Hostname: page-component-cd9895bd7-7cvxr Total loading time: 0 Render date: 2024-12-25T17:25:23.244Z Has data issue: false hasContentIssue false

Leca-Tsiomis Marie, La guerre des dictionnaires. Le Trévoux, aux sources de l’Encyclopédie. Paris: CNRS Editions, 2023, 229 pp., ISBN: 978-2-271-13854-5

Review products

Leca-Tsiomis Marie, La guerre des dictionnaires. Le Trévoux, aux sources de l’Encyclopédie. Paris: CNRS Editions, 2023, 229 pp., ISBN: 978-2-271-13854-5

Published online by Cambridge University Press:  30 November 2023

Chantal Wionet*
Affiliation:
Université d’Avignon UFR Arts, Lettres, Langues & Centre Norbert Elias (UMR 8562) 74 rue Louis Pasteur 84000 Avignon
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review
Copyright
© The Author(s), 2023. Published by Cambridge University Press

L’histoire du Dictionnaire Universel François & Latin dit de Trévoux (six éditions de 1704 à 1771) est peu connue, malgré son importance dans le siècle : très critiqué par les savants du temps, le Trévoux connut cependant un très grand succès, en témoignent ses éditions et augmentations successives – il est en effet passé de trois volumes en 1704, à huit en 1771. C’est donc une histoire très paradoxale que nous raconte ici Marie Leca-Tsiomis, elle-même d’abord spécialiste de L’Encyclopédie Diderot d’Alembert. Mais qui s’intéresse à l’Encyclopédie se trouve très vite confronté au Dictionnaire de Trévoux, qui en fut une des sources majeures. Le Chevalier de Jaucourt notamment, polygraphe de l’Encyclopédie, ou Diderot lui-même (p. 217) ont souvent puisé dans ce prédécesseur catholique – que Marie Leca considère définitivement jésuite.

L’ouvrage est divisé en 9 chapitres, à quoi on peut ajouter une introduction et une conclusion : le parcours est chronologique, et commence comme il se doit par le Dictionnaire Universel d’Antoine Furetière (1690), repris et « réformé » par Henri Basnage de Bauval en 1701 – réédité en 1702, 1708 et 1725 (revu cette fois par Brutel de La Rivière). Cette édition protestante est ensuite (re)catholicisée par des auteurs anonymes en 1704, et éditée par l’imprimeur Ganeau dans la ville de Trévoux, principauté indépendante des Dombes, fief, en ce début de siècle, du Duc du Maine, fils légitimé de Louis XIV et de la Marquise de Montespan. Chaque chapitre est consacré à une édition du Trévoux, et se trouve entrelardé d’un chapitre sur les dictionnaires princeps, le Furetière puis le Basnage, et d’un autre destiné à la présentation de la Cyclopædia or, an Universal dictionary of Arts and Sciences d’Ephraïm Chambers, 1728. C’est donc dans un moment déterminant de la vie intellectuelle du XVIIIème siècle que Marie Leca-Tsiomis nous fait entrer, à partir de la lexicographie « universelle », c’est-à-dire encyclopédique.

Ouvrage de vulgarisation, La guerre des dictionnaires rend compte du ballet des coups (souvent bas) qu’imprimeurs, journalistes et lexicographes orchestrent avec soin ou mauvaise foi selon les nécessités du moment. Ce récit se fonde sur une documentation très précise, que nous trouvions déjà pour une bonne part dans un travail plus ancien de M. L.-T. paru en Reference Leca-Tsiomis1999, Écrire l’Encyclopédie. Diderot : de l’usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, mais plus universitaire et plus largement consacré, comme le titre l’indique, à l’Encyclopédie. A priori, le présent ouvrage invite à envisager le Trévoux non plus seulement dans une archéologie de son successeur l’Encyclopédie, mais pour lui-même, comme manifestation à succès d’un savoir catholique sur le monde.

La perspective documentaire et chronologique adoptée par M. L.-T. ne permet malheureusement toutefois pas de comprendre l’intérêt de cet objet foisonnant, sinon par la multitude de lettres, déclarations, libelles à l’origine desquels il se trouve. À reprendre les critiques énoncées depuis le XVIIIe – bigarrures des articles faits d’extraits de plus anciens dictionnaires puis de commentaires, non cohésion des équipes de rédacteurs, etc. – M. L.-T. n’approfondit pas vraiment la compréhension d’un objet lu si précisément par les encyclopédistes. C’est qu’il s’agit ici avant tout d’écrire une histoire des dictionnaires universels, en s’attardant sur le Trévoux, non pour en révéler les singularités mais plutôt pour le laisser à la même place, celle du raté de la famille. Dans cette perspective, Marie Leca-Tsiomis s’inscrit elle-même dans une lignée de chercheurs de renom – particulièrement Bernard Quémada, Alain Rey, Pierre Retat – qui ont envisagé le Trévoux comme un jalon médiocre entre Furetière et l’Encyclopédie. Le choix de laisser de côté certains travaux importants sur la lexicographie française depuis ces vingt dernières années (par exemple, Graveleau Reference Graveleau2018, Leclercq Reference Leclercq2006, Olivier Reference Olivier2021, Roy-Garibal Reference Roy-Garibal2006) ne permet pas de comprendre en quoi le Trévoux est en lui-même un objet d’étude, à prendre au sérieux comme d’ailleurs le dictionnaire de l’Académie française, souvent moqué : chacun à leur manière, les deux dictionnaires cherchent une écriture. Le Trévoux est ici envisagé effectivement simplement comme un jalon vers l’Encyclopédie, mais s’il connut un grand succès tout au long du 18e siècle, c’est aussi qu’il devait répondre à certaines attentes – qui ne sont ici pas suffisamment débattues.

Si l’ouvrage de Marie Leca-Tsiomis ne communique pas suffisamment avec certains travaux qui ont renouvelé la lecture des dictionnaires avant l’Encyclopédie, on se réjouit néanmoins de voir figurer le syntagme Dictionnaire de Trévoux sur la couverture d’un ouvrage paraissant en 2023, signe peut-être malgré lui du renouveau d’intérêt d’un monument lexicographique, auquel la présente parution contribue.

References

Référénces

Graveleau, Sara. (2018), « Les hérésies sont d’utiles ennemies » : itinéraire d’Henri Basnage de Bauval (1656–1710), avocat de la République des Lettres et penseur de la tolérance civile. Thèse, Université d’Angers ; Universität Bayreuth.Google Scholar
Leca-Tsiomis, Marie. (1999), Écrire l’Encyclopédie. Diderot : de l’usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Oxford : Voltaire Foundation.Google Scholar
Leclercq, Odile. (2006), Construction d’un savoir et d’un savoir-faire dans le traitement du lexique français aux 16ème et 17ème siècles. Thèse, Université Paris-Diderot - Paris VII.Google Scholar
Olivier, Guillaume. (2021), Le « Dictionnaire Universel françois et latin » dit « de Trévoux » (1704–1771) : un projet d'éducation pour le siècle des lumières ?. Thèse, Université de Lorraine.Google Scholar
Roy-Garibal, Marine. (2006), Le Parnasse et le Palais. L’œuvre de Furetière et la genèse du premier dictionnaire encyclopédique en langue française (1649–1690). Paris : Honoré Champion.Google Scholar