Le Parti conservateur du Québec (PCQ) a connu une ascension fulgurante dans les sondages au cours de la dernière année. À l'issue des élections provinciales québécoises de 2018, le PCQ a obtenu 1,5% du suffrage national. Suivant l'arrivée d’Éric Duhaime comme chef de la formation politique, le PCQ a cependant fait des gains importants dans les intentions de vote. En date du 7 septembre 2022, l'agrégateur de sondages Qc125 accorde 15% du vote au PCQ, avec une marge d'erreur de 3% (Fournier Reference Fournier2022). Selon cette projection, le PCQ est dans une course serrée avec le Parti libéral du Québec (PLQ) et Québec solidaire (QS) comme deuxième parti avec le plus d'appui populaire.
Dans cette note de recherche, nous proposons d'utiliser un nouvel indicateur d'intention de vote afin d'analyser la structure des appuis réels et potentiels au PCQ.
Pendant une élection, la stratégie principale des partis politiques est à la fois de consolider le choix des électeurs acquis et de convaincre les électeurs volatiles de voter pour eux. L'identification de ces électeurs volatiles ou « tiraillés » est donc un élément essentiel de toute stratégie électorale (Mayer Reference Mayer2007; Campbell Reference Campbell and Mayer2008; Hillygus et Shields Reference Hillygus and Shields2008). Puisque ces électeurs sont susceptibles de changer d'idée, ils peuvent « défaire les équilibres observés dans les intentions de vote mesurées par les enquêtes par sondage » (Dufresne et al. Reference Dufresne, Bibeau, Bodet, Bouchard and Kilibarda2022, 468).
Dans les enquêtes par sondage électoral traditionnel, l'intention de vote est mesurée en demandant aux électeurs pour quel parti ils ont l'intention de voter. Une fois agrégées, ces intentions permettent d’évaluer les chances de l'emporter de chacun des partis. Bien que les questions d'intention de vote – telles qu'elles sont habituellement conçues – permettent d'identifier un meneur dans la course, elles ont des limites importantes. Premièrement, elles n'offrent pas d'information sur le « deuxième choix » des électeurs. Les mesures d'intentions de vote traditionnelles permettent d'illustrer si la course est serrée ou non. Cependant, elles ne capturent pas la possibilité que les électeurs changent leur vote. Deuxièmement, les mesures habituelles ne permettent pas d’évaluer la solidité des bases électorales des partis. Finalement, elles ne permettent pas d'estimer leur potentiel de croissance. En d'autres mots, les limites des questions d'intention de vote ont des conséquences importantes puisqu'elles ne tiennent pas compte de deux dimensions essentielles : la solidité des bases électorales et le potentiel de croissance des partis.
Face à ces lacunes importantes, un nouvel indicateur, l'index relatif de confiance (IRC), a été développé (Dufresne et al. Reference Dufresne, Bibeau, Bodet, Bouchard and Kilibarda2022). La logique derrière cet indicateur est simple. Plutôt que de proposer aux répondants un choix dichotomique entre la préférence pour un parti au détriment d'un autre, les répondants estiment leur probabilité de soutenir chaque parti dans leur circonscription. La mesure de probabilité de vote qui en découle « permet de déterminer si une course est serrée ou non, au-delà des simples intentions de vote » (Dufresne et al. Reference Dufresne, Bibeau, Bodet, Bouchard and Kilibarda2022, 470).
1. Mesurer le potentiel de croissance des partis politiques
L'IRC est mesuré, d'abord, en demandant aux répondants la probabilité qu'ils votent pour chacun des principaux partis inscrits dans leur circonscription. Un score de 0 sur cette échelle représente une probabilité très basse que le répondant vote pour le parti en question, alors qu'un score de 10 reflète une probabilité très haute que ce dernier appuie le parti. Par exemple, un répondant attribue les scores suivants à trois partis : le parti A obtient 8 sur 10, le parti B obtient 5 et le parti C obtient quant à lui 0. L'IRC permet d'opérationnaliser les préférences du répondant de manière à obtenir une valeur relative pour chaque parti. D'abord, l'IRC du parti en tête est mesuré en soustrayant le score du parti A à celui du parti B. En utilisant l'exemple plus haut, en soustrayant 5 de 8, on obtient un IRC de 3. Ensuite, afin de calculer l'IRC des partis B et C, on mesure la distance entre le parti favori et les deux autres. Pour le parti B, on obtient -3 (5 moins 8), alors que le parti C obtient -8 (0 moins 8). En procédant ainsi pour chaque répondant, l'IRC offre une manière alternative d'opérationnaliser le potentiel de croissance et la solidité du vote des partis politiques. En d'autres mots, un IRC positif signifie que le parti est en tête. Ainsi, plus l'IRC est élevé, plus l'avance du parti est solide. Au contraire, un IRC négatif signifie que le parti tire de l'arrière. Le cas échéant, il demeure que plus l'IRC est près de 0, plus le potentiel de croissance du parti est élevé.
Il est également important à ce point-ci de faire une distinction importante entre les mesures d'intention de vote binaires et continues. Considérant que la littérature portant sur les mesures continues d'intention de vote est très récente, il serait prématuré d'utiliser uniquement l'IRC pour tenter d'obtenir le portrait entier d'une intention de vote. Des analyses exploratoires suggèrent qu'un nombre important de répondants sont incohérents entre leur intention de vote binaire et leur probabilité estimée de soutenir un parti – ce qu'on peut aussi appeler leur intention de vote continue.Footnote 1
Cependant, une autre stratégie consiste à exploiter cette incohérence en combinant les mesures binaires et continues. Dans un tel cas, il est possible de ranger les électeurs dans une échelle de quatre catégories. La première catégorie de « vote solide » contient les répondants ayant exprimé à la fois une intention de vote pour le parti x et ayant un IRC positif pour ce même parti. La deuxième catégorie de « vote fragile » contient les répondants ayant exprimé une intention de vote pour le parti x et ayant un IRC négatif pour ce même parti. La troisième catégorie de « potentiel de croissance élevé » contient les répondants n'ayant pas exprimé d'intention de vote pour le parti x mais dont l'IRC est positif. Finalement, la catégorie « potentiel de croissance nul » contient les répondants n'ayant pas l'intention de voter pour un parti x et dont l'IRC pour ce même parti est négatif.
2. Le cas du Parti conservateur du Québec
Dans les paragraphes qui suivent, nous allons appliquer cette catégorisation au cas du Parti conservateur du Québec (PCQ).
L'indicateur construit avec les intentions de vote binaires et continues nous permet d'explorer trois questions d'intérêt pour les élections québécoises qui se tiendront le 3 octobre 2022 : (1) Le PCQ a-t-il atteint sa limite de croissance en vue des élections provinciales de 2022? (2) La base électorale du PCQ est-elle relativement solide ou fragile? (3) Qu'est-ce que l'IRC nous apprend sur la compétition entre le PCQ, le PLQ et QS?
Aux fins de la présente analyse, nous utilisons les données collectées dans cinq sondages mensuels effectués par la firme Synopsis entre janvier et mai 2022 (n = 5500). Deux questions sont utilisées pour les analyses : « S'il y avait une élection générale provinciale au Québec aujourd'hui, pour quel parti voteriez-vous ou seriez-vous tenté de voter pour vous représenter à l'Assemblée nationale du Québec? » et « Quel que soit le parti pour lequel vous avez l'intention de voter à l'occasion de la prochaine élection provinciale québécoise, en général, quelle est la probabilité que vous appuyiez [parti]? »
Le PCQ a-t-il atteint sa limite de croissance en vue des élections provinciales 2022?
Dans un premier temps, il est frappant de constater que seulement 2% des répondants ont un potentiel de croissance élevé pour le PCQ. Ces répondants ont indiqué avoir l'intention de voter pour un autre parti que le PCQ tout en plaçant le PCQ au premier rang dans l’échelle de probabilité de vote. Ce 2% d'appuis potentiels – visibles dans la bordure transparente dans la Figure 1 – représente un défi pour le PCQ. Le parti a un potentiel de croissance très faible, qui dépasse seulement celui de QS. Autrement dit, le PCQ semble avoir presque fait le plein d'appuis dans les mois précédant l’élection provinciale d'octobre 2022.
Par ailleurs, le PCQ a environ le même pourcentage d’électeurs potentiels que la CAQ et QS. Il tire de l'arrière par environ 2% sur le PLQ et le PQ. Cela permet d'estimer qu’à plein potentiel, le PCQ obtiendrait 15% du vote populaire. Cette projection est très similaire à celle de Qc125. En fin de compte, pour continuer sa croissance, le PCQ doit élargir sa base électorale auprès d’électeurs ayant un potentiel de croissance nul.
La base électorale du PCQ est-elle relativement solide?
Dans un deuxième temps, nous comparons la solidité des bases électorales du PCQ et de ses deux principaux rivaux, le PLQ et QS. Le PCQ semble en bonne position. La proportion de ses électeurs qui sont considérés comme « solides » est en effet sensiblement la même que celles du PLQ et de QS : les trois partis bénéficient chacun de l'appui solide d'environ 11% des électeurs. Par ailleurs, les trois partis se retrouvent dans une situation similaire face à leurs électeurs « fragiles ». Ils ont tous un nombre très similaire de ce type d’électeurs – le PCQ et le PLQ sont autour de 2,5%, et QS autour de 4% – dont l'intention de vote peut possiblement changer. Il est surprenant qu'en un peu plus d'un an, Éric Duhaime et le PCQ aient pu consolider une base d'appuis similaire à celle de partis beaucoup mieux établis.
Qu'est-ce que l'IRC nous apprend sur la compétition entre le PCQ, le PLQ et QS?
Dans un dernier temps, en termes stratégiques, le PCQ devrait œuvrer à conserver ses électeurs « fragiles » afin de surpasser ses rivaux sur le plan du vote populaire. Ce faisant, il s'assurerait de compétitionner sur un pied d’égalité avec le PLQ et QS. C'est un double défi de taille pour le PCQ de conserver ses acquis tout en s'assurant que le PLQ et QS n'atteignent pas leur plein potentiel. Ce diagnostic ne prend toutefois pas en compte la dynamique régionale particulière au système électoral québécois. Cette note de recherche porte sur les niveaux d'appui à l’échelle provinciale. Il sera néanmoins pertinent de tenir compte des développements futurs qui permettraient d'observer les dynamiques régionales en s'appuyant sur l'IRC.
3. Discussion et conclusion
Nous tirons trois conclusions de cette note de recherche sur le potentiel de croissance du PCQ en vue des élections québécoises de 2022. Premièrement, le PCQ semble avoir atteint sa limite de croissance. Le parti a fait le plein d'appuis déjà. Deuxièmement, le PCQ bénéficie d'une base électorale solide. Le parti est d'ailleurs sur un pied d’égalité avec le PLQ et QS, deux partis bien établis dans le paysage partisan contemporain. Finalement, le PCQ fait face à deux défis principaux : conserver ses électeurs fragiles et s'assurer que ses rivaux n'atteignent pas leur plein potentiel.
En parallèle, cette note de recherche permet d'exposer les avantages d'une nouvelle mesure continue des intentions de vote. Pour faciliter l'interprétation, l'IRC est catégorisé en quatre groupes et opère de manière à la fois positive et négative. De futurs travaux permettront de tester le plein potentiel de l'IRC en tant que mesure continue sans la combiner à une mesure binaire d'intention de vote.
Il n'en demeure pas moins que l'utilisation du potentiel de croissance ou la solidité du vote par les partis en est encore à un stade embryonnaire et exploratoire. Les résultats des élections québécoises du 3 octobre prochain permettront d'observer si l'ascension fulgurante dans les sondages du PCQ se concrétise en votes.
Annexe