Introduction
Le Parti conservateur du Québec (PCQ) s'est démarqué durant l'année 2021–2022 par la croissance rapide de ses appuis sur la scène politique québécoise. Lors des élections générales de 2018, le parti récoltait 2% du suffrage et comptait 500 membres. Le contexte de crise pandémique et l'arrivée à la tête du parti de l'ex-chroniqueur Éric Duhaime en 2021 ont été présentés comme des facteurs qui auraient contribué à transformer le PCQ en un acteur important sur la scène politique québécoise (Porter, Reference Porter2022; Villeneuve-Siconnelly et Dubois, Reference Villeneuve-Siconnelly and Dubois2021; Dufour et Tanguay, Reference Dufour and Tanguay2022; Bourgault-Côté, Reference Bourgault-Côté2022). Lors de la campagne électorale de 2022, le parti compte désormais 57 000 membres et récolte 12,91% du suffrage (Lachance, Reference Lachance2022; Élections Québec, 2023). Bien que le parti n'ait pas réussi à faire élire de députés à l'Assemblée nationale, ses résultats électoraux en 2022 dénotent une croissance considérable. Au moment du déclenchement de l’élection générale, le PCQ est le parti politique provincial comptant le plus de membres au Québec, la Coalition Avenir Québec en ayant 50 000, le Parti Québécois 42 000, le Parti libéral du Québec et Québec solidaire 20 000 (Viera, Gagnon et Tousignant, Reference Viera, Gagnon and Tousignant2022; Crête, Reference Crête2021).
Le PCQ, qui s'inscrit idéologiquement dans une droite libertaire (Dufour et Tanguay, Reference Dufour and Tanguay2022), a misé sur un discours aux antipodes de la classe politique québécoise lors de la crise de la COVID-19. Le parti, dont le nouveau chef était un critique virulent de la gestion pandémique avant son accession au leadership (Bourgault-Côté, Reference Bourgault-Côté2022; Paris et Pontbriand, Reference Paris and Pontbriand2020), fut le seul à s'opposer ouvertement aux multiples mesures sanitaires mises en place par l’État québécois afin de lutter contre la pandémie et à appuyer publiquement des manifestations publiques critiques de l'action gouvernementale (Bossé Reference Bossé2022 ; Larin Reference Larin2022 ; Plante Reference Plante2022). Plusieurs auteurs ont soulevé d'ailleurs l'hypothèse que ce positionnement unique pourrait avoir permis au parti de répondre à une demande politique en formulant une offre arrimée à des sentiments de colère et d'inquiétude envers la gestion de crise du gouvernement Legault qu'exprimait une partie de la population québécoise (Bélair-Cirino, Reference Bélair-Cirino2022; Bourgault-Côté, Reference Bourgault-Côté2022; Fournier Reference Fournier2022; Porter, Reference Porter2022; Dufour et Tanguay, Reference Dufour and Tanguay2022; Villeneuve-Siconnelly et Dubois, Reference Villeneuve-Siconnelly and Dubois2021).
La croissance rapide des appuis de ce parti politique apporte son lot de questionnements. Comment le PCQ a-t-il réalisé cette montée importante dans les intentions de vote et les suffrages? Comment a-t-il réussi à mobiliser 57 000 membres en une année? Notre article aborde cette question en s'inspirant de cette hypothèse soulevée dans d'autres analyse qui pose que le PCQ aurait fait un usage stratégique des médias socionumériques afin de véhiculer un discours populiste auprès d'un électorat critique de la gestion gouvernementale de la pandémie, mais aussi pour contrecarrer le manque relatif d'attention des médias traditionnels envers son offre politique en interagissant directement avec ses électeurs cibles.
Dans un contexte médiatique hybride, comment le PCQ a-t-il su mobiliser une base de militants par le biais de médias socionumériques? Premièrement, l’étude vise à analyser la nature populiste du discours du PCQ et de son chef, Éric Duhaime. Elle cherche à déterminer si le parti a employé un discours antiélitiste en faisant la promotion du peuple dans ses médias socionumériques de manière à possiblement exploiter la grogne pandémique auprès d'un électorat ciblé d’électeurs qui désapprouvent la gestion pandémique du gouvernement. Toutefois, cet article ne mesure pas les effets de la communication en ligne du parti sur le comportement politique ou la participation électorale des électeurs ciblés. En s'inspirant des travaux antérieurs sur le populisme, notre analyse cherche plutôt à identifier la forme de discours populiste véhiculée par le PCQ. De plus, notre travail permet de comprendre de quelle manière le PCQ a exploité le contexte médiatique hybride de manière à constituer et à mobiliser une base électorale. Ainsi, deuxièmement, nous posons que le parti a utilisé sa communication numérique afin de diffuser régulièrement des appels au financement, au membership et au militantisme auprès de ses cibles. En misant sur les plateformes de médias socionumériques, le parti a pu simultanément interagir directement avec sa base, contourner le cadrage médiatique et contrecarrer un possible manque d'attention des médias traditionnels.
État du savoir : La recherche sur l'internet politique et le populisme
Internet et l'hybridité médiatique
Les travaux antérieurs tendent à démontrer que la montée en importance des médias socionumériques et les avancées technologiques ont chamboulé les manières de faire et d'organiser des campagnes électorales (Norris, Reference Norris2002; Chadwick, Reference Chadwick2017). C'est pourquoi de nombreux chercheurs avancent la thèse d'une quatrième ère des campagnes électorales (Gibson et Römmele, Reference Gibson2020; Strömbäck, Reference Strömbäck2008; Blumler, Reference Blumler2016). L'arrivée du web offre aux formations politiques de nouvelles occasions de mener une communication personnalisée et ciblée.
Cette description des nouvelles techniques de campagnes électorales s'inscrit dans le cadre d'une meilleure compréhension du système médiatique hybride tel que décrit par Chadwick (Reference Chadwick2017). Le concept d'hybridité médiatique est marqué par la notion de coexistence. Selon Chadwick, le système médiatique hybride comprend des médias traditionnels et émergents qui forcent les formations politiques à combiner des stratégies communicationnelles et politiques traditionnelles et émergentes adaptées aux transformations du système médiatique (2017). Malgré la place centrale que conservent les médias traditionnels dans l’écosystème politique, l'arrivée des technologies numériques présente aux électeurs des occasions nouvelles et amendées de participation politique, tout en permettant aux formations partisanes d'entrer directement en contact avec les citoyens (Boulianne, Reference Boulianne2009, Reference Boulianne2015; Monnoyer-Smith et Wojcik, Reference Monnoyer-Smith and Wojcik2012). Le répertoire des formes de participation politique se serait ainsi élargi avec l'arrivée d'internet et des médias socionumériques. Grâce à leurs modalités d'organisation ou de mise en contact, ces technologies sont présentées dans diverses analyses comme pouvant favoriser la mobilisation et des formes distinctes ou complémentaires d'actions politiques. Désormais, la recherche sur la participation politique relève des formes traditionnelles et non-traditionnelles, en ligne et hors ligne, de prendre part à la vie politique (Boulianne, Reference Boulianne2009, Reference Boulianne2015; Monnoyer-Smith et Wojcik, Reference Monnoyer-Smith and Wojcik2012). De plus, les plateformes numériques contribueraient aux efforts de persuasion des partis politiques car elles permettraient de contourner les filtres médiatiques traditionnels avec lesquels composent les partis (Chadwick, Reference Chadwick2017; Giasson et al., Reference Giasson, Le Bars and Dubois2019).
Les campagnes électorales sur internet
Depuis l’étude du phénomène MyBo lors de la campagne américaine de 2008 (Chadwick, Reference Chadwick2017), des chercheurs tentent d'appliquer ce cadre d'hybridité médiatique à d'autres cas nationaux (Vaccari, 2013). Au Canada, quelques études abordent l'hybridité des campagnes électorales en analysant si les partis utilisent les médias socionumériques dans le but d’établir des relations marketing avec les électeurs (Small, Reference Small, Marland, Giasson and Lees-Marshment2012) ou si les partis ont recours à ces plateformes dans une logique de campagne permanente (Giasson et Small, Reference Giasson, Small, Marland, Giasson and Lennox-Esselment2017).
L’étude de Giasson, Le Bars et Dubois (Reference Giasson, Le Bars and Dubois2019) se penche plutôt sur le cas québécois et insiste particulièrement sur l'utilisation du web et des médias socionumériques par les partis lors de l’élection générale de 2012, en considérant le type d'objectifs visés dans leur communication numérique. L'arrivée des médias socionumériques a eu, selon les auteurs, deux principaux impacts sur l'organisation et la conduite des campagnes électorales des partis. Premièrement, les plateformes numériques offrent des outils aux partis pour rassembler diverses ressources, leur permettant de mieux comprendre, segmenter et cibler l’électorat. Deuxièmement, les médias socionumériques leur permettent d'organiser leur campagne terrain en mobilisant les utilisateurs. C'est ce que les auteurs nomment l'hybridation des campagnes.
Les auteurs distinguent dans cette étude trois types d'objectifs liés à l'usage que font les partis des outils numériques : les objectifs de communication, les objectifs politiques et les objectifs de marketing.
Les objectifs de communication visent d'abord et avant tout une diffusion du message du parti. Dans ce cas, les partis adoptent les médias socionumériques comme une plateforme supplémentaire dans leur arsenal de diffusion des messages officiels. Les auteurs remarquent aussi que les formations politiques profitent d'internet pour recadrer les enjeux selon leur stratégie de campagne de même que pour attaquer leurs adversaires, tout en contournant les filtres médiatiques. L'on remarque la complémentarité entre les médias traditionnels et émergents, alors que les médias socionumériques deviennent un outil de diffusion et de cadrage supplémentaire pour les partis politiques (Giasson, Le Bars et Dubois, Reference Giasson, Le Bars and Dubois2019).
Les auteurs abordent ensuite les objectifs politiques dans l'utilisation des médias socionumériques par les formations politiques. En utilisant ces outils, les partis politiques visent à mobiliser les électeurs. Il s'agit ici de tenter d'exister au sein de l'espace public en tentant d'augmenter sa visibilité et de faire la promotion d'un projet politique. Les plateformes numériques permettent aussi de mobiliser des ressources (que ce soit sous forme de militantisme ou de financement) tout en menant des activités de persuasion visant l'adhésion à un programme politique (Giasson, Le Bars et Dubois, Reference Giasson, Le Bars and Dubois2019).
Finalement, les partis utilisent les médias socionumériques à des fins de marketing pour récolter de l'information et des données sur les électeurs. Ces données permettre de segmenter et de cibler les électeurs et d'adapter les campagnes de diffusion des messages électoraux numériques en conséquence. L'utilisation du web et des médias socionumériques offrent aux formations la possibilité de récolter des informations sur de possibles supporteurs, ce qui leur permet par la suite de tester leurs messages et, ultimement, d'ajuster leurs stratégies (Giasson, Le Bars et Dubois, Reference Giasson, Le Bars and Dubois2019).
Leurs résultats démontrent que si les objectifs de communication priment pour chacune des formations politiques, les nouveaux partis et ceux moins proches du pouvoir – comme Québec solidaire ou Option nationale – témoignent d'un plus grand nombre d'objectifs politiques, particulièrement celui de la mobilisation, afin de gagner de la visibilité et palier un manque d'attention médiatique. Comme le mentionnent Giasson, Le Bars et Dubois, « New media tactics were used to attract old media attention » (Reference Giasson, Le Bars and Dubois2019: 331). Parallèlement, les partis plus au centre ou près du pouvoir tenteront plutôt de cadrer prudemment leurs messages, et ceux de leurs adversaires, en plus de récolter de l'information sur les électeurs. L'utilisation d'internet par ces partis représente donc un levier supplémentaire servant à alimenter la campagne traditionnelle (Flanagan, Reference Flanagan2014).
Les auteurs concluent que les objectifs en ligne de partis plus proches du centre ou du pouvoir privilégient des objectifs de communication, qui s'expriment par une campagne contrôlée et prudente et qui limite la rétroaction avec les citoyens. Inversement, les nouveaux partis utilisent les médias socionumériques pour communiquer directement avec les électeurs en contournant les filtres médiatiques. Ils sont plus prompts à faire preuve d'innovation, et ils redoutent moins la perte du contrôle du message afin de répondre à des objectifs politiques de mobilisation (Giasson, Le Bars et Dubois, Reference Giasson, Le Bars and Dubois2019).
Le populisme : Idéologie ou style de communication?
Bien que le phénomène du populisme soit étudié et documenté depuis plusieurs années (Mudde, Reference Mudde2004; Taggart, Reference Taggart2000), la montée de partis populistes depuis les années 2000 au sein de nombreuses démocraties occidentales donne une nouvelle ampleur à l'attention consacrée à ce phénomène (Norris et Inglehart, Reference Norris and Inglehart2019). Certains chercheurs posent que nous vivons présentement une ère populiste (Jacobs et al., Reference Jacobs, Sandberg and Spierings2020). L’élection de Donald Trump lors de la présidentielle américaine de 2016, la montée du Rassemblement national (ex-Front national) en France et l’élection de membres de l'AfD en Allemagne ou celle de Jair Bolsonaro au Brésil font partie des cas d’études ayant reçus une attention particulière (Groshek et Koc-Michalska, Reference Groshek and Koc-Michalska2017; Norris et Inglehart, Reference Norris and Inglehart2019).
Les définitions du populisme comme idéologie sont aussi nombreuses que les études qui abordent le phénomène (Norris et Inglehart, Reference Norris and Inglehart2019). Toutefois, il semble y avoir un consensus autour de deux points permettant de le conscrire. Premièrement, le populisme vise à représenter ses leaders comme la seule voix pouvant réellement parler au nom d'un « peuple pur », du vrai peuple. Selon l'ancrage idéologique des formations de ces politiciens, ce peuple réfère parfois à un groupe ethnoculturel national défini ou alors à l'ensemble des « gens ordinaires », à la classe moyenne ou aux laissés-pour-compte des politiques gouvernementales (De Vreese et al., Reference De Vreese, Esser, Aalberg, Reinemann and Stanyer2018; Laclau, Reference Laclau and Panizza2005). L'appel au peuple peut donc être lié à l'identité culturelle ou au statut socioéconomique d'un groupe socialement défini (Moffit et Tormey, Reference Moffitt and Tormey2014). Deuxièmement, l'idéologie populiste vise à mettre en opposition ce peuple pur à une élite corrompue, déconnectée du « vrai monde » et agissant selon ses désirs égoïstes de pouvoir (Mudde, Reference Mudde2004). Ainsi, l'idéologie populiste considère la volonté du peuple comme seule source légitime du pouvoir démocratique, tandis que les élites compromettraient la démocratie en usurpant le pouvoir (Mudde, Reference Mudde2004; Jagers et Walgrave, Reference Jagers and Walgrave2007; Taggart, Reference Taggart2000). Cet antiélitisme s'exprime par un discours hostile et souvent méprisant envers ces élites dépeintes comme les ennemis du peuple (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017). Cette composante antiélitiste du populisme se véhicule par des critiques et des attaques souvent virulentes ou manichéennes qui dénoncent l'action des institutions ou des gouvernements (Mudde, Reference Mudde2004; Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017).
Bien que certains auteurs tentent d'associer le populisme à une idéologie politique, le phénomène est également décrit dans la recherche comme une posture discursive, un style communicationnel (Jagers et Walgrave, Reference Jagers and Walgrave2007; De Vreese et al., Reference De Vreese, Esser, Aalberg, Reinemann and Stanyer2018). D'autres avancent plutôt que le populisme est une idéologie caméléon (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017) que revendiquent des partis de toutes allégeances. Ainsi, des partis de gauche et de droite se présentent indifféremment comme les réels défenseurs d'un peuple « qui travaille fort » et peuvent se faire critique des élites économiques et politiques. En ce sens, le populisme serait « faible » idéologiquement (Norris et Inglehart, Reference Norris and Inglehart2019). Ainsi, le populisme relèverait davantage d'un style de communication caractérisé par sa simplicité argumentaire (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017; Jagers et Walgrave, Reference Jagers and Walgrave2007; De Vreese et al., Reference De Vreese, Esser, Aalberg, Reinemann and Stanyer2018).
Jagers et Walgrave (Reference Jagers and Walgrave2007) esquissent empiriquement ce style communicationnel populiste en étudiant le cas de la Belgique. Les auteurs définissent le populisme comme une échelle, distinguant un populisme « thin » (que nous traduisons par « dilué ») d'un populisme « thick » (que nous traduisons par « concentré »). Grâce à trois critères pouvant caractériser le style de communication populiste (l'appel au peuple, le rejet des élites et une stratégie d'exclusion de certains groupes sociaux), les auteurs disent pouvoir mesurer le degré de populisme employé par les partis dans leurs discours. Un populiste dilué ne fait mention qu'au peuple sans nécessairement faire référence aux autres éléments, alors qu'un populiste concentré emploie plutôt les trois composantes.
Les médias socionumériques, outil de prédilection des populistes?
Les médias socionumériques sont souvent présentés dans les travaux antérieurs comme des instruments privilégiés des organisations populistes (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017; Bobba, Reference Bobba2019; Pajnik et Sauer, Reference Pajnik and Sauer2018). À la suite de la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine, plusieurs ont attribué une part de son succès à sa communication sur les médias socionumériques (Groshek et Koc-Michalska, Reference Groshek and Koc-Michalska2017). Cette présence permet de contourner le cadrage médiatique – les partis populistes sont autant les cibles de critiques des médias qu'ils ne les critiquent eux-mêmes –, de communiquer directement avec les électeurs et de miser sur l'aspect interactif des médias socionumériques dans un objectif de persuasion et de mobilisation. Dans un contexte de crise de confiance envers les institutions médiatiques et politiques, la possibilité d'accéder directement et sans filtre à l’électorat est sans doute une perspective enthousiasmante pour des formations populistes qui se présentent comme les porte-voix d'un vrai peuple oublié (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017). Ces avancées technologiques leur assureraient une proximité avec les électeurs, ce qui théoriquement cadre bien avec leur prétention à vouloir représenter le peuple. De plus, la possibilité d’éviter les filtres médiatiques leur permettrait l'utilisation d'un langage parfois plus polarisant, cru ou incendiaire sans se faire critiquer dans les médias traditionnels, tout en stimulant les réactions émotionnelles voulues au sein de leurs publics cibles.
La personnalisation du discours politique, caractéristique de la médiatisation du politique (Strömbäck, Reference Strömbäck2008; Šori et Ivanova, Reference Šori, Ivanova, Pajnik and Sauer2017), cadre aussi dans le style de communication des populistes en raison de l'importance que prend le leader dans l'expression du message des partis. Le leader populiste est habituellement charismatique, souvent un outsider ou un marginal de la classe politique, qui se pose comme le représentant du peuple opprimé par les élites. Les partis ont intérêt à le présenter comme étant le plus authentique possible, et les médias socionumériques offrent cette possibilité aux formations populistes. Jacobs et ses collaborateurs (Reference Jacobs, Sandberg and Spierings2020: 612) avancent une métaphore puissante sur l'utilisation des médias socionumériques par les populistes en indiquant qu'elle s'apparente à l'utilisation d'un fusil dans une bataille de couteaux.
L’étude de Engesser et ses collègues (Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017) permet de mieux comprendre comment le populisme se manifeste dans les médias socionumériques, qui facilitent le contact direct avec les électeurs en évitant le filtre interprétatif des médias traditionnels. Cette réalité cadre avec la nature « courte et acerbe » du style de communication populiste (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017: 1113).
En parlant au nom du peuple, les populistes veulent qu'une plus grande partie possible de la population s'identifie à leurs messages (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017). Cela représente bien le caractère caméléon du populisme. Ainsi, les auteurs font l'hypothèse que les communications sur les médias socionumériques par les partis populistes font référence aux cinq points conceptualisés par les auteurs permettant de définir le populisme : la souveraineté populaire, le peuple pur, les élites corrompues, les « autres » dangereux et le cœur de la nation (le heartland) (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017: 1111).
Le populisme au Canada et au Québec
Certains auteurs posent que le Canada résiste à la vague populiste mondiale (Boily, Reference Boily2020). S'il est vrai que le phénomène y est moins répandu qu'en Europe, ou encore aux États-Unis depuis la présidence de Donald Trump, le Canada n'en est pas pour autant exempté. Des évènements récents, comme les élections de Doug Ford en Ontario ou de Jason Kenney et de Danielle Smith en Alberta, laissent toutefois entrevoir l’émergence d'un populisme moderne au Canada. Selon Boily, le Canada serait surtout aux prises avec un populisme identitaire provincial, critique des élites fédérales qui nuisent aux provinces et à leurs intérêts. Boily (Reference Boily2020) identifie au niveau fédéral le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier comme acteur populiste, ce dernier faisant preuve d'un populisme identitaire se rapprochant des partis populistes européens.
Au Québec, certains acteurs ayant marqué la politique québécoise peuvent également être identifiés comme appartenant à une mouvance populiste. Boily identifie notamment le passage au gouvernement de Maurice Duplessis, la montée en puissance du Ralliement créditiste sous Camil Samson lors des années 70 et l’émergence de l'Action démocratique du Québec (ADQ) comme des moments clés du populisme au Québec (Boily, Reference Boily2014). En 2008, l'ADQ de Mario Dumont s'est démarquée par son positionnement sur la question des accommodements envers les minorités religieuses et en promettant une réduction de la place de l’État dans la société (Boily, Reference Boily2014). L'ADQ fut ensuite intégrée à la Coalition Avenir Québec en 2011, dont l'offre politique initiale peut également être qualifiée de populiste alors que le parti mène campagne en 2012 et en 2014 en disant vouloir remplacer les « vieux partis » et réduire massivement la taille de l’État, en faisant « le ménage à Québec » (Boivin, Reference Boivin2012). La campagne de 2018 de la CAQ se repositionne sur un axe identitaire où le parti propose entre autres de restreindre l'immigration au Québec, de mieux protéger la langue française et se faire le réel défenseur des « valeurs » des Québécois (Boily, Reference Boily2018). Ainsi, certains positionnements historiques de la CAQ, qui lui permettront de faire des gains électoraux, s'apparentent à des engagements populistes de droite en Europe (Bernatchez, Reference Bernatchez2019; Boily, Reference Boily2018; Boivin, Reference Boivin2012).
Conséquemment, l’élection générale de 2018 est qualifiée de moment populiste par Bernatchez (Reference Bernatchez2019). La victoire de la CAQ et la montée des appuis de Québec solidaire, incarnant un populisme de gauche qui rappelle ceux de La France insoumise ou du démocrate américain Bernie Sanders, illustrent ce moment. Cette croissance des soutiens de partis à tendances populistes s'inscrirait dans un réalignement politique au Québec, alors que les deux grands partis traditionnels de gouvernance des 50 dernières années, le Parti québécois et le Parti libéral du Québec, ont vu leurs appuis décroître depuis 10 ans (Dubois et al., Reference Dubois, Villeneuve-Siconnelly, Montigny and Giasson2022)
Toutefois, la pandémie de COVID-19 semble représenter un nouveau point tournant populiste au Québec. Des travaux antérieurs sur le populisme montrent que confrontés à l'incertitude, des citoyens ont tendance à se ranger derrière un leader charismatique proposant des solutions simples à des problèmes complexes (Norris et Inglehart, Reference Norris and Inglehart2019; Villeneuve-Siconnelly et Dubois, Reference Villeneuve-Siconnelly and Dubois2021). En ce sens, comme nous l'indiquons précédemment, d'autres auteurs ont soulevé l'hypothèse voulant que la pandémie ait pu offrir au Québec un nouveau moment populiste et encourager la montée des appuis du PCQ. De mars 2020 à l’élection d'octobre 2022, des milliers de Québécois ont exprimé publiquement leur frustration envers les mesures sanitaires et la couverture médiatique promouvant le respect de ces mesures (Villeneuve-Siconnelly et Dubois, Reference Villeneuve-Siconnelly and Dubois2021; Dufour et Tanguay, Reference Dufour and Tanguay2022; Ministère du conseil exécutif, 2021). Plusieurs études d'opinion menées par le ministère du Conseil exécutif pendant la pandémie ont montré des niveaux de satisfaction très forts envers la gestion gouvernementale. Toutefois, la courbe de satisfaction s'est mise à décliner progressivement, passant de 80% d'appuis favorables en 2020 et 2021 à 66% en mars 2022 (Ministère du conseil exécutif, 2022). Ainsi, de 20% à 33% des répondants à ces enquêtes ont exprimé de l'insatisfaction envers la gestion pandémique du gouvernement pendant la période de crise. Cela représente un bassin important d’électeurs méfiants envers le gouvernement et les consignes de santé publique, dont plusieurs ont pu ne pas se sentir entendus par la classe politique québécoise unie dans son effort de lutte à la pandémie. La pandémie pourrait ainsi avoir fédéré un nouveau segment électoral qu'un véhicule partisan populiste, s'opposant aux élites politiques et médiatiques accusées de faire régner un climat autoritaire et antidémocratique au Québec, pouvait tenter de mobiliser (Bélair-Cirino, Reference Bélair-Cirino2022; Fournier, Reference Fournier2022; Porter, Reference Porter2022; Villeneuve-Siconnelly et Dubois, Reference Villeneuve-Siconnelly and Dubois2021).
Sous l'impulsion de son nouveau leader Éric Duhaime, qui avant de devenir chef du parti a organisé une importante manifestation contre les mesures sanitaires à Québec (Paris et Pontbriand, Reference Paris and Pontbriand2020), le Parti conservateur du Québec semble avoir saisi le climat politique changeant. Dans un contexte de pandémie marqué par une perte de confiance d'une partie de la population envers le gouvernement, nous croyons judicieux d’étudier la communication du Parti conservateur du Québec sur les médias socionumériques afin de voir si elle cherche à stimuler et mobiliser cette colère politique en utilisant, entre autres, une rhétorique populiste (Villeneuve-Siconnelly et Dubois, Reference Villeneuve-Siconnelly and Dubois2021; Porter, Reference Porter2022; Dufour et Tanguay, Reference Dufour and Tanguay2022; Bourgault-Côté, Reference Bourgault-Côté2022).
Questions et hypothèses de recherche
Notre étude est consacrée à la communication numérique du Parti conservateur du Québec de l’élection d’Éric Duhaime à sa direction jusqu’à la fin de la session parlementaire qui précède le déclenchement de l’élection générale québécoise de 2022. À la suite de sa montée en puissance rapide sur la scène politique québécoise, et considérant le contexte d'hybridité médiatique et de fragilisation de la confiance envers le pouvoir politique, notre analyse étudie le contenu des publications du parti sur les médias socionumériques. Comme l'indiquent les travaux antérieurs, les partis populistes utilisent ces plateformes de manière à communiquer directement avec leurs cibles constituées d’électeurs critiques ou en colère envers la classe politique (Viera, Gagnon et Tousignant, Reference Viera, Gagnon and Tousignant2022) et ce, par le biais d'une rhétorique émotionnellement chargée (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017; Jacobs et al., Reference Jacobs, Sandberg and Spierings2020; Bobba, Reference Bobba2019).
Dans un contexte de crise de confiance envers les institutions politiques et médiatiques accentué par le contexte pandémique (Norris et Inglehart, Reference Norris and Inglehart2019; Pajnik et Sauer, Reference Pajnik and Sauer2018; Villeneuve-Siconnelly et Dubois, Reference Villeneuve-Siconnelly and Dubois2021), l’étude de la communication en ligne d'un parti en plein essor et dont le chef était un ardent critique de la gestion pandémique avant d'accéder au leadership de la formation paraît justifiée. Ainsi, notre recherche s'articule autour de la question suivante : Comment le Parti conservateur du Québec a-t-il mené sa communication sur les médias socionumériques depuis l'arrivée d’Éric Duhaime à sa direction? Nous voulons relever la nature du discours conservateur qui semble avoir permis depuis 2021 la formation d'une base électorale élargie, la mobilisation de milliers d’électeurs et de dons et la croissance du parti dans les intentions de vote au Québec. Notre postulat théorique général implique que, dans les médias socionumériques, le PCQ tient un discours populiste et utilise ces plateformes pour mobiliser les électeurs par le biais d'appels à l'action, au membership et au financement. À cette première question générale, nous accolons deux sous-questions.
La première s'inspire de la prémisse de Jagers et Walgrave (Reference Jagers and Walgrave2007), voulant que le populisme soit un style communicationnel mesurable. Ces auteurs dressent une échelle sur laquelle le niveau de populisme peut être évalué. Engesser et ses collaborateurs (2017) mesurent aussi le populisme grâce à cinq critères, et concluent qu'il est véhiculé de manière fragmentée sur les médias socionumériques afin d'en simplifier la compréhension.
Considérant l'absence de ce type d’étude au Québec et de l’émergence du PCQ, nous voulons savoir si (Q1) le Parti conservateur du Québec à retirer emploie de manière prédominante des éléments populistes dans sa communication en ligne?
Pour répondre à cette question, nous relevons si le parti fait référence aux cinq éléments discursifs populistes mentionnés par Engesser et ses collègues (2017) soit : la souveraineté populaire, le peuple pur, les élites corrompues, les « autres » dangereux et le « cœur de la nation ». Cela permet donc de mesurer si le parti fait preuve d'un populisme thick (ou concentré) ou thin (dilué). À cette première question, nous posons les deux hypothèses suivantes.
Premièrement, selon Jagers et Walgrave (Reference Jagers and Walgrave2007), la distinction entre populisme dilué et concentré repose dans le degré d'utilisation de trois éléments : l'appel au peuple, la critique des élites et l'exclusion des « autres ». Un populisme dilué fera simplement un appel au peuple, tandis qu'un populisme concentré fera référence à au moins deux de ces éléments.
Par ailleurs, les éléments supplémentaires de la grille de l’équipe d'Engesser permettent de relever un portait nuancé des composantes populistes des publications analysées. Nous posons donc l'hypothèse que (H1) le PCQ emploie de manière prédominante un populisme concentré dans sa communication en ligne.
Ces auteurs démontrent que plusieurs profils de populisme concentré existent. Ainsi, certains discours comprennent une plus forte composante d’éléments critiques des élites alors que d'autres privilégient un discours d'exclusion de certaines catégories de la population, souvent des immigrants. Considérant le contexte de pandémie et son positionnement à l'opposé de celui de toutes les autres formations partisanes pendant la crise pandémique nous posons l'hypothèse que (H2) le discours concentré du PCQ comprend une forte composante antiélitiste.
La seconde question découle du concept d'hybridité médiatique. La production scientifique antérieure avance que les partis émergents utilisent les médias socionumériques de manière à mobiliser les électeurs pour pallier un manque d'attention médiatique dont ils souffriraient. Afin d'atténuer cette invisibilité médiatique, ces formations vont utiliser des techniques de communication plus innovantes, qui leur permettent de rejoindre directement leurs cibles, de contrôler leur message ou de capter l'attention des journalistes politiques. Ces formations émergentes utilisent également ces plateformes pour récolter des dons, organiser des évènements et recruter des militants.
Ainsi, nous voulons savoir si (Q2) le PCQ utilise les médias socionumériques de manière à mobiliser sa base, recruter des militants et/ou récolter des dons?
De cette question découle une troisième hypothèse qui pose que (H3) dans ses publications numériques, le PCQ diffuse davantage de messages qui visent l'atteinte d'objectifs politiques. Nous pensons que le contenu des communications du parti sur les médias socionumériques vise principalement l'atteinte d'objectifs politiques comme promouvoir son programme électoral, recueillir des dons ou mobiliser des électeurs, plutôt que des objectifs de communication (Giasson, Dubois et Le Bars, 2019). Nous faisons aussi l'hypothèse que (H4) parmi les objectifs politiques, les éléments qui ressortent le plus sont les appels aux dons, au membership et à l'action militante. Cette question et ses hypothèses s'ancrent donc dans la théorie de Chadwick qui pose que des efforts entrepris en ligne permettent l'organisation d’évènements, la mobilisation des militants et la sortie du vote hors ligne (Chadwick, Reference Chadwick2017).
Notre analyse permet de comprendre comment le PCQ a communiqué avec les électeurs québécois depuis l'arrivée d’Éric Duhaime comme chef du parti. Il est toutefois important de noter qu'elle n'est pas consacrée à l’étude de l'effet de persuasion de cette communication sur les électeurs. Notre attention se focalise sur la présence d'un argumentaire populiste dans la communication du PCQ et sur les objectifs stratégiques qui peuvent être inférés à partir du contenu de ces messages.
Méthodologie
Afin de vérifier nos hypothèses de recherche, nous menons une analyse de contenu déductive avec une grille de codification des publications Facebook et X (anciennement Twitter) provenant des comptes du parti et de son chef, Éric Duhaime. Nous étudions ces plateformes car elles offrent diverses potentialités communicationnelles aux partis politiques. X représente un cas d’étude judicieux, car il permet aux partis politiques de mener une communication en temps réel et d'attirer rapidement l'attention de journaliste des médias traditionnels qui y suivent activement les déclarations des acteurs politiques (Jacobs et al., Reference Jacobs, Sandberg and Spierings2020). Facebook est quant à lui une plateforme qui permet aux formations politiques de s'adresser à la population générale, qui y est davantage représentée que sur X. Ce réseau social offre la possibilité aux partis politiques de mieux cibler leur communication et de mobiliser les bons électeurs (Jacobs et al., Reference Jacobs, Sandberg and Spierings2020). De plus, Éric Duhaime a abondamment communiqué sur Facebook, créant entre autres des diffusions en direct hebdomadaires, dont des 5 @ 7 virtuels, avec divers invités. Le recours fréquent à ces directs semble indiquer une bonne compréhension des fonctionnalités interactives de la plateforme au sein de l’équipe de communication du PCQ.
L'analyse porte sur une période de 14 mois comprise entre le 17 avril 2021, soit le jour de l’élection d’Éric Duhaime comme chef du parti, et le 10 juin 2022 où la session parlementaire est ajournée avant la tenue de l’élection générale d'octobre 2022. Cette période couvre de nombreux évènements sur lesquels le parti s'est positionné en porte-à-faux avec le gouvernement et les autres acteurs de la classe politique québécoise dont, entre autres, l'implantation du passeport vaccinal, l'apparition du variant Omicron, les convois de camionneurs à Ottawa et Québec ou les enjeux de mobilité et de transport dans la région de Québec. Finalement, comme cette période couvre l'année pré-électorale et donc les phases finales de préparation à la campagne, la mise en place de l'agenda électoral du parti est prise en compte. Cela nous permet de relever la nature du discours du parti en prévision de la campagne électorale.
Sur la période étudiée, le PCQ et Éric Duhaime ont diffusé en ligne 4 078 publications sur Facebook et de 3 714 publications sur X. De cette population, nous avons tiré un échantillon aléatoire de 800 publications afin de tester nos hypothèses. Le codage a été réalisé manuellement par des codeurs humains. Notre grille de codification relève le caractère populiste concentré ou dilué de même que les objectifs visés par les publications.
Afin d'assurer la validité de la grille de codification, un test de fidélité intercodeurs a été mené sur un échantillon de 234 publications Facebook, codé par deux analystes humains. L'indice de fidélité interjuges obtenu au terme de l'exercice est de 96,36%, ce qui répond largement aux attentes scientifiques en analyse de contenu.
Nous avons codé 400 publications X et 166 publications Facebook supplémentaires. Ces 566 publications ont été analysées par un seul codeur. Notre échantillon de 800 publications représente 10,6% de toutes les publications diffusées pendant la période à l’étude. Ce seuil est suffisant pour repérer des tendances dans un contexte d'analyse de contenu, et le caractère aléatoire de notre échantillon permet de généraliser nos observations à l'ensemble des messages diffusés par le PCQ et son chef sur la période analysée. L’échantillon comprend des proportions similaires de messages diffusés sur les divers comptes analysés soit de 195 publications pour le Facebook d’Éric Duhaime (4,7% de toutes les publications Facebook) et 205 pour la page Facebook du PCQ (5% de toutes les publications sur Facebook), 159 publications sur le compte X du chef (soit 4,2% de tous les tweets diffusés) et 241 tweets diffusés sur le compte du parti (6% de tous les tweets diffusés).
Grille de codification des discours populistes
Pour répondre à notre première question de recherche, nous utilisons une grille inspirée des travaux de Jagers et Walgrave (Reference Jagers and Walgrave2007) et de Engesser et ses collègues (Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017). Elle relève les cinq éléments de la rhétorique populiste : la souveraineté populaire; l'appel au peuple; les élites corrompues; l'exclusion des « autres » et le « cœur de la nation » (heartland). Ces composantes complémentent celles de Jagers et Walgrave (Reference Jagers and Walgrave2007) qui distinguent le populisme dilué du populisme concentré en relevant les appels aux peuples, le rejet des élites et les discours d'exclusion. Cette conceptualisation permet une description plus exhaustive de la communication numérique du PCQ. Pour rappel, un populisme dilué se limite aux appels au peuple dans le discours, tandis qu'un populisme concentré comporte des éléments antiélitistes et d'exclusion envers des catégories de citoyens considérées comme néfastes.
La souveraineté populaire
La mise en avant de la souveraineté populaire vise à rappeler aux destinataires du message – des citoyens – que le pouvoir politique leur appartient. L'acteur populiste met alors de l'emphase sur le fait que toute décision gouvernementale doit d'abord répondre à la volonté populaire. Comme l'expliquent Engesser et ses collaborateurs (Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017: 1117), les politiciens populistes accusent l’élite politique (le gouvernement, les politiciens ou les partis politiques) d'usurper le pouvoir du peuple. En contrepartie, ils se présentent comme les défenseurs de la souveraineté populaire, qui rendront aux citoyens leur pouvoir décisionnel.
L'appel au peuple
L'appel au peuple désigne le « peuple » comme une entité monolithique pure et vertueuse, dont la volonté doit être la priorité absolue des gouvernements. Tout jugement devrait se faire au nom de la volonté populaire, et les populistes en sont les porte-voix (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017: 1111-1112).
Le rejet des élites corrompues
Dans la rhétorique populiste, les élites (politiques, économiques, médiatiques, scientifiques) sont dépeintes comme les ennemies du peuple, qui dirigent et gouvernent en fonction de leurs intérêts plutôt que ceux de la population. Elles sont décrites comme corrompues et égocentriques. Elles sont accusées de saper la vie démocratique et de voler le pouvoir du peuple (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017: 1112). Les populistes appellent alors à une refondation de l'ordre politique, et à un remplacement de l’élite par le peuple et leurs représentants.
L'exclusion des autres
En plus des élites, le discours populiste comprend fréquemment des attaques dirigées vers divers groupes de citoyens dépeints comme responsables des problèmes politiques et sociaux. Ces « autres » sont présentés comme dangereux pour l'ordre social. Au cours des dernières décennies, les partis populistes de droite ont ainsi visé les réfugiés et les immigrants ou les membres des communautés LGBTQ+. Ces citoyens sont accusés de menacer l’équilibre sociétal, les valeurs communes de la nation ou de représenter un fardeau pour la société (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017: 1112).
Mention au « cœur de la nation », la patrie
Les mentions au cœur de la nation, le heartland, réfèrent à une vision idéalisée de la patrie, de la communauté nationale (Engesser et al., Reference Engesser, Ernst, Esser and Büchel2017: 1112). Il s'agit d'une version nostalgique de ce qu’étaient autrefois la société nationale, ses valeurs, ses aspirations. Cette notion de la patrie s'incarne dans le discours par des références à des symboles nationaux tels que des personnages historiques importants ou des lieux mythiques.
L'analyse identifie dans chaque publication la présence de ces cinq éléments. En relevant la fréquence des mentions à ces éléments dans les publications, nous pouvons déterminer la proportion du discours du PCQ réservée à l'expression d'arguments populistes. En mesurant empiriquement le recours du PCQ à ces composantes populistes, nous serons en mesure de catégoriser le type de populisme qu'emploie la formation politique menée par Éric Duhaime. Une prédominance des éléments faisant référence aux élites corrompues constituerait un populisme concentré à caractère anti-élite. Une prédominance de la notion d'exclusion indiquerait plutôt à un populisme concentré à caractère exclusif.
Objectifs politiques dans la communication en ligne
Notre étude cherche également à relever les objectifs que le PCQ semble viser dans sa communication numérique. Nous posons comme hypothèse que ce sont des objectifs politiques de mobilisation de soutiens (dons, actions et membres) qui guident cette communication. Afin de tester notre hypothèse, nous menons une analyse de contenu à partir d'une grille inspirée par celle de Dubois (Reference Dubois2019). Nous mesurerons l'ensemble des objectifs relevés par Giasson, Greffet et Chacon (Reference Giasson, Greffet and Chacon2018), soit les objectifs de communication, les objectifs politiques et les objectifs marketing. Les objectifs de communication consistent en une transmission du message officiel du parti, une attaque envers les adversaires ou un recadrage du message. Les objectifs politiques visent plutôt à défendre le programme politique ou idéologique du parti, à mobiliser les électeurs en les encourageants à poser un geste militant, faire un don ou devenir membre du parti par exemple. Les objectifs de marketing visent finalement à récolter des données sur les électeurs dans une optique de segmentation de l’électorat, de ciblage de la communication ou de réajustement de la campagne. Ces indicateurs sont codés de manière binaire en fonction de leur présence ou non dans la publication analysée.
Au sein des objectifs politiques, nous relevons dans les messages la présence de trois aspects de la mobilisation en ligne : soit l'appel au membership, l'appel au don et l'appel à poser un geste militant. Internet et les médias socionumériques ont mené à une reconfiguration du répertoire des formes de participation politiques (Small et al., Reference Small, Jansen, Bastien, Giasson and Koop2014). En nous inspirants des catégories couramment mobilisées au sein d’études antérieures sur la participation politique à l’ère numérique (Giasson et al., Reference Giasson, Greffet and Chacon2018 ; Giasson et al. Reference Giasson, Le Bars and Dubois2019 ; Bor, Reference Bor2014), nous portons notre attention sur neuf gestes militants : participer à une manifestation, signer une pétition, partager une publication, aimer/réagir à une publication, commenter une publication, écrire à un élu, participer à un évènement hors-ligne organisé par le parti, participer à un évènement en ligne organisé par le parti, et participer à l'appel au vote. Ces indicateurs sont également codés de manière binaire de manière à relever leur présence.
Résultats
Le premier objectif de notre recherche est de déterminer si le PCQ et son chef véhiculent de manière prédominante des arguments populistes dans leur communication en ligne. Deux hypothèses sont soumises à la vérification. Tout d'abord, nous nous attendons à observer la présence d'un populisme concentré (qui combine des appels aux peuples et d'autres éléments populistes) dans la communication conservatrice et, ensuite, que ce populisme concentré comporterait une constituante antiélitiste forte.
Nos données agrégées indiquent d'abord que plus d'un tiers (33%) des messages du PCQ et de son chef contiennent des éléments populistes. Ainsi, comme l'indique le tableau 1, un message sur trois diffusé pendant l'année suivant l'arrivée d’Éric Duhaime à tête du PCQ véhicule du contenu populiste. Il ne s'agit pas de la majorité des publications conservatrices, mais cela représente une proportion significative et constante de messages dans la communication des conservateurs.
L'hypothèse voulant que le PCQ emploie un style populiste condensé semble se confirmer dans nos analyses. Comme le présentent les données des tableaux 1 et 2, si des appels au peuple sont fréquents dans sa communication en ligne (17% des publications), cet élément est souvent accompagné d'une autre composante populiste. De plus, l’élément populiste revenant le plus souvent est l'antiélitisme (28% des publications), ce qui appui notre seconde hypothèse voulant que le parti et son chef emploient un discours populiste comprenant une composante antiélitiste.
Ce cadrage antiélitiste est dirigé envers le gouvernement québécois, qui est fréquemment critiqué pour sa gestion de la pandémie. Par exemple, la figure 1, qui présente un tweet provenant du compte d’Éric Duhaime datant du 6 mars 2022, illustre le caractère antiélitiste relevé lors de nos analyses.
La figure 2 présente quant à elle une publication provenant du compte Facebook du chef conservateur qui combine la critique des élites et l'appel au peuple en faisant référence à la déconnexion et l'insensibilité de François Legault envers des citoyens moins fortunés qui composent plus difficilement avec les mesures de confinement.
Il faut toutefois souligner que la proportion totale de messages populistes dans la communication numérique d’Éric Duhaime que nous avons étudiée est inférieure à ce qui est observé dans certaines études européennes. Si la dimension antiélitiste du populisme du PCQ se rapproche de ce que Bobba (Reference Bobba2019) observe en Italie (32,4% dans son cas) et qu'elle est encore bien plus élevée que le 10% de publications visant à humilier les élites que relèvent Jacobs et ses collègues (2020) dans les messages de parlementaires populistes néerlandais, autrichiens et suédois, le nombre total d’éléments populistes relevé dans notre échantillon de la communication numérique du PCQ est moins élevé que ce que relèvent ces chercheurs ailleurs. En effet, dans le cadre de son étude de la communication en ligne du parti Lega Nord en Italie, Bobba recense des éléments populistes dans 84,5% des publications, tandis que cette proportion correspond à 33% des messages du PCQ compris dans notre échantillon. Cela pourrait s'expliquer par l'absence d'un discours d'exclusion dans la rhétorique populiste du PCQ. Notre analyse n'a relevé qu'un seul un message anti-immigration, tandis que cet élément représente 21,9% du corpus étudié par Bobba en Italie (2019). Le populisme du PCQ que nous relevons dans notre analyse semble donc plutôt viser à exprimer des attaques virulentes du parti et de son chef envers l'action gouvernementale, ce qui pourrait lui permettre, comme d'autres l'ont souligné ailleurs (Villeune-Siconnelly et Dubois, Reference Villeneuve-Siconnelly and Dubois2021; Dufour et Tanguay Reference Dufour and Tanguay2022; Bourgault-Coté Reference Bourgault-Côté2022), de rejoindre des électeurs québécois également critiques envers la gestion pandémique du gouvernement Legault.
Enfin, la présence d’éléments populistes varie selon la plateforme utilisée. Sur X, la proportion de messages populistes est de 26% sur le compte du PCQ, et de 31% sur celui d’Éric Duhaime. Sur Facebook, ces résultats sont plus élevés, alors que l'on retrouve des éléments populistes dans 38% des publications provenant de la page du parti, puis de 39% sur celle du chef. La différence entre les émetteurs est toutefois minime. Le tableau 3 illustre la proportion de messages populistes selon le compte analysé.
En somme, bien que la majorité des publications du PCQ et de son chef que nous avons analysé ne comportent pas d’éléments populistes, celles qui en véhiculent reflètent un discours populiste concentré marqué par une forte dimension antiélitiste. En ce sens, nos deux premières hypothèses semblent se confirmer.
Notre seconde question de recherche porte sur les objectifs stratégiques de la communication en ligne qu'il est possible de relever, ou d'inférer, par l'analyse du contenu des messages du PCQ. Nous postulons premièrement que des objectifs politiques seront plus fréquemment mentionnés dans la communication numérique conservatrice et, deuxièmement, que parmi ces objectifs stratégiques, les appels aux dons, au membership et à l'action seront les plus couramment mobilisés.
Nos analyses indiquent que ce sont plutôt des objectifs de communication qui dominent dans les publications étudiées. Les objectifs politiques ne sont énoncés que dans 23% des messages analysés. Ce résultat correspond toutefois à ce que d'autres analyses sur les objectifs stratégiques de la communication numérique des partis ont relevé précédemment (Bor, Reference Bor2014 ; Giasson et al., Reference Giasson, Le Bars and Dubois2019). Les partis politiques sont surtout en ligne pour diffuser leur message. Notre troisième hypothèse qui postule une prédominance des objectifs politiques dans la communication numérique du parti ne se confirme pas. Nos analyses démontrent cependant que le recours à l'attaque domine dans les publications du parti. Cette donnée semble alignée avec la nature antiélitiste et la tonalité critique envers le gouvernement québécois des publications analysées.
Aucun objectif de marketing n'a été relevé dans notre échantillon. Cela pourrait s'expliquer par le fait que les partis ne dévoilent pas publiquement que leurs publications sur les médias socionumériques peuvent servir à récolter des données sur les électeurs ou qu'elles permettent de mener à une communication ciblée visant des segments électoraux précis. Les objectifs de marketing politique se relèvent davantage par le biais d'entretiens auprès de stratèges du parti (Giasson et al., Reference Giasson, Le Bars and Dubois2019 ; Giasson et al., Reference Giasson, Greffet and Chacon2018). Ils sont plus complexes à inférer par l'analyse du contenu de la communication numérique des formations politiques.
Le tableau 4 présente la proportion des objectifs relevés lors de l'analyse. Il est important de noter que les catégories d'objectifs ne sont pas mutuellement exclusives ; plusieurs publications en énoncent plus d'une. De plus, 269 autres publications n'expriment aucun objectif stratégique précis. Cela explique pourquoi le pourcentage total n'atteint pas 100% dans le tableau synthèse.
En ce qui a trait aux objectifs politiques de la communication en ligne du parti, les données du tableau 5 montrent que les appels aux dons s'expriment dans moins de 1% des publications étudiées et les appels au membership n'apparaissent que dans 3% des publications, ce qui va à l'encontre de notre quatrième hypothèse qui prévoient une forte proportion de ces appels dans la communication conservatrice en ligne. En revanche, une proportion plus marquée d'appels à poser un geste militant (21% des publications) s'exprime dans la communication du PCQ, ce qui va dans le sens de notre raisonnement théorique initial.
Parmi ces appels à l'action, quelques publications conservatrices encouragent les électeurs à participer à des évènements en ligne et hors ligne (7%), à signer des pétitions (1%) et à commenter des publications (2%). Bien qu'elles ne soient pas mobilisées fréquemment dans la communication du PCQ et de son chef, ces actions demeurent importantes dans les stratégies communicationnelles numériques des partis politiques. Les pétitions en ligne permettent par exemple aux formations de recueillir les adresses de courriels des signataires. Elles sont consignées dans des bases de données et sont utilisées par les organisations pour rejoindre ultérieurement ces citoyens. À titre d'exemple, la figure 3 présente une publication Facebook provenant du compte d’Éric Duhaime le 29 mai 2022 qui encourage les électeurs à signer une pétition.
Néanmoins, cette proportion d'objectifs politiques demeure plus faible que dans d'autres études effectuées sur l'hybridité des campagnes (Giasson et al., Reference Giasson, Greffet and Chacon2018). Cela pourrait s'expliquer par le fait que nos hypothèses s'attardent essentiellement aux notions de membership, de militantisme et de financement, et non à l'ensemble des objectifs politiques. De plus, ces auteurs concluent que les formations de droite ont généralement moins recours aux objectifs politiques que les formations de gauche. En contrepartie, l’étude de Dubois (Reference Dubois2019) qui aborde la mobilisation dans la communication en ligne de formations politiques municipales, répertorie une proportion moins élevée de messages faisant la promotion d'activités militantes que ce que nous observons dans notre échantillon de messages du PCQ.
L'appel au militantisme est l'objectif politique le plus souvent mobilisé par le PCQ et son chef dans leur communication. Le tableau 6 présente la fréquence de mentions à différents gestes militants dans la communication numérique de PCQ que nous avons étudiée. L'appel à participer à un évènement en ligne organisé par le parti est l'action militante la plus fréquemment mentionnée, alors que le chef invite ses militants à participer aux rencontres hebdomadaires du parti sur Zoom.
Ce faisant, Éric Duhaime et le PCQ semblent tirer profit de manière innovante du potentiel d'interaction qu'offrent les médias socionumériques, comme en témoigne le contenu de la figure 4 diffusé le 30 décembre 2021 sur la page Facebook du chef conservateur.
Un lien Zoom figure sur la publication, qui est relayée sur l'ensemble des pages du parti et du chef, toute plateforme confondue, afin de stimuler la participation des internautes sympathisants à ces rencontres.
Nos données montrent que le parti et son chef ont employé régulièrement un discours populiste antiélitiste dans l'année qui précède l’élection provinciale de 2022. D'autres analyses et reportages journalistiques postulent que ce populisme aurait permis d'exploiter la colère de certains électeurs envers la gestion pandémique du gouvernement (Bélair-Cirino, Reference Bélair-Cirino2022 ; Dufour et Tanguay, Reference Dufour and Tanguay2022 ; Fournier, Reference Fournier2022 ; Porter, Reference Porter2022 ; Bourgault-Côté, Reference Bourgault-Côté2022). En s'adressant directement à cet électorat critique par le biais des médias socionumériques, le PCQ a probablement pu capter l'intérêt d'un segment de l’électorat par son discours antiélitiste qui accuse le gouvernement de brimer les droits individuels par l'instauration et le maintien de mesures sanitaires comme le port du masque et le passeport vaccinal.
Il est important de rappeler que notre analyse du contenu des publications numériques du PCQ ne permet pas de valider ce postulat. Néanmoins, avant de devenir chef du Parti conservateur, Éric Duhaime s'est exprimé publiquement à de nombreuses reprises et a organisé un rassemblement contre les mesures sanitaires mises en place par le gouvernement. Comme l'indiquent nos analyses, cette posture critique s'est maintenue ensuite dans sa communication comme leader de parti en s'inscrivant dans un populisme antiélitiste. Enfin, certains messages de la communication numérique du PCQ visent également à mobiliser les électeurs, en les encourageant à participer aux activités du parti, bien que notre hypothèse stipulant une prédominance des objectifs politiques ne se confirme pas dans notre analyse de contenu.
Discussion
Cet article brosse le portrait des composantes populistes de la communication numérique du Parti conservateur du Québec et de son chef, Éric Duhaime, sur X et Facebook dans l'année qui précède le déclenchement de l’élection générale québécoise de 2022. Nos données indiquent que dans le tiers de ses messages diffusés sur les médias socionumériques, le PCQ tient un discours populiste concentré à tendance antiélitiste. Ainsi, une contribution sur trois du PCQ et d’Éric Duhaime sur les médias numériques véhicule des éléments populistes, principalement critique de l’élite québécoise. Cette critique des élites pourrait avoir permis au parti, comme l'avancent d'autres auteurs, d'exploiter l'incertitude ou la colère d'un segment de la population face à la gestion gouvernementale de la crise sanitaire.
Toutefois, contrairement à nos attentes théoriques, le PCQ et son chef ont peu exploité le potentiel de mobilisation qu'offrent les médias socionumériques dans l’échantillon de messages que nous avons analysé. Ils ne semblent pas avoir eu recours à une stratégie claire de stimulation du membership ou du financement dans leur communication en ligne. Notre hypothèse sur une prédominance des objectifs politiques au sein de la communication en numérique du parti n'est pas confirmée par notre analyse de contenu. Dans l’échantillon aléatoire de contributions Facebook et X que nous avons étudié, le PCQ priorise des objectifs de communication traditionnels, comme l'attaque.
Notre étude s'inscrit dans un bassin de connaissances déjà riche sur l'utilisation des médias socionumériques par des formations populistes. Elle apporte toutefois une contribution au développement du savoir en étudiant les discours populistes québécois et canadiens tenus en contexte pandémique, une combinaison qui n'avait pas encore fait l'objet d'analyse. Notre étude révèle comment ce parti a employé de manière récurrente un discours hostile envers les élites, et particulièrement le gouvernement québécois.
Nos analyses permettent de relever certaines observations qui mériteront d’être étudiées davantage dans le cadre de recherches futures. Premièrement, le PCQ et son chef semblent avoir tiré profit des fonctions interactives de la communication partisane en ligne. Notre analyse de contenu indique qu'ils utilisent les diffusions en direct (Facebook Live) et renouvèlent les invitations aux internautes à participer à des réunions Zoom, à laisser des commentaires ou à partager des contenus. Cela s'inscrit habillement à une posture populiste qui revendique une proximité au peuple. En interagissant directement avec les électeurs, ce que facilitent les médias socionumériques, le PCQ et Éric Duhaime renforcent l'idée qu'ils sont des alliés de ce peuple qu'ils tentent de défendre face à une élite politique déconnectée. Ces pratiques interactives du PCQ que nous observons dans la période étudiée ne correspondent pas aux constats de travaux antérieurs qui indiquent plutôt le caractère limité du recours aux fonctions d'interactions par les formations politiques (Small, Reference Small, Marland, Giasson and Lees-Marshment2012 ; Gibson et al., Reference Gibson, Greffet and Cantijoch2017 ; Giasson et al., Reference Giasson, Greffet and Chacon2018 ; Enli, Reference Enli2017). Ces analyses antérieures révèlent que la communication partisane numérique serait marquée par la prudence et la centralisation du message. Les formations politiques seraient ainsi réticentes à encourager l'interaction avec les électeurs dans leur communication numérique, craignant d'en perdre le contrôle (Gibson et al., Reference Gibson, Greffet and Cantijoch2017). Le PCQ semble toutefois tirer profit de ces fonctions d'interactions, ne se limitant pas à une communication unidirectionnelle sans attente de rétroaction des citoyens visés (Enli, Reference Enli2017).
Deuxièmement, nous avons observé lors de notre analyse de contenu que le PCQ et son chef diffusent fréquemment des contenus humoristiques, particulièrement des caricatures. Cette utilisation du registre de l'humour cadre avec la rhétorique populiste anti-establishment, alors que plusieurs de ces publications conservatrices ridiculisent ou décrédibilisent l'action gouvernementale. En plus d'activer les émotions des électeurs, ces éléments satiriques résument simplement les messages programmatiques, plus complexes et nuancés, du parti. Une analyse approfondie de cette particularité de la communication numériques des conservateurs permettrait de mieux en comprendre les fondements et les effets.
Enfin, bien qu'il n'hésite pas à critiquer les grands médias d'information pour son manque de couverture (Bourgault-Côté, Reference Bourgault-Côté2022), nos données montrent que le PCQ relaie en fait de nombreux contenus provenant des médias traditionnels. Cette pratique révèle l'hybridité médiatique qui marque le contexte de communication politique contemporain. De plus, l'utilisation de contenu provenant des médias traditionnels permet au parti de se légitimer, tout en justifiant son positionnement par rapport aux enjeux saillants. Il ne faut pas non plus oublier que le chef du parti est un ancien animateur de radio habitué des plateaux médiatiques et un ancien stratège politique du Bloc québécois, de l'Alliance canadienne et de l'Action démocratique du Québec. En ce sens, il comprend parfaitement les logiques médiatiques et leur impact sur la vie politique.
Bien que notre analyse propose une contribution à l’étude des discours populistes en contexte canadien, elle présente aussi ses limites. Premièrement, elle ne porte pas sur l'ensemble de la communication numérique du Parti conservateur du Québec. Deuxièmement, nous n’étudions pas non plus l'impact de la communication en ligne du PCQ sur sa couverture dans les médias traditionnels ni sur le comportement électoral. Notre analyse de contenu permet d'inférer des orientations stratégiques ou des effets potentiels, mais elle ne les mesure pas. Des entretiens semi-dirigés auprès de stratèges conservateurs de même des sondages ou des groupes de discussion menés auprès d’électeurs conservateurs permettraient de mieux saisir ces réalités.
Néanmoins, malgré ces limites, notre étude expose les composantes de la rhétorique populiste et certains des objectifs stratégiques du PCQ dans un échantillon de sa communication numérique. Elle révèle ainsi la présence d’éléments populistes dans le discours politique québécois. Nos conclusions permettent également de poser de premières balises dans l’étude des discours populistes au Canada. Au cours des dernières années, le Canada assiste à la montée d'une tendance conservatrice populiste dont les acteurs sont très actifs sur les médias socionumériques. Les cas de Pierre Poilièvre (chef du Parti conservateur du Canada), de Maxime Bernier en début de la parenthèse: leader du (Parti populaire du Canada) ou de Danielle Smith (première ministre de l'Alberta) s'inscrivent dans ce mouvement. En ce sens, il est important que de nouveaux travaux soient engagés afin de mieux comprendre les composantes de la communication politique populiste et son impact sur la vie démocratique au Canada.