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Religion et souveraineté du peuple: de Rousseau à Tocqueville

Published online by Cambridge University Press:  10 November 2009

Philip Knee
Affiliation:
Université Laval

Abstract

This article seeks to contribute to the debate on the ethical and political meaning of the French Enlightenment, more specifically concerning the religious implications of the idea of popular sovereignty as it is put in place at the time of the French Revolution. The study of the social status of religion in two thoughts elaborated before and after the Revolution shows the clear opposition between Rousseau's “civil religion” with its perspective of a moral regeneration of man, and Tocqueville's “democratic religion” with its liberal perspective. But it also reveals the ambivalence they share in their attempt to think through the problem of the “common soul” of a society where legitimacy rests only on its self-institution.

Résumé

Ce texte veut contribuer à la réflexion contemporaine sur la signification éthique et politique des Lumières en France, particulièrement au sujet des implications religieuses de l'idée de spuveraineté du peuple telle qu'elle se met en place à l'époque de la Révolution fran¸caise. L'étude du statut social de la religion dans deux pensées situées de part et d'autre de la Révolution permet de souligner tout ce qui oppose la « religion civile » de Rousseau, dans le cadre d'une perspective de régénération morale de l'homme, et la « religion démocratique » de Tocqueville, dans le cadre d'une politique libérate. Mais surtout elle met en évidence l'ambivalence qui les caractérise toutes deux et qui suggère de les rapprocher dans leur effort pour penser le problème de l'« âme commune » d'une société où la légitimité ne repose que sur son auto-institution.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 1990

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References

1 À ce sujet nous nous permettons de renvoyer à notre article: « La question de l'appartenance: Montesquieu, Rousseau et la Révolution française », cette Revue 22 (1989), 285–311.

2 Parmi ces pensées, outre, dès 1790, les Réflexions sur la Révolution de France de Burke, dont on sait l'importance pour la critique libérate, celle de B. Constant nous a paru moins parlante sur les enjeux politico-religieux de l'époque que celle de Tocqueville quelques années plus tard.

3 D'allonnes, M. Revault, D'une mort à I'autre. Précipices de la Révolution (Paris: Seuil, 1989).Google Scholar

4 Revault d'Allonnes s'appuie ici sur les thèses du livre devenu célèbre d'E. Kantorowicz, , The King's Two Bodies: A Study in Medieval Political Theology (Princeton: Princeton University Press, 1957).Google Scholar

5 Voir « Sur le jugement de Louis XVI » (nov. 1792), dans Just, Saint, Discours et rapports (Paris: Editions sociales/Messidor, 1988).Google Scholar

6 Rousseau, , Sur l'économie politique et surtout Du Contrat social (Première version), dans Oeuvres complètes, Tome 3 (Pl. III) (Paris: Bibliothèque de la Pléiade, 19591969), 283–84.Google Scholar Toutes les références à Rousseau renvoient à cette édition.

7 Voir Du Contrat social, Livre II, ch. VII, Pl. III, 381.

8 À ce sujet, voir par exemple le célèbre discours où Robespierre définit la terreur comme « émanant » de la vertu: « Sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention… » (fév. 1794), dans Textes choisis, Vol. 3 (Paris: Éditions sociales, 1974).

9 Du Contrat social, Livre II, ch. VII.

10 Discours sur les sciences et les arts, Pl. III, 14–15 (Prosopopée de Fabricius) et 30 (fin).

11 Lettres écrites de la Montagne, I, Pl. III, 706 (note de Rousseau).

12 Du Contrat social (Première version), 287. Dans certains textes comme ce dernier, Rousseau privilégie nettement les vertus du citoyen sur celles de l'homme: « Nous ne commençons proprement à devenir hommes qu'après avoir été citoyens », dit-il; voir aussi Considérations sur le gouvernement de Pologne, Pl. III, 959–66.

13 Dans un récent ouvrage, T. Todorov illustre bien l'importance de la thèse rousseauiste en passant en revue les formes qu'a prises cet optimis me hypocrite au 19e siècle quand les idéaux universalistes de la Révolution sont détournés et utilisés pour justifier des entreprises nationalistes. En regard de l'incompatibilité irréductible que souligne Rousseau, ces fausses conciliations sont aisément démasquées par Todorov, : Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine (Paris: Seuil, 1989).Google Scholar

14 Le Discours sur les sciences et les arts, mais aussi le Discours sur I'inégalité, laissent entendre que seuls les grands hommes (« quelques grandes âmes cosmopolites ») sont capables de s'ouvrir aux valeurs universelles de l'humanité.

15 Voir en particulier Emile ou de I'éducation, Pl. IV, 248–50. « Donnez-le [l'homme] tout entier à l'état ou laissez-le tout entier à lui-même, mais si vous partagez son coeur, vous le déchirez » (Fragments politiques, Pl. IV, 510).

16 Par exemple, Sur I'économie politique, Pl. III, 255. Voir aussi les textes inédits rassemblés Titre, Sous leJean-Jacques entre Socrate et Caton (Paris: Librairie José Corti, 1972).Google Scholar

17 Ecrits sur I'abbé de Saint-Pierre, Pl. III, 564. On comprend dans ces conditions la difficulté pour Rousseau de la question du droit international, ou « droit des gens », annoncée mais non traitée à la fin du Contrat social.

18 Du Contrat social, Livre IV, ch. VIII.

19 Ibid., Livre II, ch. VI, 378.

20 « La profession de foi du Vicaire Savoyard », dans Emile, Livre IV.

21 Voir à ce sujet: Derathé, R., « La religion civile selon Rousseau », dans Annales J. J. Rousseau (XXXV, Genève, 1959–1962).Google Scholar

22 Emile, 578.

23 Voir Emile, 631; et la Leltre à C. de Beaumont, Pl. IV, 961–63.

24 C'est dans la Lettre à C. de Beaumont (969) qu'on en trouve peut-être la formulation la plus claire chez Rousseau, à l'encontre d'une interprétation purement pragmatiste de sa religion, comme celle Schinz, de A. par exemple: La pensée de J. J. Rousseau (Paris: Alcan, 1929).Google Scholar

25 Voir le discours de Robespierre, , « Sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicans et sur les fetes nationales » (mai 1794)Google Scholar, dans Textes choisis, Vol. 3. Sur le rapport entre les religions de Rousseau et Robespierre, nous renvoyons à notre texte: « Religion civile et culte de l'Etre suprême », à paraitre dans les Actes du colloque « Rousseau et la Révolution », Montréal, 1989, et dont nous reprenons ici quelques formulations.

26 Voir, par exemple, Philonenko, A., J. J. Rousseau et la pensée du malheur, Vol. 3: Apothéose du désespoir (Paris: Vrin, 1984).Google Scholar

27 Tocqueville, , De la démocratie en Amérique I, dans Oeuvres complètes, Tome 1, Vol. 1 (Paris: Gallimard, 1951)Google Scholar, lère partie, ch. III. Toutes les références à Tocqueville renvoient à cette édition.

28 Voir à ce sujet les excellentes remarques Manent, de P., Tocqueville et la nature de la démocratie (Paris: Julliard, 1982).Google Scholar

29 De la démocratie II, Tome 1, Vol. 2, 4ième partie, ch. I.

30 Ibid.II, 2ième partie, ch. IV; et 4ième partie, ch. VII.

31 Du Contrat social, Livre II, ch. III.

32 Emile, 578 et 598–601.

33 « Sur les rapports des idées religieuses et morales », 171.

34 De la démocratie II, 2ième partie, ch. VIII: « Je ne craindrai pas de dire que la doctrine de l'intérêt bien entendu me semble, de toutes les théories philosophiques, la mieux appropriée aux besoins des hommes de notre temps, et que j'y vois la plus puissante garantie qui leur reste contre eux-mêmes. C'est done principalement vers elle que l'esprit des moralistes de nos jours doit se tourner. Alors même qu'ils la jugeraient imparfaite, il faudrait encore l'adopter comme nécessaire » (127).

35 Voyage en Amérique, O.C. Tome 5, 234.

36 De la démocratie I, 2ième partie, ch. IX.

37 Ibid.II, 2ième partie, ch. XII, 140.

38 Ibid., ch. XV à XVII.

39 Ibid.I, 2ième partie, ch. IX, 310.

40 « Ainsi done, en même temps que la loi permet au peuple américain de tout faire, la religion l'empêche de tout concevoir et lui défend de tout oser ». De la démocratie I, 2ième partie, ch. IX, 306.

41 Ibid., 310–15.

42 Constant, Voir B., Principes de politique, ch. I (« De la souveraineté du peuple») et ch. XVII (« De la liberté religieuse »), dans De la liberté chez les Modernes. Ecrits politiques (Paris: Hachette, 1980).Google Scholar Tocqueville écrit à ce sujet: « Ils [les hommes] échapperont done toujours, quoi qu'on fasse, à la main du législateur; et, se dérobant par quelque endroit du cercle où l'on cherche à les enfermer, ils établiront, à côté de la grande société politique, de petites sociétés privées, dont la similitude des conditions, des habitudes et des moeurs sera le lien » (De la démocratie II, 3ième partie, ch. XIII, 223).

43 Correspondance avec Arthur de Gobineau, « Sur la morale » (1843–44), O.C. Tome 9, 43–75.

44 Concernant les dangers pour la vie sociale des excès d'intolérance dont regorge l'histoire des religions, Tocqueville (58) les admet sans peine et en évoque les raisons dans le développement du christianisme. Mais, en fin de compte, sa conclusion rejoint celle de Rousseau dans une note célèbre et équivoque de la « Profession de foi » sur le fanatisme religieux (Emile, 632–35): ses inconvénients sont préférables à ceux de l'athéisme.

45 Voir L'Ancien Régime el la Révolution, O.C. Tome 2, Livre I, ch.I-III. « Mais, par un concours d'étranges événements, la religion se trouve momentanément engagée au milieu des puissances que la démocratic renverse, et il lui arrive souvent de repousser l'égalité qu'elle aime, et de maudire la liberté comme un adversaire, tandis qu'en la prenant par la main, elle pourrait en sanctifier les efforts » (De la démocratic, introduction, 9).

46 L'Ancien Régime et la Révolution, Livre I, ch. III, 89.

47 Sur 1'évolution de la pensée religieuse de Tocqueville en fonction des rapports changeants entre l'Église catholique et le pouvoir politique en France jusqu'au Second Empire, Goldstein, voir D., Trial of Faith: Religion and Politics in Tocqueville's Thought (New York: Elsevier, 1975).Google Scholar

48 C'est l'interprétation proposée par Gauchet, M. dans un important article: « Tocqueville, l'Amérique et nous », dans Libre 7 (1980), 43120.Google Scholar

49 De la démocratie I, lère partie, ch. VII.

50 Ibid., ch. V, 28.

51 À ce sujet, Lamberti, voir J. C., Tocqueville et les deux démocraties (Paris: P.U.F., 1983)Google Scholar, ch. 6.3.

52 De la démocratie I, 2ième partie, ch. IX, 308.

53 Perte à la fois de l'innocence morale et de la vigueur antique, selon Rousseau, qui s'insurge contre ceux qui vont « sapant les fondements de la foi et anéantissant la vertu, [ceux qui] sourient dédaigneusement à ces vieux mots de patrie et de religion, et consacrent leur talent et leur philosophic à détruire et avilir tout ce qu'il y a de sacré parmi les hommes » (Discours sur les sciences et les arts, 19). Perte essentiellement religieuse, pour Tocqueville, qui dit ignorer « ce qu'il faudrait faire pour rendre au christianisme d'Europe l'énergie de sa jeunesse. Dieu seul le pourrait; mais du moins il dépend des hommes de laisser à la foi l'usage de toutes les forces qu'elle conserve encore » (De la démocratie I, 2ième partie, ch. IX, 315).

54 Selon la célèbre analyse de Constant faisant de Rousseau, un « fauteur de despotisme »: « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes » (1819)Google Scholar, dans De la liberté des Modernes.

55 « II y a trois hommes avec lesquels je vis tous les jours un peu, écrit Tocqueville, c'est Pascal, Montesquieu et Rousseau » (Correspondence avec Kergolay [nov. 1836], O.C. Tome 13, vol. I, 418).