Published online by Cambridge University Press: 01 March 1966
L'Épineuse et redoutable question de l'infini surgit, d'une façon ou d'une autre, à tous les paliers et dans tous les secteurs de la connaissance. Mais c'est incontestablement en mathé-matique que l'infini occupe la plus large place. “If in summing up, écrit Hermann Weyl, a brief phrase is called for that characterizes the life center of mathematics one might well say: mathematics is the science of the infinite”. Et s'il faut reconnaître l'importance capitale du rôle que l'infini joue en mathématiques, il faut également reconnaître le caractère paradoxal de ce rôle. En effet, bannir l'infini des mathématiques équivaudrait à les amputer au point de les ramener à un état primitif, embryonnaire; la présence en elles de l'infini et l'usage qu'elles en font sont, sans l'ombre d'un doute, á la source même de leur prodigieux développement, de leur étonnante fécondité. Qu'on songe seulement aux processus infinis dont la maîtrise leur a permis de devenir un instrument sans rival dans l'exploration du monde quantitatif.
1 Philosophy of Mathematics and Natural Science, Princeton, Princ. Univ. 1949, p. 66. Quelques années plus tôt, le même Weyl avait écrit: “Mathematics i s the science of the infinite, its goal the symbolic comprehension of the infinite with human, that is finite, means”. (The Open World, New Haven, Yale Univ. Press, 1932, p. 7).
2 A. A. Fraenkel et Y. Bar-Hillei, Foundations of Set Theory, Amsterdam, Holland, 1958, p. 15. Les deux auteurs reconnaissent que les difficultés suscitées autour des notions primitives par la théorie des ensembles infinis ont conduit à la “third foundational crisis that mathematics is still undergoing”.
3 Les diffcultés suscitées par l'arithmétique transfinie, en particulier les antinomies auxquelles elle a conduit, ont profondément influencé certains mathématiciens. L'un d'eux, Hermann Weyl, a fait cet aveu: “We are less certain than ever about the ultimate foundations of (logic and) mathematics. Like everybody and everything in the world to-day, we have our “crisis”. We have had it for nearly fifty years. Outwardly it does not seem to hamper our daily work, and yet I for one confess that it has had a considerable practical influence on my mathematical life: it directed my interests to fields I considered relatively “safe”, and has been a constant drain on the enthusiasm and determination with which I pursued my research work”. Cité par Fraenkel et Bar-Hillel dans Foundations of Set Theory, pp. 4–5.
4 Le célèbre essai de Cantor parut d'abord par tranches dans Math. Annalen Cantor en fit ensuite un livre qui parut a Leipzig en 1883 sous le titre Grundlagen einer allgemeinen Mannichfaltigkeitslehre. Ein mathematisch-philosophischer Versuch in der Lehre des Unendlichen. A cette occasion, Cantor composa une préface voici quelques lignes:
”The previous exposition of my investigations in the theory of manifolds has arrived at a point where its continuation becomes dependent upon a generalization of the concept of the real integer beyond the usual limits; a generalization taking a direction which, as far as I know, nobody has looked for hitherto.
I depend to such an extent on that generalization of the concept of number that without it I should hardly be able to take freely even the smallest step forward in the theory of sets; may this serve as a justification, or, if necessary, as an apology for my introducing apparently strange ideas into my considerations. As a matter of fact, the undertaking is the generalization or continuation of the series of real integers beyond the infinite. Daring as this might appear, I can express not only the hope but the firm conviction that this generalization will, in the courseof time, have to be conceivedas aquite simple, suitable and natural step. At the same time, I am well aware that, by taking such a step, I am setting myself in certain opposition to wide-spread views on the infinite in mathematics and to current opinions as to the nature of number”.
5 Abraham A. Fraenkel, Abstract Set Theory, Amsterdam, North-Holland, 1953, p. 10: “In sharp contrast to this use of the word infinite, the set of all natural numbers considered above (as well as its scheme of order) is a proper, definite actual infinite: the set contains infinitely many elements each of which is well determined. There appears to be nothing absurd or contradictory in such a concept, constructed by a simultaneous act of thinking. As a matter of fact, concepts of this kind have been explicitly and implicitly used as long as mathematics has existed as a deductive science”.
6 Georg Cantor, Contributions to the Founding of the Theory of Transfinite Numbers, trad. Jourdain, New York, Dover, (s.d.), pp. 103–104: “The first example of a transfinite aggregate is given by the totality of finite cardinal numbers; we call its cardinal number “Aleph-zero” and denote it by xo; thus we define
X o = [v]-”
7 Cf. texte de la référence n. 4.
8 Karl-Friedrich Gauss (1777-1855) a écrit: “II faut protester énergiquement contre l'usage que l'on fait de l'infini: l'infini, ce n'est qu'une expression abrégée pour signifier qu'il existe des limites, dont certaines valeurs peuvent s'approcher aussi près qu'on le désire, tandis que d'autres peuvent croître indéfiniment”. Passage cité par Marcel Boll, Les deux infinis, Paris, Larousse, (c. 1938), p. note 4.
Henri Poincaré n'est guère plus enthousiaste que Gauss. II écrit: “Depuis longtemps la notion d'infini avait été introduite en mathématiques; mais cet infini était ce que les philosophes appellent undevenir. L'infini mathématique n'etait qu'ùne quantité susceptible de croître au delà de toute limite; c'était une quantité variable dont on ne pouvait pas dire qu'elle avait dépassé toutes limites, mais seulement qu'elle les dépasserait.
Cantor a entrepris d'introduire en mathématiques un infini actuel, c'est-à-dire une quantité qui n'est pas seulement susceptible de dépasser toutes les limites, mais qui est regardée comme les ayant dépassées.
De nombreux mathématiciens se sont lancés sur ses traces et se sont posé une série de questions du même genre. Ils se sont tellement familiarisés avec les nombres transfinis qu'ils en sont arrivés à faire dépendre la théorie des nombres finis de celle des nombres cardinaux de Cantor.
Malheureusement, ils sont arrivés à des résultats contradictoires, c'est ce qu'on appelle les antinomies cantoriennes. Ces contradictions ne les ont pas découragés et ils se sont efforcés de modifier leurs règies de façon à faire disparaître celles qui s'étaient déjà manifestées, sans être assurés pour cela qu'il ne s'en manifesterait plus de nouvelles.
Il est temps de faire justice de ces exagérations. Je n'espère pas les convaincre; car ils ont trop longtemps vécu dans cette atmosphère. D'ailleurs, quand on a réfuté une de leurs démonstrations, on est sûr de la voir renaître avec des changements insignifiants, et quelques-unes d'entre elles sont déjà ressorties plusieurs fois de leurs cendres. Telle autrefois l'hydre de Lerne avec ses fameuses têtes qui repoussaient toujours. Hercule s'en est tiré parce que son hydre n'avait que neuf têites, à moins que ce ne soit onze; mais ici il y en a trop, il y en a en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en France, et il devrait renoncer à la partie. Je ne fais done appel qu'aux hommes de bon sens sans parti pris”. (Science et méthode, Paris, Flammarion, s.d., pp. 153–155.)
9 F. Hausdorff, Mengenlehre, 3e éd. rev., New York, Dover, (s.d.), p. 11.
10 Cf. pp. 3, 9, 10.
11 Abstract Set Theory, p. 9: “It thus seems that the external world can afford us nothing but finite sets”.
12 Aristote, Phys. III, ch. 5, 204b: “Mais peut-être est-ce une question trop générale que de savoir si l'infini est possible dans les choses mathématiques et dans les choses intelligibles et dans celles qui n'ont aucune grandeur; pour nous, e'est dans les choses sensibles, dans ce qui fait l'objet de notre étude, que nous nous demandons s'il y a ou non un corps infini quant à l'accroissement”. Làdessus on pourra lire cette remarque de S. Thomas: “… ista questio quae est: an infinitum sit in mathematicis quantitatibus et in rebus intelligibilibus non habentibus magnitudinem, est magis universalis quam sit praesens consideratio”. (In III Phys., lect. 7). On aura également profit á lire deux autres passages de saint Thomas: II C.G., ch. 81 et ch. 92.
13 Quodl. IX, q.l., a.l.
14 De aeternitate mundi contra murmurantes., édit. Perrier. On pourra en outre avec grand profit plusieurs autres passages dans S. Thomas, entre autres: Ia, q. 7; IIIa, q. 10, a. 3; De Ver., q. 2, a. 10; Quodl. XII, q. 2, a.2; In I Sent., d. 43. q.l a.l.
15 S. Thomas d'Aquin n'est pas du meme avis; pour lui, il y a plus de nom-bres naturels qu'il y a de nombres pairs. A deux reprises il le déclare de façon expresse: IIIa, q. 10, a. 3, ad 3; Quodl. IX, q. 1, a.l., ad 1.