Hostname: page-component-cd9895bd7-jn8rn Total loading time: 0 Render date: 2024-12-27T13:08:28.492Z Has data issue: false hasContentIssue false

Les techniciens de la représentation: contribution à l'histoire des études électorales*

Published online by Cambridge University Press:  10 November 2009

Pierre-Gerlier Forest
Affiliation:
Université de Montréal

Abstract

The social and political involvement of political scientists illustrates issues and compromises the discipline has had to come to grips with throughout its development. A comparison of political science with other scientific disciplines reveals a genuine technology affecting the discourse of political scientists: the evolution of the discipline reflects the changing but privileged relationship specialists have with policy-makers. This article uses electoral studies to show the relevance of this approach and to demonstrate how the construction of political objects is dependent upon technical considerations.

Résumé

Les engagements extra-scientifiques des politologues sont un excellent révélateur des enjeux et des arbitrages qui ponctuent l'histoire de la science politique. Après avoir détaché le domaine politologique sur le fond commun des pratiques scientifiques, on doit même admettre que les différents jeux de langage qui le caractérisent ressortissent à une véritable technologie: les grandes périodes de l'évolution disciplinaire sont l'expression des rapports privilégiés entre spécialistes et classe politique. L'exemple des études éléctorales permet d'attester la pertinence de cette approche et de montrer comment la conformation de l'objet politique est gouvernée par des thématiques proprement techniques.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 1986

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1 Agassi, Joseph, « The Confusion Between Science and Technology in the Standard Philosophies of Science », Technology and Culture 7 (1966), 348–66.CrossRefGoogle Scholar

2 H. M. Collins, et T. J. Pinch, « The Construction of the Paranormal: Nothing Unscientific Is Happening », dans Roy Wallis (dir.), On the Margins of Science: The Social Construction of Rejected Knowledge (Sociological Review Monograph 27, University of Keele, 1979), 239–41. Nous avons traduit les expressions constitutive forum et contingency forum par les formes françaises « contexte de formation » et « contexte de situation », qui nous ont paru refléter exactement l'approche de H. M. Collins et T. J. Pinch.

3 Pierre Bourdieu, « Les doxosophes », Minuit (Paris), no 1 (1972), 27–28. Nous reprenons à notre compte les observations caustiques de Fréderic Bon et Yves Schemeil, « La rationalisation de l'inconduite: comprendre le statut du politique chez Pierre Bourdieu », Revue frangaise de science politique 30 (1980), 11981228.CrossRefGoogle Scholar

4 Ainsi, dans certaines spécialités politologiques, il est fréquent que des fonctionnaires participent aux colloques et commentent les travaux qui y sont présentés. En dépit de la modestie et de l'à-propos qui caractérisent souvent ces interventions, elles sont l'expression d'une relation étroite entre les pouvoirs publics et les chercheurs. Parfois, on doit même parler de clientélisme et s'interroger sur les conséquences de ce phénomène. Nous avons développé cette problématique dans un article précédent: À propos de la « Troisième Option» et de la politique américaine de I'État canadien » (note), Études internationales 13 (1982), 305–21.CrossRefGoogle Scholar

5 Leca, Voir Jean, « La science politique dans le champ intellectuel français », Revue franÉaise de science politique 32 (1982), 655–57.Google Scholar

6 Collins et Pinch, « The Construction of the Paranormal: Nothing Unscientific Is Happening », 240: « In the constitutive forum, actions should be seen to be based on universalisable non-contingent premisses, whereas, in the contingency forum, actions may be of any kind, but normally they will not look as though they are constitutive of scientific knowledge. » Voir également G. Nigel Gilbert, « The Transformation of Research Findings into Scientific Knowledge », Social Studies of Science 6 (1976), 281306CrossRefGoogle Scholar; Latour, et Bruno, « D'où vient la force d'un argument? » Protée 13 (1985), 59.Google Scholar

7 Eric Landowski, « Du politique au politologique: analyse d'un article d'André Siegfried », dans Algirdas Julien Greimas et Éric Landowski (dir.), Introduction à l'analyse du discours en sciences sociales (Paris: Hachette, 1979), 122–26.Google Scholar

8 Vincent Lemieux, « La recherche scientifique dans les sciences humaines », Bulletin de l'ACFAS 1 (1979), 9.

9 Luce Giard, « L'ostension des mathématiques », Traverses (Paris), no 16 (1982), 4.

10 C'est aux États-Unis que le mouvement a atteint la plus grande amplitude et que les grandes orientations furent d'abord identifiées et débattues. On trouvera des comptes rendus utiles dans Dreijmanis, John. « Political Science in the United States: The Discipline and the Profession », Government and Opposition 18 (1983), 205–09CrossRefGoogle Scholar: ainsi que Albert Somit et Tanenhaus, Joseph. The Development of American Political Science: From Burgess to Behavioralism (2e éd.; New York: Irvington, 1982), 213–33Google Scholar. Le lecteur pour qui ces questions ne seraient pas familières peut aussi prendre connaissance des tentatives de synthese esquissées par les présidents de l'American Political Science Association: Deutsch, Karl W., « On Political Theory and Political Action ». American Political Science Review 65 (1971), 1127CrossRefGoogle Scholar; Easton, David, « The New Revolution in Political Science », American Political Science Review 63 (1969). 1051–61. Le court écart de deux années entre ces articles suffit pour les situer dans deux contextes différents. Tandis qui D. Easton tente de reconnaitre les sources de friction. K. Deutsch expose déjà les termes du compromis.CrossRefGoogle Scholar

11 Gunnell, John G.. « Political Theory: The Evolution of a Sub-Field », dans Ada W. Finitfer.(dir.), Political Science: The State of the Discipline (Washington, D.C.: American Political Science Association, 1983), 35.Google Scholar

12 Johnston, Ron et Robbins, Dave, «The Development of Specialties in Industrialised Science », Sociological Review 25 (1977), 9296.CrossRefGoogle Scholar

13 Voir Pierre Favre, « Les sciences de l'État entre déterminisme et libéralisme: Émile Boutmy (1835–1906) et la création de I'Ecole libre des sciences politiques ». Revue française cle sociologie 22 (1981). 429–65CrossRefGoogle Scholar. Jusqu'en 1921, année émergente de la science du pouvoir. la situation américaine se compare à la situation française. On consultera. par exemple, Burgess, John W., « The Study of the Political Sciences in Columbia College », International Review 12 (1882), 346–51.Google Scholar

14 II ne s'agit pas d'une métaphore de notre cru. L'image circulait, au début du siècle, dans les travaux des spécialistes des sciences humaines et sociales; voir Albion Small, « Fifty Years of Sociology in the United States (1865–1915) », American Journal of Sociology 21 (1916), 863. De la même façon, la place de la science politique au sein des disciplines techniques est alors attestée par les débats sur la classification des sciences. Nous avons établi ce résultat dans: « Montrer pour démontrer: le Congrès des arts et des sciences de l'exposition universelle de Saint-Louis », Relations Internationales (Genève), no 46 (1986). 147–50.Google Scholar

15 Daniels, Voir George H., « The Process of Professionalization in American Science: The Emergent Period, 1820–1860 », Isis 58 (1967), 152–56.CrossRefGoogle Scholar

16 Catlin, George, « Political Theory: What Is It? » Political Science Quarterly 72 (1957), 3.CrossRefGoogle Scholar

17 Simondon, Gilbert, Du mode d'existence des objets techniques (Paris: Aubier-Montaigne, 1969), 46.Google Scholar

18 Sur le caractère technique et systématique des organisations et des institutions sociales, Jewkes, voir John, « How Much Science? » Economic Journal 70 (1960), 12.CrossRefGoogle Scholar

19 Callon, Michel, « Pour une sociologie des controverses scientifiques », Fundamenta Scientiae 2 (1981), 383Google Scholar. Voir aussi. du même auteur: « L'État face à l'innovation technique: le cas du véhicule électrique », Revue française de science politique 29 (1979), 426–47CrossRefGoogle Scholar; « Struggles and Negociations to Define What Is Problematic and What Is Not », Knorr, dans Karin D., Krohn, RogerWhitley, et Richard (dir.). The Social Process of Scientific Investigation (Dordrecht: D. Reidel, 1981). 197219.Google Scholar

20 Lazarsfeld, Paul F., « Notes on the History of Quantification in Sociology: Trends, Sources and Problems ». Isis 52 (1961), 277333CrossRefGoogle Scholar. George A. Lundberg, « Statistics in Modern Social Thought », dans Barnes, Harry Elmer, Frances, Howard BeckerBecker, Bennett (dir.). Contemporary Social Theory (New York: Russell & Russell, 1971 ([1941]), 110–40Google Scholar. II semble cependant que ce champ de recherches connaisse une sorte de second souffle; voir Alain Desrosières, « Histoire de formes: statistiques et sciences sociales avant 1940 », Revue française de sociologie 26 (1985), 277–79.CrossRefGoogle Scholar

21 M. Callon hésite pour sa part devant cette distinction: « Pour une sociologie des controverses scientifiques », 384.

22 Cité par Vernon Bogdanor dans son introduction de Vernon Bogdanoret Butler, David (dir.), Democracy and Elections: Electoral Systems and Their Electoral Consequences (Cambridge: Cambridge University Press, 1983), 1.Google Scholar

23 Lachapelle, Georges, Les régimes électoraux (Paris: A. Colin, 1934). 137–44Google Scholar. Voir aussi Jean-Marie Cotteret et Emeri, Claude, Les systèmes électoraux (3e éd.: Paris: P.U.F., 1978), 6567. Ce dernier ouvrage fait une excellente introduction au domaine électoral.Google Scholar

24 Herlitz, Nils, « Proportional Representation in Sweden ». American Political Science Review 19 (1925). 583–84.CrossRefGoogle Scholar

25 International Encyclopedia of Social Sciences, 2e éd. (1968). s.v. « Elections, 2: Electoral Systems », par Stein Rokkan, 14–15.

26 Almond, Gabriel A. et Genco, Stephen J.. « Clouds, Clocks, and the Study of Politics », World Politics 29 (1977), 494–95.CrossRefGoogle Scholar

27 Québec. Ministère de la Réforme électorale et parlementaire. Un citoyen. un vole: Livre vert sur la réforme du mode de scrutin (Québec: Èditeur officiel, 1979). 15. Le ministre est sans doute ici le truchement d'un universitaire et l'on peut se trouver d'accord avec ces considérations: cela ne change rien aux conditions de l'enonciation.Google Scholar

28 Baty, T.The History of Majority Rule », Quarterly Review 216(1912). 128Google Scholar: Heinberg, John G.. « History of the Majority Principle », American Political Science Review 20 (1926). 5268CrossRefGoogle Scholar: Seymour, Charles et Frary, Donald Paige. How the World Votes: The Story of Democratic Development in Elections, 2 vol. (Springfield, Mass.: C. A. Nichols. 1918).Google Scholar

29 Les orientations et les acquis de cette école ont été résumés par Yves Winkin, dans son recueil consacré à La nonvelle communication (Paris: Seuil, 1981).Google Scholar

30 Hoag, Clarence Gilbert et Hallett, George Harvey, Proportional Representation (New York: Macmillan, 1926), 3Google Scholar. Voir également Yves Mény et Sadouin, Marc, « Conception de la représentation et représentation proportionnelle », Potnoirs: Revue française d'études constitutionnelles et politiques, no 32 (1985), 514.Google Scholar

31 Black, Duncan, « The Unity of Political and Economic Science », Economic Journal 60 (1950), 506–14CrossRefGoogle Scholar; que, ainsiThe Theory of Committees and Elections (Cambridge: Cambridge University Press, 1958)Google Scholar. Après avoir été tenté de fixer I'origine chez Pascal, G. T. Guilbaud, à la même époque, optera finalement pour la thèse de la rupture: « Les théories de I'intérêt général et le problème logique de l'agrégation », Économie appliquée 5 (1952), 501–07Google Scholar. Borda, Sur, Grazia, voir Alfred de, « Mathematical Derivation of an Election System », Isis 44 (1953), 4251.Google Scholar

32 Williams, J. Fischer, Proportional Representation and British Politics (Londres: John Murray, 1914), 40.Google Scholar

33 Hoag et Hallett, Proportional Representation, 495. On trouve le compte rendu détaillé d'une « élection modèle » (1908) selon le système de Hare dans Humphreys, John H., Proportional Representation: A Study in Methods of Election (Londres: Methuen, 1911), 146–65Google Scholar. La rhétorique de l'expérimentation est encore utilisée aujourd'hui par les réformateurs électoraux; voir, par exemple, Brams, Steven J.Fishburn, et Peter C., « America's Unfair Elections », The Sciences 23 (1983), 31.CrossRefGoogle Scholar

34 Hoag et Hallett, Proportional Representation, 176. On peut lire un résumé (partial) du rapport Lytton en appendice des dernières éditions de Thomas Hare, The Election of Representatives, Parliamentary and Municipal: A Treatise (par exemple, Adapting the Proposed Law to the Ballot, With Appendices on the Preferential and the Cumulative Vote [4e éd.; Londres: Longmans, Green, Reader and Dyer, 1875], 302–05).Google Scholar

35 Hoag et Hallett, Proportional Representation, 171; le traité de T. Gilpin est reproduit à la fin de ce volume, 457–64. aussi, VoirLakeman, EnidLambert, et James D.. Voting in Democracies: A Study of Majority and Proportional Electoral Systems (Londres: Faber & Faber, 1955), 84.Google Scholar

36 Lachapelle, Les Régimes électoraux, 132–34.

37 Meek, B. L., « Une nouvelle approche du scrutin transférable: égalité de traitement des électeurs et technique à rêtroaction utilisée pour le dépouillement des votes », Mathématiques et sciences humaines 7 (1969), 16. Ce texte est une bonne introduction technique au vote unique transférable.Google Scholar

38 Lachapelle, Les régimes électoraux, 168.

39 Hoag et Hallett. Proportional Representation, 164–71.

40 Poul Andrae, Andrae and His Invention: The Proportional Representation Method (Philadelphie et Copenhague: chez l'auteur, 1926).

41 Kern, Paul B., « Universal Suffrage Without Democracy: Thomas Hare and John Stuart Mill », Review of Politics 34 (1972), 307.CrossRefGoogle Scholar

42 On trouvera une présentation accessible du mode de scrutin irlandais dans Basil Chubb, « Le système électoral irlandais », dans Jacques Cadart (dir.), Les modes de scrutin des dix-huit pays de l'Europe occidentale. lenrs résultats et leurs effets comparés: Élections nationales el européennes (Paris: P.U.F., 1983). 279304.Google Scholar

43 Kern, « Universal Suffrage Without Democracy: Thomas Hare and John Stuart Mill.», 312–14.

44 Mill, John Stuart, « Representative Government », dans Utilitarianism, Liberty and Representative Government, éd. par Lindsay, A. D. (Londres: J. M. Dent & Sons, 1910), 263. Ce texte est paru en 1861, chez Longmans & Green à Londres, sous le titre Considerations in Representative Government.Google Scholar

45 Bagehot, Walter. The English Constitution (2e éd.: Londres: Oxford University Press, 1928 [1867]). 132. La formulation de W. Bagehot est plus acide et plus contournée que la nôtre et fixe un délai d'un siècle pour la réalisation des « projets » de T. Hare.Google Scholar

46 Sur le dualisme d'inspiration allemande. Fries, voir Sylvia D., « Staatstheorie and the New American Science of Politics », Journal of the History of Ideas 34 (1973), 391404.CrossRefGoogle Scholar

47 Durkheim, Émile, La science sociale et l'action, éd. par Jean-Claude Filloux (Paris: P.U.F., 1970), 225Google Scholar; Mommsen, Wolfgang J., Max Weber anil German Politics, 1890–1920 (Chicago: University of Chicago Press, 1984), 109–10.Google Scholar

48 Nous fondonsce jugement sur un échantillon d'une quinzaine de monographies, qui s'ajoutent aux textes déjà cités.

49 À la fin de la période, au tournant des années vingt, les publications des permanents des sociétés proportionnalistes ont acquis la forme et le sérieux des ouvrages savants: les traités de Hoag et Hallett (1926) ou de Lachapelle (1934) ne different pas beaucoup des publications scientifiques postérieures.

50 Pour un exemple français. voir Lachapelle, Les régimes électoraux, 147–49.

51 On consultera Tingsten, Herbert, Political Behaviour: Studies in Election Statistics (Totowa. N.J.: Bedminster Press, 1963 [1937])Google Scholar; et le commentaire documenté: de Catlin, George E. G., « Harold F. Gossnell's Experiment in the Stimulation of Voting », dans Stuart A. Rice (dir.), Methods in Social Science: A Case Book (Chicago: University of Chicago Press, 1931), 697706.Google Scholar

52 Rokkan, « Electoral Systems », 18.

53 Catlin, « Harold F. Gossnell's Experiment in the Stimulation of Voting », 699.

54 Serres, Voir Michel, Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques, vol. 1 (Paris: P.U.F., 1968), 151–54.Google Scholar