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La crise financière de 2008 et les relations de travail dans le transport aérien : le cas d’Air Canada

Published online by Cambridge University Press:  21 October 2024

Julie Bourgault
Affiliation:
Directrice, Département de droit, Université du Québec en Outaouais, Canada, et chercheure au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT), Canada
Michel Coutu*
Affiliation:
Professeur émérite, École de relations industrielles, Université de Montréal, Canada, et chercheur au CRIMT, Canada
*
Auteur correspondant: Michel Coutu; Email: Michel.coutu@umontreal.ca
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Résumé

Comme tous les grands transporteurs aériens, l’entreprise Air Canada a été très durement frappée par la Grande récession survenue à l’échelle mondiale en 2008. Ses activités et ses revenus ont chuté dramatiquement et, outre des mises à pied et des licenciements collectifs, l’entreprise a cherché à limiter ses coûts de main-d’œuvre en réduisant les avantages des régimes de retraite en vigueur. La présente étude s’inscrit dans le cadre d’une vaste recherche sur la grande entreprise au Canada et le déclin de la citoyenneté au travail. Elle s’intéresse plus particulièrement à l’impact de la crise financière de 2008 sur la dynamique des relations de travail et l’évolution de la citoyenneté au travail chez Air Canada : nous entendons vérifier en particulier si nos hypothèses d’une médiation des interactions entre économie et droit par le politique, d’une part, par les relations industrielles (autonomie collective), d’autre part, se confirment ou non.

Abstract

Abstract

Like all major airlines, Air Canada was hit very hard by the global recession of 2008. Its operations and revenues fell dramatically and, in addition to layoffs and mass terminations, the company sought to contain its labour costs by reducing the benefits of existing pension plans. The present study is part of a large-scale research project on big business in Canada and the decline of citizenship at work. More specifically, we are interested in the impact of the 2008 financial crisis on the dynamics of labour relations and the evolution of citizenship at work at Air Canada. In particular, we intend to verify whether or not our hypotheses of the mediation of interactions between the economy and the law by politics, on the one hand, and by industrial relations (collective autonomy), on the other, are confirmed.

Type
Research Article/Article de Recherche
Creative Commons
Creative Common License - CCCreative Common License - BY
This is an Open Access article, distributed under the terms of the Creative Commons Attribution licence (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted re-use, distribution and reproduction, provided the original article is properly cited.
Copyright
© The Author(s), 2024. Published by Cambridge University Press on behalf of Canadian Law and Society Association / Association Canadienne Droit et Société

Introduction

Nous livrons ici les résultats d’une seconde enquêteFootnote 1 portant sur l’évolution des relations de travail à Air Canada. Cette enquête s’inscrit dans le cadre d’une vaste recherche du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT) portant sur la grande entreprise au Canada et le déclin de la citoyenneté au travail. Comme juristes et sociologues du droit, nous sommes particulièrement attentifs aux rapports qui se tissent à cet égard entre l’économie et le droit. Le cas d’Air Canada, en termes « d’expérimentation institutionnelle »,Footnote 2 se révèle particulièrement riche, mais aussi extrêmement complexe. Air Canada, qui a célébré son 85e anniversaire en 2022, « est le plus important transporteur aérien du Canada et le plus grand fournisseur de services passagers réguliers sur les marchés intérieur, transfrontalier (Canada- États-Unis) et international au départ et à destination du Canada. [L’entreprise] est membre cofondateur du réseau Star AllianceMD, le plus vaste regroupement de transporteurs aériens du monde »Footnote 3. À l’origine société d’ÉtatFootnote 4, Air Canada a été privatisée en 1988Footnote 5.

Nous rappelons brièvement les constats d’une étude précédente, laquelle concernait le cas Aveos, du nom de ce sous-traitant d’Air Canada, aujourd’hui disparu. Il s’agissait en ce cas de l’impartition de l’entretien lourd des appareils, effectué par l’entreprise elle-même depuis des décennies avant tout à Montréal. Au terme de cette première sous-traitance, l’entretien lourd fut entièrement délocalisé au sud des États-Unis et au Salvador, dans un contexte non syndiqué. Au Canada, plus de 2 600 salarié.e.s perdirent leur emploi, ce qui représentait à l’époque près du tiers des effectifs de l’Association internationale des machinistes (AIM) chez Air Canada. Nous avons formulé à cet égard l’hypothèse suivante : l’impact de l’économie sur le droit est rarement direct, mais généralement sujet à la médiation du politique. Les gouvernements fédéral et du Québec ont par exemple permis à Air Canada de se dégager de ses obligations légales relatives au maintien de l’entretien lourd à Montréal, ce que l’entreprise avait fait initialement en contournant les normes législatives en vigueur : seule l’intervention du politique a permis de régulariser cette situation. La prise en compte du seul contexte économique (la crise financière de 2008) ne conduit pas à expliquer l’évolution du droit en ce qui concerne Air Canada : il faut, entre autres facteurs, tenir compte de l’attitude, globalement favorable à l’entreprise, des gouvernements.

Dans la présente étude, nous revenons sur les événements liés à la crise financière de 2008 et à ses conséquences globales, au-delà du seul cas Aveos, sur Air Canada. Nous exposons en premier lieu deux éléments centraux de notre cadre théorique, relatifs à la notion de citoyenneté au travail et aux transformations de la grande entreprise en Amérique du Nord (I). Nous présentons ensuite le contexte économique et financier mouvementé qui a été celui d’Air Canada en 2008, aggravé par la coûteuse acquisition en 1999 de son rival d’alors, les Lignes aériennes Canadien, et lié à l’apparition des crises dans le transport aérien ayant marqué le début du XXIe siècle, notamment la crise sécuritaire découlant des attentats du 11 septembre 2001 (II). Une fois cet arrière-plan tracé, nous comprendrons mieux pourquoi la Grande Récession de 2008 a eu une telle incidence négative sur Air Canada, laquelle se remettait alors péniblement des événements précédents qui l’ont conduite à la quasi-faillite. Nous intéressant à l’effet de la récession sur la dynamique des relations de travail à Air Canada, nous examinons quels sont les choix stratégiques que la direction de l’entreprise a voulu imposer à ses salarié.e.s et à leurs organisations syndicales représentatives (III), comment celles-ci ont réagi en contexte de négociation collective, notamment par l’exercice de divers moyens de pression y compris le recours à la grève, et quel rôle tout à fait décisif a assumé alors le gouvernement fédéral (Parti conservateur de Stephen Harper) dans la mise au rencart de la liberté syndicale (IV). Nous compléterons cette étude en émettant quelques constats à portée davantage théorique, en particulier quant à l’évolution de la citoyenneté au travail et à la démocratie industrielle chez Air Canada, y compris au regard de la crise sanitaire subséquente découlant de la pandémie de 2020. L’étude des conséquences de la crise financière de 2008 sur les relations de travail chez Air Canada nous permet donc de mettre en lumière les liens entre économie, droit et politique ainsi que l’évolution de la citoyenneté au travail chez Air Canada.

I Cadre théorique

Deux éléments du cadre théorique mobilisé par nos recherches sur l’évolution des rapports de travail chez Air Canada doivent être ici mis en exergue, car nécessaires à la compréhension de la présente étude : premièrement, la notion de citoyenneté au travail et ses dimensions analytiques, au regard de son déclin affirmé par divers auteurs; deuxièmement, la sociologie de la grande entreprise en Amérique du Nord et de ses transformations successives (de l’entreprise managériale et intégrée à la firme financiarisée et fragmentée).

1 Un déclin de la citoyenneté au travail?

Rappelons la problématique générale qui fonde notre recherche sur la grande entreprise au Canada.Footnote 6 Nous partons du jugement pessimiste émis par Harry Arthurs, le grand théoricien et sociologue du droit du travail au Canada anglais, voulant que la citoyenneté industrielle au Canada soit entrée dans une phase de déclin irrémédiable qui remet en cause la pertinence même du droit du travail.Footnote 7 Pour sa part, notre recherche s’inscrit, à tout le moins en partie, dans le cadre d’une sociologie du droit du travail animée par le paradigme du pluralisme juridique.Footnote 8 Dans cette perspective, la grande entreprise est envisagée comme constituant un ordre juridique empirique, tout comme le sont les associations syndicales présentes en son sein et, à un autre niveau, les conventions collectives y régissant les rapports de travail.Footnote 9 Un tel ordre juridique empirique exige la présence d’une contrainte (disciplinaire, économique, éthique, judiciaire ou quasi-judiciaire, etc.) instituée et dotée (du point de vue des assujettis au « droit », étatique ou extra-étatique) d’un degré de légitimité en assurant l’effectivité.

Face au diagnostic posé par Harry Arthurs, nous émettons au départ l’hypothèse contraire voulant que la grande entreprise au Canada, tout comme les secteurs publics fédéral et provincial dont l’importance est considérablement plus élevée ici qu’aux États-Unis, demeurent des châteaux forts du syndicalisme et de la citoyenneté industrielle, qui assurent toujours, en dépit des transformations de l’économie, de la politique et du droit, une assise solide à la citoyenneté au travail.

Les études empiriques en cours visent à vérifier cette hypothèse, en analysant en profondeur l’évolution de certaines grandes entreprises au Canada, dont Air Canada. Par « citoyenneté au travail » nous entendons les règles et principes qui assurent, dans les faits, l’exercice de droits de citoyenneté aux salarié.e.s dans la sphère du travail, à l’instar de ceux qui sont conférés au citoyen dans la sphère politique. En nous inspirant de T. H. Marshall (1893-1981), nous distinguons entre les dimensions civiles, politiques et sociales de la citoyenneté au travail, laquelle trouve son expression la plus achevée dans le respect du caractère libre et volontaire de la négociation collective (avec pleine garantie du droit de grève) et dans l’octroi de droits étendus de participation aux travailleurs (codétermination, représentation en toute égalité au conseil de surveillance ou conseil d’administration).Footnote 10

Marshall, dans un texte publié en 1949, identifie trois dimensions de la citoyenneté qu’il qualifie de civile, politique et socialeFootnote 11. La dimension civile concerne les libertés classiques, telles la liberté d’expression, de religion et le droit de propriété. La dimension politique vise notamment la participation des citoyens au processus électoral, par élargissement progressif du droit de suffrage. Enfin, la dimension sociale traite du droit à l’éducation et des diverses prestations sociales versées par l’État. À chaque dimension de la citoyenneté correspondent des institutions spécifiques : ainsi, les tribunaux pour les droits civils, le Parlement et les institutions locales pour les droits politiques, et finalement, quant aux droits sociaux, les systèmes de l’éducation, de la santé et des services sociaux.

Soulignons que, dans une perspective critique, nous n’avons pas fait nôtre le triptyque de Marshall sans l’infléchir, en le détachant du seul contexte britannique, en en rejetant l’évolutionnisme manifeste et en précisant la nature purement idéal-typique de la classification.Footnote 12 Relevons par ailleurs que Marshall fait brièvement référence, dans son étude, à la notion de « citoyenneté industrielle » (industrial citizenship), laquelle remontait aux travaux de Beatrice et Sydney Webb et avait été reprise par divers auteurs.Footnote 13 Marshall reconnaît que ce type de citoyenneté a été développé par les syndicats ouvriers en contexte britannique, mais il n’y voit essentiellement qu’un phénomène passager, car il revient pour lui à l’État de garantir les droits sociaux des travailleurs.Footnote 14

Sur cet aspect nous divergeons également d’opinion avec Marshall. Du point de vue historique, la citoyenneté au travail repose à la fois sur l’autonomie collective (par l’entremise de la négociation collective, manifestation du droit extra-étatique) et sur l’intervention de l’État, souvent procédurale, parfois substantielle. Le tableau suivant, inspiré à la base par l’analyse de Marshall, illustre cette perspective:

2 De l’entreprise managériale et intégrée à la firme financiarisée et fragmentée

La sociologie du droit du travail doit impérativement tenir compte des transformations des entreprises à la faveur de l’évolution économique, politique, sociale et juridique, si elle espère parvenir à mettre en relation la dynamique, tant étatique qu’extra-étatique, du droit du travail, avec celle des autres forces sociales. Nous retenons ici deux notions qui attestent des transformations de l’entreprise et que nous empruntons à des spécialistes états-uniens de l’économie du travail et des relations industrielles : celles de la « fragmentation » (fissurization) de la grande entreprise (D. Weil), et celle de « choix stratégiques » (T. A. Kochan, H. C. Katz, R. B. Mckersie) qui sont ceux de ses gestionnaires contemporains. Ces deux notions se révèlent fort éclairantes dans le cas d’Air Canada.

Dans The Fissured Workplace,Footnote 15 David Weil, économiste du travail, analyse la transformation structurelle de la grande entreprise aux États-Unis, autrefois axée vers l’intégration achevée d’un ensemble d’activités économiques, maintenant soucieuse au contraire de ne maintenir à son emploi direct que le noyau essentiel des tâches, pour rejeter à l’extérieur de la firme tout ce qui lui est « périphérique » (entretien ménager, gardiennage, mais aussi – et plus étonnamment – service de la paye, relations avec la clientèle, livraison, production de composants, entretien lourd, etc.), ce qui lui permet de réduire ses coûts de transaction et aussi de limiter ou même d’éviter la syndicalisation. Cette évolution est largement dictée par la financiarisation de l’économie, laquelle, à la faveur notamment des politiques néolibérales apparues à la fin des années 1970, de la mondialisation de l’économie ouvrant de multiples « chances » de délocalisation et des changements technologiques autorisant des formes de plus en plus sophistiquées de contrôle des sous-traitants, a mis fin au mouvement de dissociation entre management et capital, souvent théorisé à l’époque antérieure comme montée irrésistible de la société postindustrielle et de la technocratie. En schématisant, soulignons que Weil démontre, à l’aide de très nombreux exemples empiriques, comment la direction des firmes est devenue très sensible aux pressions de ses actionnaires, en particulier des fonds à vocation spéculative, insistant sur le rendement financier à court terme. D’où une volonté de réduction des coûts, au prix de restructurations incessantes des grandes firmes, visant entre autres à recentrer l’entreprise sur ses seules fonctions essentielles. Air Canada, comme le montre l’exemple de l’entretien lourd de ses appareils, confié à un sous-traitant (Aveos) dans un premier temps, puis complètement délocalisé hors du Canada dans un second temps, fournit une illustration typique d’un tel phénomène de fragmentation au sens de Weil.

Pour leur part, Kochan, Katz et Mckersie, dans un ouvrage publié en 1994, mettaient l’accent sur les choix stratégiques de la grande entreprise comme élément décisif de réorganisation des rapports de travail aux États-Unis.Footnote 16 Kochan, Katz et McKersie entendaient ainsi rectifier la théorie des systèmes de relations industrielles, jusqu’alors dominante, de John T. Dunlop, jugée trop statique,Footnote 17 pour y incorporer l’élément plus dynamique de tels choix stratégiques. Dans cette perspective, la transformation du système de relations industrielles aux États-Unis dépendait de ces choix stratégiques des grandes entreprises, visant essentiellement à limiter la présence syndicale, notamment en ouvrant des succursales dans le sud du pays, souvent réfractaire à la syndicalisation, et en laissant dépérir les établissements syndiqués, pour justifier in fine leur fermeture.Footnote 18

2.1 Méthodologie

Du point de vue logique, nos recherches font appel, à partir d’analyses préliminaires, à la construction rationnelle de types idéaux, soit de portée généralisante (ainsi, la citoyenneté civile, politique, sociale), soit d’essence génétique (ainsi, l’entreprise intégrée par opposition à l’entreprise fragmentée). Un type idéal représente, suivant Max Weber, une utopie rationnelle : il prouve sa fécondité lorsqu’il autorise un va-et-vient constant entre la construction théorique et l’analyse empirique. Sur un plan plus technique, les méthodes de recherche sont variées, reposant sur l’analyse de contenu (rapports officiels, analyse détaillée des communiqués syndicaux et d’articles de journaux, recension des écrits scientifiques pertinents) et l’analyse sociojuridique (lois et règlements, décisions des tribunaux judiciaires et administratifs, dispositions des conventions collectives). Une série d’entrevues auprès d’acteurs clés chez Air Canada est aussi en cours – visant à permettre une triangulation des résultats – mais, étant en cours d’achèvement, elle ne peut être prise en compte dans la présente étude.Footnote 19

II Le contexte général

1 L’aviation civile considérée globalement

1.1 Importance économique du transport aérien

Pour mesurer les retombées économiques de l’aviation civile, on peut multiplier au moins par dix le nombre d’emplois qui dépendent, directement et indirectement, de l’activité d’un grand transporteur aérien. Par exemple, au Canada en 2011, suivant l’évaluation faite par le gouvernement fédéral, pour 26 000 salarié.e.s alors à l’emploi d’Air Canada, il fallait compter environ 250 000 emplois dépendant du maintien en activité du transporteur.Footnote 20 À l’échelle de la planète, suivant une étude réalisée pour le Bureau international du Travail (BIT) en 2009, le transport aérien réalise 7,5 % du produit intérieur brut (PIB) global, ce qui est évidemment considérable.Footnote 21

1.2 Vulnérabilité du secteur aérien aux cycles économiques

Or, le transport aérien demeure l’un des secteurs d’activité les plus vulnérables à l’influence des cycles économiques.Footnote 22 En effet, en cas de récession, les pertes sont immédiates (du fait de l’annulation des vols) et difficiles à compenser par la suite. En particulier, la catégorie de passagers la plus profitable (la classe d’affaires) est automatiquement la plus touchée et aussi la plus lente à revenir, ce qui a une incidence disproportionnée sur les revenus des transporteurs aériens.Footnote 23 Soulignons que, dans un tel contexte, le travail demeure le principal facteur en jeu, car c’est l’élément le plus important que les transporteurs contrôlent directement.Footnote 24 Le facteur « travail » représente en moyenne le tiers des coûts d’opération des grands transporteurs aériens en Amérique du Nord et en Europe.Footnote 25 Toute crise économique se répercute forcément sur les employés du secteur de l’aviation civile et se traduit fréquemment par des mises à pied et licenciements collectifs, des coupes salariales, le gel des avantages sociaux, etc. Enfin, la dérégulation et la libéralisation du transport aérien survenues dans les années 1980 ont accru d’autant, avec le développement de transporteurs à bas prix,Footnote 26 la concurrence dans l’aviation aérienne et la pression externe – dans le sens d’un contrôle serré des coûts de la main-d’œuvre – sur les transporteurs dit « classiques » (legacy transporters),Footnote 27 dont Air Canada. Il faudrait bien sûr faire ici certaines distinctions quant au cadre institutionnel ayant présidé à la dérégulation dans les pays anglo-saxons (du fait des politiques néolibérales) par opposition à l’Europe continentale (du fait de l’intégration européenne), en tenant compte du paradigme de la « variété des capitalismes » – vu des effets plus limités en France et en Allemagne par exemple.Footnote 28

2 Les retombées de la crise financière de 2008

Les retombées de la crise financière de 2008 furent plus grandes que l’effet de la crise sécuritaire de 2001 (le 11 septembre), les pertes de revenus se chiffrant en moyenne au double de celles subies à ce moment. Les types de réponses des entreprises (grands transporteurs) furent multiples et variés. Par exemple, aux États-Unis, les principales compagnies aériennes procédèrent à des licenciements collectifs de grande ampleur. Certains transporteurs imposèrent en outre une période de travail non rémunérée à leurs employé.e.s : il en fut ainsi pour un mois chez British Airways, avec une réduction, par la suite, de la rémunération, alors que le partage du temps de travail devait plutôt être favorisé chez Lufthansa. Chez Air France-KLM, il ne fut pas question de licenciements secs, mais plutôt de ne pas combler les postes vacants.Footnote 29

2.1 Chez Air Canada

La crise financière de 2008 va frapper Air Canada plus durement encore que d’autres transporteurs aériens, étant donné que l’entreprise se remet alors difficilement des événements qui ont conduit à sa quasi-faillite en 2003. Dans son rapport annuel de 2008, le transporteur traite de l’incidence de la crise sur la rentabilité de l’entreprise, en insistant notamment sur le fardeau représenté par les régimes de retraite.Footnote 30

Rappelons qu’en 1999, Air Canada avait réussi à acquérir son principal concurrent, les Lignes aériennes Canadien, alors en grande difficulté financière.Footnote 31 Toutefois, les coûts d’acquisition élevés laissent le transporteur vulnérable, lorsque surviennent les attentats du 11 septembre 2001.Footnote 32 En 2003, menacée de faillite, Air Canada doit se placer sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).Footnote 33 Le 1er avril 2003, la Cour supérieure de l’Ontario désigne la firme Ernst & Young pour agir comme contrôleur au sens de la loi.Footnote 34 La Cour met d’emblée les syndicats sur la défensive, en insistant sur la flexibilité et le compromis.Footnote 35

Les principaux syndicats représentant les quelques 20 000 salarié.e.s d’Air Canada, soit les membres de l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (AIMTA), des Travailleurs canadiens de l’auto (TCA, maintenant Unifor), du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et de l’Association des pilotes d’Air Canada (APAC) acceptent alors des compressions importantes de revenus et d’avantages sociaux totalisant plus de 1,3 milliard de dollars canadiens.Footnote 36 En particulier, question qui va rebondir lors des négociations subséquentes en 2011-2012, les syndicats doivent consentir, en sus d’encaisser 6 500 mises à pied, à une réduction des bénéfices découlant des régimes de retraite grâce à l’introduction de clauses de disparité de traitement, au détriment des employé.e.s embauché.e.s à partir de 2004 : tout en touchant une rémunération largement inférieure, ceux-ci sont dorénavant soumis, dans plusieurs cas, à des régimes à cotisations déterminées, beaucoup moins avantageux que les régimes à prestations déterminées.Footnote 37

En outre, en 2003, dans le contexte d’une restructuration globale de l’entreprise qui se traduit par une plus forte emprise des créanciers et des actionnaires sur sa gestion,Footnote 38 la division des services techniques d’Air Canada devient une société distincte (ACTS). Se conformant initialement aux exigences de la loi, Air Canada maintient en activité ses centres d’entretien et de révision dans le contexte d’ACTS.Footnote 39 Toutefois, le 22 juin 2007, Air Canada annonçait la vente d’ACTS à un consortium d’investisseurs externes, la nouvelle entité devenant en septembre 2008 Aveos Performance aéronautique inc. (Aveos). L’AIM risque alors de perdre plus du tiers de ses effectifs : le syndicat doit par conséquent se battre, pendant des années, sur deux fronts, soit celui des concessions salariales et autres exigées de l’ensemble de ses membres par l’employeur, et celui de la sous-traitance de l’entretien lourd qui met à mal une partie importante de son effectif. De fait, Air Canada met fin progressivement à l’octroi de contrats de sous-traitance à Aveos, pour délocaliser plutôt à l’étranger les activités liées à l’entretien lourd de ses appareils.Footnote 40

Enfin, la volonté de la direction d’Air Canada de mettre sur pied un transporteur low-cost (Air Canada Rouge) et d’y transférer une partie de sa main-d’œuvre en offrant des conditions de travail moindres, contribue également à détériorer le contexte de négociation du côté des syndicats impliqués.

III La négociation de 2011-2012 et ses enjeux

1 Vue d’ensemble

Nous allons nous en tenir pour l’essentiel aux négociations ayant concerné l’AIM, ce cas étant emblématique de la situation caractérisant les autres organisations syndicales lors de cette période. Notons qu’il s’agit aussi à ce moment, avec 8 000 membres, de la plus nombreuse unité syndicale dans l’entreprise.Footnote 41 À la suite de la crise financière de 2008 et de la chute boursière qui l’accompagne, l’enjeu central de la négociation concerne du point de vue de l’entreprise, nous l’avons mentionné, la révision à la baisse des coûts du régime de retraite de ses salarié.e.s. Air Canada voit en effet le coût du régime de retraite à prestations déterminées augmenter considérablement.Footnote 42 Elle exige de ses syndicats d’importantes concessions à ce sujet, sinon elle dit envisager de devoir à nouveau se mettre sous la protection de la loi sur la faillite.

Il faut rappeler ici l’historique des négociations collectives concernant l’AIM depuis le début des années 2000. En 2003, devant la menace de faillite de l’entreprise, la convention collective en vigueur, à la condition de concessions salariales et d’un gel des cotisations patronales au régime de retraite, fut prolongée jusqu’au 1er juillet 2009. À ce moment, suivant l’accord conclu entre les parties le 8 juin 2009, il ne pouvait être question que d’une négociation relative à d’éventuelles augmentations salariales, avec recours à l’arbitrage de différends en cas d’impasse.Footnote 43 De fait, un tel arbitrage eut lieu et l’arbitre, estimant que le retour à la profitabilité d’Air Canada n’était pas assuré, n’accorda que des augmentations salariales limitées. Pour le reste, à la suite de l’intervention de médiateurs nommés par les ministres fédéraux des Finances et du Travail, la convention collective fut de nouveau prolongée, sans modifications substantielles, jusqu’au 1er avril 2011. Le moratoire temporaire sur la capitalisation du régime de retraite fut également prolongé.Footnote 44

Les négociations collectives, de facto suspendues depuis 2003, reprirent entre l’AIM et Air Canada en 2011. Il faut considérer sommairement ici, du point de vue chronologique, la dynamique d’ensemble des négociations collectives concernant, outre les machinistes (AIM), le personnel au sol (les TCA), les agent.e.s de bord (SCFP) et les pilotes (APAC). Pour tous ces groupes d’employé.e.s, soit la majorité du personnel de l’entreprise, les négociations se déroulèrent dans un climat très tendu. Il est évident, en tenant compte des votes de grève et des moyens de pressions exercés, que les salarié.e.s estimaient avoir fait plus que leur part, pendant toutes ces années, pour soutenir financièrement le transporteur, et qu’ils et elles s’attendaient à une certaine amélioration de leurs conditions de travail et de retraite.

2 Les unités de négociation

2.1 Le personnel au sol (les TCA)

Constatant l’impasse des négociations collectives et insatisfait au plus haut point des concessions demandées par l’employeur en matière de régime de retraite, le Local 2002 des TCA (maintenant Unifor) transmettait un préavis de grève à l’employeur en juin 2011.Footnote 45 La grève fut d’une durée éphémère : alors qu’elle débutait, le gouvernement conservateur déposa un projet de loi spéciale mettant fin à la grève et imposant l’arbitrage obligatoire des différends.Footnote 46 L’arbitrage, suivant la technique des offres finales choisies globalement – cf. infra – aurait obligatoirement dû se fonder sur des critères d’emblée favorables à la position de l’employeur. Soucieux d’éviter d’être soumis à l’application d’une telle loi, les TCA retournèrent à la table de négociation, pour obtenir en fin de compte une entente jugée satisfaisante.Footnote 47

2.2 Les agent.e.s de bord (SCFP)

En septembre 2011, c’était au tour des agent.e.s de bord, membres du SCFP, de manifester leur mécontentement face à la position de l’employeur : un vote de grève fut pris, avec l’appui de 98 % des membres votants. La ministre fédérale du Travail invoqua à nouveau la menace d’une loi spéciale, ce qui incita le SCFP à consentir à ce que le différend soit soumis à l’arbitrage volontaire.

2.3 Les pilotes (APAC)

Les pilotes membres de l’APAC ayant majoritairement rejeté une offre de règlement formulée par l’employeur, Air Canada transmit un avis de lock-out imminent au syndicat.Footnote 48 À nouveau, le gouvernement conservateur réagit en déposant un projet de loi spéciale (projet de loi C-33) devant le Parlement : cette fois, la loi visant à la fois les machinistes et les pilotes fut adoptée en mars 2012.Footnote 49

2.4 Les machinistes (AIM)

Les négociations collectives débouchant sur une impasse, l’AIM faisait parvenir un avis de différend à la ministre fédérale du Travail le 6 décembre 2011. Le 21 décembre suivant, la ministre nommait la juge Louise Otis comme commissaire-conciliatrice au sens du Code canadien du travail. Footnote 50 Avec l’aide de la juge Otis, les parties en sont venues à une entente le 10 février 2012 : en vertu de cette entente dont la période de validité s’étendait d’avril 2011 à la fin mars 2015, le régime de retraite devait être dorénavant régi par des clauses de disparité de traitement, prévoyant l’introduction d’un régime à cotisations (et non plus à prestations) déterminées pour les nouveaux employé.e.s. D’autres concessions étaient aussi imposées à l’ensemble du personnel, assorties toutefois de modestes augmentations salariales.

Cependant, le 22 février 2012, l’AIM révélait que ses membres, dans une proportion de 65 %, avait voté pour le rejet de cette entente puis, à hauteur de 78 %, en faveur du déclenchement d’un arrêt de travail le 13 mars 2012. Dès le 8 mars, la ministre du Travail s’adressa par requête au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), lui demandant de s’assurer que l’arrêt de travail ne porte pas atteinte à la santé et à la sécurité du public. Or, sans attendre la décision du CCRI, la ministre du Travail déposait le 12 mars le projet de loi C-33 susmentionné, visant à la fois les machinistes et les pilotes à l’emploi d’Air Canada. La Loi sur la protection des services aériens Footnote 51 fut adoptée par la Chambre des communes le 14 mars et entra en vigueur le 16 mars 2012. La nouvelle loi spéciale ne passa pas toutefois comme lettre à la poste, comme nous allons le voir dans la section suivante.

IV Grèves et lois spéciales

1 Grèves légales

Si l’on considère les quatre grands syndicats présents chez Air Canada, nous constatons un rejet majoritaire des ententes de principe conclues sous la pression de l’autorité étatique fédérale (au moyen de la conciliation-médiation ou autrement) ainsi que le vote, très majoritaire également, en faveur du recours à la grève. Ces choix démocratiques des salarié.e.s, intervenus à la suite d’une décennie de fortes concessions salariales et monétaires et pleinement conformes au cadre juridique tracé par le Code canadien du travail, se voient éradiqués par l’intervention directe du gouvernement fédéral, par dépôt de projets de lois spéciales ou, dans le cas du projet de loi C-33, par leur adoption et entrée en vigueur.

2 Moyens de pression dits illégaux

Le mécontentement des salarié.e.s atteint son paroxysme en mars 2012, alors que des débrayages dits illégaux, non organisés par les directions syndicales, surviennent chez les membres de plusieurs des syndicats concernés.Footnote 52 Air Canada réagit en procédant à des mesures disciplinaires, incluant des congédiements, et en sollicitant des ordonnances de retour au travail, de la part des arbitres de griefs et du CCRI. Face à un mouvement de la base qui leur échappe, les organisations syndicales ont fort à faire pour convaincre leurs membres de respecter les ordonnances et, dans le cas des pilotes et des machinistes, de se conformer à la loi spéciale, au risque sinon d’encourir les lourdes pénalités prévues par la Loi sur la protection des services aériens Footnote 53.

3 Contenu de la Loi spéciale

La Loi adoptée par le parlement fédéral en mars 2012 était d’une facture similaire au projet de loi C-5 de juin 2011 visant les agent.e.s de bord. Elle obligeait les salarié.e.s concerné.e.s à reprendre sans délai le travail et les organisations syndicales à s’assurer du respect de la loi par leurs membres, sous peine de très lourdes amendes en cas de contravention. En outre, la loi imposait l’arbitrage obligatoire des différends quant à tout sujet faisant l’objet d’une impasse entre les parties. Qui plus est, ce mécanisme d’arbitrage obligatoire favorisait nettement l’employeur. En effet, non seulement la nomination de l’arbitre relevait de la seule prérogative de la ministre du Travail, sans obligation d’une consultation préalable des parties, mais la formule (l’arbitrage global des offres finales) et les critères de l’arbitrage (notamment, la viabilité économique de l’entreprise et sa compétitivité) étaient conçus de manière à prédéterminer une sentence arbitrale favorable à Air Canada. En atteste la sentence arbitrale rendue par la suite par l’arbitre Michel Picher, lequel opta de fait, en soulignant que les dispositions de la loi spéciale limitaient sa marge de manœuvre, pour la position patronale, au détriment des demandes défendues par l’AIM.Footnote 54

4 Contestations juridiques

Tant les machinistes que les pilotes soulevèrent l’inconstitutionnalité de la loi spéciale devant la Cour supérieure de l’Ontario, au regard de l’article 2d) (liberté d’association) de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans le contexte peu favorable à un élargissement des libertés syndicales qui était alors celui de l’arrêt Fraser de la Cour suprême du Canada,Footnote 55 ce recours fut par la suite abandonné. Par contre, l’AIM eut gain de cause devant le Comité de la liberté syndicale (CLS) du BIT en octobre 2013. Le CLS, dans sa décision (cas no 2983), jugea la loi spéciale de mars 2012 incompatible, sous plusieurs aspects, avec les Conventions no 87 et no 98 de l’Organisation internationale du travail (OIT),Footnote 56 notamment quant à l’interdiction du droit de grève dans des services non essentiels, l’atteinte au principe des négociations libres et volontaires, l’imposition d’un arbitrage obligatoire avec facteurs prédéterminés en faveur de la position patronale, le tout accompagné de sanctions disproportionnées en cas de contravention à la loi.Footnote 57 Comme à son habitude, le gouvernement fédéral n’a tenu aucun compte de cette décision du CLS, ayant juridiquement valeur de simple recommandation en droit international.

V Synthèse

1 Un déclin de la citoyenneté au travail

À la lumière des constats précédents, il est certain – nous rejoignons ici le propos plus général d’Harry ArthursFootnote 58 – que depuis le début du XXIe siècle, on constate un déclin de la citoyenneté industrielle chez Air Canada. Ce déclin a été accéléré par les crises successives qui marquent le début du siècle : crise sécuritaire (le 9/11), financière (la Grande récession de 2008-2009), enfin sanitaire (la COVID-19) depuis mars 2020. Toutes ces crises ont frappé durement le transport aérien en général et Air Canada en particulier, qui est passée à deux reprises près de faire faillite. Mais les conséquences des crises successives frappant l’industrie du transport aérien s’inscrivent chez Air Canada dans un contexte global de transformation et de dérégulation de l’économie, dans le sens de sa financiarisation, de l’accent mis sur les intérêts à court terme des actionnaires, et son corollaire, la fragmentation de l’entreprise. Ces tendances de fond ne sont nullement favorables au maintien et à l’épanouissement des droits de citoyenneté des salarié.e.s. Qui plus est, lorsque le politique intervient, c’est généralement pour appuyer les choix stratégiques de la direction d’Air Canada, au détriment des intérêts des salarié.e.s. Le dépôt des lois spéciales de retour au travail en 2011 et 2012 en constitue une illustration flagrante. On se tromperait lourdement en associant ces initiatives gouvernementales à la seule présence au pouvoir ces années-là du Parti conservateur, notoirement peu favorable aux syndiqués. Les Libéraux, depuis leur retour au pouvoir en novembre 2015, ne se sont en effet pas privés de recourir à des lois spéciales pour mettre fin à des grèves dans des secteurs non essentiels au sens du droit international du travail, par exemple dans le secteur du rail ou du débardage (port de Montréal).Footnote 59 Rien ne permet de supposer que leur attitude aurait été différente face à un conflit chez Air Canada.

2 Résistance des salarié.e.s

Dans tout ce contexte économique et politique, conjoncturel et structurel, défavorable au maintien d’une citoyenneté au travail robuste chez Air Canada, il faut d’autant souligner la résilience des employé.e.s et des organisations syndicales présentes chez ce transporteur. Les employé.e.s et leurs organisations représentatives ont défendu avec vigueur les droits découlant des conventions collectives, tout en tenant compte bien évidemment d’un contexte global très difficile pour tous les transporteurs aériens. La résistance de la base syndicale, rejetant des ententes de principe jugées trop favorables à l’employeur, optant très majoritairement pour l’exercice du droit de grève et entreprenant in fine certains mouvements de protestation considérés illégaux au Canada, a certainement contribué à faire réfléchir la direction d’Air Canada et à raffermir la combativité de directions syndicales aux prises avec des choix très difficiles. Le tableau 2 permet de visualiser, à l’aide des catégories identifiées en début de texte (voir le Tableau 1), l’état de la citoyenneté au travail chez Air Canada dans la foulée de la crise financière de 2008:

Tableau 1. Idéal-types de la citoyenneté au travail (« citoyenneté industrielle »)

Tableau 2. La citoyenneté au travail chez Air Canada (2008-2012)

3 Les transformations de la constitution du travail

À cette résistance vigoureuse des salarié.e.s, il faut ajouter les transformations en cours de la constitution du travail au Canada. La notion est entendue en un sens proprement sociologique (et non juridique) et trouve son origine (sous le terme d’Arbeitsverfassung) notamment dans les travaux de Max Weber et de Hugo SinzheimerFootnote 60. Par Arbeitsverfassung, il faut entendre les principes, règles, pratiques, représentations et valeurs qui fondent l’organisation des rapports de travail dans un contexte déterminé, que ces éléments soient d’ordre économique, technique, éthique, juridique, etc. L’une des composantes de cette constitution du travail, assurément traversée de tendances antinomiques, est certes d’ordre juridique, et comprend notamment le droit des rapports collectifs du travail, considéré sous l’angle de son effectivité empirique. Avec le revirement de la Cour suprême du Canada en 2007 (négociation collective) et en 2015 (droit de grève), adossé largement sur les conventions internationales de l’OIT relatives à la liberté syndicale, sont fournis les germes d’une transformation en profondeur de la constitution du travail, dans un sens plus favorable à la citoyenneté industrielle. À la lumière de décisions récentes des tribunaux, il est peu probable que la loi spéciale de 2012, évaluée à l’aune du droit positif actuel, ait été jugée constitutionnelle.Footnote 61 Même si notre droit constitutionnel présente de nombreuses failles,Footnote 62 ce resserrement des règles du jeu revêt à note avis un caractère fondamental pour qui espère une refondation de la citoyenneté au travail au Canada. Encore faut-il, avant d’affirmer la présence sur le plan empirique d’une nouvelle constitution du travail, considérer les choses globalement, en tenant compte de l’ensemble des éléments susmentionnés, lesquels sont encore loin d’attester d’une telle transformation.

Conclusion

Sur la base d’une étude interdisciplinaire sollicitant les apports du droit, des relations industrielles et de la sociologie, nous avons analysé les stratégies mises en œuvre par Air Canada pour atténuer les effets très importants de la crise financière de 2008 sur le transport aérien. Ces stratégies ont visé en priorité la réduction des engagements pris par Air Canada envers ses salarié.e.s, à l’image des choix stratégiques effectués ces dernières décennies par la grande entreprise en Amérique du Nord et dont rend compte de manière détaillée, entre autres, David Weil dans The Fissured Workplace. Footnote 63 Il en est résulté, suivant les constats dont nous faisons état dans notre texte, une nette dégradation des conditions de travail chez Air Canada, ce qu’on peut décrire, du point de vue idéal typique, comme un affaiblissement de la citoyenneté au travail. Aux choix stratégiques de l’entreprise s’est surajoutée l’intervention étatique (au premier chef celle du gouvernement fédéral), venant constamment appuyer l’entreprise dans sa lutte contre ses propres employé.e.s, y compris par le dépôt ou l’adoption de lois spéciales. Doit-on pour autant conclure à un déclin irrémédiable de la citoyenneté au travail chez ce transporteur? Non, à notre avis, en ce sens que la mobilisation syndicale lors des négociations syndicales subséquentes à la crise de 2008 et la présence de conventions collectives robustes a permis de contrecarrer, dans une certaine mesure, les stratégies d’Air Canada favorisant les intérêts à court terme de ses actionnaires.Footnote 64 En outre, la mobilisation du droit, au regard notamment de la constitutionnalisation du droit du travail, c’est-à-dire de la garantie constitutionnelle de la négociation collective et du droit de grève, pourrait restreindre à l’avenir les possibilités d’action de l’État fédéral s’exerçant au détriment des intérêts des employé.e.s d’Air Canada.

Footnotes

Les auteur.e.s soulignent l’appui financier du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) à la réalisation de la présente étude. Remerciements également à madame Sarah Le-Côté (candidate à la maîtrise en relations industrielles, Université de Montréal) pour sa contribution à la recherche documentaire.

References

1 Voir Michel Coutu et Julie Bourgault, « Air Canada, l’impartition de l’entretien et le déclin de la citoyenneté au travail dans la grande entreprise : un regard sociojuridique », Les Cahiers de droit 61, no 3 (2020) : 621-46. Une troisième étude traite de l’impact de la COVID-19 (2020-2023) sur le transport aérien : Michel Coutu et Julie Bourgault, « Les relations de travail dans le transport aérien et la crise sanitaire : Air Canada et autres grands transporteurs », Revue interdisciplinaire d’études juridiques 90, no 1 (2023) : 43-79. Nous y faisons brièvement référence en conclusion.

2 Ce concept auquel se réfère le CRIMT dans ses grands travaux de recherche financés par le CRSH vise les choix stratégiques effectués par les acteurs au sein d’un champ institutionnel déterminé. La notion « d’expérimentation » qualifie à cet égard la mobilisation d’une rationalité du type moyens-fin (rationalité en finalité) dans un cadre toutefois mouvant et fluide, dont les résultats sont ainsi susceptibles d’être infléchis par le paradoxe des conséquences et autres manifestations de l’irrationalité de l’action. Sur les types de rationalité de l’action, cf. Michel Coutu, Max Weber et les rationalités du droit (Paris/Québec, Librairie générale de droit et de jurisprudence/Presses de l’université Laval, 1995), 28 et s.

3 Air Canada, « Survol – Air Canada », révision juin 2023, en ligne : https://www.aircanada.com/ca/fr/aco/home/about/corporate-profile.html#/ (page consultée le 17 juillet 2023); https://www.unifor2002.org/News-Room/Négociations de 2011 avec Air Canada/Bulletin-de-la-section-locale-2002 (page consultée en août 2022).

4 Cf. Tae Hoon Oum, W. T. Stanbury et Michael W. Tretheway, « Airline Deregulation in Canada and its Economic Effects », Transportation Journal 30, no 4 (1991) : 4-22. Des compagnies aériennes privées existaient avant la fondation de TCA (ancien nom d’Air Canada), lesquelles ont été réunies en 1942 au sein de CP Airlines, propriété du Canadien Pacifique, alors seconde société de transport ferroviaire au Canada.

5 Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, LRC 1985, c 35 (4e supp.) (ci-après « LPPCAC »).

6 Cette recherche est réalisée par le groupe de recherche sur la grande entreprise au Canada formé au sein du CRIMT et subventionné par le CRSH. Ce groupe de recherche rassemble une dizaine de chercheur.euses, juristes du travail et spécialistes des relations industrielles, en provenance de l’Université de Montréal, de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et à Trois-Rivières (UQTR), et de l’Université Laval. Parmi les grandes entreprises étudiées, mentionnons, outre Air Canada, Rio Tinto Alcan, Québécor Média, Bombardier et les Caisses populaires Desjardins.

7 Harry W. Arthurs, « The New Economy and the New Legality: Industrial Citizenship and the Future of Labour Arbitration », Canadian Labour & Employment Law Journal 7 (1999) : 45-63. Citons Arthurs pour mieux comprendre sa position désenchantée: « I once had a very optimistic—some would say naïve—view of labour arbitration. I saw it as a central pillar of what I called “industrial citizenship”—an employment-related system of entitlements which would protect workers against arbitrary treatment by their employer and against the vicissitudes of the economy, old age and illness. Labour arbitration would provide, I thought, the expert and accessible forum in which the entitlements of industrial citizenship could be enforced; and in doing so, arbitration would bring the rule of law to the shop floor and the rule of justice to relations of unequal power » (46). Hélas, reconnaît l’auteur : « My theory of industrial citizenship is defunct; it has been restructured, downsized and outsourced: no industrial citizenship; no lions and lambs; no golden age of labour arbitration. Some would say that the fault lies in my youthful, romantic view of arbitration, and there is some truth in that. But mostly, I am going to argue, my quite reasonable expectations were confounded by the New Economy and the New Legality » (47).

8 La notion de pluralisme juridique est évidemment polysémique et en soi n’indique guère plus que le fait de se référer au « monisme » ou au « dualisme » juridiques. On peut l’entendre dans une perspective systémique ou actionnaliste, voire même individualiste, et l’ériger aussi en une norme d’évaluation, à la manière de la philosophie du droit. Nous utilisons pour notre part le concept d’un point de vue strictement sociologique : voir Michel Coutu, Max Weber’s Interpretive Sociology of Law (Londres : Routledge, 2018), 214 et s.

9 Sur la distinction entre ordre juridique empirique et normatif, cf. Max Weber, Rudolf Stammler et le matérialisme historique, trad. Michel Coutu et Dominique Leydet, avec la collaboration de Guy Rocher et Elke Winter (Québec/Paris : Les Presses de l’Université Laval (collection « Pensée allemande et européenne » / Les Éditions du Cerf (coll. « Passages »), 2001), 142 et s.

10 Précisons quant à l’idéaltype : Même en Allemagne où, de tous les grands pays démocratiques industrialisés, les droits de participation des salarié.e.s à la direction des sociétés sont les plus étendus, cette condition d’une réalisation en pleine égalité de leur représentation au conseil de surveillance n’est effective que dans le secteur des mines et de la métallurgie. Certes, dans les grandes entreprises allemandes (2000 salarié.e.s et plus) le conseil de surveillance compte en principe pour moitié des représentant.e.s des employé.e.s; toutefois, ce sont les représentant.e.s des actionnaires qui désignent le président du conseil, ce qui donne l’avantage d’une voix au côté patronal. Voir Wolfgang Däubler, « Le système allemand de participation des travailleurs au niveau de l’entreprise », Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 3 (2018) : 71 et s.

11 Thomas H. Marshall, Citizenship and Social Class and other Essays (New York : Cambridge University Press, 1950), 1-85.

12 Voir Michel Coutu, « Introduction : Droits fondamentaux et citoyenneté », dans Droits fondamentaux et citoyenneté (Montréal : Éditions Thémis, 1999), 1-20, à la page 4 et s.; Michel Coutu, « Industrial Citizenship, Human Rights and the Transformation of Labour Law: A Critical Assessment of Harry Arthurs’ Legalization Thesis », Canadian Journal of Law and Society/Revue canadienne Droit et Société 19 (2004) : 73; Michel Coutu, « Crise de l’État social, droits fondamentaux et citoyenneté au travail », dans Travail et citoyenneté. Quel avenir?, dir. M. Coutu et Gregor Murray (Québec : Presses de l’Université Laval, 2010), 169. Sur la méthode idéal-typique chez Max Weber, voir notre étude : Max Weber’s Interpretive Sociology of Law (Londres : Routledge, 2018). En tout premier lieu, voir Max Weber, Essais sur la théorie de la science, trad. J. Freund (Paris : Plon, 1966), 171 et s.

13 Cf. Beatrice et Sydney Webb, Industrial Democracy (Longmans, Green & Co., 1919). L’expression apparaît au passage chez John R. Commons, The Economics of Collective Action (New York : Macmillan, 1950), 130 (« citizens of the industry »). Voir également les travaux de Hugo Sinzheimer, le fondateur de la théorie du droit collectif du travail en Europe, lequel se réfère souvent à la notion voisine de citoyenneté économique : par exemple, Hugo Sinzheimer, « Die Krisis des Arbeitsrechts », dans Arbeitsrecht und Rechtssoziologie. Gesammelte Aufsätze und Reden, vol. 1, dir. Otto Kahn-Freund et Thilo Ramm (Francfort : Europäische Verlagsanstalt, 1976), 135, à la page 140. Voir également Hugo Sinzheimer, « Die Demokratisierung des Arbeitsverhältnisses », dans Arbeitsrecht und Rechtssoziologie, 115-134.

14 Marshall, Citizenship and Social Class, 97 et s.

15 David Weil, The Fissured Workplace: Why Work Became So Bad for So Many and What Can Be Done to Improve It (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 2014).

16 Thomas A. Kochan, Harry Charles Katz et Robert B. Mckersie, The Transformation of American Industrial Relations (Cornell University Press, 1994).

17 Cf. John T. Dunlop, Industrial Relations Systems (Carbondale : Southern Illinois University Press, 1958). Sur Dunlop, en français, voir Arnaud Mias, John T. Dunlop « Industrial Relations Systems » : les règles au cœur des relations de travail (Paris : Ellipses, coll. « Lire », 2012).

18 Notre rapport à l’ouvrage de Kochan, Katz et Mckersie se veut critique, en ce sens que, tout en mettant en relief des faits indiscutables, les auteurs font peu de place à l’intervention de la politique et du droit, laquelle joue à notre avis un rôle manifeste dans l’enchaînement causal ayant mené à ces transformations. Par ailleurs, la notion même de « choix stratégique » doit être soumise à la critique, car elle parait faire la part trop belle à la rationalité instrumentale comme modalité centrale de l’action sociale, tout en étant peu sensible aux tensions entre rationalités traversant tout champ d’activité. Soulignons par ailleurs que la notion de « système » est ici réduite à sa plus simple expression, celle d’une vague distinction entre système et environnement : les auteurs font l’économie d’un dialogue avec la théorie générale des systèmes sociaux, que ce soit celle des systèmes ouverts (Parsons) ou autoréférentiels (Luhmann), ce qui aurait pu ouvrir des perspectives théoriques intéressantes. Voir : Talcott Parsons, The Social System (Londres : Routledge & Kegan Paul, 1951); Niklas Luhman, Social Systems, trad. John Bednarz et Dirk Baecker (Stanford : Stanford University Press, 1995).

19 Ces entrevues sont menées, au sein de l’équipe, par nos collègues Mélanie Dufour-Poirier (relations industrielles, UdeM) et Jean-Paul Dautel (relations industrielles, UQO). Ces entrevues sont complétées par l’administration d’un questionnaire très détaillé (plus d’un millier de participant.e.s parmi les personnels d’Air Canada).

20 Voir Association internationale des machinistes (AIMTA) c Gouvernement du Canada, cas no 2983, 370e Rapport du Comité de la liberté syndicale du BIT, Genève, OIT, octobre 2013, para 273.

21 Geraint Harvey et Peter Turnbull, The Impact of the Financial Crisis on Labour in the Civil Aviation Industry (Genève : Organisation internationale du Travail, 2019), 1-29.

22 Ibid.

23 Voir Brian Pearce, « The State of Air Transport Markets and the Airline Industry after The Great Recession », Journal of Air Transport Management 21 (2012) : 3-9, à la page 5.

24 Harvey et Turnbull, Impact of the Financial Crisis, 4 (n. 21).

25 Ibid. Voir Air Canada, Rapport annuel 2006 (Montréal, 2007), 59, où sont émises certaines appréhensions quant aux négociations collectives à venir.

26 Ibid., 64.

27 Ibid., 5 et s.

28 Cf. Peter Hall et David Soskice, « An Introduction to the Varieties of Capitalism », dans Varieties of Capitalism. The Institutional Foundations of Comparative Advantage, dir. Peter Hall et David Soskice (Oxford : Oxford University Press, 2001), 1-68; pour un essai d’application du paradigme des diversités du capitalisme au secteur du transport aérien, voir Mark Lehrer, « Macro-Varieties of Capitalism and Micro-Varieties of Strategic Management in the European Airlines », dans ibid, 361-86. L’auteur montre comment l’intégration européenne a forcé la France et l’Allemagne à ouvrir le secteur aérien à la concurrence et à privatiser, en tout ou en partie, leur transporteur national (Air France et Lufthansa). Cependant, l’adhésion à un modèle distinct de capitalisme (par opposition au modèle libéral anglo-saxon) se rapprochant, à des degrés divers, de l’idéaltype du « capitalisme coordonné » a fortement limité l’incidence de cette libéralisation du transport aérien. Soulignons que pour les tenants du paradigme des variétés du capitalisme, c’est l’Allemagne qui se rapproche au plus près de ce dernier type idéal, vu le degré élevé de la coordination économique reposant sur de fortes associations syndicales et patronales, le principe de codétermination, et le rôle de l’État favorisant l’autonomie collective. Le cas de la France serait différent : en l’absence de telles fortes associations patronales et syndicales, la coordination économique serait assurée, à un moindre degré, par la régulation étatique agissant comme mécanisme compensatoire, rendue possible par la circulation des élites, issues des grandes Écoles, entre la haute fonction publique et la direction des grandes entreprises privées. Pour une évaluation subséquente des critiques adressées au paradigme des variétés du capitalisme, voir Bob Hancké, Martin Rhodes et Mark Thatcher, « An Introduction : Beyond Varieties of Capitalism », dans Beyond Varieties of Capitalism. Conflict, Contradictions and Complementarities in the European Economy, dir. Bob Hancké, Martin Rhodes et Mark Thatcher (Oxford : Oxford University Press, 2007), 3-38. Quant aux relations industrielles en général, voir Kathleen Thelen, « Varieties of Labor Politics in the Developed Democracies », dans Varieties of Capitalism, 71-103.

29 Voir Harvey et Turnbull, Impact of the Financial Crisis on Labour, x (n. 21).

30 Air Canada, Rapport annuel 2008 (Montréal, 2009), 10.

31 Pour un aperçu de l’histoire d’Air Canada au regard notamment de sa privatisation en 1988, voir Coutu et Bourgault, « Air Canada, l’impartition de l’entretien », 630 et s (n. 1).

32 À l’impact économique des attentats du 11 septembre 2001 s’ajoutent les coûts d’acquisition élevés de Lignes aériennes Canadian. La dette d’Air Canada s’élève alors à plus de 13 milliards de dollars canadiens. Voir Andrew Stevens et Doug Nesbitt, « An Era of Wildcats and Sick-outs in Canada? The Continued Decline of Industrial Pluralism and the Case of Air Canada », Labor Studies Journal 39, no 2 (2014) : 118-139, à la page 125.

33 Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C-36 (ci-après « LACC »).

34 Air Canada (Re), 2003 CanLII 41831 (ON SC).

35 Ibid, para 6. Air Canada s’est affranchie de la protection de la LAAC le 30 septembre 2004 (voir Air Canada, Rapport annuel 2006, 6).

36 Stevens et Nesbitt, « An Era of Wildcats and Sick-outs in Canada? », 125.

37 Notons par ailleurs qu’Air Canada obtint de l’organisme gouvernemental responsable un assouplissement des règles régissant la capitalisation des régimes de retraite de ses employé.e.s (Air Canada, Rapport annuel 2006, 62).

38 La financiarisation de l’entreprise caractérise également, outre Air Canada, plusieurs grands transporteurs aériens. Voir Andrew Stevens et Andrew Templeton, « Collective Action and Labour Militancy Interrupted: Back-to-work Legislation and The State of Permanent Exceptionalism at Air Canada », Economic and Industrial Democracy 41, no 1 (2020) : 6, 12.

39 Mc Mullen c Air Canada, 2018 QCCS 2020, para 8.

40 Voir Air Canada, Rapport annuel 2012 (Montréal, 2013), 10.

41 Présentement, c’est le SCFP (agent.e.s de bord) qui compte les effectifs les plus nombreux.

42 Voir Air Canada, Rapport annuel 2008, 49.

43 Entente entre Air Canada et l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale AIMTA), 8 juin 2009.

44 Cf. le Règlement sur la capitalisation des régimes de pension d’Air Canada, (2014) (DORS/2013-244) adopté en juillet 2009, modifié en 2014.

45 Déjà en 2009, les membres du Local 2002 des TCA avaient rejeté une entente intervenue entre la direction du syndicat et Air Canada. Cf. Air Canada, Rapport annuel 2008, 16.

46 Projet de loi C-5, Loi prévoyant la reprise et le maintien des services aériens, 1re session, 41e législature (Canada), le 16 juin 2011 (notons que cette loi ne fut jamais adoptée).

47 Voir le bilan de la négociation tracée par le syndicat local affilié au TCA : « Négociations de 2011 avec Air Canada », le 30 juin 2011, https://www.unifor2002.org/News-Room/Négociations de 2011 avec Air Canada /Bulletin-de-la-section-locale-2002 (page consultée en août 2022).

48 Stevens et Templeton, « Collective Action and Labour Militancy Interrupted », 13 (n. 38). Voir aussi les précisions contenues dans Air Canada Pilots Association v Air Canada, 2014 ONSC 6133, para 18 et s. Cf. également : APAC, « Vote Shows Air Canada Pilots United for Negotiated Contract », communiqué du 14 février 2012, https://acpa.ca/newsroom/acpa-media-releases/vote-shows-air-canada-pilots-united-for-negotiated.aspx (page consultée en août 2022).

49 Loi sur la protection des services aériens, LC 2012, ch 2.

50 LRC (1985), ch L-2.

51 LC 2012, ch 2.

52 Voir Air Canada, Rapport annuel 2012, 19.

53 Précitée (n. 49).

54 Voir Air Canada v International Association of Machinists and Aerospace Workers, Arbitration by Final Offer Selection Pursuant to An Act to Provide for the Continuation and Resumption of Air Service Operations, 15 mars 2012 (Michel G. Picher, arbitre). La convention collective réputée en vigueur du 1er avril 2011 au 31 mars 2016 se conforme à cette sentence arbitrale, ainsi qu’à la loi spéciale de mars 2012. Cf. Convention collective entre Air Canada et l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (AIMTA), section locale 140, le 1er avril 2011. Quant à l’introduction ou au maintien de clauses de disparité de traitement en matière de retraite, voir Air Canada, Rapport annuel 2012, 10, 48 et s.

55 Ontario (Procureur général) c Fraser, 2011 CSC 20 (CanLII), [2011] 2 RCS 3. Cet arrêt a généralement été accueilli avec scepticisme par les spécialistes du droit du travail. Pour une réévaluation récente, voir cependant Bethany Hastie, « (Re)Discovering the Promise of Fraser? Labour Pluralism and Freedom of Association », McGill Law Journal 66, no 3 (2021) : 427.

56 Voir Association internationale des machinistes (AIMTA) c Gouvernement du Canada, cas no 2983, 370e Rapport du Comité de la liberté syndicale du BIT, octobre 2013, para 227-92.

57 L’AIMTA invoquait « que la loi nie expressément la liberté d’association et le droit de négociation collective en imposant la prorogation de conventions collectives, en interdisant des grèves par ailleurs légales, en imposant le recours à l’arbitrage des offres finales, en exigeant que l’arbitrage soit fondé sur des critères législatifs prédéterminés, en forçant les syndicats à acquitter les frais d’arbitrage obligatoire et en imposant des sanctions punitives à l’AIMTA (et à l’APAC) et à leurs représentants pour non-respect de la loi » (ibid., para 231).

58 Sans toutefois que nous puissions parler d’un déclin irrémédiable et tout en constatant l’existence de forts contre-pouvoirs au sein de l’entreprise issus de l’autonomie collective des salarié.e.s et se traduisant, entre autres, par l’existence de conventions collectives robustes.

59 Voir ainsi : Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal, LC 2021, c 6.

60 Voir à ce sujet : Michel Coutu, « Max Weber and the Labour Constitution », Max Weber Studies 1 (2024) : 129-54.; Michel Coutu, « La constitution du travail : à-propos d’un concept wébérien méconnu », L’Année sociologique, 71, no 1 (2021) : 103-26; Michel Coutu, « Qu’est-ce que la constitution du travail? », dans Les relations industrielles en question, dir. Patrice Jalette (Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2020), 251-63.

61 Pour un relevé de telles lois spéciales en contexte québécois : Renée-Claude Drouin et Gilles Trudeau, « Les lois spéciales de retour au travail : enjeux institutionnels et constitutionnels », McGill Law Journal / Revue de droit de McGill 61, no 2, (2015) : 387-444.

62 Mentionnons entre autres : l’absence d’un contrôle a priori des normes et l’extrême réticence des tribunaux à mettre en échec une loi au stade interlocutoire, pour motif d’inconstitutionnalité appréhendée, même dans les cas les plus flagrants; l’octroi au compte-goutte des permissions d’appel par la Cour suprême du Canada, leur rejet quasi-systématique en matière de travail ne s’accompagnant, en ce domaine comme en tout autre, d’aucune justification; la possibilité d’un recours aux dispositions de dérogation des chartes des droits par le législateur provincial ou fédéral, soumise à ce jour à un contrôle purement formel.

63 Weil, The Fissured Workplace (n. 15).

64 Notre étude sur Air Canada et la pandémie de 2020–2023 (COVID-19) vient confirmer ce constat: Coutu et Bourgault, « Les relations de travail dans le transport aérien et la crise sanitaire (n. 1). Si la sphère politique, encore une fois, a largement favorisé la direction du transporteur au détriment des intérêts de son personnel, les conventions collectives en vigueur ont limité, en dépit de la situation de force majeure, certains effets négatifs, en empêchant par exemple l’entreprise de procéder à des licenciements secs (sauf quant aux employé.e.s sans ancienneté), l’employeur devant ainsi s’en tenir à des mises à pied avec droit de rappel.

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Tableau 1. Idéal-types de la citoyenneté au travail (« citoyenneté industrielle »)

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Tableau 2. La citoyenneté au travail chez Air Canada (2008-2012)