Published online by Cambridge University Press: 10 November 2009
The social and political involvement of political scientists illustrates issues and compromises the discipline has had to come to grips with throughout its development. A comparison of political science with other scientific disciplines reveals a genuine technology affecting the discourse of political scientists: the evolution of the discipline reflects the changing but privileged relationship specialists have with policy-makers. This article uses electoral studies to show the relevance of this approach and to demonstrate how the construction of political objects is dependent upon technical considerations.
Les engagements extra-scientifiques des politologues sont un excellent révélateur des enjeux et des arbitrages qui ponctuent l'histoire de la science politique. Après avoir détaché le domaine politologique sur le fond commun des pratiques scientifiques, on doit même admettre que les différents jeux de langage qui le caractérisent ressortissent à une véritable technologie: les grandes périodes de l'évolution disciplinaire sont l'expression des rapports privilégiés entre spécialistes et classe politique. L'exemple des études éléctorales permet d'attester la pertinence de cette approche et de montrer comment la conformation de l'objet politique est gouvernée par des thématiques proprement techniques.
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3 Pierre Bourdieu, « Les doxosophes », Minuit (Paris), no 1 (1972), 27–28. Nous reprenons à notre compte les observations caustiques de Fréderic Bon et Yves Schemeil, « La rationalisation de l'inconduite: comprendre le statut du politique chez Pierre Bourdieu », Revue frangaise de science politique 30 (1980), 1198–1228.CrossRefGoogle Scholar
4 Ainsi, dans certaines spécialités politologiques, il est fréquent que des fonctionnaires participent aux colloques et commentent les travaux qui y sont présentés. En dépit de la modestie et de l'à-propos qui caractérisent souvent ces interventions, elles sont l'expression d'une relation étroite entre les pouvoirs publics et les chercheurs. Parfois, on doit même parler de clientélisme et s'interroger sur les conséquences de ce phénomène. Nous avons développé cette problématique dans un article précédent: À propos de la « Troisième Option» et de la politique américaine de I'État canadien » (note), Études internationales 13 (1982), 305–21.CrossRefGoogle Scholar
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6 Collins et Pinch, « The Construction of the Paranormal: Nothing Unscientific Is Happening », 240: « In the constitutive forum, actions should be seen to be based on universalisable non-contingent premisses, whereas, in the contingency forum, actions may be of any kind, but normally they will not look as though they are constitutive of scientific knowledge. » Voir également G. Nigel Gilbert, « The Transformation of Research Findings into Scientific Knowledge », Social Studies of Science 6 (1976), 281–306CrossRefGoogle Scholar; Latour, et Bruno, « D'où vient la force d'un argument? » Protée 13 (1985), 5–9.Google Scholar
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9 Luce Giard, « L'ostension des mathématiques », Traverses (Paris), no 16 (1982), 4.
10 C'est aux États-Unis que le mouvement a atteint la plus grande amplitude et que les grandes orientations furent d'abord identifiées et débattues. On trouvera des comptes rendus utiles dans Dreijmanis, John. « Political Science in the United States: The Discipline and the Profession », Government and Opposition 18 (1983), 205–09CrossRefGoogle Scholar: ainsi que Albert Somit et Tanenhaus, Joseph. The Development of American Political Science: From Burgess to Behavioralism (2e éd.; New York: Irvington, 1982), 213–33Google Scholar. Le lecteur pour qui ces questions ne seraient pas familières peut aussi prendre connaissance des tentatives de synthese esquissées par les présidents de l'American Political Science Association: Deutsch, Karl W., « On Political Theory and Political Action ». American Political Science Review 65 (1971), 11–27CrossRefGoogle Scholar; Easton, David, « The New Revolution in Political Science », American Political Science Review 63 (1969). 1051–61. Le court écart de deux années entre ces articles suffit pour les situer dans deux contextes différents. Tandis qui D. Easton tente de reconnaitre les sources de friction. K. Deutsch expose déjà les termes du compromis.CrossRefGoogle Scholar
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14 II ne s'agit pas d'une métaphore de notre cru. L'image circulait, au début du siècle, dans les travaux des spécialistes des sciences humaines et sociales; voir Albion Small, « Fifty Years of Sociology in the United States (1865–1915) », American Journal of Sociology 21 (1916), 863. De la même façon, la place de la science politique au sein des disciplines techniques est alors attestée par les débats sur la classification des sciences. Nous avons établi ce résultat dans: « Montrer pour démontrer: le Congrès des arts et des sciences de l'exposition universelle de Saint-Louis », Relations Internationales (Genève), no 46 (1986). 147–50.Google Scholar
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21 M. Callon hésite pour sa part devant cette distinction: « Pour une sociologie des controverses scientifiques », 384.
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34 Hoag et Hallett, Proportional Representation, 176. On peut lire un résumé (partial) du rapport Lytton en appendice des dernières éditions de Thomas Hare, The Election of Representatives, Parliamentary and Municipal: A Treatise (par exemple, Adapting the Proposed Law to the Ballot, With Appendices on the Preferential and the Cumulative Vote [4e éd.; Londres: Longmans, Green, Reader and Dyer, 1875], 302–05).Google Scholar
35 Hoag et Hallett, Proportional Representation, 171; le traité de T. Gilpin est reproduit à la fin de ce volume, 457–64. aussi, VoirLakeman, EnidLambert, et James D.. Voting in Democracies: A Study of Majority and Proportional Electoral Systems (Londres: Faber & Faber, 1955), 84.Google Scholar
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48 Nous fondonsce jugement sur un échantillon d'une quinzaine de monographies, qui s'ajoutent aux textes déjà cités.
49 À la fin de la période, au tournant des années vingt, les publications des permanents des sociétés proportionnalistes ont acquis la forme et le sérieux des ouvrages savants: les traités de Hoag et Hallett (1926) ou de Lachapelle (1934) ne different pas beaucoup des publications scientifiques postérieures.
50 Pour un exemple français. voir Lachapelle, Les régimes électoraux, 147–49.
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