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Le principe des maux superflus: De la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 au Protocole additionnel I de 1977
Published online by Cambridge University Press: 19 April 2010
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A l'occasion du centenaire de la Déclaration de Saint-Pétersbourg, la Revue Internationale de la Croix-Rouge avait consacré à cet important document, qui marque l'origine du droit de la guerre conventionnel, un article étudiant la relation entre la notion de but légitime de la guerre, tel que celui-ci était défini dans la Déclaration, et les moyens de guerre, dont la licéité était déclarée limitée par leur conformité à ce but légitime et par leur nécessité. Depuis cette date, le droit des conflits armés internationaux s'est enrichi du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949. Celui-ci, sur le point qui est au centre du préambule de la Déclaration de 1868, à savoir la notion de maux superflus — qui n'a reçu ce nom qu'en 1899, à l'article 23(e) du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, mais qui, comme nous Je montrerons, remonte au préambule de la Déclaration —, a développé cette notion, d'une part, en élargissant son champ d'application aux méthodes de guerre, et, d'autre part, — et surtout —, par l'introduction d'une règle nouvelle, d'une portée considerable: la limitation de la définition des objectifs militaires licitement attaquables.
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- International Review of the Red Cross , Volume 76 , Special Issue 806: Interdiction et Restriction de l'usage de certaines armes , April 1994 , pp. 107 - 130
- Copyright
- Copyright © International Committee of the Red Cross 1994
References
1 Annexe au Protocole I des Conférences militaires tenues à Saint-Pétersbourg, , «Mémoire sur la suppression de l'emploi des balles explosives en temps de guerre», Nouveau Recueil général des Traités…, T. XVIII, Gottingue, 1873, p. 460.Google Scholar
2 Sur ce point, voir plus loin: II, C, a.
3 Notant que «parmi les 32 membres de la Conférence, il y avait 18 militaires, 10 diplomates et 4 jurisconsultes ou hauts fonctionnaires, étrangers à l'armée et à la diplomatie», G. Rolin-Jaequemyns a reconnu que le résultat de la Conférence avait démenti les inquiétudes que cette inégalité de proportion entre les différents éléments représentés lui avaient inspirées. «Chronique du droit international 1871–1874», Revue de droit international et de la législation comparée, VII, 1875, pp. 90–91.
4 Actes de la Conférence de Bruxelles de 1874 sur le Projet d'une convention internationale concernant la guerre. Paris, Ministère des Affaires étrangères, Documents diplomatiques, 1874, respectivement p. 4 et p. 48.
5 Par souci d'abréviation, on désignera dans la suite le Règlement de La Haye de 1899 ou de 1907 par les initiales RLH, et le Protocole additionnel I de 1977 par PA.
6 La seule règle qui soit fondée expressément sur l'article 35(2) du PA est l'interdiction de l'emploi de «pièges qui sont conçus pour causer des blessures inutiles ou des souffrances superflues», disposition figurant à l'article 6(2) du Protocole II annexé à la Convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans distinction, du 10 octobre 1980. Ici, les expressions «blessures inutiles» et «souffrances superflues», dans la version française, sont à leur place, de même que la formule «conçus pour…», au lieu de «de nature à…». A l'alinéa 3 du préambule de la Convention est «rappelé» textuellement le libellé de l'article 35(2), qualifé de «principe». Bien que ne se référant pas à cette règle, l'article unique du Protocole I annexé à la même Convention, interdisant «d'employer toute arme dont l'effet principal est de blesser par des éclats qui ne sont pas localisables par rayons X dans le corps humain», peut également être considéré comme fondé sur l'article 35(2) du PA.
7 Mechelynck, A., La Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre d'après les Actes et Documents des Conférences de Bruxelles de 1874 et La Haye de 1899 et 1907. Gand, 1915, p. 24.Google Scholar
8 Voir le dernier alinéa du préambule du Protocole I: «Réaffirmant, en outre, que les dispositions des Conventions de Genève du 12 août 1949 et du présent Protocole doivent être pleinement appliquées en toutes circonstances à toutes les personnes protégées par ces instruments, sans aucune distinction défavorable fondée sur la nature ou l'origine du conflit armé ou sur les causes soutenues par les Parties au conflit, ou attribuées à cellesci».
9 Annuaire de la Commission de droit international, 1980, vol. II, 2e partie: Rapport de la Commission à l'Assemblée générale sur les travaux de sa trente-deuxième session. (A/CN.4/SER.A/1980/Add. 1 (Part 2) par. 27 et 28).
10 Les deux références à la notion d'«avantage militaire» ne sont pas équivalentes; elles se différencient notamment par leur fonction respective.
11 Cf. l'article 55(1) du PA, 2e phrase, interdisant «d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre conçus pour causer ou dont on peut attendre qu'ils causent de tels dommages [étendus, durables et graves] à l'environnement naturel, compromettant, de ce fait, la santé ou la survie de la population», et non pas de la population civile.
12 La référence à la notion d'«avantage militaire» a été introduite par le Projet intitulé Règles sur la guerre aérienne, rédigé par la Commission des juristes qui avait été constituée conformément à une résolution de la Conférence de Washington de 1922 sur la limitation des armements et qui était composée d'experts des six Etats suivants: Etats-Unis, France, Italie, Japon, Pays-Bas, Royaume-Uni. Le Projet, qui n'avait que le caractère de recommandation, portait à son article 24(1): «Le bombardement aérien n'est légitime que lorsqu'il est dirigé contre un objectif militaire, c'est-à-dire un objectif dont la destruction totale ou partielle constituerait pour le belligérant un avantage militaire net», Recueil général des lois et coutumes de la guerre, documents recueillis et annotés par Marcel Deltenre, Ed. F. Wellens-Pay, Bruxelles, 1993, p. 828.
L'origine du texte de l'article 52(2), 2e phrase, se trouve dans le paragraphe suivant de la résolution adoptée en 1969 par l'Institut de droit international, dont la teneur a été reprise, avec de légers changements, par le CICR dans son Projet du Protocole I: «Peuvent seuls être considérés conune objectifs militaires ceux qui, par leur nature même, leur destination ou leur utilisation militaire, contribuent effectivement à l'action militaire ou présentent un intérêt militaire généralement reconnu, de telle sorte que leur destruction totale ou partielle procure, dans les circonstances du moment, un avantage militaire substantiel, concret et immédiat à ceux qui sont amenés à les détruire» (Annuaire de l'Institut de droit international, 1969, T. II, p. 358 et s.). La résolution a été adoptée par 60 voix, contre une, et 2 abstentions.
13 Le contenu de l'article 52(1) et (2) a été repris textuellement (en renversant l'ordre des deux paragraphes) à l'article 2(4) et (5) du Protocole sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi des mines, pièges et autres dispositifs (Protocole II), annexé à la Convention du 10 octobre 1980, ainsi qu'à l'article 1(3) et (4) du Protocole sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi des armes incendiaires (Protocole III).
14 Voir Headquarters, Department of the Army: FM 27–10 — The Law of Land Warfare, Change No. 1, 15 July 1976, par, 40 c.
15 CICR, Projet de Règles limitant les risques courus par la population civile en temps de guerre, 2e éd., 1958, pp. 64 et 69.Google Scholar
16 La violation de l'article 52(2), deuxième phrase, ne figure pas, contrairement à la violation de l'interdiction des attaques sans discrimination définie aux articles 51(5)b) et 57(2)a) iii, dans la liste, à l'article 85, des infractions graves au Protocole I. Mais cet article ne prétend pas être une énumération exhaustive des crimes de guerre, même s'il s'agit de la violation d'une règle introduite par le Protocole. Aussi le fait que la règle de l'article 52(2), deuxième phrase, n'est pas dotée explicitement de l'arme répressive ne met-il pas les infracteurs éventuels à l'abri de poursuites pour crimes de guerre, au titre de la violation des lois et coutumes de la guerre. Se pose ici toutefois, le problème lié au principe Nullum crimen, nulla poena sine lege. Cf. plus loin le texte correspondant à la note 26.
17 Voir dans le même sens, reliant à l'article 35 l'interdiction du refus de quartier formulée à l'article 40, CICR, Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Genève, 1986, p. 483.Google Scholar
18 Cassese, A., «Weapons causing unnecessary suffering. Are they prohibited?» in Rivista di Diritto Internazionale, Vol. 48, 1975, pp. 12–42Google Scholar: «… a very significant source of inspiration» (p. 37).
19 Op, cit., p. 404. Dans le sens de notre propre interprétation, voir Erich Kussbach, «Internationale Bemühungen um die Beschränkung des Einsatzes bestimmter konventioneller Waffen» in Oesterreichische Zeitschrift für öffentliches Recht und Völkerrecht, Vol. 28, 1977, p. 1–50, qui voit dans le principe de l'article 23(e) du RLH un «principe régulateur général» (ein allgemeines Regulativ) et un «principe juridique du droit de la guerre» (ein Rechtsgrundsatz des Kriegsrechts), et non pas seulement un principe moral (p. 24).
20 Bundesministerium des Verteidigung, Humanitäres Völkerrecht in bewaffneten Konflikten — Handbuch —, August 1992. La traduction anglaise publiée par le ministère porte le titre: Humanitarian Law in Armed Conflicts — Manual.
21 Voir par ex. Malinverni, Giorgio, «Armes conventionnelles modernes et droit international» in Annuaire suisse de droit international, vol. XXX, 1974, pp. 23–54Google Scholar, qui conclut: «(…) les projectiles animés d'une grande vitesse initiale entrent manifestement dans la catégorie des armes qui causent des maux superflus» (p. 47).
22 CICR, Les armes de nature à causer des maux superflus ou à frapper sans discrimination. Rapport sur les travaux d'un groupe d'experts, 1973, p. 41.Google Scholar
23 Ibid., p. 8. Le type d'armes en question a fait l'objet de discussions à la Conférence des Nations Unies sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques, mais les debats n'ont pas abouti à un protocole portant sur la réglementation de ces moyens de guerre. La Conférence a dû se borner à l'adoption d'une résolution qui, rappelant l'interdiction des balles Dum-Dum par la Déclaration de 1899, demandait aux Etats de poursuivre les recherches sur les armes de petit calibre sous l'aspect de leurs effets traumatiques et balistiques spéciaux, et invitait les gouvemements à faire preuve de la plus grande prudence dans la mise au point de ces armes. — Sur un autre type de moyens de guerre nouveaux et les questions qu'ils soulèvent sous l'angle humanitaire, les armes à laser, voir Louise, Doswald-Beck (ed.), Blinding Weapons. Reports of the meetings of experts convened by the International Committee of the Red Cross on Battlefield Laser Weapons, 1989–1991, ICRC, 1993.Google Scholar
24 On doit sans doute interpréter dans ce sens l'avis prudent du commentateur du paragraphe cité. dans Fleck, D. (herausgegeben von), Handbuch des humanitären Völkerrechts in bewaffneten Konflikten, Beck, C. H., Munich, 1994.Google Scholar
A cet égard, nous sommes d'accord avec l'opinion du professeur Kalshoven, qui «ne partage pas l'optimisme» de ceux qui «pen[sent] que des ‘maux superflus'et des ‘effets indiscriminés’ notoires constitu[ent] des normes qui pourraient simplement étre appliquées à des armes existantes et à d'éventuelles futures armes’. Une application aussi simple et directe est impossible en raison, d'une part, de leurs composantes et, d'autre part, des caractéristiques des armes modernes qui entraînent beaucoup trop de complications et de difficultés d'interprétation». «Les principes juridiques qui sous-tendent la Convention sur les armes classiques», RICR, No 786, novembre-décembre 1990, pp. 556 et ss. (p. 564).
25 S'il est regrettable que les rédacteurs de la version anglaise aient, par négligence, repris la traduction réductrice de 1907 (réductrice par la formule «calculated to cause» et par l'expression «unnecessary suffering»), il est plus que déplorable que les rédacteurs de la version française, au lieu de s'en tenir au texte authentique de l'article 23(e), aient retraduit la formule doublement défectueuse du texte anglais.
26 Rapport du Secrétaire général établi conformément au paragraphe 2 de la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité, doc. S/25704, p. 10.
27 Voir, dans le même sens, la Déclaration sur les Règles du droit international humanitaire relatives à la conduite des hostilités dans les conflits armés non internationaux, adoptée en 1990 par le Conseil de l'lnstitut international de droit humanitaire (RICR, No 785, septembre-octobre 1990, pp. 438 et ss., p. 439). — Sur la question de l'applicabilité des trois Protocoles de 1980 aux conflits armés non internationaux, cf. également Sandoz, Yves, RICR, No 786, novembre-décembre 1990, pp. 517Google Scholar et s., ainsi que Maurice Aubert, Ibid., pp. 521 et ss. (p. 537).