg/rapport-cerquiglini/langues-france.html (site consulté le 10 février 2009).
6 Loi 51-46 relative à l'enseignement des langues et dialectes locaux, dite Loi Deixonne, du 11 janvier 1951. Cette loi fut abrogée et remplacée par la Loi Bas-Lauriol de 1975, par la Loi Toubon de 1994, par la loi du 28 avril 2005 et par le Code de l'éducation.
7 Conseil de l'Europe, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Strasbourg, 1992, en ligne: http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/148.htmGoogle Scholar (site consulté le 12 février 2009).
8 Conseil constitutionnel, décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999, en ligne: http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/depuis-1958/decisions-par-date/1999/99-412-dc/decision-n-99-412-dc-du-15-juin-1999.11825.html (site consulté le 10 février 2009).
9 Verpeaux, Michel, «La reconnaissance constitutionnelle des langues régionales», Les petites affiches, 254, 19 décembre 2008, p. 123Google Scholar.
10 Notamment l'Organisation des Nations Unies, via l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; le Conseil de l'Europe, via la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et l'U.N.E.S.C.O., via les dispositions sur la préservation de la diversité linguistique.
11 Par exemple, l'Espagne.
12 Constitution de la France, telle que modifiée le 21 juillet 2008, Article 75-1.
13 Pour 10 % de la population de la France, selon un rapport de l'INSEE de 1999.
14 Celle-ci propose le renouvellement des institutions de la France dans un objectif de simplification. À ce propos, certains se demandent s'il s'agit d'une nouvelle Constitution ou d'un nouveau régime, mais ce n'est pas le sujet que nous souhaitons aborder ici. Sur ce point, voir «Nouvelle Constitution ou nouveau régime?», Les Petites affiches, 254, 19 décembre 2008, p. 5Google Scholar. Pour une évaluation de l'ensemble de la réforme, voir: numéro spécial 2008 de la Revue Française de droit constitutionnel; La Semaine Juridique Edition Générale n° 31, 30 juillet 2008 1170, Dossier «Révision de la Constitution: la Ve République rénovée?»; Verpeaux, Michel, «La révision constitutionnelle à l'arraché», La Semaine Juridique Edition Générale, 31, 30 juillet 2008 1170, p. 10Google Scholar et 11 et Verpeaux, Michel et Plessix, Benoît, «L'adoption de la révision constitutionnelle», La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, 31, 28 juillet 2008, act. 696, p. 3 et 4Google Scholar.
15 Huit articles ont été ajoutés à la Constitution par la révision du 21 juillet 2008. L'introduction des langues régionales fut à l'initiative des députés. Cette référence n'était pas présente dans le projet de loi proposé par le chef de l'Etat. Voir ci-dessous, Section 1, paragraphe 1, sur la genése de cette introduction.
16 Voir les divers débats en séance publique, à l'Assemblée nationale et au Sénat, cités cidessous, et Michel Verpeaux, «La révision constitutionnelle à l'arraché», voir supra, note 13, § 18.
17 D'autres dispositions ont également suscité des débats touchant au pluralisme, telles que celles portant sur la parité homme/femme et sur la citoyenneté.
18 Auburtin, Eric, «Langues régionales et relations transfrontalières dans l'espace Saar-Lor-Lux», Hérodote, 105, 2002-2002, p. 102–122CrossRefGoogle Scholar.
19 La facilitation de l'apprentissage des langues et le multilinguisme sont alors invoqués.
20 Voir les débats parlementaires cités dans la section 1 et le débat qui a suivi la Déclaration du gouvernement sur les langues régionales du 7 mai 2008, en ligne: http://www.assembleenationale.fr/13/cri/2007-2008/20080153.asp#P381-72611 (pour tous les travaux préparatoires cités dans cet article ainsi que la Déclaration du gouvernement, sauf mention contraire: sites consultés le 10 février 2009). La Déclaration ne fait pas partie en tant que tel des travaux préparatoires au projet de loi constitutionnelle sur la modification des institutions de la Véme République. Toutefois, elle représente un document essentiel à la compréhension des débats parlementaires portant sur cette modification, spécifiquement pour ce qui a trait à la reconnaissance des langues régionales.
21 Cet article n'a pas pour objectif de traiter de l'ensemble de la réforme constitutionnelle intervenue le 21 juillet 2008. Il entend plutôt se questionner sur l'intégration des «langues régionales» au sein du texte constitutionnel. À cette fin, les débats parlementaires et les travaux préparatoires y auront une place importante, ainsi que l'article 75-1 lui-même, son contenu et son contexte législatif et constitutionnel.
22 Projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Véme République, n° 820, déposé le 23 avril 2008, en ligne: http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/p10820.asp (site consulté le 10 février 2009).
23 Déclaration du Gouvernement sur les langues régionales, voir supra, note 19.
24 Il s'agit de onze amendements et sous-amendements déposés par des députés apparentés aux groupes Communiste, Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, Gauche démocrate et républicaine, Nouveau centre, U.M.P., ou apparentés à aucun groupe. Amendements n° 605, 304, 145, 276, 569, 262 et sous-amendements n° 606, 607, 590, 601 et 591, dans Assemblée nationale, Liste des amendements déposés sur le texte n° 820, Modernisation des institutions de la Véme République, Lot 1, 19-22 mai 2008, en ligne: http://recherche.assemblee-nationale.fr/amendements/out/S05/GLER07Z38ASNR4315KFW.pdf, p. 2-5 et 14–22Google Scholar.
25 Amendement n° 304 proposé par M. Mamère, Mme Billard, MM. Yves Cochet et de Rugy, le 19 mai 2008.
26 Amendement n° 145 proposé par M. Hunault, le 19 mai 2008.
27 Amendement n° 276 présenté par M. Lurel, Mme Lebranchu, M. Olivier-Coupeau, M. Urvoas, M. Montebourg, M. Valls, M. Caresche, M. Vallini, M. Roman, M. Le Bouillonnec, M. Le Roux, M. Derosier, Mme Guigou, Mme Karamanli, M. Giacobbi et les membres du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, le 19 mai 2008.
28 Amendement n° 569 présenté par M. de Rocca Serra, M. Le Fur, M. Almont, M. Loïc Bouvard, M. Boënnec, M. Calvet, M. Christ, M. Dassault, M. Decool, M. Descoeur, M. Hillmeyer, M. Ferry, M. Grall, M. Gandolfi-Scheit, M. Goulard, Mme Grosskost, Mme Irles, M. Herth, Mme Lamour, M. Lett, M. Loos, M. Alain Marc, M. Mach, M. Mariani, M. Mariton, M. Maurer, M. Mourrut, M. Christian Ménard, M. Reitzer, M. Remiller, M. Reiss, M. Spagnou, M. Strautmann et M. Sordi, le 20 mai 2008.
29 Dans le cadre de cette analyse, les trois propositions sont réunies outre leur divergence en fin de phrase: «qui font parties de notre patrimoine» et «qui fondent sa diversité».
30 Amendement n° 262 proposé par M. Folliot, le 19 mai 2008. Il est à noter que les sousamendements 606, 590, 601 et 591, tous proposés par M. Bayrou, étaient formulés dans le même esprit que l'amendement n° 262. C'est pourquoi l'article n'en parle pas.
31 Cette nuance et les conséquences qu'elle implique sont évoquées dans Christian Lavialle, «Du nominalisme juridique. Le nouvel article 75-1 de la Constitution du 4 octobre 1958», supra, note 1, p. 1114.
32 Amendement n° 605 proposé par M. Jean-Luc Warsmann, le 22 mai 2008. Il s'ajouterait ainsi à l'article 1er de la Constitution: «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. Les langues régionales appartiennent à son patrimoine» [nous soulignons].
33 Débats en 1ere lecture à la Commission des lois de l'Assemblée nationale, 14 mai 2008, 9h30, en ligne: http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cloi/07-08/c0708057.asp, p. 3-6 et p. 8Google Scholar; Rapport n° 892 déposé par la Commission, 15 mai 2008, en ligne: http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r0892.pdf, p. 94–98Google Scholar; Débats à l'Assemblée nationale, Discussion en lere lecture, 2éme séance publique, 22 mai 2008, en ligne: http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2007-2008/20080165.asp et Projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, Modernisation des institutions de la Véme République, TA n°150, 03 juin 2008, en ligne: http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0150.asp.
34 Et cela, malgré la position de compromis atteinte par les députés de toutes allégeances à l'Assemblée nationale et une position favorable de la part de la Commission des lois constitutionnelles du Sénat, Rapport n° 387 (2007-2008) de M. Jean-Jacques Hyest, 11 juin 2008, en ligne: http://www.senat.fr/rap/107-387/107-3871.pdf, p. 49–53Google Scholar.
35 Sur les différents arguments favorables à la suppression de la référence aux langues régionales: Discussion en séance publique, Sénat, 1ere lecture, 18 juin 2008, en ligne: http://www.senat.fr/seances/s200806/s20080618/s20080618.pdf, p. 2919-2923 et p. 2924–2940Google Scholar; Discussion en séance publique, Sénat, 1ere lecture, 24 juin 2008, en ligne: http://www.senat.fr/seances/s200806/s20080624/s20080624.pdf, p. 3334–3336Google Scholar.
36 Projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Véme République, Modification en 1ére lecture, Sénat, 24 juin 2008, TA 116, en ligne: http://www.senat.fr/leg/tas07-116.html.
37 Projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Véme République, adopté avec modifications, Assemblée nationale, 2e lecture, 9 juillet 2008, TA n°172, en ligne: http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0172.pdf.
38 Amendement n° 38 proposé par M. Warsmann, le 2 juillet 2008.
39 Projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Véme République, voté par les deux assemblées du Parlement en termes identiques et en 2e lecture par le Sénat, 16 juillet 2008, TA 135, en ligne: http://www.senat.fr/leg/tas07-137.html.
40 Projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Véme République, adopté par le Congrès du Parlement, 21 juillet 2008, TA n°-14, en ligne: http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0-14.asp.
41 Rachida Dati, Garde des Sceaux, invoque la constitutionnalisation de ces langues: Débat en séance publique, Assemblée nationale, 2éme lecture, 8 juillet 2008, en ligne: http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r1009.pdf.
42 Sur la nationalisation Christian Lavialle indique: «[…] l'Etat réalise une véritable nationalisation de celles-ci en les inscrivant dans le “patrimoine de la France”. […] Ce processus, tel qu'il est mis en œuvre et formulé en France, n'est cependant pas dénué d'ambiguïtés dans la mesure où il conduit d'abord à une “muséification” ou à une naturalisation, aux deux sens de ce terme, de langues qui, par nature, devraient être vivantes. Au lieu d'assurer leur usage dans l'espace public conformément à la Charte européenne, les pouvoirs publics les ont inscrites à l'inventaire des savoirs et pratiques du passé. Ensuite, l'article 75-1 dispose que les langues régionales appartiennent à la France. Cette phrase peut apparaître comme un oxymore puisqu'elle aboutit à consacrer l'unité nationale et la suprématie du français alors que l'intention recherchée, semble-t-il, était la reconnaissance du pluralisme linguistique. Nationalisation sans indemnisation, juste et préalable sauf à penser que cette intégration dans le patrimoine national, symboliquement, représente pour leurs locuteurs une valeur qui légitime cette captation. En effet, ce sont ces derniers, si l'on poursuit la comparaison, qui peuvent prétendre avoir un droit sur celles-ci par l'usage qu'ils en font. De ce point de vue en toute hypothèse, ils sont dépossédés de leurs langues qui sont matériellement réifiées et appropriées par la France», Christian Lavialle, «Du nominalisme juridique. Le nouvel article 75-1 de la Constitution du 4 octobre 1958», voir supra, note 1, p. 1113.
43 Jean-François, Gaudreault-DesBiens, , «The Fetishism of Formal Law and the Fate of Constitutional Patriotism in Communities of Comfort – A Canadian Perspective», in Fossum, J. E., Poirier, J. et Magnette, P. (dir.), The Ties that Bind, Peter Lang Publishing Group, Canadian studies vol. 16, 2009, p. 303–329Google Scholar.
44 Sur les aspects positifs de la reconnaissance, voir les travaux de Charles Taylor sur la politique de la reconnaissance. Ce philosophe nous indique que «[…] notre identité est partiellement formée par la reconnaissance ou par son absence, ou encore par la mauvaise perception qu'en ont les autres: une personne ou un groupe de personnes peuvent subir un dommage ou une déformation réelle si les gens ou la société qui les entourent leur renvoient une image limitée, avilissante ou méprisable d'eux-mêmes. La non-reconnaissance ou la reconnaissance inadéquate peuvent causer du tort et constituer une forme d'oppression, en emprisonnant certains dans une manière d'être fausse, déformée et réduite», Taylor, Charles, Multiculturalisme – Différence et démocratie, Flammarion, 1994, p. 41 et 42Google Scholar.
45 Anaya, S. James, «Indigenous Law and Its Contribution to Global Pluralism», Indigenous Law Journal, 6(1), 2007, p. 4 et 5Google Scholar; Maffi, Luisa, «Langues menacées, savoirs en péril», Revue internationale des sciences sociales, 173, 2002/2003, p. 425–433CrossRefGoogle Scholar.
46 En l'espèce, la reconnaissance des langues régionales par l'État était revendiquée par certains locuteurs. Voir, par exemple, le Livre blanc pour l'avenir des langues provençale et niçoise, du 4 octobre 2003, qui revendiquait déjà une reconnaissance constitutionnelle pour les langues régionales dont le provençal et le niçois http://prouvenco.presso.free.fr/libreblanc.html (site consulté le 16 février 2009). L'introduction de l'article 75-1 a aussi reçu un accueil favorable de la part de diverses communautés linguistiques.
47 Discussion en séance publique, Sénat, 2ème lecture, 16 juillet 2008, en ligne: http://www.senat.fr/seances/s200807/s20080716/s20080716.pdf, p. 4780.
48 Notamment, les langues régionales d'Alsace, le basque, le béarnais, le breton, le catalan, les langues créoles et canaques, le corse, le flamand occidental, le gallo, les langues mosellanes, le marquisien, le mangarevien, l'occitan, le picard, le paumotu, le wallisien, etc.
49 Mise à part certaines langues issues de l'immigration considérées comme «langues de France» par les linguistes, comme le berbère et l'arabe dialectal.
50 Cerquiglini, Bernard, Les langues de la France, avril 1999Google Scholar, en ligne: http://www.dglf.culture.gouv.fr/lang-reg/rapport_cerquiglini/langues-france.html (site consulte le 16 février 2009). Sur ce point, la Déclaration du gouvernement sur les langues régionales et le débat sur cette Déclaration sont intéressants. La ministre de la Culture et de la Communication y indique: «En 1999, un groupe de travail piloté par les ministères chargés de l'éducation nationale et de la culture s'était appliqué à les recenser, je l'ai évoqué tout à l'heure. Quelques soixante-dix-neuf langues avaient alors été identifiées, dont trente-neuf outre-mer, sous la dénomination “langues de France”. S'agissant de la France métropolitaine, cet ensemble incluait l'ensemble des langues concernées par la loi Deixonne, basque, breton, catalan, gallo, langues mosellanes, langues régionales d'Alsace et langue d'oc dans ses différentes variétés, auxquelles s'ajoutaient notamment le flamand occidental, le franco-provençal et les langues d'oïl, ainsi d'ailleurs que cinq autres langues parlées par des ressortissants français sur le territoire de la République: berbère, arabe dialectal, yiddish, romani, arménien occidental», Déclaration du Gouvernement sur les langues régionales et débats sur cette déclaration, voir supra, note 19.
51 Définition citée dans Gisèle Holtzer, «France, pays multilingue», en ligne: http://migrations.besancon.fr/index2.php?option=com_content&do_pdf=1&id=563 (site consulté le 6 février 2009).
52 De ce fait, il est impossible de savoir de façon précise quelles sont les langues qui pourront se voir reconnaître un enseignement bilingue par la loi que le Gouvernement avait initialement promise pour l'année 2009.
53 Goasguen, Claude, député à l'Assemblée nationale indique: «Il faut préciser ce que l'on entend par “langues régionales”. Avec le mot “région”, on a un critère d'implantation géographique sur le territoire de la République. Avec celui de “langue”, on suppose par opposition aux dialectes et aux patois, que cette langue est suffisamment ancree dans la culture nationale pour qu'elle possède un patrimoine écrit», Séance publique, Assemblée nationale, 1ère lecture, 22 mai 2008Google Scholar, en ligne: http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2007-2008/20080165.asp.
54 Michel Verpeaux explique: «Il faudra certainement que le législateur précise ce qu'il entend par “langues régionales” sous peine de vider cette notion de tout contenu, et quel statut il entend leur donner sans toucher à la langue de la République qu'est et que doit rester le français», Verpeaux Michel, «La reconnaissance constitutionnelle des langues régionales», voir supra, note 8, p. 123 et s.
55 Sur ce point, voir Charles Taylor, supra, note 43. Sur le concept d'essentialisation, voir Eisenberg, Avigail, «The public assessment of indigenous identity», dans Seymour, Michel et Blanchard, Martin (dir.), Plural States of Recognition, Londres, Palgrave/Macmillan, 2010, p. 197–215CrossRefGoogle Scholar.
56 Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, UNESCO, 17 octobre 2003, en ligne: http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?pg=00006 (site consulté le 12 février 2009).
57 Rocher, Guy, «L'effectivité», dans Lajoie, Andrée, MacDonald, Roderick A., Janda, Richard et Rocher, Guy (dir.), Théorie et émergence du droit: pluralisme, surdétermination et effectivité, Montréal, Éditions Thémis, 1998, p. 135Google Scholar.
58 Ibid., p. 136.
59 Notamment les sous-amendements de M. Bayrou et l'amendement de M. Folliot, voir supra, Section I, Paragraphe 1.
60 En matière d'enseignement, deux méthodes d'apprentissage ont été évoquées lors du débat du 7 mai 2008 suivant la Déclaration du Gouvernement sur les langues régionales. Il s'agit de l'immersion et des cours non obligatoires. Le caractère non obligatoire de cet enseignement avait été souligné en 1991 dans la décision du Conseil constitutionnel sur le peuple corse. Le Conseil n'avait d'ailleurs pas censuré l'article 53 de la loi portant sur l'enseignement de la langue corse, car l'enseignement n'était pas obligatoire. Les décisions du Conseil constitutionnel ont ainsi largement influé sur le Constituant du 21 juillet 2008 qui s'y est constamment référé (il en va de même de la décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui est souvent invoquée). Cette dynamique est étonnante en termes de séparation des pouvoirs, puisqu'il semblerait que les positions du Conseil constitutionnel devancent a posteriori la volonté des représentants du peuple.
61 Quant à l'efficacité de cette future loi, notons accessoirement que l'article 75-1 de la Constitution apporte peu. En effet, la volonté de sauvegarder les langues par la diffusion médiatique ne se trouve-t-elle pas menacée par la centralisation actuelle des médias et de leurs programmes? La disparition progressive des chaînes régionales n'a-t-elle pas un impact sur la programmation en langues régionales? D'autre part, sur le plan de l'enseignement, deux problèmes apparaissent. D'abord, sur quel territoire l'enseignement de la langue locale va-t-il intervenir? La promotion de l'enseignement des langues régionales ne conduira-t-elle pas nécessairement le législateur à redéfinir l'espace, sachant que les régions administratives ou les départements ne correspondent pas toujours aux lieux des identités régionales? Le législateur est-il disposé à rédéfinir les espaces régionaux et est-il capable de poser des frontières claires entre chaque région? Quelles conséquences cette redéfinition aura-t-elle, si elle intervient? Ensuite, le Constituant parviendra-t-il à ses fins (la sauvegarde des langues régionales et du patrimoine linguistique de la France) en opposant l'usage de ces langues dans la vie privée et dans la vie publique? Au chapitre de la mise en œuvre de la sauvegarde, l'enseignement scolaire semble être considéré comme un outil principal de sauvegarde. Or, son complément essentiel n'est-il pas la transmission de génération en génération, qui passe par la mise en valeur du rôle des families et des communautés? L'école est-elle omnipotente? Cela ne comporte-t-il pas le risque de désengager le locuteur du processus de transmission?
62 Loi du 28 avril 2005 et article L. 312-10 du code de l'éducation.
63 Conseil constitutionnel, décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999, voir supra, note 7. De plus, les travaux préparatoires sont sans équivoque: les principes d'indivisibilité, d'égalité et d'unicité restent intacts. Rapport de la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générate, Sénat, 2ème lecture, 10 juillet 2008, rapport n° 463, en ligne: http://www.senat.fr/rap/107-463/107-4631.pdf, p. 17.
64 Sur la force symbolique du droit, voir Noreau, Pierre, «De la force symbolique du droit», dans Thibierge, Catherine et al., La force normative – Naissance d'un concept, Paris, L.G.D.J., 2009, p. 137–150Google Scholar.
65 Quelle est l'étendu de l'espace privé? S'oppose-t-il à l'espace public? À la lecture des débats parlementaires, l'espace public semble faire référence aux relations entre les administrations nationales et locales, et feurs administrés, entre les autorités internationales, européennes, nationales et locales, et les citoyens. L'école est cependant un espace plus complexe, puisqu'elle appartient à la vie publique, mais les langues régionales peuvent y être enseignées et pratiquées même si cela n'est pas obligatoire. Un locuteur peut alors s'exprimer dans sa langue au sein de ses relations privées et dans l'espace public, par exemple sur la voie publique ou à l'école. L'interdiction de les employer dans l'espace public n'est done pas absolue. Voir Hyest, Jean-Jacques, Discussion en séance publique, Sénat, 2ème lecture, 16 juillet 2008, en ligne: http://www.senat.fr/seances/s200807/s20080716/s20080716.pdf, p. 4780Google Scholar.
66 La différence entre obligation négative et obligation positive se pose en termes de force obligatoire. L'engagement de l'État est moins contraignant lorsqu'une obligation négative est à sa charge.
67 Parce qu'elle représente une manifestation du fonctionnement centraliste des institutions françaises, susceptible d'influer sur la conception de la liberté et de la démocratie.
68 Bourdieu, Pierre, Le sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, 1980Google Scholar.
69 Cet effet psychologique est perceptible à travers les déclarations faites par les organisations de promotion de langues regionales.
70 Ces langues sont aussi considérées comme étant régionales dans les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle de juillet 2008; voir supra, note 47.
71 Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, Article 57: «La langue tahitienne est un élément fondamental de l'identité culturelle: ciment de cohésion sociale, moyen de communication quotidien, elle est reconnue et doit être préservée, de même que les autres langues polynésiennes, aux côtés de la langue de la République, afin de garantir la diversité culturelle qui fait la richesse de la Polynésie française. Le français, le tahitien, le marquisien, le paumotu et le mangarevien sont les langues de la Polynésie française. Les personnes physiques et morales de droit privé en usent librement dans leurs actes et conventions; ceux-ci n'encourent aucune nullité au motif qu'ils ne sont pas rédigés dans la langue officielle».
72 Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, Article 215: «Les langues kanak sont reconnues comme langues d'enseignement et de culture.»
73 Loi n° 2002-92 du 22 Janvier 2002 relative à la Corse et Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, Article 53, alinéa 2. Le Conseil constitutionnel n'avait d'ailleurs pas déclaré cette disposition inconstitutionnelle. En effet, il indiquait dans sa décision: «Considérant que l'article 53 prévoit l'insertion dans le temps scolaire de l'enseignement de la langue et de la culture corses; que cet enseignement n'est pas contraire au principe d'égalité dès lors qu'il ne revêt pas un caractère obligatoire; qu'il n'a pas davantage pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements de la collectivité territoriale de Corse aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci; que, par suite, le fait pour le législateur d'autoriser la collectivité territoriale de Corse à promouvoir l'enseignement de la langue et de la culture corses, ne saurait être regardé comme portant atteinte à aucun principe de valeur constitutionnelle», Conseil constitutionnel, décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, en ligne: http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/depuis-1958/decisions-par-date/1991/91-290-dc/decision-n-91-290-dc-du-09-mai-1991.8758.html (site consulté le 10 février 2009).
74 Voir supra, note 5.
75 À ce propos, il est intéressant de noter que le Conseil constitutionnel n'a pas vu en ces lois organiques des atteintes à la Constitution, plus précisément, à la souveraineté de l'État et aux grands principes de la République. Voir Conseil constitutionnel, Décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994, en ligne: http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/lesdecisions/depuis-1958/decisions-par-date/1994/94-345-dc/decision-n-94-345-dc-du-29-juillet-1994.10568.html (site consulté le 10 février 2009); Décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004, en ligne: http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/depuis-1958/decisions-par-date/2004/2004-490-dc/decision-n-2004-490-dc-du-12-fevrier-2004. 892.html (site consulté le 10 février 2009).
76 Nous pensons ici à Michel Verpeaux, voir supra, note 8.
77 Voir par exemple l'intervention de M. Urvoas: «On pourrait même y voir comme un aveu que la promotion des langues régionales n'est pas une préoccupation du gouvernement, et qu'il confie simplement cette compétence aux collectivités territoriales, ce qui jetterait un doute sur la loi promise par Mme Albanel. Introduire cet article à cet emplacement, c'est explicitement attribuer une compétence supplémentaire aux collectivités locales, sans leur donner les moyens de l'assumer», Urvoas, Jean-Jacques, Discussion publique, Assemblée nationale, 2ème lecture, 2ème séance, 9 juillet 2008, en ligne: http://www.assembleenationale.fr/13/cri/2007-2008-extra/20081013.aspGoogle Scholar
78 Voir par exemple l'intervention de Renar, M. Ivan, Discussion en séance publique, Sénat, 2ème lecture, 16 juillet 2008, en ligne: http://www.senat.fr/seances/s200807/s20080716/s20080716.pdf, p. 4779Google Scholar.
79 Michel Verpeaux, voir supra note 8; Michel Verpeaux et Benoît Plessix, voir supra, note 13, p. 3. Les auteurs indiquent d'ailleurs: «On peut s'étonner de l'insertion de cet article sous le titre «collectivités territoriales”, comme si ces dernières devaient nécessairement jouer un rôle majeur dans la promotion des langues régionales, par une sorte de bénédiction donnée à toutes les politiques particularistes en matière linguistique et culturelle, alors que l'État a aussi un rôle à jouer dans ce domaine, ne serait-ce que par le biais de l'éducation qui reste, encore et malgré tout, nationale. On aura compris que cette disposition n'est pas idéalement placée et qu'elle ouvrira la porte à bien des discussions et contentieux», Michel Verpeaux et Benoît Plessix, voir supra, note 13, p. 4.
80 Dans un tout autre domaine et pour mettre en évidence la vulnérabilité, voire l'impuissance, de certaines constitutionnalisations, il faut souligner que d'autres dispositions constitutionnelles ont également des effets limités, par exemple l'ensemble des droits qualifiés de «seconde génération», comme le droit au travail ou le droit à la santé. Sur les limites de la reconnaissance juridique, voir Jean-François Gaudreault-Desbiens, «The Fetishism of Formal Law and the Fate of Constitutional Patriotism in Communities of Comfort – A Canadian Perspective», supra, note 42.
81 Voir Guy Rocher, supra, note 56.
82 Christian Lavialle, supra, note 1, p. 1115.
83 La Déclaration du Gouvernement sur les langues régionales est claire, elle indique expressément que la reconnaissance des langues régionales ne pourra- entraîner ratification de la Charte. Voir Déclaration du Gouvernement sur les langues régionales, supra, note 19; Discussion en séance publique, Sénat, 1ère lecture, 18 juin 2008, en ligne: http://www.senat.fr/seances/s200806/s20080618/s20080618.pdf, p. 2924Google Scholar.
84 Conseil constitutionnel, décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999, voir supra note 7.
85 Il s'agit notamment de M. Noël Mamère et du groupe Gauche démocrate et républicaine, et de Mme Alima Boumediene-Thiery appartenant au groupe socialiste au Sénat. Voir les divers amendements proposés lors des débats parlementaires, supra Section I, paragraphe 1.
86 Voir supra, Section I, Paragraphe 2, B.
87 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Article 27: «Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue», en ligne: http://www.unnchr.ch/french/html/menu3/b/a_ccpr_fr.htm (site consulté le 10 février 2009). La réserve posée par la France à l'égard de cet article est ainsi formulée: «Le Gouvernement français déclare, compte tenu de l'article 2 de la Constitution de la République française, que l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la République», en ligne: http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/treaty5_asp_fr.htm (site consulté le 12 février 2009).
88 Il faut néanmoins souligner que l'enjeu n'est pas le même pour toutes les langues. La connaissance et l'usage des langues régionales métropolitaines semblent disparaître plus rapidement que ceux des langues d'outre-mer. Par ailleurs, toutes les langues régionales de la métropole ne sont pas sur un pied d'égalité. Certaines gardent encore une grande vigueur malgré le processus d'assimilation imposé par l'État.
89 Ce qui est le signe d'un «fétichisme juridique» fort selon certains auteurs. Pour Jean-François Gaudreault-DesBiens, «[…] attitudes reflecting a belief that one's life is complete, or fully lived, if and only if the law says that it is, or that one's perception of one's life is “real” only if the law confirms that it is, or, if one prefers, that one “(…) owe[s] [its] existence to the Law, rather than the reverse”. In advanced societies increasingly marked by the politics of recognition led by a growing number of “ticklish subjects” coalescing around narrowly-defined identities, legal fetishism is more present than ever», Jean-François Gaudreault-DesBiens, «The Fetishism of Formal Law and the Fate of Constitutional Patriotism in Communities of Comfort – A Canadian Perspective», voir supra, note 42, p. 308.
90 Cette solution est proposée par Christian Lavialle, voir supra, note 1. Cependant, la qualification des langues régionales en tant que bien public mondial ne fait pas obstacle aux critiques émises relativement à la reconnaissance constitutionnelle de ces langues. Cette qualification entraîne une forme d'appropriation, non plus par la sphère nationale, mais par la sphère internationale. De plus, elle peut également conduire à une «muséification» des langues régionales.
91 Jean-François Gaudreault-DesBiens I'encourage, voir supra, note 42.