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Ontologie, philosophie et politique: la critique de la tradition épistémologique chez Charles Taylor
Published online by Cambridge University Press: 13 April 2010
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La philosophie de Charles Taylor a récemment fait l'objet de plusieurs critiques mettant en question tant l'ontologie morale proposée par Taylor que le modèle politique qu'elle soutient. Par exemple, O. Flanagan a souligné les difficultés posées par le fait de concevoir les agents moraux comme devant nécessairement procéder à des évaluations fortes. D. Weinstock a défendu l'idée que les institutions politiques libérales que critique Taylor sont en réalité plus propices au développement de cette capacité d'évaluation forte que la poursuite d'un bien commun par le biais des institutions politiques dont les communautaristes sont généralement vus comme les défenseurs. Pour sa part, Will Kymlicka a soutenu que contrairement à ce qu'affirme Taylor, la philosophie morale contemporaine ne nie pas l'existence de distinctions qualitatives et qu'elle centre la moralité sur le respect des besoins des autres pour permettre à chacun de réaliser son intérêt prémoral pour la bonne vie.
- Type
- Articles
- Information
- Dialogue: Canadian Philosophical Review / Revue canadienne de philosophie , Volume 35 , Issue 3 , Summer 1996 , pp. 553 - 570
- Copyright
- Copyright © Canadian Philosophical Association 1996
References
Notes
1 Flanagan, Owen, «Identity and Strong and Weak Evaluation», dans Owen Flanagan et Amélie Oksenberg Rorty, dir., Identity, Character, and Morality: Essays in Moral Psychology, Cambridge, MA, MIT Press, 1990, p. 37–65Google Scholar; Weinstock, Daniel, «The Political Theory of Strong Evaluation», dans James Tully, dir., Philosophy in an Age of Pluralism: The Philosophy of Charles Taylor in Question, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 171–193CrossRefGoogle Scholar; et Kymlicka, Will, «The Ethics of Inarticulacy», Inquiry, vol. 34, n° 2 (1991), p. 155–182CrossRefGoogle Scholar.
2 Weinstock, D., «The Political Theory of Strong Evaluation», p. 171Google Scholar.
3 Charles Taylor, The Explanation of Behaviour, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1964; et Taylor, C., «Language and Human Nature», dans Philosophical Papers, vol. 1: Human Agency and Language, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 215–247CrossRefGoogle Scholar.
4 Taylor, C., Philosophy and the Human Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 2–5CrossRefGoogle Scholar; et Taylor, C., Sources of the Self: The Making of the Modern Identity, Cambridge, Harvard University Press, 1989, p. 22–23, 59,78-79Google Scholar.
5 Taylor, C., «Cross-Purposes: The Liberal-Communitarian Debate», dans Nancy L. Rosenblum, dir., Liberalism and the Moral Life, Cambridge, Harvard University Press, 1989, p. 159–182Google Scholar, spécialement p. 164-165; Taylor, C., «Convergences et divergences à propos des valeurs entre le Québec et le Canada», dans C. Taylor, Rapprocher les solitudes. Écrits sur le fédéralisme et le nationalisme au Canada, Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1992, p. 179–214, spécialement p. 204Google Scholar.
6 Taylor, C., «Overcoming Epistemology», dans Kenneth Baynes, James Bohman et Thomas McCarthy, dir., After Philosophy: End or Transformation?, Cambridge, MA, MIT Press, 1987, p. 471Google ScholarPubMed. Taylor conçoit le désengagement comme un dépouillement de la nature normative des choses qui implique ultimement la transposition de l'expérience personnelle en un mode impersonnel (C. Taylor, Sources…. p. 160, 162-163,174-175,248-249).
7 Il faut bien faire attention quand on tente d'analyser l'emploi du terme «atomisme» par Taylor. D'abord, il ne faut pas confondre atomisme et libéralisme: à ses yeux, ce n'est pas toute la tradition libérale qui endosse 1'atomisme. Deuxièmement, quand Taylor évoque une compréhension de l'individu comme métaphysiquement indépendant de la société, il vise pnncipalement les doctrines liées à la révolution des termes du discours normatif au dix-septième siècle, révolution associée à Hobbes et à Locke et où la notion de droit joue un rôle central dans la justification des structures politiques sur la base, semblet-il, de cette «indépendance métaphysique» des individus à l'égard de la société. Cette série de conceptions est axée sur la théorie du contrat social et sur la priorité de l'individu et de ses droits par rapport à la société. Cette doctrine dépend selon Taylor d'une thèse affirmant la possibilité que certaines capacités humaines se développent en dehors de la société ou de certains types de sociétés; ce qui pose un problème dans la mesure où on ne peut pas affirmer les droits en dehors d'un contexte qui défend la valeur des capacités qui leur donnent naissance (Taylor, C., Philosophy and the Human Sciences, p. 196–197, 204)Google Scholar. Cela ne s'applique cependant que peu ou pas au libéralisme contemporain (Rawls, par exemple). En fait, quand Taylor parle d'atomisme, il vise de façon générate une tendance dans nos sociétésàa penser en termes atomistes/ instrumentaux. Voir notamment C. Taylor, Sources..., p. 193-197, 413, 505.
8 Taylor, C., «Overcoming Epistemology», p. 479Google Scholar.
9 Dans ce texte, Taylor se sert de la «thèse républicaine» pour questionner la capacité du libéralisme procédural à assurer la dignité des citoyens dans un patriotisme viable. Cette question de la viabilité tourne pnncipalement autour du caractère essentiel de la participation pour assurer une liberté qui soit significative pour la dignité des citoyens. Taylor explique que pour les penseurs de la tradition de l'humanisme civique (Montesquieu, Rousseau, Tocqueville, Arendt) la condition essentielle d'un régime libre (au sens de non despotique) est l'identification volontaire des citoyens à la cité (polis), où Identification du citoyen avec la république comme entreprise commune constitue la reconnaissance d'un bien commun (la liberté générale) et non la simple convergence d'intérêts individuels. L'essentiel des républiques pour Taylor réside dans ce sens d'un bien commun immédiat dont la valeur repose dans le fait que nous partageons avec nos concitoyens l'identification à une entreprise commune.
10 Taylor, C., «Cross-Purposes…», p. 167Google Scholar.
11 Voir par exemple Taylor, C., «The Politics of Recognitions» dans Amy Gutmann, dir., Multiculturalism and «The Politics of Recognitions Princeton, Princeton University Press, 1992, p. 58–59Google Scholar, ainsi que C. Taylor, «Convergences et Divergences…». Je n'ai pas l'intention ici d'évaluer les propositions de Taylor à ce sujet.
12 Taylor, C., Sources…, p. 12, 312-313, 495-496;Google Scholar et C. Taylor, The Malaise of Modernity, Concord, Anansi, 1991, p. 74,77.
13 Taylor, C., The Malaise of Modernity, p. 102Google Scholar.
14 Taylor, C., Sources…, p. 514Google Scholar.
15 Taylor, C., The Malaise of Modernity, p. 15, 25, 77Google Scholar.
16 Ibid., p. 29; voir aussi p. 61.
17 Ibid., p. 39 (italiques dans le texte). Voir aussi p. 40-41 et 69.
18 Taylor distingue en effet les thèses ontologiques, qui permettent de définir un ensemble de possibilités et les alternatives qui seront résolues à partir d'argu- ments normatifs, des questions normatives elles-mêmes («advocacy issues») qui concernent le point de vue moral ou politique adopté («Cross- Purposes…», p. 159-161). L'ontologie définit en fait, pour lui, ce qu'il est possible de concevoir, par exemple, la faêon dont se présente l'expérience morale. Cette distinction confere aux thèses ontologiques un statut plus fondamental. Taylor utilise la distinction entre le holisme et l'atomisme pour distinguer les conceptions fondées sur la reconnaissance de l'enracinement social des individus des conceptions qui définissent les alternatives normatives en termes prioritairement individuels; voir par exemple «Cross-Purposes…», p. 159- 163. Je n'ai pas l'intention, dans le cadre de cet article, d'évaluer cette distinction, puisque même si elle se révèle valide, l'argument de Taylor rencontre des difficultés plus fondamentales, analysées dans la deuxième partie de cet article. Il suffit, pour notre propos, de comprendre que cette distinction joue le röle suivant dans l'analyse de Taylor: selon lui, une ontologie atomiste ne saurait légitimer une conception publique du bien, alors qu'une ontologie holiste permet de concevoir une telle possibilité. Je rappelle qu'il ne faut pas confondre atomisme et libéralisme; a ce sujet, voir la note 7 ci-dessus.
19 Taylor, C., Sources…, p. 27Google Scholar. Voir aussi p. 33,44-45,46. L'individu se situe dans un espace de questions morales (ibid., p. 29-31).
20 Ibid, p. 34-35.
21 C. Taylor, «Overcoming Epistemology», p. 472-473 sqq.\ C. Taylor, «Comments and Replies», Inquiry, vol. 34, n° 2 (1991), p. 250.
22 Taylor fait ici appel à sa notion d'auto-interprétation, c'est-à-dire à sa thèse que l'être humain se constitue partiellement par sa compréhension de lui- même, compréhension qui implique de se situer par rapport à des «évaluations fortes». Pour Taylor, l'être humain est un animal qui s'auto-interprète:«[…] for there is no such thing as the structure of meanings for him independently of his interpretation of them» (C. Taylor, Philosophy and the Human Sciences, p. 26; voir aussi Taylor, C., Human Agency and Language, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 2–3)CrossRefGoogle Scholar.
23 Taylor, C., «The Validity of Transcendental Arguments», The Aristotelian Society Proceedings (1978–1979), p. 151Google Scholar; «[…] the argument moves us from weaker to stronger thesis, e.g. from experience being of something to the applicability of the categories. [… ] We try to show that the richer description's holding is indispensable to the sketchier one's holding, because the former simply spells out what the latter adumbrated» ibid., p. 164). Voir aussi, à propos des arguments transcendantaux, Taylor, C., «The Opening Arguments of the Phenomenology», dans Alasdair Maclntyre, dir., Hegel: A Collection of Critical Essays, Notre-Dame, IN, University of Notre Dame Press, 1976, p. 151–187Google Scholar.
24 Taylor, C., «The Validity of Transcendental Arguments», p. 159–160Google Scholar.
25 Ibid., p. 163. C'est ce à quoi procède Kant en montrant le caractère intenable de la compréhension atomiste de la connaissance défendue par Hume (Taylor, C., «Overcoming Epistemology», p. 475)Google Scholar.
26 Taylor, C., «The Validity of Transcendental Arguments», p. 158Google Scholar. Taylor note que les arguments transcendantaux sont paradoxaux, de deux points de vue: 1) étant fondés sur la nature de l'experiénce, il y a une question ontologique ultime qu'ils ne peuvent résoudre, par exemple celles des choses en elles mémes chez Kant; 2) ils sont sujets à débat malgré leur caractère apodictique, car ils articulent ce qu'il nous est difficile d'articuler (Taylor, C., «Overcoming Epistemology», p. 165)Google Scholar.
27 Ibid., p. 474.
28 Ibid., p. 156, 161-163.
29 Taylor, C., Sources..., p. 112Google Scholar.
30 O. Flanagan, Identity...; et Tully, James, «Wittgenstein and Political Philosophy: Understanding Practices of Critical Reflection», Political Theory, vol. 17, n° 2 (1989), p. 172–204CrossRefGoogle Scholar. Tully vise essentiellement à souligner que l'interprétation constitue une pratique de réflexion critique parmi d'autres, et qu'elle est basée sur la compréhension, avec laquelle Taylor tend en fait à la confondre. C'est plutôt la compréhension qui se révèle fondamentale dans la façon qu'ont les êtres humains «d'être dans le monde». Pour sa part, Flanagan critique la these de Taylor selon laquelle l'évaluation forte est caractéristique de toute faculté humaine d'agir. Il vise essentiellement le degre d'articulation exigé par Taylor pour soutenir cette faculté, degré qui lui semble exagéré. Je n'ai pas pour objectif ici d'évaluer spécifiquement la thèse de Taylor sur le rôle des évaluations fortes. Mon argument vise plutôt à souligner que cette thàse prend naissance dans un argument phénoménologique dont l'analyse montre qu'il contient un glissement injustifié entre les «conditions d'intentionnalité» et le statut «ontologique» accordé à la conscience du sens de l'action dans la conceptualisation de l'expérience morale. Par ailleurs, cette analyse permet de comprendre comment Taylor lie ce statut de la conscience et de l'autocompréhension à la défense du «communautarisme».
31 Taylor, C., «The Validity of Transcendental Arguments», p. 157Google Scholar. Les italiques sont de moi.
32 Taylor, C., «Why Do Nations Have to Become States?», dans Stanley G. French, dir., Philosophers Look at Canadian Confederation/La confédération canadienne: qu'enpensent les philosophes?, Montréal, Association canadienne de philosophic, 1979, p. 26Google Scholar. Les italiques sont de moi.
33 Taylor, C., «The Politics of Recognition», p. 40–41Google Scholar. Taylor reprend cet argument dans «Can Liberalism Be Communitarian?», Critical Review, vol. 8, n° 2 (1994), p. 259–260Google Scholar.
34 Taylor, C., Sources…, note 60, p. 531–532Google Scholar.
35 Sur cette distinction (appliquée à la théorie de Nagel), voir Foss, Jeffrey, «Subjectivity, Objectivity and Nagel on Consciousness», Dialogue, vol. 32, no 4 (1993), p. 725–736, spécialement p. 729.CrossRefGoogle Scholar