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Naître de mourir: la mort de Jésus dans l’Évangile de Matthieu (Mt 27.51-56)

Published online by Cambridge University Press:  28 May 2010

Serge Wüthrich
Affiliation:
Institut Protestant de Théologie, Faculté de théologie protestante de Paris, 83 bd Arago, F-75014 Paris, France. email: serge.wuthrich@protestants.org

Abstract

What is the meaning of the apocalyptic events related in the Gospel of Matthew after the death of Jesus? The issue is treated in two stages, beginning with a short review of current interpretations (historical, causal, and semiologic). In a second step, the spatial and temporal disruptions that cross the story are explored. The hypothesis is made, with consideration of the figures’ sequence, that they are the figurative expression of a childbirth. Time and place of death are thus those of a birth, Jesus is literally ‘the firstborn from the dead’. It is finally suggested that the reader's actualisation of this peculiar figures’ chain corresponds to the birth of a believing subject.

French abstract: Comment comprendre les événements apocalyptiques relatés dans l'évangile de Matthieu après la mort de Jésus? La question est traitée en deux étapes, à commencer par un bref rappel de quelques interprétations courantes (historique, causale, et sémiologique). Dans un deuxième temps, les ruptures spatiale et temporelle qui traversent le récit sont mises à jour. Avec l'examen de l'enchaînement des figures est avancée l'hypothèse qu'elles sont l'expression figurative d'un accouchement. Le lieu et le temps de la mort sont aussi ceux d'une naissance, Jésus est littéralement ‘le premier-né d'entre les morts’. Finalement, il est suggéré que l'actualisation, par le lecteur, de ce parcours figuratif particulier coïncide avec la naissance d'un sujet croyant.

Type
Articles
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Copyright © Cambridge University Press 2010

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References

1 Jankélévitch, V., La mort (Paris: Flammarion, 1977) 67Google Scholar, parle de son caractère ‘vertigineux’. Selon lui, la mort renvoie à un ‘ordre extraordinaire’.

2 Bonnard, P., L’Évangile selon Saint Matthieu (CNT 1; Genève: Labor et Fides, rev. ed. 2002) 404Google Scholar. Senior, D., ‘The Death of Jesus and the Resurrection of the Holy Ones (Mt 27:51-53)’, CBQ 38 (1976) 312Google Scholar, va jusqu’à dire que ‘Mt 27:51b-53 is one of the most intriguing passage in the Gospel’.

3 Gurtner, D. M., The Torn Veil: Matthew's Exposition of the Death of Jesus (SNTS MS 139, Cambridge: Cambridge University, 2007) 1Google Scholar.

4 Van Aarde, A. G., ‘Matthew 27:45–53 and the Turning of the Tide in Israel's History’, BTB 28 (1998) 1626Google Scholar. Luz, U., Matthew 21–28: A Commentary (Hermeneia; Minneapolis: Augsburg Fortress, 2005) 561Google Scholar. Davies, W. D. et Allison, D. C., A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel According to Saint Matthew. Vol. 3, Matthew 19–28 (ICC; Edinburgh: T. & T. Clark, 1997) 629Google Scholar, parlent de ‘a shower of astounding miracles’.

5 Le pathémique relève du domaine passionnel. ‘Son emploi évite toute confusion avec une saisie psychologique de l'univers affectif dans le cadre du discours. L’étude de la dimension pathémique du discours, complémentaire des dimensions pragmatiques et cognitives, concerne non plus la transformation des états de choses (ressort de la narrativité), mais de la modulation des états du sujet, ses “états d’âme” ’. Bertrand, D., Précis de sémiotique littéraire (Paris: Nathan, 2000) 265Google Scholar.

6 La thymie est une ‘ “[d]isposition affective de base” déterminant la relation qu'un corps sensible entretient avec son environnement’. Bertrand, Précis de sémiotique, 267.

7 Comment établir une chronologie plausible des événements? Les saints sont-ils les premiers à ressusciter, ou sortent-ils des tombeaux après Jésus? Que deviennent-ils par la suite? Pourquoi les autres évangiles ne parlent-ils pas de ces événements? La peur du centurion et des soldats (v. 54) ne fait-elle pas anachroniquement référence à la vision de ces résurrections? etc.

8 Encore récemment: Plummer, R., ‘Something Awry in the Temple? The Rending of the Temple Veil and Early Jewish Sources that Report Unusual Phenomena in the Temple around AD 30’, JETS 48.2 (2005) 301–16Google Scholar.

9 ‘[I have] omitted from the interpretation the words “after his rising” […] I admit that I cannot satisfactorily interpret them. On the surface of the text they make little sense’. Luz, Matthew 21–28, 568.

10 Luz, Matthew 21–28, 569.

11 Brown, R. E., La mort du Messie. Encyclopédie de la Passion du Christ, de Gethsémani au tombeau (Paris: Bayard, 2005) 1247Google Scholar.

12 Davies et Allison, Matthew, 632; Ed. Schweizer, , The Good News According to Matthew (Louisville: Westminster/John Knox, 1975) 515–17Google Scholar; Schnackenburg, R., The Gospel of Matthew (Grand Rapids: Eerdmans, 2002) 289Google Scholar.

13 Dans le premier cas, l'ouverture du voile ferait référence à un nouvel accès à Dieu pour les païens, dans le second la déchirure figurerait la destruction du Temple. Bonnard, Matthieu, 407; Davies et Allison, Matthew, 630-1.

14 ‘The First Testament background and the apocalyptic imagery of this passage are well recognized’. Van Aarde, ‘The Turning of the Tide’, 22.

15 Schenk, W., Der Passionsbericht nach Markus. Untersuchungen zur Überlieferungsgeschichte der Passionstraditionen (Gütersloh: Mohn, 1974)Google Scholar.

16 ‘express the breathtaking series of signs that are triggered by Jesus’ death’. Senior, ‘The Death of Jesus’, 320.

17 Allison, D. C., The End of the Ages Has Come (Philadelphia: Fortress, 1985) 40–6Google Scholar, reprend et discute les hypothèses de Senior sur d’éventuelles sources vétérotestamentaires.

18 ‘Matthew was either unaware of or unconcerned about the awkward conjunction of verses 52 and 53 in chapter 27’. Van Aarde, ‘The Turning of the Tide’, 23.

19 Senior, ‘The death of Jesus’, 324.

20 ‘[Matthew's addition in 27:51b–53] fits into the intent of the evangelist’. Senior, ‘The Death of Jesus’, 324–5.

21 Senior, ‘The death of Jesus’, 325–9.

22 Schnackenburg, Matthew, 290.

23 ‘[This confession] indicates which ways God will go after Easter and where the future of faith in Jesus lies’. Luz, Matthew 21–28, 571. Dans un contexte différent (celui du deuxième évangile), Marguerat, D. et Vuilleumier, S., ‘Marc, l’évangile du Dieu crucifié’, Mort de Jésus. Dossier pour l'animation biblique (ed. Boinnard, Y.; Genève: Labor et Fides, 1984) 34Google Scholar, écrivent à propos de la déclaration du centurion: ‘Pour la première fois dans l’évangile de Marc, publiquement, Jésus est reconnu dans sa véritable identité. L'exception vient d'où on ne l'attendait pas : là où les croyants préparés à la venue du Messie ont échoué, la parole de la foi surgit de la bouche d'un étranger, d'un païen, d'un sans Dieu. La narration peut s'achever : le Fils a été reconnu’. Senior, ‘The Death of Jesus’, 325, note avec pertinence l'aspect révélateur de la confession du centurion chez Marc alors que, dans le premier évangile, pareille annonce a été faite au préalable par les disciples (14.33; 16.16).

24 ‘[T]he Romans utter the full Christian confession’. Davies et Allison, Matthew, 636.

25 Bonnard, Matthieu, 407. Il ajoute cependant: ‘il est possible que les premiers auditeurs de l’évangile aient compris l'exclamation du centurion comme une confession de foi chrétienne anticipée, ce qui serait bien dans la ligne de l'universalisme matthéen’.

26 Les partisans de cette interprétation prennent appui sur une interprétation de la forme verbale ἔχετε comprise comme un présent de l'indicatif (‘vous avez, vous aussi une garde’) plutôt qu'un impératif (‘ayez ou prenez un(e) garde’), et sur le fait que le terme grec κουστωδία—utilisé en 27.65-66 et 28.11, toujours en relation avec les grands prêtres—diffère du substantif στϱατιώτης, qui lui désigne explicitement les soldats romains. Davies et Allison, Matthew, 655.

27 (1) Le terme στϱατιώτης (soldats) est explicitement utilisé en 28.12 lorsque les grands prêtres corrompent les gardes / soldats; (2) une autorisation n’était pas nécessaire pour mettre en place une garde privée (juive); (3) l'interrogatoire évoqué en 28.14 n'a lieu d’être que si des soldats romains sont impliqués dans la disparition du corps; (4) les Évangiles de Pierre et des Nazaréens (fragment 22) attribuent au capitaine des gardes un patronyme romain, Petronius. Luz, Matthew 21–28, 588.

28 Ce n'est pas la seule caractéristique commune aux femmes et aux soldats. En 27.36 on lit que ‘[les soldats] s’étant assis (καθήμενοι) le [Jésus] gardaient là…’, et en 27.61: ‘Marie la Magdaléenne et l'autre Marie, assises (καθήμεναι) en face du sépulcre….’ De même après la rencontre avec l'Ange et Jésus (28.1-10), les deux groupes sont mis en mouvement: ‘Tandis qu'elles [les femmes] étaient en chemin, voici que quelques hommes de la garde vinrent à la ville’.

29 Panier, L., ‘Récit—discours: De l'explication des causes à l'enchaînement des figures. Lecture de Actes 2—4’, SémBib 134 (2009) 89Google Scholar, nomme sémiologique un dispositif explicatif qui consiste à prendre les événements d'un récit comme des signifiants, dont le signifié donnerait la clé du sens. Dans ce cas, ‘la rationalité interprétative est bi-plane […] permettant de substituer le signifié au signifiant’.

30 Il importe de faire la distinction entre, d'une part, les discours transitifs dont la visée référentielle renvoie aux éléments du monde naturel, auxquels les figures du récit correspondent (dans ce cas, le ‘sens’ des figures convoquées par le récit dépend du savoir commun et des réseaux qui en articulent les composantes), et, d'autre part, les discours intransitifs pour lesquels c'est la structure figurative et thématique qui fournit les conditions de l’émergence d'un tout de signification. Panier, L., ‘Polysémie des figures et statut figural des grandeurs figuratives. L'exemple de la Parabole des Mines (Évangile de Luc 19, 12-27)’, La polysémie ou l'empire des sens (ed. Rémi, S. et Panier, L.; Limoges: PUL, 2003) 7584Google Scholar.

31 Un rapport d'homologation s’écrit usuellement a : b :: c : d, et signifie que a est à b, comme c est à d.

32 ‘The supreme cultic signifiance of the inner curtain is that it alone conceals the holiest of all, that the high-priest alone may pass through it on the Day of Atonement’. Schneider, C., ‘καταπέτασμα’, TDNT (1965) 3.629Google Scholar.

33 L'expression σώματα τῶν ἁγίων fait référence ici aux corps physiques des saints: ‘σῶμα has the traditional sense […] of “corpse.” It is used for the body of Jesus in Mk. 15:43 and par.’. Ed. Schweizer, , ‘σῶμα’, TDNT (1971) 7.1057Google Scholar, qui mentionne à l'appui de son affirmation le fait que Matthieu et Luc ont traduit le πτῶμα (cadavre) de Mc 15.45 par σῶμα.

34 Davies et Allison, Matthew, 634.

35 En français, le Petit Robert propose la définition suivante pour regarder: ‘s'appliquer à voir, considérer attentivement’, alors que voir suppose une attitude passive: ‘percevoir (qqch.) par les yeux’. Même nuance en grec, cf. Bailly, A., ‘θεωϱέω’ et ‘ὁϱάω’, Dictionnaire Grec Français (Paris: Hachette, rev. ed. 2000) 932, 1395–6Google Scholar.

36 Certains exégètes, comme Keener, C. S., A Commentary on the Gospel of Matthew (Grand Rapids: Eerdmans, 1999) 690Google Scholar, pensent que l'attention des femmes était dirigée vers le lieu de l'ensevelissement de Jésus afin de pouvoir s'y rendre ultérieurement. D'autres suggèrent que leur attention est la condition nécessaire de leur qualité de témoin oculaire: premièrement par leur présence à la croix (27.55–56), deuxièmement devant le tombeau vide (28.1–8), et finalement face à Jésus ressuscité (28.9-10). Tout cela apporte ‘both credibility and continuity to the story by serving as eyewitnesses to the kerygmatic triad: Jesus died, was buried, was raised’. Davies et Allison, Matthew, 637.

37 Ce résultat n'est pas totalement surprenant, dans la mesure où le début de l’évangile en offre une image inversée: la naissance de Jésus est l'occasion de la mort d'enfants à Bethléem (1.25; 2.16).

38 Luz, Pour U., ‘L’évangéliste Matthieu: un judéo-chrétien à la croisée des chemins. Réflexions sur le plan narratif du premier Évangile’, La mémoire et le temps (ed. Marguerat, D. and Zumstein, J.; Genève: Labor et Fides, 1991) 7792Google Scholar, le premier niveau concerne la vie de Jésus, et le second est destiné à la communauté matthéenne. Notons que pour Van Aarde, ‘the turning of the tide’, 21, le second niveau ne concerne pas la communauté matthéenne mais les premiers disciples et l’église primitive.

39 Van Aarde, ‘the turning of the tide’, 24. La traduction, en français, de l'expression ‘turning of the tide’ est délicate. Au regard de la résurrection et des événements postmortem qui suggèrent une rupture radicale, s'agit-il d’évoquer un ‘changement de marée’, autrement dit le retour (répété) à un passé connu, le fait de ‘renverser la vapeur’ ou d’‘inverser le cours des choses’?

40 Malina, B. J., ‘Christ and Time: Swiss or Mediterranean?’, The Social World of Jesus and the Gospels (ed. Malina, B. J.; Londres: Routledge, 1996) 179214Google Scholar.

41 ‘What is “imagined” is expressed in symbolic language. “Imaginary time” is, by analogy with experience, expressed in “procedure time” ’. Van Aarde, ‘The Turning of the Tide’, 19.

42 Van Aarde, ‘The Turning of the Tide’, 21.

43 Van Aarde, ‘The Turning of the Tide’, 21: ‘the Jesus era is transposed to the early church era in such a way that two historical worlds are simultaneously taken up as a narrative entity’.

44 Van Aarde, A., ‘Jesus’ Mission to all of Israel Emplotted in Matthew's Story’, Neotestanestica 41 (2007) 432Google Scholar: ‘there is also a second level that makes this past narrative relevant to the present needs of Matthew's community’.

45 Van Aarde, ‘The Turning of the Tide’, 24.

46 Panier, ‘Récit—discours’, 9.

47 Van Aarde, ‘Jesus’ Mission to all of Israel’, 432–6.

48 Panier, L., ‘Le statut discursif des figures et l’énonciation’, SémBib 70 (1993) 1324Google Scholar.

49 Panier, ‘Polysémie des figures et statut figural des grandeurs figuratives’, 78.