Introduction
Disons d'emblée qu'il est légitime de consacrer encore une fois une recherche sur l'histoire du christianisme dans le pays de « Qastîliya »Footnote 1 appelé par la suite la région du Djérid, malgré la masse importante de la documentation apparue près d'un siècle.Footnote 2 Vraisemblablement, ce sujet n'a pas encore épuisé tous ces aspects et n'a pas encore profité des nouvelles données acquises sur le terrain, notamment les résultats des fouillesFootnote 3 exécutées par les chercheurs de l'INP dans cette région située sur le limes de l'Afrique romaine.
Si l'on accepte les données fournies soit par les sources écrites, notamment les sources chrétiennes, soit par les fouilles archéologiques, la région de Djérid semble fortement christianisée dès le Ve siècle. En effet, les quatre principales oasis (Tusuros, Nepte, Thiges et Aquae) sont toutes des évêchés appartenant à la province ecclésiastique de Byzacène et leurs évêques, convertis soit au schisme donatiste soit au schisme catholique, sont presque toujours présents dans les rassemblements provinciaux de l’Église d'Afrique tenus ordinairement à Carthage.
Cette recherche essaie donc de répondre aux questions suivantes: Quelle est l'origine ou les débuts du christianisme dans cette contrée de l'Afrique romaine ? Comment s'organisent ces évêchés qui faisaient partie de la province ecclésiastique du Byzacène ? Quel est l'impact de la politique de persécution suivie par les rois vandales contre les évêques du Djérid disciples de Saint Augustin, notamment l’évêque de Nepta, Laetus ? Quelle est l'apport des nouvelles données archéologiques fraîchement découvertes dans le site de Koustilya à la connaissance de l'organisation liturgique à l'intérieur des édifices chrétiens de cette région? Enfin, quel est le sort des dernières communautés chrétiennes autochtones de Djérid après l'invasion arabo-musulmane?
Aperçu historique et géographique de la région du Djérid
Biled el-Jérid, appelé également « pays des Castella », est une région située au sud-ouest tunisien, comprenant quatre agglomérations de type oasien: Tusuros (Tozeur), Nepte (Nafta), Thiges (Dégache) et Aquae (Hamma d'El-Jérid), situées sur la bordure nord-ouest du Chott el-Jérid, appelé durant l'Antiquité lacus Tritonis.Footnote 4 Rappelons que leurs histoires anciennes demeurent à ce jour peu étudiées et qui gardent encore l'essentiel de ses secrets. La fondation de ces agglomérations semble de toute évidence remonter à l’époque préromaine et elles sont mentionnées dans les sources cartographiques antiques comme le témoigne la Table de Peutinger Footnote 5 et par les sources chrétiennes, notamment sur la liste des évêchés.Footnote 6 D'autre part, les vestiges archéologiques qui y ont été découverts jusqu’à maintenant sont relativement peu nombreux et dont les plus importants ont été découverts dans l'oasis de Guebba (l'antique civitas Tigensium).Footnote 7 Nous commençons par une présentation brève de ces quatre agglomérations de Djérid.
Tusuros (Tozeur) :
Considérée par les sources littéraires comme étant le chef-lieu de la région du Djérid, cette agglomération antique a été mentionnée par la documentation épigraphique en tant que civitas sous le nom de ciuitas Tusuritanae Africae pro(vin)ciae (CIL,V, 1662 = ILCV, 03286).Footnote 8 Plus tard, à une date inconnue, la ville a été promue au statut de municipe. Cette promotion a été assurée par une source chrétienne qui mentionne l’évêque catholique de Tusuros sous le nom de Asellicus episcopus ecclesiae catholicae municipii Tusuritani dixit. Cette mention a une grande importance puisqu'elle constitue une attestation incontournable de la promotion de la cité de Tusuros au rang de municipe.Footnote 9
Thiges (Dégache) :
Cette agglomération antique est située à environ 15 km au nord-est de Tusuros ; elle figure dans les sources anciennes, notamment la Table de Peutinger (Seg. IV)Footnote 10 sous le nom de Thiges. Cette cité antique conserve encore les vestiges d'une enceinte construite en pierre de taille et le soubassement d'une tour de guet,Footnote 11 qui témoignent de la présence romaine dans cette région proche de limes de l'Empire romain.
Son histoire municipale, qui a bénéficié d'une attention particulière de la part des chercheurs contemporains,Footnote 12 est documentée par deux textes épigraphiques datant l'un du règne de l'empereur Domitien et l'autre de celui de l'empereur Nerva. En effet, la première inscription (CIL,VIII, 23165)Footnote 13 qui date de l'année 83, mentionne cette agglomération sous le nom de civitas Tigensium. Quant au deuxième (CIL,VIII, 23166)Footnote 14, datant de l'année 97, qualifie cette même localité de castellum Thigensium. P. Trousset, qui a consacré une recherche approfondie à cette cité antique, ne voit qu'une sorte d’équivalence entre ces deux termes désignant “une même communauté indigène, une même entité urbaine préromaine saisie au moment même de son entrée dans le champ d'action de l'administration militaire romaine ».Footnote 15
Aggarsel Nepte (Nefta) :
La troisième agglomération de la région de Djérid, Nepte ou Aggarsel Nepte, est située à 24 km à l'ouest de l'antique Tusuros. À la différence de ses voisines Tusuros et Thiges, notre connaissance sur l'histoire municipale de Nepte reste approximative et souvent superficielle. En effet, la cité n'a livré que très peu de témoignages sur son passé ancien, mis à part quelques fragments d'inscriptions et quelques blocs de pierre romaine signalés dans le barrage de l'oued de Nafta.Footnote 16
En revanche, on est mieux renseigné sur cette localité grâce aux témoignages des sources antiques, notamment la Table de Peutinger (VI, 1–5) qui mentionne son toponyme d’Aggarsel Nepte sur un itinéraire de longue portée qui reliait Thelepte à Tacape. P. Trousset, qui a consacré un article dans l'encyclopédie berbère sur cette bourgade antique,Footnote 17 admet que le nom même d’Aggarsel Nepte fait problème. Il s'agit bien d'un nom composé associant un nom commun (Aggar) fréquemment utilisé dans la nomenclature libyco-berbère depuis l'Antiquité et un nom propre de lieu (Nepte), qui peut nous renvoyer à une communauté berbère dont le nom évoque bien la Nuptium natio (vel oppidum) de Pline l'Ancien.Footnote 18
Aquae (Hamma d'El-Jérid) :
La dernière agglomération antique de la région de Djérid, nous évoquons la cité d’Aquae, située à environ 10 km au nord-ouest de Tusuros.Footnote 19 Nous ignorons presque tout sur son histoire municipale et à quelle date elle a été fondée. En effet, les sources antiques, notamment la Table de Peutinger et l’Itinéraire d'Antonin, ne mentionnent aucune localité près de Tusuros qui s'appelait Aquae.
En revanche, la première mention de cette localité nous parvient des sources ecclésiastiques qui la mentionnent dans un passage publié dans les Actes de la Conférence de Carthage en 411, indiquant au voisinage de Tusuros une cité qui porte comme toponyme Aquae.Footnote 20 En effet, ce passage n’évoque clairement que l’évêque de Tusuros qui s'est rendu à la conférence de Carthage en 411 en compagnie d'un prêtre d'Aquae, qui s'appelait Victorianus Aquensis. Il déclare être parti avant les calendes de mai de l’ère Arzigibus.Footnote 21
Enfin, à la suite de leurs passages dans la région d'El-Hamma, les voyageurs européens, nous ont transmis leurs témoignages sur les ruines romaines découvertes dans cette localité, qui auraient subsisté apparemment, jusqu’à une date récente.Footnote 22 En effet, à l'instar d’Aquae Tacapitanae, Hamma d'el-Jérid conserve les vestiges d'installations hydrauliques, notamment deux beaux bassins antiques bâtis avec de belles pierres de taille, et qui remontaient à l’époque romaine.Footnote 23
L'organisation territoriale des évêchés du Djérid durant l'Antiquité tardive
Notons d'abord qu’à partir du début du IVe siècle, le christianisme commence à progresser dans les milieux ruraux et les régions les moins romanisées, surtout au sud de la province romaine d'Afrique dont le Djérid faisant partie, peuplé durant les trois premiers siècles par une majorité païenne. Après la diffusion de la doctrine chrétienne dans cette région au cours du IVe et Ve siècle, le nombre de fidèles adorateurs de la religion chrétienne, commence à se progresser dans les quatre localités du Djérid (Tusuros, Thiges, Nepte et Aquae) qui abritaient des évêchés chrétiens.
Les chrétiens de Djérid étaient à la fois des catholiques sous l'influence de Saint AugustinFootnote 24 et des donatistes sous la tutelle de l'archevêque Acilix.Footnote 25 En effet, les listes épiscopales nous faisaient connaitre les noms d’évêques de ces localités qui sont inscrits soit dans le schisme catholique, soit dans celui de donatiste.
Notre connaissance de l'histoire du christianisme dans la région du Djérid, et surtout celle de ses évêques et de leurs juridictions épiscopales restent, en grandes parties, dépendantes des informations qui nous viennent des actes des différents conciles africains réunis à Carthage à partir du IVé siècle. Ces documents ecclésiastiques donnent donc des renseignements très précis à la fois sur la tenue des synodes et surtout sur la répartition des évêchés des différentes provinces ecclésiastiques africaines.
Notons enfin que les quatre évêchés du Djérid faisaient partie depuis l'Antiquité de la province ecclésiastique de Byzacène et les listes épiscopales nous font état d'un nombre d’évêques originaires des cités du Djérid: Tusuros, Nepte, Thiges et Aquae. Footnote 26
L’évêché de TusurosFootnote 27:
Selon les témoignages des voyageurs européens à la fin du XIXé siècle, les vestiges d'une grande égliseFootnote 28 ornée jadis de plusieurs rangées de colonnes, dont quelques fûts gisent encore sur le sol, ont été reconnus dans le quartier de Bled el-Hadhar à Tozeur, ainsi qu'un minaret découronné sur une base antique construite en blocs de grand appareil, qui constitue, selon P. TroussetFootnote 29 le reste d'une tour de guet.
La liste des évêques :
Les sources ecclésiastiques, et notamment la notice des sièges épiscopaux de la Byzacène, nous font connaitre les noms des évêques originaires de Tusuros: episcopus Tuzuritanus vel Tuziritanus :
Benenatus Tugitianus vel Tuzuritanus.(date : 393)
Le premier évêque titulaire du siège attesté à Tusuros, nous évoquons Benenatus Tugitianus que MorcelliFootnote 30 attribue à Tusuros. Cet évêque donatiste maximianiste participa probablement au concile réuni à Cabarsussi en 393,Footnote 31 composé uniquement par des évêques de la province de Byzacène, où naquit ce schisme.Footnote 32
Asellicus (date : 411)
Il assista en 411 à la conférence de Carthage parmi les évêques catholiques, sous le nom d’Asellicus episcopus ecclesiae Tusuritanae (13e).Footnote 33 Il est connu pour son franc-parler au concile de Carthage, où il tenait à exprimer son opinion sur plusieurs sujets et pour un certain nombre d’épitres avec Saint Augustin et Donatien de Reims. Asellicus a été contraint de s'adresser à des groupes donatistes, manichéistes et judaïsants au sein de sa ville Tusuros. En effet, Asellicus est le destinataire de la lettre 196 de saint AugustinFootnote 34 où, après avoir développé une longue réflexion sur la Loi, ce dernier en vient aux griefs formulés contre l’évêque donatiste Tusuritanus, Aptus, qui pilotait alors un petit mouvement judaïsantFootnote 35 à Tusuros même ».Footnote 36
Aptus Tuzuritanus (date : 411).
Il est le compétiteur de l’évêque catholique Asellicus, participa lui aussi au concile réuni à Carthage en 411, représentant l’église donatiste et inscrit sous le nom d’Aptus, episcopus Tuzuritanus (73é).Footnote 37
Florentinus Tuziritanus (date : 484).
Le dernier évêque de Tusuros, qui figure sur les listes épiscopales, s'appelait Florentinus.Footnote 38 En effet, la Notitia Footnote 39 de 484 cite Florentinus Tuziritanus parmi les évêques de la Byzacène (Not. Byz., 48). Il participa au concile de Carthage convoqué en 484 par le roi arien Hunéric du royaume vandale, après quoi il fut exilé comme la plupart des évêques catholiques.Footnote 40
L’évêché de Thiges :
Cet évêchéFootnote 41 est mentionné sur les listes épiscopales sous le nom de Tices, conformément au document tardif, l'Anonyme de Ravenne, qui mentionne cet évêché du même nom (Rav., II, 9).Footnote 42
La liste des évêques :
Les sources ecclésiastiques nous font connaitre également les noms des évêques originaires de Thiges: episcopus ecclesiae Ticibus :
Gallus Ticensis (date: 411)Footnote 43 :
Cet évêque de Thiges présent à la conférence de 411 s'appelait Gallus Ticensis ; il est catholique (39e) et avait pour compétiteur un donatiste dont le nom a resté anonyme. En 484, le siège de Ticibus était vacant (Not. Byz., 115).
Romulus Ticibus (date: 641)
En 641, la ville avait un évêque s'appelant Romulus episcopus ecclesiae civitatis Ticibus. Selon A. Toulotte, cet évêque “signa la lettre du concile de Byzacène adressée, en 641, à l'empereur Constantin, fils d'Héraclius, contre les nouveautés des monothéistes. Il y figure le huitième et sa souscription est ainsi formulée (Byz ., 8): L'humble Romulus, par la miséricorde du Seigneur Dieu, évêque de la sainte église de Ticibus, comme ci-dessus ».Footnote 44
L’évêché de Nepte :
Il importe de souligner qu'on n'a aucune trace de cet évêchéFootnote 45 dans l'actuelle Nefta, mais nous possédons des témoignages littéraires. En effet, selon les documents ecclésiastiques du Bas-Empire, deux évêques de Nepte sont mentionnés sur les listes épiscopales de la province ecclésiastique de Byzacène, ce qui prouve que pendant cette période troublée par les invasions et les dissensions religieuses, cette bourgade antique était restée durablement dans le champ de la romanité.Footnote 46
Liste des évêques :
Quodvultdeus Neptitanus (date : 411)
Le premier évêque mentionné sur les listes épiscopales s'appelait Quodvultdeus episcopus Neptitanus Footnote 47 est un donatiste présent à la Conférence de Carthage de 411. Il avait un compétiteur catholique, mais il était absent à l'assemblée de Carthage.
Laetus Neptitanus (date : 484)
Le second évêque représentant l’évêché de Nepte à l'assemblée de Carthage en 484, qui portait comme nom Laetus, Footnote 48 est un catholique qui connut un destin tragique, incarcéré à la veille du colloque de 484 par les partisans ariens d'Hunéric, il meurt brûlé.Footnote 49 En effet, selon A. Toulotte en parlant de Laetus, “il parait le quatorzième sur la liste des évêques de la Byzacène. Il reçut la palme de martyr avant la tenue même de cette assemblée qui eut lieu en 484, mais après la formation de la notice qui fut dressée en 482 ».Footnote 50
L’évêché d’Aquae :
À l’époque chrétienne, cette bourgade antique avait un évêché, comme le prouve la Notice des sièges épiscopaux de la Byzacène, où elle fait mention d'un siège épiscopal originaire d’Aquae (El-Hamma) : episcopus Aquensis. Footnote 51
La liste des évêques :
Ianuarius, Aquenensis episcopus (date: 393).
Dans la notice des sièges épiscopaux de la province de Byzacène, il est question d'un Aquensis episcopus un évêque originaire d'El-Hamma qui s'appelait Ianuarius,Footnote 52 qui s'identifiait comme un évêque donatiste maximianiste, dont le nom figure (24éme) dans la suscription de la lettre synodale du concile maximianiste réuni à Cebarsussi le 24 juin de l'an 393 ap. J.-C.Footnote 53
Victorianus, Aquensis episcopus, (date : 411).
Les notices des sièges épiscopaux de la province de Byzacène mentionnent également un autre évêque originaire d’Aquae (El-Hamma), Victorianus , episcopus Aquensis Footnote 54 donatiste, signataire (271é) du mandatum de son parti. Il est présent à la Conférence de Carthage en 411, simple prêtre au départ, a été ordonné évêque en chemin par ceux de sa secte, aux dires d’Asellicus, évêque catholique de Tusuros.Footnote 55 A. Toulotte dans la notice de l’évêché d’Aquae, nous a donné plus de précisions sur cette affaire, “Aussi, lorsque, dans l'assemblée des évêques, il se présenta devant le tribun pour dire: j'ai donné mondat et j'ai souscrit, Asillicus, évêque catholique du municipe de Tusurus, dans la même province, se leva et dit : je prends à témoin le Dieu tout-puissant et Jésus-Christ notre sauveur, que nous avons quitté le pays des Arzuges le trois des calendes de mai, et qu'il n’était que prêtre et non évêque. Il a été ordonné en chemin mais cette secte, dont il s'appuie, a déjà là un évêque qui a été surpris en flagrant délit d'adultère. L'instruction de sa cause est encore pendante ».Footnote 56
Crescent Aquensis (date : 455).
Selon les sources ecclésiastiques, l’évêché d’Aquae est dirigé à la fin du Vé siècle par un évêque qui s'appelait Crescent,Footnote 57 qui était nommé primat de la province ecclésiastique de la Byzacène en 455 et avait sous sa juridiction 125 évêques.Footnote 58 Il est mentionné par la Notitia de 482 avec d'autres évêques de la ByzacèneFootnote 59 qui furent exilés par le roi vandale Genséric (427–477), qui les avait accusés calomnieusement d'avoir mal parlé de lui.Footnote 60

Figure 1. Carte des évêchés de la région du Djérid (M. Chetoui).
La région du Djérid (pays des Arzuges) une subdivision de la province ecclésiastique de Byzacène
À part qu'elles présentent une liste d’évêchés répartis dans leurs provinces ecclésiastiques, les sources chrétiennes, et notamment la Notitia de 484, nous apportent quelques informations précieuses sur l'extension territoriale des provinces d'Afrique à l’époque vandale. Mais la question qui doit être posée ici est la suivante: Est-ce que les limites de la province ecclésiastique de Byzacène correspondraient-elles à celles de la province administrative de Byzacène ?
A. Chastagnol, dans son étude publiée en 1967,Footnote 61 nous a apporté la réponse. En effet, après une longue démonstration, l'auteur a conclu que les circonscriptions religieuses de 484 n'ont pas tout à fait les mêmes frontières que les provinces administratives du IVe siècle.Footnote 62 L'auteur n'a pas exclu que cette différence corresponde à un déplacement survenu au Vé siècle, à l’époque vandale de la frontière entre les provinces administratives et ecclésiastiques, et que les autorités religieuses s'y soient adaptées.Footnote 63 En effet, selon cet auteur, “la Byzacène vandale se prolonge jusqu'au Djérid et même au-delà, alors que cette région militaire, qui unissait les limes de Numidie à celui de Tripolitaine, était, par définition, exclue de la province civile qu’était la Byzacène au IVe siècle ».Footnote 64
Y. Modéran, dans son ouvrage Les Maures et l'Afrique, a essayé de localiser le territoire des Arzuges dans la province de Tripolitaine ou en Byzacène. Je le cite, “Où peut-on placer les évêchés ‹ Arzuges › si l’Arzugis avait été, même partiellement, rattachée ecclésiastiquement à la Tripolitaine ? La seule solution pour concilier tous ces textes est bien d'admettre que, pour l’Église, l’Arzugis formait la partie méridionale de la province ecclésiastique de Byzacène, c'est-à-dire toute la bordure du Chott el-Jérid, avec les évêchés de Tusuros, Nepte, Aquae et Turris Tamalleni. Ainsi s'expliquent également, avec cette situation à la limite du désert, qu'on ait souvent, pour évoquer des régions à problèmes, nommé à côté des Tripolitani fratres les Arzugitani plutôt que les Byzaceni, ce qui aurait été ridicule pour qui songeait aux parties très urbanisées de la Byzacène. »Footnote 65
Donc, on peut dire à la fin que l’Arzugis était simplement la partie méridionale de la Byzacène ecclésiastique : le tractum provinciae Byzacenae et Arzugitanae. Elle occupait donc un secteur de la région du limes Tripolitanus ce qui explique que, pour certains, elle pouvait être associée à la Tripolitaine. Ce n’était là cependant qu'un de ces chevauchements des limites religieuses sur les limites administratives. L’Arzugitane constituait donc une subdivision de la province ecclésiastique de Byzacène et qui se constituait de cinq évêchés, à savoir Tusuros, Nepte, Thiges, Aquae et Turris Tamalleni.
L'apport de l'archéologie à une approche renouvelée de l'histoire du christianisme dans la région du Djérid
L'archéologie peut aider à appréhender les étapes du christianisme dans le Djérid en mettant au jour les indices matériels de l'implantation chrétienne dans cette contrée de l'Afrique romaine. En effet, cette discipline permet d’établir des repères chronologiques et géographiques et de percevoir les modalités de l'exercice du culte chrétien dans ces évêchés durant l'Antiquité. Cependant, jusqu’à une date récente, on ne peut évoquer l'histoire du christianisme dans la région du Djérid, surtout durant le ive–ve siècle, qu’à travers les témoignages épars dans les sources littéraires et notamment ecclésiastiques, qui font état d'un nombre important d’évêques originaires des cités du Djérid: Tusuros, Nepte, Thiges et Aquae.
En outre, l'archéologie nous fait connaitre deux monuments cultuels, d'abord la basilique de Tusuros, Footnote 66à laquelle il faut ajouter une nouvelle église récemment découverte, datant d'après les matériaux de construction et la céramique entre le IVé–VIIé siècle, par des chercheurs de l'Institut National du Patrimoine qui sont parvenus à mettre au jour les premières traces d'une église rurale tardive dans ce site antique qui porte comme toponyme Koustilya, qui se trouve à mi-distance entre deux cités antiques, la ciuitas Tigensium au nord et le municipe de Tusuros à quelques kilomètres vers le sud.Footnote 67
En effet, les dégagements effectués entre 2017 et 2021 ont donné lieu à une église rurale sans ornementation et peu rudimentaire. Cependant, elle nous a fourni en contrepartie un détail architectural d'ordre liturgique extrêmement important : il s'agit de deux ambons fixes construits en maçonnerie. Ces aménagements font de cet édifice un cas unique dans les églises chrétiennes du Maghreb antique, où on observe l'absence de l'ambon dans leurs organisations liturgiques.Footnote 68
En outre, grâce à cette découverte archéologique, nous pouvons ajouter maintenant un autre lieu du culte chrétien dans la région du Djérid, le site de Koustilya, qui se présente comme une commune chrétienne rurale.
La résistance de la communauté chrétienne au Djérid après l'invasion arabo-musulmane
Les documents littéraires du Bas-Empire montrent d'une manière explicite que cette partie de la Byzacène était restée durablement dans le champ de la romanité, malgré que la situation politique et religieuse fût troublée par les invasions et les dissensions religieuses entre les donatistes et les catholiques, surtout sous le règne des rois vandales et suivie par les incessantes querelles dogmatiques des Byzantins.
Après la conquête arabeFootnote 69 au VIIe siècle de tout le territoire situé au sud de la province romaine d'Afrique, des communautés chrétiennes autochtones de Djérid se sont maintenues dans cette région, sans bénéficier de soutiens de l’Église d'Afrique. En effet, les quatre principales communautés du Djérid ont certainement constitué la dernière retraite de ces Chrétiens.
Cependant, les historiens contemporains considèrent que le christianisme a pu subsister dans la région du Djérid jusqu'au XIVe.Footnote 70 Ce constat a été confirmé par les sources arabes qui démontrent qu’à la fin du XIIe siècle, des chrétiens vivaient encore dans les principales villes du Djérid. Cette affirmation a été tirée d'abord du Kitâb al-Istibṣâr,Footnote 71 qui signale que les habitants de Nefta sont les descendants des Rûm. De même, à el-Ḥâmma, la famille des Banû Bahlûl, les maîtres d'al-Ḥâmma, descendants des Rûm, pourrait laisser croire à une survivance du christianisme, alors que les Rûm dont ils descendent se sont convertis à l'islam pour conserver leurs biens. Même si des chrétiens autochtones vivent encore au XIIe siècle dans les oasis du Djérid, cet argument ne peut être pris en compte pour prouver qu'ils ne sont pas convertis à l'Islam.
Al YakubiFootnote 72 de son côté y mentionne la présence de Rûm descendants des anciens Romains ou Byzantins dans les principales villes d'el-Jérid. Quant au christianisme, il ne dut disparaître que plus tard, après les invasions hilaliennes au XIe siècle.
Au XIIé siècle, l'auteur de Kitâb al-Istibsâr Footnote 73 laisse croire à une conversion massive en affirmant qu’à l'arrivée des musulmans, la plupart des habitants du Djérid se sont convertis à l'Islam pour conserver leurs biens. Il ajoute qu'après la conquête, les Byzantins furent forcés d’émigrer, à l'exception de ceux qui se sont convertis à l'Islam, qui sont restés dans leur région et ont conservé leurs biens, comme les habitants de la Qastîliya et d'autres régions.
Également, Tidjânî,Footnote 74 auteur du XIVe siècle, remarque que les Afarik ont foui, sauf ceux qui se sont convertis ou ceux qui se sont acquittés de la djizya comme les habitants du Djérid. En effet, la communauté chrétienne dans les oasis permet de supposer qu'une grande majorité des sédentaires romanisés ont préféré conserver leur foi. À l'inverse, les tribus berbères nomadisant dans la région, qui étaient sans doute en voie de christianisation à l'arrivée des Arabes.Footnote 75
Enfin, nous pouvons dire, à la suite de V. Prévost, qu'il est bien plus probable que les chrétiens ont disparu vers le milieu du XIIIe siècle, en même temps que les Ibadites dans la région du Djérid.Footnote 76
Conclusion
Au terme de cette recherche, nous pouvons présenter les conclusions suivantes :
• Tout d'abord, il faut noter que l'histoire du christianisme dans le pays des Castella attire encore l'attention des chercheurs malgré la masse importante de la documentation consacrée à ce sujet, qui apparemment n'a pas encore épuisé tous ces aspects.
• Également, cette étude a levé le voile sur une partie de l'histoire qu'a connue le Djérid pendant l'Antiquité tardive, où le christianisme est enraciné dans les quatre principales communautés du Djérid: Tusuros, Nepte, Thiges et Aquae, qui constituaient dès le IVé siècle des évêchés et leurs évêques participèrent régulièrement aux assemblées générales à Carthage et provinciales à Hadrumète, capitale de la province ecclésiastique du Byzacène.
• En outre, cette recherche a fait état de nouvelles découvertes archéologiques effectuées dans une bourgade antique rurale, qui porte comme toponyme Koustilya, non loin de l'antique Tusuros. Ces recherches ont enrichi notre connaissance sur l'importance de l'histoire et de la culture chrétienne dans la région du Djérid. En effet, les fouilles archéologiques ont mis au jour une église rurale qui semble à première vue dotée d'un plan classique, mais qui renferme en outre des aménagements liturgiques particuliers, qui la caractérisent par rapport aux autres églises de l'Afrique du Nord.
• Enfin, les sources arabes considèrent que le christianisme a pu subsister dans la région du Djérid jusqu'au XIIIe siècle. En effet, pendant des siècles après l'invasion arabo-islamique, des chrétiens vivaient encore dans les principales villes du Djérid et ont préféré conserver leur foi. Selon une récente recherche, V. Prévost a bien démontré que le christianisme n'a disparu d'une manière définitive du Djérid qu’à partir du XIIIe ou au XIVe siècle.