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Published online by Cambridge University Press: 02 December 2020
Fin 1945 on vit paraître en France aux devantures des libraires un petit volume portant le titre modeste de Travaux. L'auteur, un authentique ouvrier manuel de quarante-un ans dont c‘était là le premier livre, nous parlait d'une façon très neuve des rapports, d'une richesse insoupçonnée, qu'il établissait avec le monde des choses à travers son travail. Navel se révélait en outre moraliste, préoccupé d'atteindre à plus de sensibilité, à plus de conscience, en dépit des obstacles redoutables que l'implacable rigueur de la condition ouvrière accumulait sur son chemin. Page après page on assistait à cette lutte tenace, malgré les accès de découragement et les retombées, d'un ouvrier qui ne voulait rien abdiquer de ses aspirations d'homme libre à vivre plus intensément, aussi bien par le cœur que par l'intelligence. Bientôt Navel, qui écrivait son livre à la première personne, nous expliquait comment il se rendit compte très jeune que son humanité était non seulement menacée mais contestée par l'ordre social existant. Pour tenter de sauver ce qui pouvait l‘être il oscille entre deux pôles. Tantôt il espère pouvoir faire son salut en même temps que tous les prolétaires, grâce à l'action politique, tantôt il essaye de se sauver tout seul en échappant à l'emprise de l'usine. Les récits que Navel donnait dans Travaux et plus tard dans Parcours et Sable et Limon de ce long combat qu'il devait livrer, entre 1919 et 1945, contre l'engloutissement qui le menaçait dans des tâches purement alimentaires, dressaient finalement, bien sÛr, un bilan de faillite. Mais d'une faillite qui n'avait rien d'une débâcle. Malgré l'inégalité de la lutte Navel avait connu des moments de bonheur et d'exaltation. Il avait préservé sa santé physique et aussi son juvénile appétit de beauté, de générosité et d'amitié. Il n'avait rien renié, rien trahi de ses aspirations de socialiste humaniste. En 1945 une telle attitude, qui illustrait en somme l'itinéraire de toute une génération passée par le Front populaire et la Résistance, valut à Navel de nombreuses sympathies. Son livre eut une excellente presse. Naval était lancé, promu écrivain, édité bientôt par Gallimard.