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Un curieux emploi de la négation en français canadien

Published online by Cambridge University Press:  27 June 2016

James E. La Follette
Affiliation:
Georgetown University
Roch Valin
Affiliation:
Université Laval
en collaboration avec
Affiliation:
Georgetown University

Extract

Le Français commun dit régulièrement, comme chacun sait, C’est le plus beau blé qu’il yAITsur le marché, construisant au subjonctif le verbe de la proposition subordonnée. Un trait du parler populaire de la région de Québec — observé aussi ailleurs au Canada français — consiste à substituer ici au subjonctif, lorsque le verbe est un verbe d’existence, un indicatif accompagné de la négation (réduite à pas) et à dire: C’est le plus beau blé qu’il y A PAS sur le marché.

Cet emploi en apparence aberrant de la négation est-il une innovation du français canadien ou représente-t-il, au contraire, l’usage ancien d’un des divers parlers régionaux français apportés en Nouvelle-France aux XVIIe et XVIIIe siècles? Ce n’est pas notre intention d’éclairer ce point d’histoire. Notre propos est tout différent. Prenant acte des deux usages observés et de leur divergeance, nous démontrerons—en nous appuyant, pour ce faire, sur l’analyse psychomécanique du langage du linguiste français Gustave Guillaume — que, en face de la nuance de pensée à exprimer, les deux manières de dire s’équipollent, la négation d’une forme verbale indicative produisant en l’occurrence le même effet de sens que l’emploi affirmatif d’une forme de subjonctif.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Canadian Linguistic Association 1961

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References

1 Autres exemples: le seul qui…, le premier qui…, l’unique qui …, etc.

2 Temps et Verbe, théorie des aspects, des modes et des temps (Paris, Champion, 1929).

3 Ce seuil peut différer et diffère d’une langue à l’autre.

4 Sur ce sujet consulter l’excellent ouvrage de G. Moignet, Essai sur le subjonctif en latin post-classique et en ancien français (Paris, Presses Universitaires de France, 1959).

5 Cf. Temps et Verbe, p. 85.

6 Comme beaucoup d’autres formes grammaticales, toutes en réalité.

7 L’opposition «possible/probable» n’est au fond pas autre chose, en pensée, que la discussion du rapport inexistant/existant, discussion au cours de laquelle sont pesés les divers degrés de l’inexistant et de l’existant. Car au regard de la pensée commune, il n’y a pas simplement l’opposition brutale inexistant-existant, mais au sein de l’un et de l’autre une infinité de degrés, l’inexistant qu’est le possible banal (chances égales de ne pas être et d’être) n’étant pas le même inexistant que l’impossible (ce dont, par exemple, l’existence serait contradictoire), pas plus que le probable banal, qui est de l’existant présumé, ne se confond avec le réel et le certain. Ce mécanisme n’est pas sans rappeler la dichotomie, en mathématiques, des nombres négatifs et positifs:

où, de — ∞ à + ∞, la progression est constante et constitue un mouvement binaire qui, avant d’être une progression par positivation croissante du positif , commence par être une négativation du négatif (—∞——→-1).

8 L’existence, dans la préhistoire du latin, d’un mode optatif s’opposant lui-même au subjonctif, ne fait pas de difficulté. Optatif et subjonctif, là où ils sont individues, sont l’un et l’autre affectés à l’expression du virtuel. On ne peut ici entrer dans le détail des raisons qui justifient l’opposition, au sein du virtuel, d’un mode dit optatif différencié, à date ancienne, du subjonctif. On trouvera l’explication dans Temps et Verbe.

9 En pensée operative, la négation est engendrée par un mouvement et de même l’affirmation. C’est pourquoi il est ici parlé de négativation et de posi-tivation.