Les prépositions complexes en français est un ouvrage collectif réunissant quatorze études auxquelles ont collaboré douze auteurs.
L’impressionnant chapitre d’ouverture de Dejan Stosic décrit l’ensemble des propriétés de 660 locutions prépositionnelles. Leur patron de formation fait l’objet du Tableau 1 : Structure à noyau nominal (ex. au bord de), verbal, etc. Les PrépComp à noyau nominal sont classées par domaines sémantiques au Tableau 4, et selon leur patron de formation dans l’Annexe 2. Les principaux sous-paradigmes sémantiques, au nombre de 22 (espace, temps, cause, finalité, etc.) font l’objet de l’Annexe 3. J’approuve résolument cette observation de l’auteur : « Le corpus de l’étude, issu d’un travail de recensement et d’analyse de longue haleine, est un résultat en soi dans la mesure où il peut servir à la communauté pour de futures recherches sur les PrépComp ».
Trois chapitres sont consacrés aux 235 prépositions complexes spatiales. Celui de Walter De Mulder illustre le constat de la polysémie réduite des prépositions complexes par rapport à celle des prépositions simples de la même catégorie. Les exemples choisis sont ceux de au milieu de, au centre de et au cœur de par rapport à dans. Injoo Choi-Jonin et Véronique Lagae s’intéressent aussi à la polysémie de ces prépositions. Comparant deux emplois de la locution en dehors de à leurs homologues coréens, elles observent que dans un emploi locatif ils régissent une entité de type site, alors que, dans une valeur de restriction ou d’exception, le régime de la préposition est de type cible. À mon avis, elles auraient dû en conclure que l’expression considérée est une préposition dans un cas, et un adverbe dans l’autre. Le chapitre de Francesco-Alexio Ursini, Keith Tse et Tong Wu sur le français, l’italien, le mandarin et le coréen, se réclame du modèle prévalent issu des travaux d’Andrée Borillo. Il comporte trois éléments : un élément fonctionnel dénoté par des prépositions simples, et les deux régions de localisation interne et externe, dénotées par des prépositions complexes. Les auteurs invoquent l’existence d’un quatrième élément qu’ils appellent projective prepositions (Ex. devant, à gauche de, au nord de). Mon opinion, impossible à développer dans le cadre d’une brève recension, est que cette suggestion est extrêmement intéressante.
Trois chapitres sont consacrés aux 111 locutions temporelles. Celui de Myriam Bras et Dejan Stosic les compare aux 15 prépositions simples homologues. Les auteurs constatent que dans la sous-catégorie des Adverbiaux de localisation temporelle, les prépositions complexes introduisent des relations temporelles non exprimables autrement, et que dans le cas des Adverbiaux de durée, les prépositions complexes introduisent parfois des nuances hors du domaine temporel. Dans le chapitre de Ghanyoung Kahng et Denis Vigier, les auteurs appliquent la grille multicritère élaborée ibid. par Stosic aux expressions « (en + dans) l’espace de + expression d’espace de temps » et en concluent que celle en en est plus prototypique que celle en dans. Ils établissent en outre que leur emploi temporel est plus fréquent que leur emploi spatial et déterminent ensuite leur identité sémantique.
Dans une démarche diachronique et comparative, Benjamin Fagard s’intéresse aux « points de variation » qui caractérisent la structure « Prép (dét) BaseLex Prép » au sein des langues romanes : degré de variation des prépositions, type de base lexicale, modifications de la base, etc. Quelles sont les conditions de l’émergence de ces locutions ? S’agit-il d’un « phénomène aréal » ? S’appuyant sur plusieurs corpus, l’auteur constate la présence d’une évolution commune et parallèle et souligne le rôle de la traduction et de l’emprunt. Dans une démarche complémentaire de la précédente, Quentin Feltgen, face à la profusion des prépositions complexes de forme en N de, utilise des outils statistiques pour étudier leur émergence et les qualifier en tant que paradigme. Il identifie quatre mécanismes plausibles d’émergence : grammaticalisation, lexicalisation, analogie et constructionalisation. Admettant que ce dernier est probablement le seul à même d’expliquer la productivité du schéma, il partage l’avis que, malheureusement, « tester le statut constructionnel d’un schéma abstrait constitue une lacune théorique majeure dans ce cadre conceptuel » (p. 194).
Quelques cas de figure atypiques font l’objet de trois chapitres. Celui de Wiltrud Mihatsch concerne l’emploi du nom taxonomique genre au sein de la préposition complexe possédant deux variantes simplifiées de type du genre/dans le genre de → du genre → genre. L’auteure exploite FRANTEX pour déterminer les conditions diachroniques de ces variations, sans négliger le facteur du contact des langues. À la fin du chapitre, elle sous-entend que cette étude de cas a besoin d’être dépassée par des travaux sur d’autres noms taxonomiques, tels façon, style, tendance, qui permettront une généralisation. Quant à Anne Le Draoulec et Josette Rebeyrolle, elles traitent également d’un phénomène appositif. Après avoir mis en évidence le fait que (l’)histoire de (Ex. sortir histoire de fumer une clope) est une préposition complexe, elles la comparent aux expressions le temps de et l’espace de. Pour sa part, Ludo Melis montre que l’expression disjointe et en circumposition « À (quelques détails) près » est une préposition complexe d’un nouveau genre.
Deux chapitres étudient la connexion de la sémantique lexicale de l’espace avec d’autres disciplines, celui de Silvia Adler qui vérifie l’hypothèse selon laquelle tel genre textuel privilégie tel type de séquence Prep le N de, et, en lexicographie, celui de Witold Ucherek qui dresse un constat sévère sur le traitement des prépositions complexes par huit dictionnaires généraux français-polonais et fournit en annexe des listes de locutions des différents dictionnaires qui ont l’intérêt, à mon avis, d’ouvrir la voie à des travaux ultérieurs susceptibles d’expliquer les déficiences de tels dictionnaires.
Le chapitre de Valentina Piunno et Vittorio Ganfi, enfin, ne porte pas exactement sur les prépositions complexes, mais sur des locutions possédant une préposition initiale. En fait, l’objet est d’étudier des Transcategorisation Patterns de plusieurs langues romanes anciennes. Deux chaînes de transcatégorisation sont identifiées, qui aboutissent respectivement aux catégories de l’adjectif et de la conjonction.
Selon moi, Les prépositions complexes en français est en somme d’une valeur exceptionnelle pour tout linguiste qui s’intéresse aux prépositions du français.