Introduction
La participation sociale, qui se définit par l’implication optimale de la personne dans les activités qui lui procurent des interactions avec les autres dans la communauté (Levasseur, Richard, Gauvin et Raymond, Reference Levasseur, Richard, Gauvin and Raymond2010), constitue un déterminant clé d’un vieillissement en santé. Afin de favoriser la participation sociale des aînés, des efforts considérables ont été consentis au Québec pour prévenir la perte d’autonomie (Hébert, Reference Hébert, Hébert, Tourigny and Gagnon2004; Béland et al., Reference Béland, Bergman, Lebel, Clarfield, Tousignant, Contandriopoulos and Dallaire2006). Ces efforts ont contribué à améliorer l’accessibilité et la satisfaction envers les services (Béland et al., Reference Béland, Bergman, Lebel, Clarfield, Tousignant, Contandriopoulos and Dallaire2006), permettant de mieux répondre aux besoins des aînés en perte d’autonomie (Dubuc, Dubois, Raiche, Gueye et Hébert, Reference Levasseur, Lefebvre, Levert, Lacasse-Bédard, Lacerte, Carbonneau and Therriault2011). Toutefois, les besoins d’activités sociales et de loisirs restent rarement investigués par les professionnels de la santé et peu répondus par les ressources de la communauté (Levasseur et al., Reference Levasseur, Larivière, Royer, Desrosiers, Landreville, Voyer and Sévigny2012). De plus, la continuité des services présente certains défis, notamment pour le suivi à long terme et l’utilisation des ressources communautaires (Nikolova, Demers, Béland et Giroux, Reference Nikolova, Demers, Beland and Giroux2011). Pourtant, les organismes communautaires offrent une vaste gamme de services et d’activités et ont pour mission, entre autres, d’encourager les contacts sociaux, de briser l’isolement et de favoriser l’empowerment des aînés. Des interventions innovantes et efficaces soutenues par une collaboration optimale entre les milieux communautaires et le secteur public doivent être mises en place pour favoriser la participation sociale des aînés.
Un Accompagnement-citoyen personnalisé d’intégration communautaire (APIC; Lefebvre et al., Reference Lefebvre, Levert, Le Dorze, Croteau, Gélinas, Thériault and Samuelson2013) peut améliorer la participation sociale des aînés et optimiser les ressources existantes. L’APIC est une intervention novatrice favorisant l’empowerment et la réalisation d’activités sociales et de loisirs signifiantes de personnes ayant une autonomie fonctionnelle diminuée. D’abord développé auprès d’adultes ayant subi un traumatisme cranio-cérébral (TCC; Lefebvre et al., Reference Lefebvre, Levert, Le Dorze, Croteau, Gélinas, Thériault and Samuelson2013), l’APIC a ensuite été adapté pour une population âgée en perte d’autonomie et vivant à domicile (Levasseur et al., Reference Levasseur, Lefebvre, Levert, Lacasse-Bédard, Desrosiers, Therriault and Carbonneau2016; soumis). L’APIC consiste en un suivi hebdomadaire de trois heures réalisé par un accompagnateur non professionnel qui reçoit une formation (Lefebvre et Levert, Reference Lefebvre, et Levert, Vincent, Loaëc and Fournier2010). Lors de la version de l’APIC adapté aux aînés, cette formation était réalisée en deux jours et portait sur le vieillissement, la perte d’autonomie, les ressources communautaires et la communication personnalisée (Levasseur et al., soumis). Lors du suivi personnalisé, l’accompagnateur stimule la personne à accomplir des activités de participation sociale représentant un juste niveau de défi. L’APIC permet de compléter et de prolonger les interventions des professionnels de la santé qui sont souvent temporaires et principalement axées sur l’indépendance dans les activités courantes et la sécurité à domicile et, conséquemment, ne répondent que partiellement aux besoins de participation sociale des personnes en perte d’autonomie.
À ce jour, des études ont été réalisées auprès d’adultes ayant subi un TCC, incluant des aînés à risque de perte d’autonomie à la suite d’un TCC léger et, plus récemment, auprès d’aînés en perte d’autonomie. Les résultats de ces études indiquent qu’après six à douze mois d’intervention les participants sont plus satisfaits de la réalisation de leurs activités sociales (Lefebvre et al., Reference Lefebvre, Levert, Le Dorze, Croteau, Gélinas, Thériault and Samuelson2013; Levasseur et al., Reference Levasseur, Lefebvre, Levert, Lacasse-Bédard, Desrosiers, Therriault and Carbonneau2016). Spécifiquement chez les aînés en perte d’autonomie, l’APIC a permis d’améliorer leur mobilité, leur participation sociale et leur fréquence de pratique de loisirs (Levasseur et al., Reference Levasseur, Lefebvre, Levert, Lacasse-Bédard, Desrosiers, Therriault and Carbonneau2016). Actuellement, l’APIC est principalement disponible dans le cadre de recherches et, par conséquent, n’est pas implanté en contexte réel.
L’importance de s’intéresser au processus d’implantation et aux différents facteurs susceptibles d’en influencer le succès est reconnue et requise pour assurer une implantation de qualité (Durlak et Dupre, Reference Durlak and Dupre2008; Durlak, Reference Durlak2013). Selon une démarche intégratrice et une synthèse des connaissances, Damschroder et collaborateurs (2009) ont développé le Cadre consolidé pour la recherche sur la mise en œuvre (Consolidated framework for implementation of research; CFIR) qui comprend cinq domaines influençant l’implantation, soit : 1) les caractéristiques de l’intervention, 2) le contexte interne, 3) le contexte externe, 4) les individus impliqués dans l’intervention et l’implantation et 5) le processus d’implantation. Chacun de ces domaines comprend un ensemble de facteurs en interaction (Tableau 1).
* Traduction libre des définitions proposées par Damschroder et collègues (2009)
Les écrits sur l’implantation d’interventions dans des organismes communautaires ont permis d’identifier des facilitateurs et des obstacles qui rejoignent certains facteurs du modèle de Damschroder et collaborateurs (2009; tableau 1). Ainsi, une intervention simple, adaptable, développée en collaboration avec les organismes communautaires, incluant un guide d’implantation facile à utiliser et s’appuyant sur des données probantes, favorise l’implantation (Filiatrault et al., Reference Filiatrault, Parisien, Laforest, Genest, Gauvin, Fournier and Robitaille2007). En ce qui a trait au contexte interne, la disponibilité des ressources humaines et financières, la présence d’incitatifs, ainsi qu’une culture organisationnelle positive et une gestion décentralisée ont aussi un effet positif (Franklin et Hopson, Reference Filiatrault, Parisien, Laforest, Genest, Gauvin, Fournier and Robitaille2007). En contrepartie, le manque de cohésion organisationnelle et de soutien administratif (Asgary-Eden et Lee, Reference Asgary-Eden and Lee2012), incluant des activités entrant en compétition avec l’implantation au sein de l’organisation (Demby, et al. Reference Demby, Gregory, Broussard, Dickherber, Atkins and Jenner2014), ainsi qu’une incompatibilité des valeurs entre l’intervention et l’organisation (Franklin et Hopson, Reference Franklin and Hopson2007) nuisent à l’implantation. Pour ce qui est du contexte externe, la reconnaissance d’un besoin est identifiée comme un facilitateur (Demby et al., Reference Demby, Gregory, Broussard, Dickherber, Atkins and Jenner2014). Concernant les individus impliqués dans l’implantation, une attitude positive, un sentiment d’auto-efficacité et un état de préparation au changement sont facilitants; le manque de motivation a l’effet contraire (Demby et al., Reference Demby, Gregory, Broussard, Dickherber, Atkins and Jenner2014; Franklin et Hopson, Reference Franklin and Hopson2007; Asgary-Eden et Lee, Reference Asgary-Eden and Lee2012). En cours d’implantation, la présence ou l’absence d’une formation adéquate et de soutien a aussi un effet déterminant (Demby et al., Reference Demby, Gregory, Broussard, Dickherber, Atkins and Jenner2014; Franklin et Hopson, Reference Franklin and Hopson2007; Asgary-Eden et Lee, Reference Asgary-Eden and Lee2012). Des facteurs autres que ceux du modèle de Damschroder et collègues sont identifiés dans les écrits sur l’implantation en milieu communautaire, comme l’expérience acquise dans l’implantation d’interventions similaires (Demby, Reference Demby, Gregory, Broussard, Dickherber, Atkins and Jenner2014). Par ailleurs, dans les situations où l’intervention est développée par un tiers (p. ex. : chercheurs), le manque de connaissances des conditions de pratique des organismes communautaires et l’insuffisance des communications entre les différents acteurs nuisent à l’implantation (Franklin et Hopson, Reference Franklin and Hopson2007). Lorsqu’il s’agit d’une implantation conjointe entre le secteur public et le milieu communautaire, des facteurs susceptibles d’influencer le partenariat peuvent contribuer à une implantation réussie. À ce sujet, le lecteur est référé à l’étude réalisée par Lachapelle et Bourque (Reference Lachapelle and Bourque2008) pour un portrait exhaustif des facteurs qui favorisent et qui freinent la participation des milieux communautaires en collaboration avec les établissements publics.
Plusieurs auteurs soulèvent l’importance d’évaluer les facilitateurs et les obstacles à l’implantation dès les premières phases du processus (Damschroder et al., Reference Damschroder, Aron, Keith, Kirsh, Alexander and Lowery2009; Franklin et Hopson, Reference Franklin and Hopson2007; Demby et al., Reference Demby, Gregory, Broussard, Dickherber, Atkins and Jenner2014), auprès des acteurs impliqués (Asgary-Eden et Lee, Reference Asgary-Eden and Lee2012). Toutefois, une revue des interventions favorisant la participation sociale des aînés (Raymond et al., Reference Raymond, Sevigny, Tourigny, Vézina, Verreault and Guilbert2012; Raymond et al., Reference Raymond, Sévigny, Tourigny, Bonin, Guilbert-Couture and et Diallo2015) a permis de constater qu’aucune étude n’a documenté les facilitateurs et les obstacles à l’implantation de ce type d’intervention. Considérant que la faisabilité d’implanter l’APIC est tributaire de l’acceptation et de la capacité du milieu à mettre en œuvre l’intervention telle que prescrite et à en assurer la qualité (Damschroder et al., Reference Damschroder, Aron, Keith, Kirsh, Alexander and Lowery2009), il importe de mieux connaître ces facilitateurs et ces obstacles à l’implantation. Par ailleurs, afin d’identifier des stratégies d’implantation optimales de l’APIC pour les aînés en perte d’autonomie et vivant à domicile, il importe de s’intéresser au processus et aux différents facteurs susceptibles d’en influencer le succès. La présente étude visait donc à identifier les facilitateurs, les obstacles et la faisabilité d’implanter l’APIC pour des aînés en perte d’autonomie et vivant dans la communauté.
Méthodologie
Devis de recherche et participants
Puisque l’implantation de l’APIC nécessite l’engagement de plusieurs acteurs-clés, la présente étude s’inscrit dans un devis de recherche-action, c’est-à-dire un processus itératif axé sur le développement, la validation et l’implantation d’une action. Fondée sur la volonté de rapprocher la théorie de la pratique, la recherche-action met l’accent sur la collaboration entre les chercheurs et les acteurs afin de réunir les champs d’expertise de chacun et de dégager les données permettant de faire avancer concrètement la pratique sur le terrain (Fortin, Reference Fortin2006). Le présent article présente la phase de clarification de la situation et d’exploration de stratégies potentielles en préparation à l’action, c’est-à-dire l’implantation de l’APIC dans divers contextes réels. Un échantillonnage de 16 participants, composé d’intervenants et de gestionnaires d’organismes communautaires et du secteur public ainsi que de chercheurs et de collaborateurs, a permis une exploration en profondeur et l’atteinte d’une saturation théorique des données. Pour être admissibles, les participants devaient travailler dans la région de l’Estrie et offrir des services aux aînés vivant à domicile. Les chercheurs et les collaborateurs devaient avoir participé à une des études antérieures de l’APIC réalisées auprès des aînés en perte d’autonomie. Précédant la pré-implantation et l’implantation, cette première étude de validation avait alors permis d’adapter l’APIC pour cette population (Levasseur et al., soumis) et d’en explorer les effets auprès de 16 aînés en perte d’autonomie (Levasseur et al., Reference Levasseur, Lefebvre, Levert, Lacasse-Bédard, Desrosiers, Therriault and Carbonneau2016). Le comité d’éthique à la recherche de l’Institut Universitaire de Gériatrie de Sherbrooke a approuvé la recherche (MP-22-2014-383).
Procédure et outils de collecte de données
Tous les participants ont été contactés par téléphone ou courriel puis interrogés au Centre de recherche sur le vieillissement ou, exceptionnellement, par téléphone pour les chercheurs et gestionnaires du réseau public. Des entretiens individuels (n=7) et de groupe (n=3) d’une à trois heures ont été réalisés selon la disponibilité des participants et leur groupe (collaborateur, chercheur, gestionnaire, intervenant d’organismes communautaires ou du secteur public). Les entretiens ont été menés conjointement par deux étudiantes à la maîtrise en ergothérapie (intervieweuse et observatrice) formées pour la réalisation d’entretiens qualitatifs. Lors des rencontres, un questionnaire sociodémographique a été complété. Les entretiens ont été enregistrés sur bande audionumérique, puis retranscrits sous forme manuscrite (verbatims). Une synthèse des éléments discutés a été réalisée et validée auprès des participants quelques semaines à la suite des entretiens.
Les entretiens ont permis d’explorer les perceptions des participants quant aux facilitateurs, aux obstacles et à la faisabilité d’implanter une intervention telle que l’APIC dans la communauté. Puisque la majorité des participants n’avaient pas pris part aux études antérieures sur l’intervention, une brève description de l’APIC, explicitant ses éléments-clés, tel que réalisé en recherche, était d’abord présentée aux participants. Plus spécifiquement, l’APIC a été présenté comme un accompagnement personnalisé de trois heures par semaine, réalisé à domicile, par un accompagnateur non professionnel et rémunéré. Au besoin, les participants pouvaient poser des questions sur l’APIC, permettant ainsi d’assurer que l’étude soit spécifique à ce contexte plutôt qu’à une implantation plus générale. Afin d’identifier ce qui pourrait faciliter l’implantation, les participants devaient considérer ces paramètres comme étant flexibles, sans toutefois dénaturer l’intervention. En effet, il est essentiel de préserver l’essence de l’APIC (Lefebvre et Levert, Reference Lefebvre, et Levert, Vincent, Loaëc and Fournier2010), c’est-à-dire le processus qui permet à l’aîné d’identifier des objectifs et d’être soutenu dans son empowerment et le développement de ses forces et compétences. Le guide d’entretien semi-structuré a été développé en s’inspirant du modèle de Damschroder et collaborateurs (2009), des facteurs identifiés dans la recension des écrits ainsi que de l’Outil diagnostique de l’action en partenariat proposé par Bilodeau et collaborateurs (2008). Cet outil a été validé pour évaluer la qualité de l’action en partenariat, laquelle a un impact sur le succès des interventions visant les déterminants sociaux (Bilodeau, Galarneau, Fournier et Potvin, Reference Bilodeau, Galarneau, Fournier and et Potvin2011). Ce guide était constitué de questions ouvertes telles que: « Qu’est-ce qui faciliterait l’implantation de cette intervention? » et « Quels obstacles percevez-vous à l’implantation de l’APIC? ».
Analyses
Des statistiques descriptives ont permis d’analyser les caractéristiques sociodémographiques des participants. Les dix entretiens individuels ou de groupe ont été analysés selon une analyse de contenu thématique soutenue d’une grille de codage mixte (Miles, Huberman et Saldaña, Reference Miles, Huberman and Saldaña2014) et un procédé de repérage systématique (Paillé et Mucchielli, Reference Paillé and Mucchielli2003). Les thèmes saillants identifiés par cette analyse sont présentés dans un tableau dont une synthèse est décrite dans le texte incluant des extraits de verbatim. Les analyses ont été effectuées à l’aide des programmes Microsoft Excel et Word.
Résultats
Trente et une personnes ont été contactées pour participer au projet de recherche. Quinze personnes sollicitées n’ont pas participé : sept n’ont pas retourné l’appel, une ne s’est pas présentée à l’entretien et six ont refusé, quatre ne percevaient pas la valeur ajoutée de leur participation et deux n’avaient pas le temps. Parmi les 16 participants interrogés, il y avait six gestionnaires et six intervenants, ainsi que trois chercheurs et un collaborateur ayant contribué à la validation de l’APIC. (Tableau 2). La majorité était des femmes, avait entre six mois et 25 ans d’expérience auprès d’aînés et la moitié avait expérimenté l’implantation de programmes. Les participants provenaient tous d’une même région du Québec (Estrie), dont la ville principale, Sherbrooke, a une superficie d’environ 365 km2 avec approximativement 160 000 habitants.
É.T. : Écart type
I.I. : Intervalle interquartile
Facilitateurs et obstacles à l’implantation de l’APIC dans la communauté
Plusieurs caractéristiques de l’APIC, du contexte interne, du contexte externe, des individus impliqués dans l’intervention et du processus d’implantation ont été nommées comme facilitateurs et obstacles à son implantation (Tableau 3). Parmi les caractéristiques de l’intervention, la source de l’intervention, issue de la recherche et appuyée par des données probantes, serait un facilitateur : « Quand on parle de travailler avec des données probantes, le fait qu’il y ait des résultats de recherche qui montrent que ça fonctionne bien, […] ça vaut peut-être la peine de l’essayer. » (I3; I pour entretien individuel). Concernant la complexité de l’intervention, il a été souligné que la durée des rencontres pourrait être trop longue pour certains aînés : « Avec les personnes âgées, trois heures c’est beaucoup trop […] il y a beaucoup de fatigue. » (I4). Par contre, la formation, le soutien et l’encadrement des accompagnateurs (Tableau 3) seraient des facilitateurs. Ainsi, afin qu’ils puissent partager leur vécu et s’entraider, il serait nécessaire de tenir des rencontres fréquentes entre les accompagnateurs : « Les rencontres d’accompagnateurs […] c’est vraiment un critère de succès de l’accompagnement. » (I4). De plus, la formation est perçue comme une valeur ajoutée pour les accompagnateurs, leur permettant de développer leurs compétences. Étant donné les ressources limitées, la formation, le soutien et l’encadrement des accompagnateurs ont aussi été identifiés comme des défis pour les organismes communautaires.
Légende: OC: Organisme communautaire; (+): Facilitateur; (-): Obstacle; (+/-): Absence du facteur représente un obstacle; (X) : Élément non abordé par les participants de la présente étude; Italique : Ajout au modèle de Damschroder.
En ce qui a trait au contexte interne des organisations impliquées dans l’implantation, l’expertise de terrain, la reconnaissance d’un besoin dans la communauté et la collaboration entre les organismes communautaires et le réseau de la santé sont des facilitateurs (Tableau 3). Les participants ont souligné l’importance que l’intervention réponde à un besoin réel et perçu par les acteurs impliqués sur le terrain (Tableau 3). En effet, un des gestionnaires du réseau de la santé a mentionné : « C’est sûr que si [l’isolement] ressort comme un besoin, c’est à nous de le prioriser. » (I5). Cet aspect serait central pour la mobilisation du réseau communautaire dans le projet d’implanter l’APIC, mais aussi pour la pérennité de l’intervention. De plus, une communication efficace, fréquente, claire et orientée vers un objectif commun serait facilitante, tel que précisé par ce gestionnaire d’organisme communautaire: « De vraiment être clairs, d’établir les balises […] ça pourrait être facilitant. » (I7). En effet, les acteurs impliqués doivent être en contact afin d’assurer un bon arrimage des services et le respect des orientations de l’APIC.
Parmi les obstacles, la disponibilité et la pérennité des ressources humaines et financières ont été nommées principalement, puisque la communauté a subi d’importantes restrictions budgétaires au cours des dernières années et que la précarité du financement nuirait à la mise en place et à la continuité de l’APIC. Un des chercheurs mentionne : « Ce sont toutes des sources de financement qui ne sont pas récurrentes et c’est vraiment ça qui est le problème. » (I4). Malgré la présence de personnel qualifié et compétent, le manque de ressources humaines rendrait, à cause de la charge de travail additionnel, l’adoption de nouveaux projets ardue dans un contexte où le personnel travaille déjà à plein rendement. Ce défi est reconnu par un gestionnaire du réseau de la santé : « Une embûche peut être le recrutement […] et la rétention des bénévoles. » (I7). Un gestionnaire d’organisme communautaire a mentionné qu’il s’agirait d’une : « Charge de travail qui est pour le moment, quasi impossible à remplir, avec ce qu’on a […]. On a l’expertise, mais on n’a pas le temps. » (G2; G pour entretien de groupe). Cette expertise est toutefois un facilitateur pour la mise en place d’une intervention qui requiert la coordination d’accompagnateurs dans la communauté telle que l’APIC.
En lien avec le contexte externe, plusieurs obstacles sont nommés, particulièrement en lien avec les politiques externes et les incitatifs (Tableau 3). Plusieurs participants ont souligné que les priorités du gouvernement ne favorisaient pas la mise en place de programmes incluant l’APIC, tel que rapporté par un intervenant du réseau de la santé : « Il y a beaucoup de projets qui sont tombés à l’eau avec les nouvelles orientations ministérielles » (G1). Un gestionnaire du réseau de la santé a soulevé l’enjeu de la responsabilité de l’APIC en lien avec la définition des mandats propres à chaque établissement : « C’est la responsabilité de qui la participation sociale? » (I6). De plus, le climat économique de restriction budgétaire a été abordé comme étant un obstacle. Également, l’offre de services actuelle du réseau de la santé ne favoriserait pas l’implantation de l’APIC, tel qu’exprimé par ce chercheur: « Le premier obstacle, c’est la philosophie avec laquelle on offre les services actuellement, et le fait qu’on ne pense qu’à des professionnels.» (I3). De plus, les caractéristiques de la clientèle, dont la présence d’atteintes physiques, cognitives ou psychologiques, pourraient représenter un défi auquel les accompagnateurs devront s’adapter, tel que nommé par un gestionnaire d’organisme communautaire : « [L’ajustement] va vraiment dépendre des profils des personnes, s’il a une atteinte ou une perte cognitive ou quoi que ce soit. » (I7).
Concernant les individus impliqués dans l’intervention, certains participants, dont ce chercheur, ont mis l’accent sur l’ouverture à la nouveauté qui pourrait représenter un défi: « Quand il arrive un nouveau service, […] les gens sont réticents au départ, surtout dans le secteur communautaire, parce que le monde ils cherchent les sous. » (I2).
Enfin, concernant les éléments liés au processus d’implantation, la présence de leaders internes et d’individus externes offrant du soutien est un facilitateur. Plusieurs participants ont abordé qu’il est essentiel de désigner une personne responsable de l’implantation de l’intervention au sein de l’organisme communautaire, comme ce gestionnaire du réseau de la santé : « Ça prend quelqu’un qui chapeaute ça [l’APIC], qui ‘leads’. » (I5).
Faisabilité de l’implantation de l’APIC dans la communauté
Les participants ont partagé une opinion mitigée quant à la faisabilité d’implanter l’APIC dans la communauté. L’adaptabilité de l’intervention, la considération des ressources déjà existantes, la possibilité d’établir une collaboration avec le réseau public et le financement ont été nommés comme étant des enjeux importants en lien avec la faisabilité. En raison notamment de la charge de travail déjà importante portée par les organismes communautaires, un des collaborateurs a rapporté : « C’est sûr qu’il n’y a pas personne de salarié qui peut ajouter ça à sa tâche. » (I1). D’autres participants étaient favorables à la faisabilité d’implanter l’APIC dans la communauté, voire de l’institutionnaliser, dont les chercheurs ayant contribué à son développement et ce gestionnaire d’organisme communautaire : « Moi je ne trouve pas ça irréaliste de porter ça. » (G2). Pour la majorité des participants, l’APIC doit être ajusté à la communauté pour que son implantation soit réaliste : « L’APIC, pour que ça fonctionne, ça va demander vraiment une flexibilité. » (I1). Par ailleurs, le type d’accompagnateurs pourrait être différent de ce qui a été fait en recherche : « Dans la communauté, je pense que ce qui est réaliste ça va être avec les bénévoles. » (I1).
Les participants avaient des opinions différentes quant à la façon dont l’APIC devrait être implanté. Certains pensent qu’il serait préférable que l’APIC soit intégré aux interventions existantes, tel que mentionné par ce gestionnaire d’organisme communautaire: « L’APIC devrait être jumelé avec des organismes communautaires déjà existants » (G1). Or, d’autres participants étaient plutôt d’avis que l’APIC devrait être distinct des interventions actuellement offertes et bénéficier d’un financement indépendant, comme l’a expliqué cet intervenant d’organisme communautaire : « Pour que ça marche […] moi je verrais ça comme un nouveau projet, qui part avec des sous, qui part du bon pied et qui part solide pour pouvoir rester. » (G3). Ce collaborateur est d’avis qu’«une des choses qui pourrait être intéressante, […] c’est une coordination, une collaboration avec le CIUSSS [Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux]. » (I1). Selon un des gestionnaires du réseau de la santé, il serait cependant difficilement envisageable que le secteur public puisse offrir un soutien financier pour rémunérer des accompagnateurs non professionnels : « Dans le réseau public, on va rémunérer des personnes qui ont une formation […] je serais assez pessimiste pour que le réseau […] investisse dans des accompagnateurs non professionnels.» (I6).
Discussion
Cette étude visait à identifier les facilitateurs, les obstacles et la faisabilité d’implanter l’APIC dans la communauté auprès de personnes âgées en perte d’autonomie. L’adaptabilité et l’appui scientifique de l’intervention ainsi que la reconnaissance d’un besoin dans la communauté et l’expertise des milieux communautaires sont des facilitateurs, tout comme la collaboration entre les différents acteurs. Toutefois, le manque de ressources financières et humaines et les caractéristiques de la clientèle représentent des obstacles. Malgré les défis identifiés, il a été démontré que l’APIC, tel que mis en œuvre par la recherche, est une intervention faisable (Levasseur et al., soumis). Son implantation dans la communauté est généralement perçue comme possible en l’intégrant à un organisme communautaire ayant des bénévoles, mais doit tenir compte de certains enjeux.
En premier lieu, les enjeux de la collaboration entre le milieu de la recherche, le secteur public et la communauté, incluant les organismes communautaires, sont déterminants pour la réussite de l’implantation. D’abord, une intervention développée et implantée en collaboration avec des acteurs de la communauté est un facteur de succès, tel que documenté dans l’implantation réussie du Programme Intégré d’Équilibre Dynamique (PIED; Filiatrault et al., Reference Filiatrault, Parisien, Laforest, Genest, Gauvin, Fournier and Robitaille2007). Une définition claire des rôles et des mandats des différents acteurs, ainsi que des communications fréquentes et bien structurées sont des éléments favorisant la collaboration entre les organismes communautaires et le secteur public (Lester et al., Reference Lester, Birchwood, Tait, Shah, England and Smith2008). Au Québec, les établissements de santé ont une responsabilité populationnelle qui nécessite de planifier, coordonner, organiser et offrir à la population de son territoire l’ensemble des services sociaux et de santé (MSSS, 2016). Toutefois, selon le gouvernement, le soutien à domicile des aînés est une responsabilité partagée entre plusieurs acteurs, incluant ceux du milieu communautaire (Castonguay, Beaulieu et Sévigny, Reference Castonguay, Beaulieu and et Sévigny2015). Afin de mieux soutenir les aînés à domicile et dans leur communauté, le renforcement des liens et, plus spécifiquement, une collaboration et une concertation active entre les établissements de santé et les acteurs du milieu est d’ailleurs une stratégie reconnue et encouragée (Ministère de la Famille et des Aînés et MSSS, 2012). Selon ces responsabilités et ces constats et afin de répondre à un besoin actuellement non comblé par les services actuellement offerts à la fois dans le réseau public et communautaire, l’APIC doit être implanté et mis en œuvre par le MSSS et en partenariat avec la communauté. Ainsi, une définition claire des rôles et des mandats des différents acteurs, des communications fréquentes et bien structurées et un financement adéquat sont requis. La reconnaissance de l’expertise de la communauté par le réseau public demeure toutefois un défi. En effet, la culture organisationnelle du réseau public est davantage hospitalo-centrique, c’est-à-dire axée sur la hiérarchie des soins et des rapports humains (Truscelli, Reference Truscelli2007), alors que les organismes communautaires orientent davantage leurs pratiques dans une visée d’empowerment. Ces différences s’expliquent, entre autres, par les distinctions fondamentales entre les établissements de santé et les organismes communautaires sur le plan de leur mission et de leurs obligations légales et réglementaires.
En second lieu, puisqu’il s’agit d’un déterminant majeur (Lester et al., Reference Lester, Birchwood, Tait, Shah, England and Smith2008; Lachapelle et Bourque, Reference Lachapelle and Bourque2008; Bourque, Reference Bourque2012), la disponibilité et la pérennité des ressources financières et humaines influenceront de manière signifiante l’implantation de l’APIC. Bien que la participation sociale des aînés soit une cible de la politique ministérielle « Vieillir et vivre ensemble », le financement des services est insuffisant (Lavoie, Guberman et Marier, Reference Lavoie, Guberman and Marier2014). Dans ce contexte, et tel que souligné par la plupart des participants de la présente étude, l’APIC pourrait être offert par des bénévoles plutôt que par des accompagnateurs rémunérés. Par contre, des ressources financières sont requises pour le recrutement, l’accueil, le soutien et la reconnaissance des bénévoles (Castonguay, Vézina et Sévigny, Reference Castonguay, Vézina and et Sévigny2014). Ainsi, bien qu’ils représentent des facilitateurs à l’implantation (Fried et al., Reference Fried, Carlson, Freedman, Frick, Glass, Hill and Zeger2004; Tan et al., Reference Tan, McGill, Tanner, Carlson, Rebok, Seeman and Fried2013; Mui, Glajchen, Chen et Sun, Reference Mui, Glajchen, Chen and Sun2013), la formation et l’encadrement des accompagnateurs sont aussi des défis. De plus, malgré l’adaptabilité de sa durée et de son intensité, deux éléments favorisant son implantation (Stith et al. Reference Stith, Pruitt, Dees, Fronce, Green, Som and Linkh2006; Franklin et Hopson, Reference Franklin and Hopson2007), l’engagement important (trois heures/semaine) et soutenu (6 à 12 mois) que nécessite l’APIC, est un obstacle au recrutement et à la rétention de bénévoles. En effet, une diversification du bénévolat s’opère actuellement au Québec et se caractérise par des disponibilités temporelles plus sporadiques que régulières. Néanmoins, puisque les bénévoles veulent être des partenaires actifs (Thibault, Fortier et Leclerc, Reference Thibault, Fortier and Leclerc2011), il serait facilitant, notamment lors de la formation sur l’APIC, de définir clairement leurs tâches, leurs rôles et leurs responsabilités ainsi que de leur fournir des moyens concrets de se réaliser dans leur mandat.
Enfin, en lien avec la perception des acteurs concernés par l’implantation de l’APIC, la reconnaissance d’un besoin par la communauté est un élément facilitant l’implantation (Demby et al., Reference Demby, Gregory, Broussard, Dickherber, Atkins and Jenner2014). Plusieurs études ont d’ailleurs soulevé le besoin d’une plus grande continuité dans les services, particulièrement sur le plan de la participation sociale et des loisirs des aînés (Nikolova, Demers, Béland et Giroux, Reference Nikolova, Demers, Beland and Giroux2011; Levasseur et al., Reference Levasseur, Larivière, Royer, Desrosiers, Landreville, Voyer and Sévigny2012). Puisque des études ont démontré des bénéfices (Lefebvre et Levert, Reference Lefebvre and et Levert2012; Lefebvre et al., Reference Lefebvre, Levert, Le Dorze, Croteau, Gélinas, Thériault and Samuelson2013; Blain et al., Reference Blain, Lefebvre, Levert, Desrosiers, Carbonneau, Thérriault and Levasseur2014; Levasseur et al., Reference Levasseur, Lefebvre, Levert, Lacasse-Bédard, Desrosiers, Therriault and Carbonneau2016), l’APIC pourrait répondre à ces besoins. Par ailleurs, même si elles peuvent être réduites par le manque de ressources financières et humaines, la motivation et l’ouverture des acteurs peuvent être augmentées par la présence de leaders au sein de l’organisation (Mihalic et Irwin, Reference Mihalic and Irwin2003), un important facilitateur.
En bref, malgré les défis que représente la collaboration entre les différents acteurs, il apparait clair qu’une relation collaborative serait un facilitateur à l’implantation de l’APIC. La disponibilité et la pérennité du financement sont aussi des enjeux majeurs à la réussite de l’implantation, particulièrement dans le contexte actuel de restriction budgétaire. Afin de tenir compte de la diversification du bénévolat, le recrutement des bénévoles, bien que nécessaire à l’implantation de l’APIC, représente un défi et nécessiterait des ajustements sur le plan de la gestion. Enfin, la reconnaissance d’un besoin dans la communauté et un engagement de la part des leaders des organisations impliquées pourraient contribuer à mobiliser les acteurs et à outrepasser les défis liés à l’implantation.
Forces et limites de l’étude
La présente étude pilote est en continuité avec l’adaptation et la validation de l’APIC auprès des aînés et représente un important point de départ pour l’implantation de l’APIC auprès d’organismes communautaires d’une même région administrative du Québec. La réalisation d’entretiens et l’établissement d’une relation de confiance avec les participants ont permis d’explorer leur perception en profondeur. L’enregistrement audio et la transcription des entretiens, ainsi que l’analyse itérative et consensuelle des résultats a permis une identification rigoureuse des thèmes abordés par les participants. En outre, l’hétérogénéité des participants a favorisé la prise en compte d’une pluralité d’opinions, ce qui a contribué à enrichir la réflexion.
Parmi les limites de l’étude, la désirabilité sociale, particulièrement dans le contexte des entretiens de groupe, pourrait avoir inhibé certains participants, malgré les encouragements à exprimer librement leur opinion. Enfin, la collecte de données a été réalisée dans un contexte de réorganisation du système de santé, impliquant une délocalisation des ressources humaines et un climat d’incertitude, ce qui a complexifié les représentations des participants sur l’implantation de l’APIC.
Conclusion
La présente étude a permis d’acquérir une meilleure compréhension des facilitateurs et des obstacles à l’implantation de l’APIC, tels que perçus par des intervenants et des gestionnaires d’organismes communautaires et du secteur public ainsi que des chercheurs et des collaborateurs au développement de l’APIC, une intervention visant à optimiser la participation sociale des aînés vivant dans la communauté. Le contexte économique et social actuel, qui limite l’accès aux ressources financières et humaines, est le principal obstacle répertorié. Toutefois, puisque l’APIC est une intervention qui répond à un besoin réel, qu’elle a été développée de façon rigoureuse et en collaboration, et qu’il est possible de l’adapter, il apparaît faisable de l’implanter en l’intégrant à des organismes communautaires et en impliquant des bénévoles. L’établissement d’une collaboration entre les secteurs public et communautaire, combiné à la présence de leaders ouverts à la nouveauté et d’individus offrant du soutien, est favorable à son implantation et devrait limiter les obstacles identifiés. En potentialisant les facilitateurs et en diminuant les obstacles, ces nouvelles connaissances favoriseront une implantation réussie et moins coûteuse de l’APIC ou d’autres interventions similaires. De plus, d’autres études sont nécessaires pour documenter l’implantation de l’APIC offert par des bénévoles au sein d’organismes communautaires et d’en vérifier les effets.
Remerciements
Cette étude a été possible grâce à l’appui financier de l’Université de Sherbrooke et du Centre de recherche sur le vieillissement du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Le programme de recherche sur l’adaptation de l’APIC aux aînés en perte d’autonomie est financé par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC; subvention #284179) et l’axe Intégration et soutien social du Réseau Québécois de recherche sur le vieillissement des Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS). Mélanie Levasseur est chercheure boursière junior 1 du FRQS (#26815). Merci aux personnes qui ont accepté de donner de leur temps pour participer à l’étude.