Published online by Cambridge University Press: 10 November 2009
The analysis of the modalities of the governing of conduct, in an individualizing and totalizing modern political rationality, along with the conception of spaces of freedom for concrete human subjects in this environment, are two great preoccupations of Michel Foucault's last works. This article provides an account of the actualization by Foucault of his thought on power which explains the various factors, from problems of historical interpretation to new perspectives, which led him to conceive of power in the categories of the governing of the conduct of others. This study finds anticipations of these changes in Foucault's first historical studies, and demonstrates their relevance in the framework of reflections on freedom.
L'analyse des modalités de la gouverne de la conduite au sein d'une rationalité politique individualisante et totalisante, de même que la conception d'espaces de liberté pour des sujets humains concrets, telles sont deux grandes préoccupations des derniers travaux de Michel Foucault. Cet article vise à rendre compte de l'actualisation par Foucault de sa réflexion sur le pouvoir, à cerner les divers facteurs, allant des problèmes d'interprétation historique aux perspectives nouvelles, qui l'ont amené à envisager le pouvoir dans les catégories de la gouverne de la conduite d'autrui. Cette étude trouve des anticipations de ces changements dans les premières études historiques de Foucault, et montre leur pertinence dans le cadre d'une réflexion sur la liberté.
1 Nous voulons déxsblayer le terrain pour favoriser une lecture de l'ensemble de la production de Foucault, qui privilégie la discontinuité ou la multiplicité des directions à l'intérieur des mêmes oeuvres. Nous sommes bien conscient de ne pouvoir offrir pour le moment que les prolégomènes d'un tel projet. Pour un rejet complet de Foucault mêle de préjugés à l'égard de la philosophie françhise, voir Merquior, José-Guilherme, Foucault ou le nihilisme de la chaire (Paris: PUF, 1986), 10Google Scholar et 187. Pour une tentative d'appropriation, voir Deleuze, Gilles, Foucault (Paris: Les Éditions de Minuit, 1986).Google Scholar Deleuze ne fait pas que s'efforcer de voir sous le jour de la cohérence Pensemble de l'oeuvre de Foucault. Il la rapporte aussi à sa propre interprétation de la pensee nietzscheenne (131 et 139). Pour une lecture sympathique mais aussi critique, voir Rajchman, John, Michel Foucault: La liberté de savoir (Paris: PUF, 1987).Google Scholar
2 Foucault, Michel, L'usage des plaisirs (Paris: Gallimard, 1984)Google Scholar; et Foucault, Michel, Le souci de soi (Paris: Gallimard, 1984).Google Scholar L'auteur annonce son intention de procéder à d'importants virages dans le premier ouvrage (14).
3 Olivier, Lawrence, « La question du pouvoir chez Foucault: espace, stratégie et dispositif », cette Revue 21 (1988), 83–98.Google Scholar Parmi les textes de Foucault qui comptent pour lui dans cet article, Olivier mentionne « Deux essais sur le sujet et le pouvoir » (83, note 1). Pourtant, ce texte n'est cité en aucune occasion. Nous montrerons qu'Olivier ne l'a pas vraiment intégré dans sa démarche.
4 Foucault, Michel, L'usage des plaisirs (Paris: Gallimard, 1984), 14.Google Scholar
5 Foucault, Michel, « The Ethic of Care for the Self as a Practice of Freedom », dans Rasmussen, James Bernauer et David (dir.), The Final Foucault (Cambridge, Mass.: M.I.T. Press, 1988), pages 3–4Google Scholar sur les rapports entre pouvoir et domination, page 19 quant à l'absence de clarté dans les études antérieures de Foucault sur le pouvoir. Le pouvoir pour Foucault, en 1984, n'est pas un mal en soi.
6 Foucault, Michel, « Deux essais sur le sujet et le pouvoir », dans Rabinow, Hubert Dreyfus et Paul (dir.), Michel Foucault: Un parcours philosophique (Paris: Gallimard, 1984), 319–20.Google Scholar
7 Foucault, Michel, Surveiller et punir (Paris: Gallimard, 1975), 31Google Scholar; également, Foucault, Michel, La volonté de savoir (Paris: Gallimard, 1976), 123Google Scholar; et Foucault, Michel, « Two Lectures », dans Foucault, Michel, Power/Knowledge (New York: Pantheon Books, 1980), 97–98.Google Scholar
8 Le penseur français aurait dû consulter les fines études des philosophes contemporains du droit, tels H. L. A. Hart. Voir à ce sujet Hussain, Mark Cousins et Athar, Michel Foucault (Londres: Macmillan, 1984), 237–38.Google Scholar
9 Locke et les historiens que nous avons consultés accréditent l'idée d'une ontologie de la contingence. Raeff, Voir Marc, The Well-Ordered Police State: Social and Institutional Change in the Germanies and Russia, 1600–1800 (New Haven: Yale University Press, 1983), 177.Google Scholar
10 Tully, James, « Governing Conduct », 51 (texte manuscrit). Repris dans Leites, Edmund (dir.), Conscience and Casuistry in Early Modern Europe (Cambridge: Cambridge University Press, 1986).Google Scholar
11 Ibid., 68–70.
12 Foucault, Surveiller et punir, 182.
13 Braudel, Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme (Paris: Armand Colin, 1979Google Scholar, vol. 2), 490; et Chapman, Brian, Police State (Londres: Praeger, 1970), 27.Google Scholar
14 Oestreich, Gerhard, Neo-Stoicism and the Early Modern State (Cambridge: Cambridge University Press, 1982), 260CrossRefGoogle Scholar; et Raeff, The Well-Ordered Police State, 150, 170 et 251.
15 À partir du 13e siècle, l'intensité de la pastorale fut souvent intolérable. Delumeau, Voir Jean, Le péché et la peur: La culpabilisation en Occident, XIIIe-XVIIIe siècles (Paris: Fayard, 1983), 522.Google Scholar
16 Reinhard, Wolfgang, « Zwang zur Konfessionalisierung », Zeitschrift für historische Forschung 10 (1983), 258–60.Google Scholar Voir aussi Raeff, 17 et 61.
17 Tully, « Governing Conduct », 34–35; et Raeff, The Well-Ordered Police State, 37.
18 Raeff, The Well-Ordered Police State, 63–64.
19 Voir Ibid., 74, 77, 85 et 122. Pour une analyse de la reprise de ce thème dans la pensée de Foucault, voir Cooper, Barry, Michel Foucault: An Introduction to the Study of His Thought (New York: Edwin Millen Press, 1981), 108–09.Google Scholar
20 Raeff, The Well-Ordered Police State, 158–62.
21 Ibid., 127–49.
22 Ibid., 178.
23 Foucault, Michel, « Omnes et Singulatim: Towards a Criticism of Political Reason », dans McMurrin, Sterling, The Tanner Lectures on Human Values (Salt Lake City: University of Utah Press, 1981), 254.Google Scholar Voir aussi Foucault, Michel, « Foucault at the Collège de France ii: A Course Summary with an Introduction by James Bernauer », Philosophy and Social Criticism 7 (1981), 354Google Scholar; et Cooper, 99–100.
24 Foucault, « Deux essais sur le sujet et le pouvoir », 305.
25 Ibid., 306.
26 Ibid., 309–10.
27 Ibid., 310. Foucault est done encore plus explicite dans ses derniers écrits quant au refus de tout déterminisme.
28 Cette nouvelle façon d'envisager les disciplines représente une autre des mutations conceptuelles ignorées par l'article d'Olivier.
29 Foucault, Michel, « What Is Enlightenment? », dans Rabinow, Paul (dir.), The Foucault Reader (New York: Pantheon Books, 1984), 47–48.Google Scholar
30 Foucault, « Deux essais sur le sujet et le pouvoir », 318 et Raeff, The Weil-Ordered Police State, 149.
31 Foucault, « Deux essais sur le sujet et le pouvoir », 312. Lawrence Olivier a raison d'écrire que le thème principal de Foucault est le sujet et non pas le pouvoir. Sauf que le sujet ne vit pas dans un univers imperméable au pouvoir. Conscient des potentialités du pouvoir dans le monde moderne, Foucault a procuré aux sujets humains des outils de liberté. C'est ce qu'un intellectuel specifique peut accomplir lorsqu'il identifie « les formes spécifiques… sous lesquelles sont apparus la vérité et le pouvoir au cours de notre histoire ». Voir Hubert Dreyfus et Rabinow, Paul, « Habermas et Foucault: qu'est-ce que l'âge d'homme », Critique, numéros 471–72 (août-septembre 1986), 866.Google Scholar
32 Poster, Mark, Foucault, Marxism, and History (Londres: Polity Press, 1984), 109–10.Google Scholar
33 Ibid., 111.
34 Foucault, « Deux essais sur le sujet et le pouvoir », 303.
35 Ibid., 301–02. Nous utilisons dans ce texte les dernières réflexions de Foucault sur le sujet et le pouvoir pour faire ressortir la perspective de la discontinuité sur des elements importants de son oeuvre. Une recherche exhaustive dans cette direction devrait tenir compte du point de vue opposé défendu par Luc Ferry et Alain Renaut. Ces derniers croient que Foucault n'a jamais cessé de dissoudre la subjectivité dans l'individualité. Voir Luc Ferry et Renaut, Alain, La pensée 68: Essai sur l'anti-humanisme contemporain (Paris: Gallimard, 1985), 163.Google Scholar Comme on le verra plus loin dans ce texte, Ferry et Renaut ont raison d'ecrire que Foucault n'accorde pas de valeur régulatrice à la politique républicaine, celle de l'être libre ensemble. Ce faisant, il court le danger d'une réduction de la sphère politique au domaine privé. Sur ce point, la critique américaine rejoint la critique française. Roth, Voir Michael S., Knowing and History: Appropriations of Hegel in Twentieth-Century France (Ithaca: Cornell University Press, 1988), 221.Google Scholar
36 Foucault, Michel, Histoire de lafolie à l'âge classique (Paris: Gallimard, 1972), 64–65.Google Scholar
37 Foucault, « Omnes et Singulatim: Towards a Criticism of Political Reason », 252.
38 Foucault, Histoire de lafolie à l'âge classique, 67.
39 Ibid., 86 et 40.
40 Ibid., 465.
41 Foucault, Michel, Naissance de la clinique: une archéologie du regard médical (Paris: PUF, 1978), 25.Google Scholar
42 Ibid., 70–72.
43 Ibid., 34.
44 Ibid., 67.
45 Ibid., 83–85.
46 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, 502 et 505.
47 Les travaux de Marcel Gauchet et Gladys Swain font bien comprendre que le rêve asilaire appartient au système plus large d'un ordre républicain où il s'agissait « d'élaborer des strategies de pénétration de la loi à l'intérieur de l'individu et à l'insu de celui-ci, de restructuration de sa personnalité… ». Lorsque la volonté thérapeutique fit son entrée dans les établissetnents, il n'y allait de rien de moins « que d'une gestion complète de la vie de l'autre ». Ce qui se passe dans l'asile caracterise la politique post-révolutionnaire, celle où « il est du devoir de tous les pouvoirs de s'emparer des âmes et d'en réformer le contenu… ». Voir Marcel Gauchet et Swain, Gladys, La pratique de l'esprit humain: l'institution asilaire et la révolution démocratique (Paris: Gallimard, 1980), 116, 128 et 123.Google Scholar
48 Ibid., 519–21.
49 Tully, « Governing Conduct », 66 ss.
50 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, 514. Selon Gauchet et Swain, il s'agissait d'une « expropriation, substitution à autrui, volonté de faire coïneider tout l'autre avec le programme en lequel on l'assigne… » (La pratique de l'esprit humain, 108 et 109). Pour Foucault, en dernier lieu, la réussite de ce projet aurait été synonyme de domination plutôt que de pouvoir.
51 Ibid., 446. L'homme, écrivait Maurice Merleau-Ponty, est le lieu de la contingence. Merleau-Ponty, Voir Maurice, Signes (Paris: Gallimard, 1961), 304–05.Google Scholar
52 Foucault, Histoire de lafolie à l'âge classique, 418 et 524.
53 Ibid., 446.
54 Foucault, Surveiller et punir, 193.
55 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, 523. II y a tout un débat, en historiographie, autour de la valeur des recherches de Foucault sur la folie. Pour une présentation succincte de ce débat, voir Merquior, Foucault ou le nihilisme de la chaire, 26–33. Nous ne faisons que mettre en rapport des textes écrits à 25 ans d'intervalle, pour y signaler des éléments de convergence sur la question du pouvoir.
56 Foucault, Michel, Les mots et les choses (Paris: Gallimard, 1966), 333.Google Scholar
57 Foucault, « Deux essais sur le sujet et le pouvoir », 314.
58 Ibid., 315. La resistance au pouvoir permet de maintenir une ouverture pour la liberté. Au sujet de la signification de ce concept dans la pensée de Foucault, voir Rajchman, Michel Foucault, 145.
59 Foucault, « Deux essais sur le sujet et le pouvoir », 318–19. Olivier ne s'est pas penché sur cette redéfinition de la notion de stratégie, sur ses implications pour la manière d'envisager le lien entre relations de pouvoir et rapports guerriers.
60 Ibid., 319–20.
61 Ibid., 315.
62 Gauchet et Swain nous aident à comprendre les hésitations de Foucault. Dans l'ordre républicain, l'individualité morale des citoyens était« considérée comme une matière parfaitement malléable, dont une stratégie adéquate et littéralement démiurgique permet de disposer à son gré » (La pratique de I'esprit humain, 123).
63 Michel Foucault, « The Eye of Power », dans Foucault, Power/Knowledge, 152. Voir aussi Starobinski, Jean, Jean-Jacques Rousseau: la transparence et l'obstacle (Paris: Gallimard, 1971), 24–25.Google Scholar
64 Foucault, « The Eye of Power », 153.
65 Michel Foucault, « Politics and Ethics: An Interview », dans Rabinow (dir.), The Foucault Reader, 377–79.
66 de Tocqueville, Alexis, De la démocratic en Amérique (Paris: Gallimard, 1968), 348–49.Google Scholar
67 Michel Foucault, « Body/Power », dans Foucault, Power/Knowledge, 55.
68 Foucault, « Deux essais sur le sujet et le pouvoir », 308.
69 C'est Habermas qui est le principal auteur de ces critiques. On trouvera une excellente synthèse de l'attaque de Habermas contre ranti-modernisme de Foucault dans Ostrander, Gregory, « Knowledge and Experience in the Work of Michel Foucault » (thèse de doctorat, Université McGill, Montréal, 1986), 165–93.Google Scholar Suite aux derniers textes de Foucault, Habermas a tempéré ses critiques. Habermas, Voir Jürgen, « Une flèche dans le coeur du temps présent », Critique, numéros 471–72 (août-septembre 1986), 799.Google Scholar
70 Foucault, Michel, « A Preface to Transgression », dans Foucault, Michel, Language, Counter-Memory, Practice (New York: Cornell University Press, 1977), 30–31, 33Google Scholar et 50 en ce qui concerne la sexualité transgressive; 40, au sujet de la littérature.
71 Foucault, La volonté de savoir, 206–07.
72 Michel Foucault, « Truth and Power », dans Foucault, Power/Knowledge, 127; voir aussi Hollier, Denis, « Foucault: The Death of the Author », Raritan 5 (1985), 22–30Google Scholar; et Rajchman, Michel Foucault, 23–25 et 9–42.
73 Habermas, Jürgen, « The French Path to Postmodernity: Bataille between Eroticism and General Economics », New German Critique 33 (1984), 82Google Scholar; et Ostrander, « Knowledge and Experience in the Work of Michel Foucault », 184.
74 Foucault, « What Is Enlightenment? », 46–47. Ce thème est précisé par Tully, James, « A Critical and Creative Life in Dangerous Times: The Ethos of Michel Foucault », Congrès annuel des sociétés savantes, Université de Montréal, Montréal, juin 1985, 9–10.Google Scholar
75 Foucault, « What Is Enlightenment? », 47. Ainsi, Foucault préfere la liberté concrète, située, à la liberté abstraite des grandes mutations révolutionnaires. La liberté pour lui ne peut qu'être affaire de tâtonnements.
76 Foucault, Le souci de soi, 63.
77 Foucault, Michel, « Le retour de la morale », Les nouvelles, 28 juin au 5 juillet 1984, 41.Google Scholar
78 Foucault, « Truth and Power », 128–30.
79 Foucault, Le souci de soi, 274.
80 Foucault, , « How We Behave », Vanity Fair 46 (1983), 64.Google Scholar
81 Foucault, « Deux essais sur le sujet et le pouvoir », 317–18.
82 Daniel, Jean, « La passion de Michel Foucault », Le Nouvel Observateur, 1025, 29 juin au 5 juillet 1984, 20.Google Scholar
83 Lawrence Olivier consacre de riches developpements au rôle des métaphores spatiales dans la pensée de Foucault. C'est une dimension qui est certes négligée par le présent article. J'ai essayé de montrer toutefois qu'à propos de la notion de pouvoir, l'analyse d'Olivier laissait de côté d'importantes bifurcations.
84 Merquior, Foucault ou le nihilisme de la chaire, 183. Au sujet de l'anti-utopisme de Foucault, Merquior a tout à fait raison.