Article contents
La source du paradoxe de Wittgenstein à propos des règles
Published online by Cambridge University Press: 01 January 2020
Extract
Une question très discutée chez les interprètes de Wittgenstein est celle de savoir comment comprendre le paradoxe au sujet des règles dont il parle dans le paragraphe 201 des Recherches philosophiques. Ilécrit: ‘Notre paradoxe était le suivant: une règle ne pourrait déterminer aucune conduite parce que n'importe quelle conduite pourrait être mise en accord avec la règle’ (PU § 201). Un peu plus haut, il faisait dire à son interlocuteur: ‘“Mais comment une règle peut-elle m'apprendre ce que je dois faire en ce point? Peu importe ce que je fais, cela pourra s’ accorder suivant une interprétation ou une autre avec la règle “’ (PU § 198).
- Type
- Research Article
- Information
- Copyright
- Copyright © The Authors 1998
References
1 Les références aux ouvrages de Ludwig Wittgenstein sont indiquées dans le texte entre parenthèses. Les abréviations suivantes seront employées: ‘PU’ pour Philosophische Untersuchungen (Recherches philosophiques), sous Ia dir. de Anscombe, G.E.M. et Rhees, R. (Francfort: Suhrkamp 1969)Google Scholar; ‘BB’ pour The Blue and Brown Books (Oxford: Blackwell, 2e ed. 1969); ‘WLC’ pour Wittgenstein's Lecture, Cambridge 1932-1935, sous Ia dir. de Ambrose, A. (Chicago: University of Chicago Press 1982)Google Scholar; ‘WLFM’ pour Wittgenstein's Lectures on the Foundations of Mathematics, sous Ia dir. de Diamond, C. (Chicago: University of Chicago Press 1989)Google Scholar et ‘Z’ pour Zettel (Fiches), sous Ia dir. de Anscombe, G.E.M. et Wright, G.H. von (Berkeley et Los Angeles: University of California Press 1970)Google Scholar.
2 Il semble que le premier auteur à avoir suggéré une lecture différente de la lecture courante est Fogelin, R. dans son livre intitulé Wittgenstein, 2e edition (Londres: Routledge & Kegan Paul 1987)Google Scholar c.f. en particulier chapitre 11). Kripke, S. dans Wittgenstein on Rules and Private Language (Oxford: Blackwell 1982)Google Scholar a par la suite défendu une interprétation proche de celle de Fogelin. Blackburn, S. également a proposé une interprétation semblable dans Spreading the Word (Oxford: Clarendon Press 1984), 82–92Google Scholar. Malgré l'intérêt souleve par l'ouvrage de Kripke et les vives discussions qu'il a suscitées, il est clair, je pense, que la lecture courante demeure !'interprétation dominante, comme en témoigne entre autres un ouvrage collectif recent intitulé Meaning Scepticism, sous la dir. de Puhl, K. (Berlin: W. de Gruyter 1991)CrossRefGoogle Scholar. Comme K. Puhlle fait remarquer dans son introduction, ‘c'est une opinion largement partagée [par les interprètes des Recherches] que Kripke ne donne pas une exégèse fidèle des vues de Wittgenstein dans ses écrits de la seconde période’ (5). J'ai pris moi-même position ailleurs de faoçn détaillée sur !'interprétation de Kripke (cf. ‘Wittgenstein, Kripke et le paradoxe des règles’ [I] et [II], Philosophiques 20 [1993] et 21 [1994]). Comme j'ai voulu le montrer dans ces articles, il faut donner raison à Kripke sur deux points centraux (entre autres): (a) le paradoxe constitue aux yeux de Wittgenstein un authentique problème - il ne surgit pas d'un simple ‘malentendu' commis par l'interlocuteur et (b) la ‘solution’ de Wittgenstein présente une similitude avec une ‘solution sceptique’ au sens de Hume dans la mesure oÚ elle ne consiste pas en une réfutation de 1’ affirmation d’ a près laquelle une règle est toujours susceptible de beaucoup d'interpretations. Je développe dans ce qui suit cette interprétation en l'appuyant sur une base textuelle plus large (cf. ci-dessous note 17 oÚ je fais une brève comparaison entre mon interpretation à celle de Kripke).
3 McGinn, C. Wittgenstein on Meaning (Oxford: Blackwell 1984), 14Google Scholar
4 McGinn admet qu'attribuer à l'interlocuteur l'idee que la comprehension suppose toujours au prealable une sorte de traduction ou transposition en d'autres signes n’ est pas au moins à première vue particulierement plausible. 11 ècrit: ‘On pourrait légitimement se demander pourquoi Wittgenstein insiste tant sur ce point [que la compréhension ne requiert pas une telle traduction ou transposition]: pourquoi accorde-t-il tant d'irnportance à un point qui peut paraitre plutôt évident?’ (16) L’ explication, selon lui, est la suivante: Wittgenstein fait dans ce passage allusion a 'l'entreprise d'analyse [du langage) telle qu'exemplifiee par l'atomisme logique de Russell et la conception du premier Wittgenstein dans le Tractatus [selon laquelle il existe] un langage ideal sous-jacent [au langage courant].’ En effet, ‘!'analyse [au sens de Russell et du premier Wittgenstein) consiste précisément en une association de signes à [d'autres) signes; une définition n'est rien d'autre que la substitution d'un signe à un autre’ (ibid.). Comme je l'indique dans le texte, on peut objecter à McGinn que Wittgenstein n'affirme pas ici que l'interlocuteur emploie le mot 'interprétation’ au sens d'une telle ‘traduction’ ou ‘transposition'; il dit plutôt que l'interlocuteur devrait ainsi employer le mot (ce qui, semble-t-il, pourrait éliminer le problème- ou peut-être une partie du problème- signalé par l'interlocuteur).
5 Baker, G.P. et Hacker, P.M.S. Wittgenstein: Rules, Grammar and Necessity (Oxford: Blackwell 1985), 133Google Scholar
6 Je ne prétends pas ici que la troisième suggestion de McGinn est totalement erronée. Je me borne seulement à faire observer qu'il n'avance aucune raison textuelle sérieuse de croire qu'elle est correcte. Comme je le montre ci-dessous (sections 2 et 3), le verbe ‘interpreter’ dans ces passages des Recherches n’ est pas employe dans un son sens premier pour désigner un processus psychique (un processus interne) de !'esprit d'un individu aù sens oil le croit le mentaliste; le verbe peut néanmoins être ainsi compris et il semble qu'il soit effectivement compris de cette façon-là par l'interlocuteur (cf. section IV et note 10).
7 Baker, G.P. et Hacker, P.M.S. 137. Cf. également Malcolm, N. Wittgenstein: Nothing is Hidden (Oxford: Blackwell 1986), 155Google Scholar.
8 Baker, G.P. et Hacker, P.M.S. Wittgenstein: Understanding and Meaning (Oxford: Blackwell 1980), 582Google Scholar
9 On peut trouver dans le Cahier bleu un passage parallèle à celui des Recherches. Wittgenstein y pose cette question: en vertu de quoi un portrait est-ille portrait de quelque chose? Une réponse évidente et correcte, selon lui, est que c'est !'intention qu'avait celui qui a peint le portrait au moment oiù il l’ a peint qui était telle qu'il s'agit d'un portrait de cette chose. Or on pourrait comprendre Ia réponse comme suit: le fait qu'un tableau soit le portrait de quelque chose consiste en ceci qu'il en a été ‘dérivé’ d'une façon particulière et on pourrait appeler un tel processus de dérivation un ‘processus de projection’ (BB 33). Mais il y a, ajoute Wittgenstein, une difficulté à admettre qu'un tel processus soit ce que I’ on appelle une ‘représentation intentionnelle.’ La difficulté tient à ce que,’ quelle que soit Ia façon dont on décrit le processus (l'activité) de projection, il y a une maniére de réinterpréter cette projection' (ibid.). Ainsi, ‘un tel processus ne peut jamais être 1'intention elle-même [c]ar nous aurions toujours pu viser (intended) I’ opposé en réinterprétant le processus de projection’ (ibid.). Wittgenstein invoque au même endroit un autre exemple (mentionné aussi brièvement dans les Recherches au § 85). ll s'agit de l'exemple d'un langage dans lequel on donne l'ordre d'aller dans une certaine direction en dessinant une flèche sur une feuille de papier et en montrant le dessin à celui à qui on l'adresse. Wittgenstein demande: ‘Un tel ordre ne pourrait-il pas être interprété comme signifiant que l'homme qui le reçoit doit marcher dans Ia direction opposée à celle qu'indique Ia flèche?’ (ibid.) Oui, ‘si on ajoute à notre fleche des symboles qu'on pourrait appeler “une interprétation“’ (ibid.). Le symbole pourrait être une autre flèche dessinée sous Ia première et pointant dans Ia direction opposée (Ia seconde flèche signifierait qu’ on do it aller dans Ia direction opposée à celle indiquée par Ia première) et on pourrait également donner une ‘interprétation’ de cette seconde flèche (une autre flèche pointant par exemple dans Ia direction opposée à Ia seconde). II fait ensuite une remarque semblable à celle des Recherches. II dit d’ abord ceci: ‘Main tenant, nous pourrions dire qu'à chaque fois que nous donnons à quelqu'un un ordre en lui montrant une flèche et que nous ne le faisons pas de façon “mécanique” (sans penser), nous comprenons (mean) Ia flèche d'une façon particulière ou d'une autre. Et ce processus de signification, de quelqu'espèce qu'il soit, peut être représenté par une autre flèche (qui pointe dans le même sens ou dans le sens opposé à Ia première). Dans cette image que nous nous faisons de ce que c'est que “signifier et dire” (meaning and saying), il est essentiel que nous nous reprèsentions le processus de dire et de signifier comme ayant lieu dans deux sphères différentes’ (ibid.). La personne qui donne l'ordre doit en effet ‘penser’ aux mots qu'elle prononce et non les répéter de façon mécanique pour qu'ils aient une signification et ce processus de signification doit avoir lieu dans une sphère (Ia sphère occulte de !'esprit) differente de celle des mots et des sons. Dans ce modèle du mentalisme, on se représente l'ordre par une flèche visible et sa ‘signification' par une seconde flèche située dans !'esprit de celui qui l'émet. On pourrait, si on voulait, ajouter d'autres flèches ou d'autres niveaux d'interprétation (une troisième flèche placée sous Ia seconde) mais, du point de vue du mentaliste, dit Wittgenstein, 'peu importe le modèle ou schème que I’ on adopte, celui-ci aura toujours un dernier niveau (a bottom level) et il n'y aura rien de tel qu'une interprétation de cela’ (ibid.). Car pour le mentaliste, ‘[t]out signe est susceptible d'etre interprété, mais Ia signification ne doit pas pouvoir être interprétée. Elle est Ia dernière interprétation’ (ibid.; cf. Z § 231). La difficulté dans cette façon de voir est Ia même que celle notée dans le passage des Recherches que j’ ai cité dans le texte; I’ objection adressée au mentaliste est celle-d: ‘je suppose que vous considérez Ia signification comme un processus accompagnant !'action de [prononcer des mots] et qu'il est … équivalent à ce titre à un autre [further] signe. Vous devez done en outre me dire ce que vous considérez comme les marques distinctives du signe et de Ia signification’ (ibid.). II ajoute: il n’ est pas suffisant de répondre à cela simplement ‘que Ia signification est cette flèche que vous imaginez par opposition à n'importe quelle autre que vous pouvez dessiner ou produire d'une autre façon’ (ibid.) puisque, suggère Wittgenstein, il n'y a aucune difference pertinente entre une flèche imaginée et une flèche que I’ on aurait dessinée, peinte, fabriquée, etc. Comme il le dit dans les Recherches, peu importe que !'image soit présente à 1'esprit ou dessinée sur une feuille de papier ou que ce soit un objet de forme cubique, on peut !'interpréter de multiples façons et il n'y a rien de tel qu'une interprétation ultime d'une flèche ou d'une image parce que, comme le montre l'exemple des Rercheches, même une image à laquelle on a joint une méthode de projection est sujette à toutes sortes d'interpretations.
10 J'ai décrit dans les sections II et III ce qui me paraît être le sens premier du verbe 'interpréter’ tel qu'il est employe dans les §§ 198 et 201 mais, comme je le montre dans Ia présente section, il semble que l'interlocuteur superpose à ce sens premier des connotations psychologiques- ce qu'approuverait un défenseur .du mentalisme (en effet, comme on l'a vu, un signe est pour le mentaliste quelque chose d“inerte'-une règie est dénuée de contenu-s'il ne lui correspond rien ‘dans nos esprits’). II semble, si tel est le cas, que la troisième suggestion de McGinn ( cf. section I) soit au moins en partie correcte.
11 Manuscrit que citent Hacker et Baker dans Rules, Grammar and Necessity, 147 (je souligne).
12 Il y a done une forme de mentalisme sous-jacent à la position de l'interlocuteur dans la mesure où celle-ci revient à supposer que Ia compréhension d'une règie constitue une sorte de connaissance (un ‘sa voir que’) - implicite ou explicite- plutôt que, comme le soutient Wittgenstein, Ia maîtrise d'une ‘technique’ ou un ‘savoir faire' (cf. PU §§ 199 et 202).
13 Searle, John R. Intentionality (Cambridge: Cambridge University Press 1983), 152-3Google Scholar
14 Je ne prétends pas ici bien sûr que Searle serait d'accord avec mon interprétation de Wittgenstein ni qu'il approuverait rna comparaison entre ses vues et celle de I’ auteur des Recherches.
15 On pourrait objecter à Searle qu'il doit faire ici une distinction entre deux types de significations des phrases et que Ia distinction n’ est pas tout à fait claire. Admettons qu'un être hurnain et un Martien aient tous deux une bonne connaissance du français mais diffèrent dans Ia façon dont il comprennent Ia phrase ‘Ouvrez Ia porte' parce que l'un l'interprète en référence à un ensemble de présupposés différent de celui en référence auquel l'interprète !'autre (l'un pourrait être cornrnun aux êtres hurnains, !'autre aux Martiens). Bien que leur compréhension ou interprétation diffère, c’ est Ia même phrase qu ‘ils comprennent et, par hypothèse, celle-ci possède pour les deux Ia même signification. Cette signification est ce que saisissent ceux qui maîtrisent le français quand ils Ia comprennent, ce que Searle appelle sa ‘signification littérale’ - laquelle est fonction du contenu sémantique de ses expressions composantes et de leur mode de combinaison. Mais, dit Searle, si nous changeons les suppositions d’ arrière-plan, ‘Ia même phrase, avec Ia même signification littérale, va déterminer … des conditions de satisfaction différentes, même s'il n'y a aucun changement dans sa signification littérale.’ 11 est clair que Searle fait intervenir deux concepts de signification: d'une part, la signification littérale, qui reste constante (qui ne varie pas suivant les locuteurs d'une langue et leurs suppositions d'arrière-plan) et, de !'autre, les conditions de satisfactions, les conditions de vérité dans le cas de phrases déclaratives, lesquelles au contraire changent lorsque varient les suppositions d'arriére-plan. Beaucoup de philosophes identifieraient plutôt signification littérale (contenu sémantique) des phrases declaratives et conditions de vérité ou, en général, signification littérale et conditions de satisfaction - et ils se demanderaient comment, plus exactement, comprendre la distinction. Searle pourrait faire remarquer que Ia distinctions’ appuie sur une différence au moins intuitive entre deux usages du mot ‘sens’ (ou ‘signification’) dans le langage courant: si quelqu'un obéissait à I’ ordre ‘Ouvrez laporte’ en y pratiquant une incision à !'aide d'un scalpel, on pourrait être tenté de dire qu'il a ‘en un sens’ exécuté l'ordre (il a effectivement ouvert la porte) bien que, ‘en un autre sens,’ il ne l'ait pas exécuté (done ne l'ait pas ‘compris’) parce qu'il n'a pas agi de !a façon á laquelle on s'attend habituellement quand quelqu'un veut ouvrir une porte. II !'a d'une certaine façon compris parce qu'il a saisi un aspect de !a ‘signification’ de l'ordre (sa signification littérale) mais, d'une autre, il ne I’ a pas compris dans !a mesure où il ne lui a pas assodé les conditions de satisfaction qu’ on lui rattache normalement. Comme je !’ ai déjà noté (cf. section III, fin), Wittgenstein a besoin d'une distinction analogue dans son exemple du maître et de l'élève car il doit supposer que le maître et l'élève suivent une même règie ('pour tout nombre n, écrire n + 2’) qu'ils interprètent ou comprennent de manières différentes et incompatibles.
16 ll est intéressant de noter une similitude entre les vues exprimées dans les passages des Recherches commentés ici et celles de D. Davidson dans un article intitulé ‘The Second Person,’ Midwest Studies in Philosophy 17, sous la dir. de French, P.E. Uehling, T.E. Jr. et Wettstein, H.K. (Notre Dame: University of Notre Dame Press 1992)Google Scholar. Pour Davidson, ‘une condition pour [que quelqu'un soit) un locuteur est qu'il existe d'autres individus suffisamment semblables’ (264). Autrement dit, ‘!'interaction entre des créatures semblables est une condition nécessaire pourparler un langage' (ibid.). 11 n'est pas nécessaire que le langage en question soit partagé par d'autres locuteurs: il suffit qu'un tiers soit capable dele comprendre ou dele transposer dans un langage qu'il comprend (il est suffisant, comme dit Davidson, que chacun soit un ‘locuteur-interprète’). En effet, il n'y aurait pas de sens selon Davidson à essayer de dire ‘de quels objets parle un locuteur ou à quels objets il pense, il n'y aurait aucun fondement à 1'affirmation qu'il peut situer des objets dans un espace et un temps objectifs [comme ce doit être le cas pour qu'on puisse dire qu'il parle un langage], sans interaction avec une seconde personne [qui lui soit suffisamment semblable)’ (265)- une personne disposée par nature a opérer les mêmes regroupements d'objets ou d'événements ou à regrouper ensemble de manière similaire des réactions verbales et non verbales à des stimuli extemes (d. 262-3). De même, pour Wittgenstein, des individus ne pourraient suivre une règie (entre autres une règie de langage) s'ils n'avaient pas naturellement tendance a reagir de fac;on semblable à l'apprentissage de la règie, à 1“interpréter’ ou à Ia ‘comprendre’ de manières similaires et à manifester leur maîtrise en faisant de la règie une même application (à écrire par exemple ‘1002, 1004, 1006, … ‘ au lieu de ‘1004, 1008, 1012, … ‘ quand ils suivent la règie ‘ajouter 2 à tout nombre’). II y a néanmoins cette différence: pour Davidson, la condition (le fait qu'il y ait d'autres individus suffisamment semblables) est nécessaire pour que cela ait un sens de dire qu'un locuteur parle un langage que! qu'il soit (y compris un idiolecte- ala condition que celui-ci ne soit pas un idiolecte privé) alors qu'il s'agit apparemment pour Wittgenstein d'une condition de règles communes (done d'un langage commun). Je ne déciderai pas ici de la question de savoir s'il s'agit également pour Wittgenstein d'une condition nécessaire à tout langage (non seulement à un langage commun).
17 Comme je l'ai noté (d. note 2), je suis en accord avec Kripke dans sa critique de la lecture courante, laquelle soutient (1) qu'il n'y a pas de véritable paradoxe ou, du moins, pas d'authentique problème soulevé par l'interlocuteur dans les §§ 198 et 201 des Recherches et (2) qu'aucune ‘solution,’ par conséquent, n'est nécessaire, que ce soit une solution ‘sceptique’ ou une solution ‘directe’ (pour employer les termes de Kripke). La lecture proposée par Kripke reflète correctement à mon avis au moins Ia structure générale de 1’ argumentation de Wittgenstein. On pourrait décrire sommairement comme suit son interprétation (i) Lorsqu'un locuteur fait à une certaine occasion usage d'un mot, il n'existe aucun ‘fait objectif’ (au sens réaliste de cette expression) tel qu’ on peut dire qu'ill'emploie ou non à cette occasion d'une manière conforme à sa signification: ni un fait relatif à son comportement - un fait tel qu'il doit par exemple employer ‘plus’ de sorte que, s'il additionne 57 et 68, le résultat sera 125 et non (disons) 5; ni un fait relatif a sa vie mentale (ace qu'il a par exemple devant l'esprit quand il fait des additions), ni un fait relatif à ses dispositions à avoir certains comportements (la disposition entre autres à répondre ‘125’ et non ‘5’ à la question ‘Quel est le résultat de 57+ 68?’). S'il n'existe aucun fait de l'un de ces trois types, comme (prétend Kripke) le soutient Wittgenstein, il n'y a en definitive aucun 'fait de signification objectif’ et il s’ ensuit qu“il n'y a rien de tel que signifier quoi que ce soit par un mot (as meaning anything by any word]’ (Wittgenstein on Rules and Private Language 55) et la conséquence est qu'un langage est ‘impossible, voire inintelligible’ (62). (ii) Wittgenstein suggère néanmoins une résolution ‘sceptique' de son paradoxe quand il montre que les assertions du type ‘N signifie par “plus“ la fonction addition (et non par exemple la fonction quaddition)’ sont en uncertain sens ‘légitirnes’ bien qu'on ne puisse pas les justifier (ce qu'exclut une ‘solution sceptique’). Elles sont légitimes dans la mesure où les locuteurs leur associent des conditions d'assertabilité (ce qui explique qu'elles aient un rôle a jouer dans une communauté) mais non des conditions de vérité (entendues au sens réaliste). J'ai défendu pour rna part la lecture suivante Ge relève entre parenthèses les similitudes avec la lecture de Kripke): (a) La question posée au départ par l'interlocuteur était: 'comment une règle, si elle est sujette à beaucoup d'interprétations, peut-elle me dire ce que je dois faire - dire par exemple comment poursuivre une suite de nombres après avoir écrit 1000?’ Le fait qu'il puisse y avoir toutes sortes d'interprétations de la règle semble irnpliquer qu'il n'y ait rien de tel que la suivre correctement. En réponse à l'interlocuteur, Wittgenstein convient qu'on peut en effet toujours assigner beaucoup d'interprétations à une règie, mais il ne s'ensuit pas selon lui qu'une règie ne dicte aucune action (Ia lecture parallèle de Kripke dit: il n'y a pas de fait objectif tel que quelqu'un fait un emploi incorrect de ‘plus’ s'il répond ‘5’ et non ‘125’ à Ia question ‘Combien font 57 et 68?’ mais il ne s'ensuit pas que les assertions du type ‘N signifie par ‘plus’ Ia fonction addition [au sein d'une cornrnunauté de locuteurs]’ sont dénuées de toute légitirnité et qu'un langage est impossible). (b) Cornrne j'ai essayé de le montrer (dans Ia présente section), Ia 'solution’ va consister pour Wittgenstein à observer que Ia multiplicité d'interprétations des régles n’ est pas incompatible avec le fait qu’ elles aient des emplois corrects ou incorrects dans une cornrnunauté de locuteurs et qu'elles prescrivent certaines conduites (Ia lecture parallele de Kripke dit: Ia ‘solution sceptique’ montre que l'absence de ‘faits objectifs de signification’ est compatible avec !'idée qu'une assertion du type ‘N signifie par “plus” Ia fonction addition’ est légitime dans une communauté de locuteurs et que par suite un langage est possible). II s'agit comme le soutient avec raison Kripke d'une ‘solution sceptique’ et non d'une solution 'directe’ au moins en ce sens qu’ elle ne consiste pas en une tentative de réfutation de l'idée qu'une règie est toujours susceptible de beaucoup d'interprétations (ou, dans sa propre lecture, de !'idée qu'il n'y a aucun fait de signification objectif); ce qu'elle montre plutôt c’ est qu’ on peut suivre des règles en dépit de cette multiplicité d'interprétations (ou, dans Ia lecture de Kripke, elle montre Ia legitirnite de ces assertions en depit de I’ absence de faits de significations). La lecture de Kripke et celle que j’ ai défendue ont done ceci de cornrnun qu’ elles supposent que le problème posé par l'interlocuteur ne résulte pas d'un simple malentendu et qu'une réponse (une solution, cornrne dit Kripke) est nécessaire.
18 Dans ‘The Second Person’ (cf. ci-dessus note 16), Davidson prétend voir seulement une ‘difficulté apparente’ dans le ‘problème sceptique’ posé par Kripke. Davidson décrit le problème cornrne suit: ‘Pour parler un langage, on doit le parler de temps à autre et [les] énoncés [que !'on fait] doivent être compatibles avec Ia definition d'un certain langage.’ La difficulté, selon lui, est que ‘les énoncés sont en nombre fini alors que Ia définition d'un langage assigne des significations à un nombre infini de phrases [en sorte qu’] il y aura un nombre infini de langages differents qui s'accordent avec les énoncés effectivement émis par un locuteur mais qui diffèrent en regard des phrases [qu'il n'a pas] prononcées’ (257). Le problème, selon Davidson, est un cas particulier du probleme plus general de !'induction et, dit-il, sa solution est ‘relativement simple': ‘Plus longtemps nous interprétons un locuteur avec un succes [au moins] apparent cornrne locuteur d'un certain langage, plus est grande notre confiance légitime qu'il est un locuteur de ce langage ou [compte tenu de Ia thèse de !'indétermination de Ia signification] d'un langage qui lui est très semblable’ (258). Ainsi le problème- essentiellement épistémologique- est résolu si on suppose Ia ‘validité de !'induction’ (ibid.). Kripke nie cependant que le 'scepticisme’ en question soit épistémologique (Wittgenstein on Rules and Private Language, 21 et 38-9): le problème ne serait pas selon lui résolu même supposé donné !'ensemble infini des phrases de tous les langages compatibles avec les phrases effectivement prononcées par le locuteur. Par ailleurs, on peut faire remarquer que Ia solution de Davidson n'aide pas non plus à résoudre le problème tel que le pose Wittgenstein. On pourrait penser ici également que le problème est épistémologique: lorsque le maître a expliqué à l'élève comment dèvelopper Ia série ‘2, 4, 6, 8, … ‘ (cf. PU § 186), il semble que celui-ci n'ait pas compris les explications (ce pourquoi il a cornrnis une erreur) et Ia difficulté était qu'il ne pouvait pas réellement savoir ce que devait être une continuation correcte de Ia série dans Ia mesure où il existe toujours un nombre infini de projections différentes d'une suite finie de nombres (celle qu'a donnée le maître). Le problème, à mon avis, n'est pas dans ce cas-ci non plus de nature épistémologique. La question de Wittgenstein n'est pas: 'Comment arriver à découvrir la loi de Ia série à partir d'une suite finie de nombres?' mais: ‘Qu’ est-ce que suivre correctement Ia règie “Ajouter 2 à tout nombre“?’ Comme il écrit dans le § 186: ‘Ia question est … de savoir ce qui en un point quelconque [de Ia série] découle de cette proposition [qu'on doit ajouter 2 à tout nombre]. Ou bien ce que nous devons appeler en uncertain point ‘agir en accord’ avec cette proposition ….’
19 Les recherches qui ont permis Ia rédaction de cet article ont été subventionnées par le FCAR auquel je tiens ici à exprimer rna reconnaissance.
- 2
- Cited by