« Je veux que ce livre puisse mener à de plus grandes discussions à la maison, en classe et au sein de groupes communautaires […] Ces sujets [abordés dans l'ouvrage] sont difficiles. Parfois, il faudra simplement s'entendre pour ne pas être d'accord. Et, au bout de compte, nous devrons encore nous demander comment vivre ensemble. Cela peut commencer seulement lorsque l'on comprend mieux les enjeux fondamentaux [des Premières Nations des Métis et des Inuit au Canada]. » (12)
C'est dans la foulée de la publication des rapports de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015) que Chelsea Vowel, autrice reconnue et enseignante à l'Université de l'Alberta, a rédigé trente-et-un essais qui abordent un large éventail de questions liées aux peuples autochtones. Écrit sous la forme de conversations avec ses lectrices et lecteurs, l'ouvrage engagé « donne de l'information de base, information dont les gens ont besoin pour faire avancer les relations entre les Autochtones et les non-autochtones » (319). C'est d'ailleurs avec un franc-parler – dont elle reconnaît volontiers qu'il est parfois « carrément sarcastique » (11) – qu'elle partage ses réflexions en tant que femme Métis.
Le livre est organisé en cinq thèmes, mais chaque essai d'une douzaine de pages se lit de façon autonome. Ensemble, ils permettent de mieux comprendre les structures politiques, juridiques et socio-économiques sous-tendant les enjeux qui touchent les peuples autochtones au Canada, mais aussi d'interroger les idées reçues sur celles-ci. L'autrice explore d'abord le vocabulaire des relations dans la première partie, revenant sur l'héritage historique des termes associés aux Autochtones (essai 1) et non-autochtones (essai 2), puis spécifie quels termes doivent être évités ou employés selon sa perspective. Dans la deuxième partie, elle aborde la question de la culture et de l'identité des Premières Nations (essai 3), des Métis (essai 4), des Inuit (essai 5), puis des personnes bispirituelles (essai 12). Cela lui permet de remettre en question ce qui est « acceptablement autochtone » (essai 6), de mobiliser des œuvres culturelles et des controverses récentes, afin de définir les limites à l'utilisation des symboles issus des cultures autochtones, avant de s'exprimer sur des enjeux saillants tels que ceux de l'appropriation culturelle et de la propriété intellectuelle (essais 7 à 11).
Le troisième thème – l’éclatement des mythes – identifie avec justesse les problématiques de l'image des Autochtones dans les médias et le récit national (essai 13), ainsi que les enjeux de reconnaissance des titres autochtones et son rôle sur l’égalité des chances (essai 14). L'autrice démystifie également des préjugés tenaces liés aux impôts, aux logements, à l'alcoolisme, à la théorie de l’évolution ainsi qu'aux traditions autochtones (essais 15 à 19). Elle illustre ensuite dans la quatrième partie la violence de l’État en sensibilisant les lectrices et lecteurs aux impacts actuels des tentatives d'assimilation (ex. les pensionnats, la rafle des années 1960, la relocalisation des Inuit, etc.) sur les communautés (essais 20 à 23), avant d'aborder les problématiques de l'accès à l'eau potable (essai 24) et du manque d’éducation sur les réalités des peuples autochtones (essais 24 et 25). Enfin, dans la cinquième section, l'autrice porte son attention sur le territoire, l’éducation, les droits et les traités. Elle va notamment réfuter avec humour les arguments qui justifiaient la dépossession des droits autochtones au moment colonial (essai 26), l'histoire des traités (essais 27 et 28), le système de réserves et les questions de propriété (essais 29 et 30) avant de compléter l'ouvrage en expliquant l'importance, mais aussi les défis pour les communautés, d'obtenir le plein contrôle de l’éducation de leurs enfants (essai 31).
Bien que l'ouvrage Écrits autochtones s'adresse d'abord à un lectorat anglophone (une grande partie des ressources partagées ne sont disponibles qu'en anglais) et que l'utilisation de certains termes ou références puisse porter à confusion, l'ouvrage demeure une lecture éclairante susceptible de capter l'attention du grand public. Tel que mentionné par Chelsea Vowel, on peut en effet ne pas partager toutes les opinions exprimées, mais cet ouvrage parvient avec brio à répondre à son objectif : informer les Canadiennes et les Canadiens sur les réalités et les perspectives des peuples autochtones, ainsi que leur fournir les outils nécessaires afin qu'elles et ils contribuent à améliorer les relations entre les Autochtones et les non-autochtones.
Écrits autochtones est par ailleurs autant un effort académique de vulgarisation de l’état des connaissances qu'un manifeste en faveur d'une réelle décolonisation qui ne peut passer que par l’éducation. En effet, comme l'affirme l'autrice, « sans éducation, il ne peut y avoir de justice et tant qu'il n'y aura pas de justice, il n'y aura pas de paix » (304). Près d'un an après le choc engendré par l'identification de 215 tombes anonymes d'enfants à proximité d'un ancien pensionnat autochtone à Kamloops, en Colombie-Britannique, la traduction du livre en français arrive à un moment charnière où 44 % de la population canadienne reconnaît ne pas avoir une bonne compréhension des expériences passées et présentes des peuples autochtones (Canadian Reconciliation Barometer, 2021) et que selon un autre sondage, 10 % seulement des Canadiennes et des Canadiens affirment être très familiers avec l'histoire du système des pensionnats (Assembly of First Nation, 2021).