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La cause de foi dans l’Inquisition espagnole

Entre droit et repentance

Published online by Cambridge University Press:  01 August 2023

Jean-Pierre Dedieu
Affiliation:
CNRS/ENS Lyon/IAOjean-pierre.dedieu@ens-lyon.fr
Gunnar W. Knutsen
Affiliation:
Université de Bergengunnar.knutsen@uib.no
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Résumé

Cet article se fonde, en premier lieu, sur des manuels manuscrits produitset/ou utilisés par les inquisiteurs en Espagne pour leur usage quotidien. Ils’appuie ensuite sur les traités latins que ces manuels citent en références,qui nous ont permis d’avoir accès à l’arrière-plan théorique, théologique,pastoral et philosophique sur lequel se fondait la pratique. Nous avonségalement comparé la structure procédurale des procès originaux aux relations decause, ces rapports d’activité qui les résument où les inquisiteurs doiventjustifier leurs décisions auprès de leurs supérieurs. Nous établissons grâce àcette double voie que la « cause de foi », qui est au cœur du travailinquisitorial, doit être formalisée à deux niveaux : d’une part une procédurejudiciaire, qui commande la succession des opérations du procès ; d’autre partun niveau sous-jacent – moins visible pour un lecteur actuel, mais fortementarticulé par l’appareil conceptuel décrit par les traités latins –, qui vise àproduire, non pas une vérité judiciaire, comme le premier, mais une véritépénitentielle. Le premier niveau est répressif, une fois le délit prouvé dansles formes judiciaires. Le second niveau est intégratif, ecclésiastique et nonséculier ; il vise à réintégrer l’accusé au sein de l’Église catholique, mêmelorsque le délit d’hérésie est judiciairement établi. Les inquisiteurs jouaientsur ces deux niveaux avec souplesse, ce dont nous avions jusqu’ici du mal àrendre compte. Envisagé sous cet angle, le souci que l’Inquisition exprime sanscesse pour le bien-être spirituel de l’accusé ne peut plus être interprété commesimple hypocrisie. Le procès de foi inquisitorial, commandé par une doublelogique, est en équilibre instable, ce qui le rend particulièrement sensible auxchoix personnels, en termes techniques à l’« arbitraire », des juges. Nousconstatons qu’au fil du temps l’aspect pénitentiel prend de plus en plusd’importance au détriment de la logique purement judiciaire. De nombreux indicesindiquent qu’une double logique de ce type commande également les procèscriminels d’autres juridictions – un aspect dont la prise en compte éclaireraitsans doute le fonctionnement global des institutions de résolution des conflitsà l’époque moderne.

Abstract

Abstract

By starting from a series of practical manuscript manuals produced by Spanishinquisitors for daily use in their work, then following their references toLatin legal treatises, it is possible to gain a better understanding of thetheoretical, theological, philosophical, and pastoral underpinnings ofinquisitorial practice. Further information can be gleaned by comparing theprocedural structure of trials with the relaciones de causas,the reports that summarized those trials and justified inquisitors’ decisions totheir superiors. This double approach reveals that the inquisitorial trial offaith can be conceptualized on two different levels: the formal judicialproceedings that shaped the organizational sequence of the trial, and anotherprocess that followed a less explicit internal logic and sought to produce apenitential rather than a judicial truth. Though less evident for modern readersof the Inquisition’s archives, this second level formed a key part of thetheoretical apparatus described in the Latin treatises. The first level wasrepressive and, once the offense was proved in conformity with all judicialforms, imposed punishment. The second was integrative and ecclesiastic, andaimed to reintegrate defendants into the fold of the Catholic Church even whenfound guilty. The inquisitors mobilized these two levels with a certainflexibility that has not always been evident to historians: seen from thisangle, their expressions of interest in defendants’ spiritual well-being weremore than simple hypocrisy. The two conflictual logics nevertheless meant thatthe inquisitorial trial of faith was an unbalanced edifice that could easilysway in one direction or the other, depending on the inquisitors’ choices. Overtime, it appears that the penitential aspect of the trial took precedence overthe purely judicial dimension. There are several indications that a similardouble logic governed the criminal trials of other jurisdictions, meaning thatsuch an approach may shed a broader light on early modern institutions and theirresolution of conflicts.

Type
Le fait religieux à l'épreuve du monde
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Cet article rend compte d’une découverte inattendueFootnote 1. Le modèle historiographique dominant des Inquisitions ibériques de la période 1480-1820, formulé en premier lieu par Bartolomé Bennassar en 1979, est aujourd’hui encore fondé sur une approche statistique de l’activité des tribunaux, mesurée en nombre d’affaires jugéesFootnote 2. Plus précisément, il s’appuie sur les données produites, dans les années 1970 et 1980, par Gustav Henningsen, Jaime Contreras et Jean-Pierre Dedieu à partir des relations de causes (relaciones de causas), ces résumés des procès inquisitoriaux que les tribunaux de district envoyaient au Conseil de l’Inquisition Suprême et Générale (la Suprema)Footnote 3. Bien que ces chercheurs aient utilisé les ressources informatiques les plus modernes alors à leur disposition, ils ne purent extraire entièrement le matériau concerné ni le publier sous une forme lisible. En outre, ils laissèrent de côté des informations pertinentes qui n’étaient pas consignées dans les relations. Ces inconvénients ont rendu difficile la réévaluation d’un modèle certes respectable, mais excessivement rigide. À partir de 2010, Gunnar W. Knutsen entreprit un enregistrement plus complet des données issues des archives. Il s’appuya sur un éventail élargi de documents, qui incluait des fonds en provenance du Portugal, et utilisa des technologies plus récentes, aboutissant à une analyse en profondeur et à une publication beaucoup plus exhaustive des sources. La section espagnole de cette base de données sur l’Inquisition à l’époque moderne (Early Modern Inquisition Database, EMIDFootnote 4), la première à être exploitable, révéla un grand nombre d’issues de procédure inattendues, notamment des absolutions de censures ecclésiastiquesFootnote 5 sans aucune autre forme de pénalité d’importance, des absolutions ad cautelam Footnote 6, des réprimandes, de petites amendes et des pénitences spirituelles mineures, des procès « suspendus », abandonnés à mi-chemin sans sentence définitive et des acquittements des chefs d’accusation. Les études précédentes n’avaient que partiellement détecté ce phénomène et ne s’y étaient guère arrêtées. Pour les auteurs du présent article, au contraire, il ne correspondait pas à la représentation habituelle du procès inquisitorial et mettait à mal l’historiographie courante. Ce que nous savions du tribunal et de ses procédures criminelles nous permettait de comprendre les châtiments les plus sévères, mais n’éclairait pas les raisons pour lesquelles les inquisiteurs prononçaient autant de peines légères. De toute évidence, quelque chose nous échappait. Nous avons alors entrepris d’examiner de plus près les descriptions que les inquisiteurs faisaient de leurs propres activités. En prêtant spécifiquement attention aux mots qu’ils utilisaient et en nous appuyant sur les textes qu’ils considéraient comme des sources d’autorité, nous sommes parvenus à une nouvelle compréhension du procès en lui-même.

Au terme de l’enquête, le procès de foi de l’Inquisition peut désormais être représenté ou conceptualisé non pas selon un, mais deux niveaux distincts. Derrière la procédure judiciaire formelle, qui déterminait la chronologie du procès et l’agencement des documents qui l’encadraient, se cachait une autre procédure (ou processus) qui suivait une logique interne moins explicite et ne cherchait pas tant à produire une vérité judiciaire qu’une vérité pénitentielle. Ces deux niveaux contribuaient à la formulation d’une sentence. De surcroît, la prise en compte de ce niveau pénitentiel permet de mieux comprendre plusieurs caractéristiques bien connues de la procédure inquisitoriale espagnole qui ne se retrouvent pas dans la gestion des affaires criminelles ordinaires de l’époque par les autres tribunaux, en particulier l’attention soutenue prêtée à la personnalité des accusés et à leur comportement durant le procèsFootnote 7 ou encore l’insistance de l’Inquisition, dans sa communication publique, sur sa propre indulgence.

Le présent travail vise à décrire ce niveau pénitentiel et à examiner certaines de ses implications afin d’appréhender plus finement l’Inquisition espagnole. Cet intérêt pour les rouages de l’Inquisition ne signifie pas que nous renonçons à une approche reposant sur le contenu des procès et la personne des défendeurs. Au contraire, notre but est de parvenir à une meilleure compréhension de tels procès et des peines auxquelles étaient soumis les accusés. Nous montrons notamment qu’une grande part des affaires qui paraissent être des exceptions à la procédure judiciaire normale de la cour faisaient en réalité partie de sa pratique habituelle et que, loin d’être abandonnées à l’arbitraire des juges, elles étaient réglementées et fondées sur une base théorique solide, cohérente avec les principes qui, dans d’autres cas, conduisaient aux condamnations les plus dures.

La cause de foi « en forme »

La rareté des travaux consacrés au procès inquisitorial et aux concepts judiciaires qui le sous-tendent est surprenante au regard de la masse de livres et d’articles traitant de l’Inquisition espagnole ou écrits à partir des archives de ses procès. Cela peut s’expliquer, dans une certaine mesure, par le désintérêt qu’ont montré les chercheuses et les chercheurs pour le fonctionnement interne du Saint-Office, se concentrant plutôt sur l’Inquisition comme appareil répressif ou percevant seulement celle-ci comme productrice et source d’information pour divers phénomènes culturels et religieux. Les historiens et historiennes du droit ont également eu tendance à garder leurs distances avec le Saint-Office, le traitant comme un cas particulier plutôt que comme partie intégrante du monde judiciaire de l’époque moderne. En outre, les sources et les concepts judiciaires impliqués, techniques et souvent accessibles uniquement en latin, sont d’un abord ardu.

Notre recherche s’appuie sur une série de manuels manuscrits produits par les inquisiteurs pour leur usage quotidien et conservés dans des bibliothèques et des fonds d’archives, essentiellement à Madrid. Il s’agit de guides pratiques, rédigés la plupart du temps en espagnol et parfois détaillés au point de donner des instructions étape par étape sur la manière de procéder, mais peu explicites sur les principes fondamentaux qui la soutiennent. Ils comportent néanmoins des références à d’autres travaux, rédigés principalement en latin et contenant des analyses de fond, dont l’examen nous a permis de mieux comprendre les soubassements philosophiques des actes de procédure et des procès inquisitoriauxFootnote 8. Nous avons comparé de manière systématique le contenu de ces manuels avec quelques dizaines de dossiers complets de procédures judiciaires et quelques milliers de résumés issus de centaines de relations de causes. Cette confrontation démontre que les instructions données par ces manuels correspondent étroitement aux informations consignées dans les archives des procès ; que leur lexique et les concepts qu’ils exposent, tout spécialement sur l’aspect pénitentiel, sont les mêmes que ceux qui structurent les procès et les résumés qu’en donnent les relations de causes ; et que les changements qu’ils mentionnent au fil du temps sont répercutés dans les documents de la pratique judiciaire inquisitoriale. Nous devons en conclure qu’ils décrivent effectivement le regard que les inquisiteurs portaient eux-mêmes sur leur travail.

Des procédures de types variés

En dépit de nombreuses preuves du contraire, la plupart des recherches existantes partent toujours du principe que la forme complète du procès de foi, la causa de fé en forma, était la manière habituelle qu’avait l’Inquisition d’expédier ses affaires. De nombreux travaux suggèrent également que les spécificités de l’institution rendaient la procédure inquisitoriale plus sévère que la procédure criminelle ordinaire et faisaient d’elle une exception à l’égard de la pratique judiciaire de l’époque. À la lumière de notre enquête, ces deux hypothèses sont contestables.

Si le procès de foi « en forme » était certes au cœur de l’ensemble de la pratique inquisitoriale en Espagne et dans l’Empire espagnol en général, et s’il fut toujours le point de repère pour toutes les autres activités du Saint-Office, il ne fut jamais le seul outil utilisé par le tribunal. Il prenait en effet du temps, était très structuré, exigeait de longues enquêtes ; une lourdeur qui ne cessa de s’accroître au fil des siècles. Cela rendit les formes de procès abrégées de plus en plus attractives, car elles étaient à la fois plus rapides et plus économiques.

Les formes abrégées étaient utilisées pour des causes dans lesquelles les défendeurs collaboraient avec le tribunal, souvent – mais pas toujours – après une autodénonciation de l’accuséFootnote 9. Dans ces cas, il n’était pas nécessaire d’évaluer minutieusement le degré d’hérésie du défendeur et aucune peine sévère n’était infligée. Cela permettait au Saint-Office d’absoudre et d’incorporer ou de réintégrer rapidement et en souplesse un grand nombre d’hérétiques au sein de l’Église catholique tout en acquérant dans le même temps, par les aveux de l’intéressé, une appréciable quantité d’informations qui pouvaient éventuellement être utilisées plus tard dans des procès en forme contre l’accusé lui-même, si ses aveux s’avéraient incomplets, ou contre ses complices présumés. Comme l’a clairement montré notre analyse des sources primaires, ces formes abrégées ne correspondent en rien au modèle du procès inquisitorial tel que présenté par l’historiographie dominante.

L’utilisation de lois et réglementations régissant la procédure criminelle séculière en vigueur dans la région concernée était par ailleurs normale dans certaines affaires, tels les procès de sodomie dans les quelques districts où l’Inquisition était compétente en la matière (Valence, Barcelone et Saragosse)Footnote 10. De façon similaire, le Saint-Office jugeait toutes les affaires civiles et criminelles impliquant son propre personnel selon les lois et la procédure localesFootnote 11. Il est donc clair que les inquisiteurs maîtrisaient plusieurs formes de procès en sus de la procédure inquisitoriale complète, qui en aucun cas ne représentait toute l’activité du tribunal – et pas même peut-être, d’un point de vue purement quantitatif, la majorité de cette activité. De fait, en qualité de juristes qualifiés qui avaient fréquemment exercé dans d’autres tribunaux avant d’être nommés inquisiteurs, ils participaient de la même culture juridique que n’importe quel autre letrado espagnolFootnote 12 : leur vision était principalement déterminée par le ius commune qu’ils avaient étudié à l’université et qui « façonnait chaque acte et chaque opinion des représentants de la justice dans la mesure où il pénétrait les mécanismes de raisonnement des juristes et où son langage était le vecteur de toutes les idéesFootnote 13 ». Par conséquent, toute tentative de tracer une ligne de démarcation nette entre les procès inquisitoriaux et les procès criminels ordinaires ou entre les inquisiteurs et d’autres juges formés à l’université est vouée à l’échec.

Les étapes du procès de foi en forme

Le procès de foi en forme, complexe, structuré et élaboré, contraignait les juges à suivre des parcours procéduraux prédéfinis, dont ils ne pouvaient s’écarter. Beaucoup des séquences qui le composaient s’enchaînaient mécaniquement. La décision était réservée à quelques moments pivots où plusieurs voies s’ouvraient aux inquisiteurs et dont le choix orientait alors le procès vers des parcours alternatifs, plus ou moins favorables à l’accusé (fig. 1). À plusieurs moments, l’affaire pouvait en outre être renvoyée à une étape antérieure si de nouvelles informations s’avéraient disponibles. Le graphique ci-dessous, version plus aboutie de celle précédemment publiée par J.-P. DedieuFootnote 14, donne un aperçu schématique du procès en forme et de ses différentes étapes.

Figure 1 Figure 1 – Procédure judiciaire formelle du procès de foi inquisitorial, Espagne, début du xvie siècle

Légende : Zone bleue : audiences ad libidum. Les inquisiteurs pouvaient garder les accusés en détention sans limite de temps et les faire comparaître à l’audience aussi souvent qu’ils le voulaient. Il s’agissait d’un moyen d’action psychologique essentiel pour obtenir la conversion.

Beaucoup de procès ne nous sont connus que par l’entremise des relations de causes. À l’origine, il s’agissait de simples listes de procès déjà clos, chacun décrit en une ou deux lignes. Rapidement, elles s’étoffèrent et prirent la forme de véritables résumés des affaires instruites, par imitation d’un genre de la littérature juridique très pratiqué à l’époque dans la plupart des tribunaux non inquisitoriaux d’Europe. Il y était courant qu’un seul rapporteur (connu en Espagne sous le nom de relator), ou un petit groupe de juges, rassemble dans un document unique la totalité des informations pertinentes d’un point de vue juridique au sujet d’une affaire en cours. C’est sur la base de ce rapport que les autres juges attachés à la même cour rendaient leur décisionFootnote 15. Les relations de causes des tribunaux de district de l’Inquisition reprenaient cette technique, et résumaient donc les éléments juridiquement significatifs des procès dont le tribunal avait eu la charge. Elles le faisaient après-coup, une fois l’affaire terminée, non pas pour aider les inquisiteurs à rendre leur décision – la pratique du rapport préalable leur était interdite et ils étaient tenus d’examiner personnellement toutes les pièces –, mais tout à la fois pour informer leurs supérieurs de ce qu’ils avaient accompli et pour justifier à leurs yeux leurs décisions. À cette fin, les rapporteurs pouvaient inclure des informations qui n’étaient pas enregistrées, ou demeuraient implicites dans le dossier original du procès (proceso), telles que les motifs sur lesquels ils avaient fondé la sentence finale. Alors qu’il est rarissime qu’un dossier original explicite les attendus du jugement ou spécifie la législation sur laquelle s’appuyait la décision – discrétion que l’Inquisition partageait avec toutes les juridictions séculières de l’époqueFootnote 16 –, le vocabulaire utilisé dans les relations de causes permet de combler certaines de ces lacunes.

Ces sources ont souvent été traitées comme des textes rédigés dans un style libre et dans un langage naturel. Or une analyse systématique des éléments et des mots qu’elles contiennent, comparée aux étapes du procès inquisitorial schématisé ci-dessus, révèle une tout autre réalité : il s’agit en fait de documents extrêmement structurés, écrits dans une langue maîtrisée et où les mots ont une signification technique précise et spécifique. Cette formalisation permettait au rédacteur et au lecteur de communiquer brièvement et sans ambiguïté à partir d’une compréhension technique partagée de ce que désignaient ces mots et ces phrases. Rappelons à ce propos la judicieuse remarque de Manlio Bellomo concernant « la terminologie du ius commune, qui a été adoptée, respectée ou détournée afin d’incarner des fonctions autres que celles d’origine, mais qui toujours est restée un moyen d’expression fondamentalFootnote 17 ».

Grâce à ce vocabulaire commun, les résumés de procès étaient immédiatement déchiffrables par un lecteur formé au ius commune ; mais le renvoi à cet ensemble de règles n’épuise pas les relations de causes inquisitoriales. Au-delà de la terminologie juridique, un autre vocabulaire se fait jour comme partie intégrante du langage technique utilisé lors des procès ainsi que dans les relations de causes. Il tirait son origine de l’intérêt accru de l’Église envers la clémence, le pardon et la pénitence. Les termes liés à la conversion, à la repentance, à la confession et aux comportements émotionnels fourmillent ainsi dans les textes, au point de marginaliser parfois le vocabulaire judiciaire à proprement parler. Malgré son omniprésence, ce lexique de la compassion a été systématiquement négligé, voire taxé de pure hypocrisie par la plupart des chercheuses et des chercheurs qui, à la suite de Henry Charles Lea, voient dans les inquisiteurs des « juges sans pitiéFootnote 18 ». Si les mots employés pour décrire les réactions des accusés pendant les procès, leurs réponses aux questions et leurs confessions sonnent artificiellement aux oreilles contemporaines et profanes, les théologiens et les hommes d’Église de l’époque moderne ne les entendaient manifestement pas de la sorte.

Pour être utilisés correctement et simultanément, ces deux lexiques exigeaient des inquisiteurs qu’ils fassent montre d’un degré d’intérêt alors inhabituel dans les tribunaux envers la personnalité et la conduite des défendeurs. Cette focalisation était liée à la nature exceptionnelle du crime qui justifiait leur propre existence : l’hérésie.

L’hérésie, délit multiforme et labile

La logique interne du procès de foi en forme reposait sur les caractéristiques uniques du crime pour lequel le Saint-Office avait été créé. Il convient donc de nous pencher sur la nature de ce délit et les difficultés que posent la détection et la traduction en justice de la plus insaisissable des infractions : le crime de pensée. La littérature inquisitoriale qualifiait en effet l’hérésie de la sorte : selon Tiberio Deciano, « dans le cas de l’hérésie, même la pensée est punissable », laissant au juge la tâche déconcertante non seulement de lire les pensées d’un autre, mais aussi de prouver qu’elles étaient illégalesFootnote 19.

Un crime insaisissable

L’hérésie était un crime labile qui, contrairement à de nombreux autres, comportait des degrés : l’on pouvait être plus ou moins « infecté par l’hérésie », alors qu’il était impossible de n’être qu’un petit peu assassin ! Pour rendre les choses plus complexes, il s’agissait non seulement d’un crime, mais aussi d’un péché, et le Saint-Office devait respecter, lorsqu’il procédait en matière d’hérésie, des règles fondamentales et procédurales dérivées à la fois du droit criminel et du droit canon. Outre la peine, quelle qu’elle soit, infligée pour leur délit, les accusés pouvaient également être soumis à une pénitence pour leurs péchés. Même ceux qui n’étaient pas jugés coupables d’un point de vue judiciaire pouvaient s’en voir infliger une – une distinction qui a longtemps rendu perplexes tant les contemporains que les historiennes et les historiens.

Délit d’autant plus difficile à caractériser que le principe premier de l’hérésie reposait sur le choix délibéré d’une croyance erronée. Les ignorants ne pouvaient être hérétiques, car ils ne savaient pas qu’ils se trompaient, tout comme les mineurs, les ivrognes et les personnes mentalement déficientes, incapables de procéder à un choix intentionnel et qui, par conséquent, n’étaient pas non plus formellement des hérétiques. Le grand juriste italien Prospero Farinaccio l’affirmait explicitement : celui « qui se trompe en raison de sa simplicité d’esprit, convaincu que l’Église est porteuse de ce en quoi il croit, ne commet pas d’hérésie ». Mais il y avait des limites, et « [l]orsque l’obstination et l’impénitence se conjugu[ai]ent chez un simple d’esprit, sa simplicité d’esprit ne l’affranchi[ssai]t ni du péché ni du crime d’hérésieFootnote 20 ». Les ignorants devaient être éclairés, et s’ils persistaient dans leurs croyances erronées, ils n’étaient plus exempts de culpabilité et ainsi méritaient d’être sanctionnés.

En tant que crime, il était impossible d’associer l’hérésie à un espace ou à un moment spécifique. Certes, l’état d’hérésie ne pouvait s’exprimer – et donc être détecté – qu’à travers des actes ou des paroles situés dans le temps et l’espace. Toutefois, il ne s’agissait là au mieux que du reflet du délit, et non du délit lui-même – ce qui en faisait une transgression sans pareille. Issu du ius commune, le système probatoire mobilisé par tous les juristes, inquisiteurs compris, se fondait sur la convergence de témoignages et de preuves qui devaient se référer à une même action située dans le temps et l’espace pour que la coïncidence de ces deux dimensions permette d’accumuler des témoignages « concordants » comme autant de preuvesFootnote 21. Comment prouver un crime qui n’avait pas nécessairement de traduction dans le temps et l’espace ? Dans un tel cadre, les aveux prenaient une importance démesurée, mais ils n’apportaient pas, eux non plus, de preuve irréfutable, puisque de fausses confessions pouvaient être faites par des personnes qui n’étaient en réalité pas des hérétiques. Toute action ou déclaration indicatrice d’hérésie était, par essence, peu digne de foi, car d’autres facteurs qu’une connaissance éclairée pouvaient en être la source : la peur, la confusion, la simplicité d’esprit, l’ignorance, l’altération des facultés mentales, l’ivresse, la colère et ainsi de suite. Par conséquent, l’hérésie devint un crime se définissant par des degrés de suspicion plutôt que par une culpabilité démontrée ou une innocence caractérisée. Que l’accusé ait été condamné ou acquitté, le doute subsistait. Aucune sentence, hormis la « relaxation » au bras séculier, n’était définitive – un principe qui fut souligné à maintes reprises tant dans les Instructions de Tomás de Torquemada en 1484 que dans les écrits inquisitoriaux et judiciaires produits au cours des siècles d’existence du Saint-Office. Selon Torquemada, lorsque des témoins déposaient à charge contre des individus qui avaient déjà été jugés par l’Inquisition et réconciliés à l’Église, « même s’ils étaient absous, ou avaient été absous, on procéd[ait] comme s’ils étaient impénitentsFootnote 22 ». Chaque sentence dans un procès d’hérésie, à l’exception de l’exécution par le feu, comprenait une absolution de toutes les peines que le droit canon portait contre l’hérétique. L’accusé, une fois la sentence prononcée, pouvait se croire à l’abri au moins des conséquences de sa conduite passée. Reste que, comme l’affirmait Deciano, « une sentence d’absolution dans les procès d’hérésie n’[était] jamais définitivement accordéeFootnote 23 » dans la mesure où « le châtiment de l’hérésie p[ouvai]t être aggravé après la sentenceFootnote 24 ».

En l’absence d’un accès sensoriel direct au crime proprement dit, les inquisiteurs étaient tributaires de preuves concernant ses manifestations extérieures, qu’il s’agisse de paroles ou d’actions. Pour faciliter leur interprétation, et sensibiliser la population à ce à quoi elle devait prêter attention, des listes furent établies et publiées sous la forme d’« édits de foi » énumérant tout ce qui pouvait être considéré comme une indication possible d’hérésie. Ces listes déclenchèrent des dénonciations qui furent à la source de milliers de procès inquisitoriaux : à Tolède, pas moins de 26 % des accusateurs y font référence dans leur déclaration, d’une manière ou d’une autreFootnote 25. Toutefois, comme les manuels de l’Inquisition le montrent avec clarté, les paroles et les actes recensés dans ces listes ne caractérisaient pas automatiquement l’hérésie, qui était un crime fondé sur le savoir et l’intention. Pour reprendre les mots de Farinaccio, « celui qui est ignorant ne consent pas, et sans consentement ou volonté le crime d’hérésie n’est pas commisFootnote 26 ».

Un crime de gravité variable

La gravité du crime d’hérésie variait, non seulement dans la mesure où l’on pouvait être plus ou moins hérétique, mais aussi parce que les qualités et les activités propres à une personne la rendaient plus ou moins suspecte aux yeux des juges. L’intensité du soupçon dépendait de trois critères fondamentaux : le premier concernait les circonstances des actions ou des propos à l’origine du soupçon ; le deuxième était lié à la personne du défendeur ; le troisième prenait en compte l’écart entre la doctrine catholique et les signes d’une éventuelle hérésie. Examinons-les un par un.

Les circonstances comptaient énormément. Les actes ou les propos suspects avaient-ils eu lieu dans la vie de tous les jours, lors d’un débat théologique ou à l’occasion d’une bagarre d’ivrognes ? Qu’une personne émette des doutes sur la virginité de Marie durant une passe dans un bordel sous l’emprise de l’alcool ou bien pendant une discussion savante ne revêtait pas la même signification – il s’agit là de vrais cas portés devant l’Inquisition. La colère et l’ivresse étaient une défense efficace durant l’Ancien Régime, et prétexter l’humour avait également le pouvoir d’atténuer une déclaration autrement considérée comme hérétique : celui qui profère des propos hérétiques « en plaisantant et sans être sérieux n’est pas un hérétique », déclarait Farinaccio. Néanmoins, « quiconque profère des paroles hérétiques pour plaisanter, par mégarde ou par colère, n’est pas libéré sans recevoir de pénitence, même s’il échappe au châtiment de l’hérésie »Footnote 27. En d’autres termes, la pénitence guettait même ceux qui n’étaient pas punis devant la loi.

Ces circonstances, le plus souvent, atténuaient la nature suspecte et la gravité du délit. Dans d’autres cas cependant, elles pouvaient au contraire renforcer le soupçon. Par exemple, manger un peu de viande un jour d’interdit « ne démontre pas d’hérésie en soi, parce que cela est généralement motivé par de la simple gloutonnerie ou le désir de savourer de la viandeFootnote 28 ». En revanche, manger la même quantité de viande en compagnie de protestants notoires suggérait que la transgression avait un motif religieux, c’est-à-dire hérétique. Le contexte pouvait donc à la fois intensifier ou réduire les soupçons d’hérésie éveillés par des actions ou des paroles.

Le deuxième critère, la qualité du défendeur, constituait peut-être le plus important. Au cours de l’interrogatoire, les inquisiteurs commençaient d’ailleurs par s’enquérir de l’ethnicité ou de l’appartenance culturelle des accusés. Provenir d’une famille de conversos – c’est-à-dire de juifs convertis au christianisme ou de leurs descendants – éveillait immédiatement la méfiance. De la même manière, au xvie siècle, avoir des origines françaises exposait aux soupçons de calvinisme. Les déclinaisons de la phrase « puisqu’ils étaient français, ils furent mis à la question » ne sont pas rares dans les relations de causes, tandis qu’après avoir entendu le résumé du procès d’Antonio Diaz pour judaïsme à Cuenca en 1622, la Suprema fit remarquer qu’« il aurait dû être mis à la question […] d’autant plus qu’il était portugais et mendiantFootnote 29 ». Le nombre de Portugais d’ascendance juive entrés en Espagne à cette époque était si important que des accusés tels que Diaz étaient plus immédiatement soupçonnés de judaïsme et les preuves contre eux se faisaient ipso facto plus accablantes. Symétriquement, être d’origine « vieille chrétienne » espagnole avait tendance à atténuer le soupçon d’hérésie éveillé par des paroles ou des actions similaires.

Le niveau et le type d’éducation religieuse, le degré général d’instruction et la capacité mentale de l’accusé importaient beaucoup. Farinaccio est catégorique : « L’ignorance exonère du crime d’hérésieFootnote 30. » La raison, explique Antonio Montes de Porres dans son résumé de l’œuvre d’Antonino Diana, en est que « l’infidèle » ignorant « ne méprise pas l’autorité de l’Église, même s’il offense DieuFootnote 31 ». Les relations de causes rendent ainsi compte de milliers d’affaires dans lesquelles des hommes et des femmes plaidaient l’ignorance et, souvent aussi, la simplicité d’esprit, combinant les deux arguments pour atténuer – mais pas nécessairement annuler – leur culpabilité. Cependant, comme l’explique très clairement Farinaccio, cette exception générale d’ignorance ne s’appliquait pas lorsqu’il s’agissait de questions auxquelles tous les catholiques étaient explicitement tenus de croire ou lorsque celle-ci pouvait aisément être surmontéeFootnote 32. Les théologiens qui étaient parfois dénoncés pour des déclarations faites durant des disputations ou des lectures constituaient un cas inverse. Ces affaires étaient souvent le résultat de rivalités professionnelles entre ordres religieux, et le caractère erroné des assertions censées contredire la doctrine catholique et rapportées par les dénonciateurs pouvait être contestable. En tant que juristes, les inquisiteurs comptaient sur leurs experts en théologie, les calificadores, pour évaluer la réalité et le degré d’hérésie dans les propos mis en cause. Membres d’ordres religieux, ceux-ci n’étaient cependant pas toujours neutres dans ces conflits théologiques, au risque de rendre des expertises contradictoires. Les conséquences pouvaient être graves. Si les sentences, dans de telles affaires, étaient souvent légères et si le verdict ne portait pas toujours condamnation, le simple fait d’avoir comparu devant le Saint-Office risquait en soi de ruiner la carrière d’un théologien.

La santé mentale du défendeur pouvait aussi moduler, voire infirmer le jugement d’hérésie. Lorsque la veuve María Luisa fut jugée pour propos hérétiques à Llerena en 1613, les inquisiteurs conclurent en définitive qu’elle était folle, suspendirent son procès et « lui dirent d’aller où bon lui semblaitFootnote 33 ». De nombreux autres accusés furent hospitalisés pour maladie mentale et leurs procès suspendus (ils furent parfois même acquittésFootnote 34), souvent après avoir fait des déclarations que les calificadores considéraient comme indicatives d’hérésie. L’hospitalisation n’était pas nécessairement un destin enviable : Pedro Ortiz, jugé et acquitté à Barcelone en 1578, « fut considéré comme fou et admis à l’hôpital, où il perdit complètement la têteFootnote 35 ». Si les fous ne pouvaient être tenus juridiquement responsables de leurs actes devant aucun tribunal, c’était particulièrement vrai pour l’hérésie, un crime qui reposait sur le choix raisonné et volontaire de l’erreur au détriment de la vérité. Pour reprendre les termes de Porres, « l’hérésie, c’est le choix de l’erreurFootnote 36 ». L’infirmité mentale privait les accusés de la capacité de faire des choix délibérés, les rendant formellement incapables d’être des hérétiques.

Le dernier critère, enfin, concernait la nature des « erreurs » commises contre la doctrine catholique. Les déclarations touchant aux principes essentiels de la foi, tels que la virginité de Marie, la sainteté des saints, la divinité du Christ, parmi d’autres, étaient bien plus graves que le fait d’affirmer qu’une relation sexuelle entre partenaires non mariés n’était pas un péché mortel, proposition pourtant formellement condamnée à la fin du xve siècle. Si les déclarations suspectes semblaient faire écho au langage de groupes hérétiques particuliers, le soupçon d’hérésie s’en trouvait accru. Le manuel d’inquisition d’Isidoro de San Vicente, rédigé dans les années 1650, donne des indications précises à ce sujet. Les membres de « nations infectées » – « […] les Anglais, les Écossais, les Irlandais, les Français et les autres étrangers voisins de ces derniers » – énonçaient des propositions qui « niaient les indulgences, l’autorité du pape, le Purgatoire et autres sujets similaires ». Les juifs, pour leur part, avaient tendance à dire que « le Messie n’est pas venu, que la Loi mosaïque est bonne ou meilleure que celle du Christ, que le samedi devrait être un jour saint, que les morts devraient être enterrés dans une terre vierge », etc. Quant aux musulmans, ils affirmaient que « Mahomet était un prophète, que l’on devait observer le ramadan », etc.Footnote 37. Chacune de ces affirmations était à la fois contraire aux préceptes centraux de la doctrine catholique et caractéristique d’un type particulier d’opposition à celle-ci. À l’inverse, des affirmations telles que : « Je renonce à Dieu ! » ou « Il n’y a rien d’autre que la naissance et la mortFootnote 38 » étaient fréquemment employées dans la culture espagnole de l’époque. Bien qu’interdites, elles n’indiquaient aucune divergence théologique réelle et n’étaient généralement pas considérées comme des signes d’hérésie dans les procès inquisitoriaux.

La même méthode d’évaluation s’appliquait aux actions supposément hérétiques. Comme nous l’avons précédemment vu, les textes de référence mentionnaient explicitement que manger de la viande sans prescription médicale les jours d’interdit ne découlait pas nécessairement d’une posture hérétique. En revanche, ne pas retirer son chapeau devant une représentation sainte était considéré comme un signe révélateur de protestantisme chez les étrangers (et même chez les vieux-chrétiens, à l’apogée de la peur du protestantisme en Espagne), de judaïsme chez les conversos et d’islam chez les morisques.

D’autres délits jugés par le Saint-Office avaient un rapport bien plus ténu avec l’hérésie. Les bigames mettaient assurément à mal le sacrement du mariage, mais personne n’y voyait sérieusement le signe d’un rejet délibéré et éclairé de la doctrine catholique. Leurs procès n’étaient jamais de véritables procès d’hérésie. De la même manière, il était admis que ce qui motivait les prêtres poursuivis pour avoir sollicité des faveurs sexuelles dans le confessionnal était le plaisir sexuel, et non pas des divergences théologiques sur le sacrement de la confession. Pour les affaires de sorcellerie et de superstition, deux cas doivent être distingués. D’un côté, le Saint-Office revendiquait la compétence exclusive sur la sorcellerie diabolique, la sorcellerie à sabbat, puisque prendre le diable pour Dieu relevait de l’idolâtrie, et donc de l’hérésie en bonne et due forme. De l’autre, les pratiques magiques courantes étaient moins explicitement qualifiées d’hérétiques, bien qu’elles relevassent elles aussi, selon les théologiens, d’un pacte implicite avec le démon : la magie d’amour avait beau être par essence incompatible avec la doctrine chrétienne du libre arbitre, dans les faits, le Saint-Office ne l’assimilait que fort rarement à l’hérésie.

Pris conjointement, ces trois critères que sont les circonstances, le caractère de l’accusé et la relation du délit avec la doctrine catholique pouvaient complètement changer l’interprétation des faits établis dans une affaire donnée, renforçant ou atténuant le soupçon d’hérésie, voire affecter la qualification juridique des actes ou des paroles mis en cause – crimes ou péchés. Ils avaient donc une influence non négligeable sur les perceptions et les choix des inquisiteurs.

Un crime réprimé par plusieurs instances judiciaires

Bien que le Saint-Office revendiquât une juridiction exclusive sur le crime d’hérésie, ce dernier était également réprimé par d’autres instances judiciaires, à commencer par les tribunaux civils. C’était la législation criminelle réglementant les juridictions séculières qui ordonnait la peine de mort pour hérésie, et non l’Inquisition. Cet apparent conflit de juridictions prenait dans les faits la forme d’une coopération, et les autorités séculières exécutaient l’ensemble des châtiments physiques ordonnés par l’Inquisition. Cette dernière pouvait, par conséquent, proclamer qu’elle n’avait pas tué, mais simplement « relaxé » les condamnés pour hérésie auprès des tribunaux séculiers – qui les livraient au bûcher comme le voulait la législation criminelle. En outre, il existait des chevauchements de compétences juridictionnelles avec la justice civile pour des crimes tels que la sorcellerie et la bigamie.

Au sein même du domaine strictement ecclésiastique, par ailleurs, l’Inquisition n’avait pas juridiction sur toute l’extension du délit d’hérésie. C’est un aspect déroutant pour qui ne maîtrise pas les subtilités de la pensée et de l’organisation des tribunaux de l’Église. La juridiction ecclésiastique est constituée de deux secteurs, appelés respectivement le for interne et le for externe. Le for interne est le domaine de la conscience et traite de la relation individuelle des catholiques à Dieu, quand le for externe a pour objet les questions qui touchent le bien public et social du corps juridique des catholiques. Par conséquent, le pardon des péchés relève du champ du for interne, tandis que la réparation des délits qui ont causé du tort à la communauté des croyants est prise en charge au sein du for externe. Certains délits relèvent des deux juridictions. C’est le cas de la plupart des affaires jugées par l’Inquisition espagnole. Or chacun des deux fors était divisé une nouvelle fois en deux, comme le montre l’illustration ci-dessous (fig. 2).

Figure 2 Figure 2 – La juridiction ecclésiastique et ses divisions

Le for interne sacramentaire est le for des pénitences et des confessions qui prennent la forme d’un sacrement, d’une remise des péchés par Dieu. Il ne relevait pas de l’Inquisition, qui réconciliait les accusés repentants avec l’Église, mais pas avec Dieu. C’est le curé, ou l’évêque, selon le degré d’hérésie, qui opérait ce pardon divin après que le pénitent eut été habilité à s’approcher du sacrement par la réconciliation que la sentence inquisitoriale lui avait procurée avec l’Église. Pour le for interne, l’Inquisition n’intervenait donc que dans le domaine non sacramentaire, dans des cas relativement rares – par exemple, lorsque les tribunaux de l’Inquisition levaient les sanctions encourues pour hérésie par des membres du clergé.

Les trois axes de l’action inquisitoriale

Ces éléments engendraient une tension entre deux niveaux différents de l’activité inquisitoriale. Le premier était répressif : après avoir prouvé le délit conformément à toutes les conventions juridiques, il conduisait à la mise à mort de l’accusé avec l’aide de la justice séculière, donc à son exclusion radicale de la société civile, par la société civile elle-même, comme de la communauté des croyants – que l’Inquisition ne prononçait pas mais constatait en déclarant l’hérésie. L’autre était intégrateur, opéré exclusivement par l’Église, et réinsérait l’accusé en son sein, lui accordant le pardon et le rétablissant dans le statut civil et religieux dont il avait été dépossédé au regard de son hérésie.

Cette seconde stratégie s’appliquait de trois manières. En premier lieu, par l’entremise du for externe judiciaire et d’un rituel juridique lourd, dans une cérémonie de réconciliation le plus souvent publique et l’imposition d’une pénitence qui, dans certaines affaires, s’apparentait par sa sévérité à un châtiment criminel. Cette procédure levait toute censure ecclésiastique que pouvait avoir encourue l’accusé pour hérésie et toutes les conséquences civiles afférentes : elle représente, dans la mémoire collective, le champ d’action le plus évident de l’Inquisition. En deuxième lieu, et c’est le point que nous allons développer, cette stratégie, dans un grand nombre d’affaires, bien que toujours au for externe judiciaire, prenait des formes simplifiées, voire très simplifiées, lorsque l’Inquisition convoquait et expédiait sans bruit et avec un minimum de formalité judiciaire des défendeurs qui se présentaient sinon de leur propre initiative, du moins volontairement. En dernier lieu, la cour pouvait procéder par l’entremise du for interne non sacramentaire, voie moins fréquentée, nous l’avons vu. Dans tous les cas, les censures une fois levées, le pénitent devait aller voir un prêtre, se confesser et se voyait accorder une absolution sacramentaire – sans répercussions civiles, mais aux conséquences spirituelles importantes.

L’historiographie s’est en général focalisée sur le niveau répressif de l’action inquisitoriale, sans rien dire ou presque de sa pratique intégratrice. À l’issue du dépouillement systématique des sources concernées, un sévère correctif s’impose : la pratique inquisitoriale comme la doctrine formelle qui la sous-tendait affichaient une préférence marquée pour la réintégration des hérétiques plutôt que pour leur répression. Deux avertissements sont cependant ici de mise. Premièrement, des interférences politiques pouvaient contrecarrer cette tendance générale, en particulier en période de crise, comme à Valence au xve siècle, ou lors du conflit entre les familles Soto et Riquelme au milieu du xvie siècle dans la région de Murcie ou bien encore durant l’affaire du Cristo de la Paciencia dans les années 1630Footnote 39. Au cours de ces différents épisodes, les préoccupations politiques et les influences extérieures furent suffisamment puissantes pour détourner le fonctionnement de la procédure inquisitoriale. Deuxièmement, dans plusieurs affaires, les penchants personnels des inquisiteurs supplantèrent le raisonnement juridique. Ce fut le cas, par exemple, durant les procès de sorcellerie de Zugarramurdi, en 1609-1614, où les inquisiteurs de Logroño brûlèrent une demi-douzaine de supposées sorcières, en allant à l’encontre de tous les précédents d’un tribunal qui jusque-là se montrait réticent à poursuivre ce délit, ou encore lors de la crise provoquée par Diego Rodriguez de Lucero à Cordoue au début du xvie siècle, lorsqu’il laissa s’emballer le mécanisme des « complicités » (c’est le terme inquistorial) par lequel les dénonciations font boule de neigeFootnote 40. Ces deux épisodes font ressortir la nécessité d’une supervision des tribunaux de district par les instances centrales de l’institution pour limiter une instabilité qui découlait de la coexistence de deux tendances contraires au sein de la même institution – centralisation qui a toujours existé et qui s’accrut fortement au fil du temps.

L’accès au pardon n’était pas automatique. L’objectif final était la réintégration des défendeurs dans le giron de l’Église catholique, une fois pardonnés et rétablis dans leurs statuts civil et religieux antérieurs. Pour réaliser l’opération, deux conditions étaient requises. Sur le plan structurel, l’Église devait trouver une voie à la fois doctrinale et institutionnelle lui permettant d’accueillir les hérétiques repentis avec miséricorde et pardon selon des modalités claires qui n’attentent pas aux principes généraux de son organisation. Sur le plan individuel, les personnes condamnées pour hérésie devaient souhaiter la réintégration et accepter les conditions imposées par l’Église. Le Saint-Office avait pour charge de gérer le mécanisme structurel et, sur le plan individuel, de vérifier et d’encourager la disposition des hérétiques à être réincorporés dans la communauté des croyants. Il passait effectivement au crible les accusés de façon à séparer le bon grain de l’ivraie : les récalcitrants se voyaient soumis à une action plus répressive, pour les briser ou les châtier ; quant aux repentants, destinés à la réintégration, ils se voyaient guidés à travers le système institutionnel et assistés dans les formalités administratives nécessaires. Dans toutes ces procédures, l’Inquisition respectait strictement les règles judiciaires en vigueur à l’époque, tout en les adaptant marginalement à ses besoins. Celles-ci n’avaient pas seulement pour fonction de garantir la bonne marche de la procédure judiciaire, mais avaient aussi une vocation pénitentielle. Elles permettaient par exemple de garder un prisonnier à l’isolement aussi longtemps que le tribunal le souhaitait – l’épuisement psychologique qui s’ensuivait favorisait l’aveu judiciaire ; il le rendait aussi plus réceptif aux appels à la conversion.

Le procès de foi en forme combinait tous ces aspects. Derrière la progression répétitive de ses étapes formelles, trois séries distinctes d’événements étaient à l’œuvre pour aboutir à la sentence finale. On pourrait les nommer les trois axes du procès de foi inquisitorial (fig. 3). Le premier consistait dans un procès judiciaire qui se concentrait sur les signes extérieurs de l’hérésie – autrement dit, les comportements et les actes de langage transgressifs que les inquisiteurs avaient réunis et communiqués à la population générale au moyen de la lecture d’édits. Il s’agissait en somme d’administrer la preuve juridique que le défendeur avait réellement commis ce qui lui était reproché. Puisque ces actions répréhensibles étaient observables dans le temps et l’espace, elles étaient justiciables du système de preuve judiciaire ordinaire. L’aboutissement de ce procès advenait lorsque l’accusé confessait la réalité de ces indices d’hérésie, ou bien lorsque les indices se révélaient insuffisants d’un point de vue judiciaire pour établir une condamnation.

Figure 3 Figure 3 – Les trois axes du procès de foi inquisitorial

Le deuxième processus consistait à évaluer le degré d’hérésie de l’accusé. À cette fin, il fallait répondre à plusieurs questions : les actes qui lui étaient reprochés avaient-ils été volontaires et continus ? Touchaient-ils aux principes centraux de la doctrine catholique auxquels tous les catholiques étaient tenus de croire ? Savait-il ce que ces principes impliquaient et était-il conscient qu’ils s’opposaient à l’Église catholique ? Connaissait-il ne serait-ce que les fondements de la doctrine catholique ? Seule une reconstruction minutieuse du contexte factuel et un interrogatoire exceptionnellement habile de l’accusé permettaient de vérifier ses rapports antérieurs à la doctrine et à la culture catholiquesFootnote 41. L’enquête pouvait aboutir, pour les mêmes faits, soit à un verdict d’hérésie formelle, soit à une quasi-absolution du délit lorsque démonstration était faite que les conditions mentionnées ci-dessus n’étaient pas remplies. Cette clémence s’appliqua notamment aux cas de marins et de soldats de régions protestantes qui n’avaient jamais rencontré le catholicisme dans leur pays d’origine et cherchaient délibérément à se convertir à la foi catholiqueFootnote 42.

Un troisième processus, le plus important de tous, était lié à l’acceptation de la conversion par l’intéressé. Afin d’atteindre ce but, les inquisiteurs cherchaient à obtenir de l’accusé des signes de repentance et de soumission. Ce processus prenait la forme de longues séances de confessions, dans la salle d’audience, au cours desquelles les défendeurs exprimaient et extériorisaient à travers leurs propres paroles leur état d’esprit intérieur.

Confession est un mot polysémique. Il peut tout d’abord désigner la reconnaissance judiciaire des faits incriminés : c’est ce que les inquisiteurs cherchaient à obtenir dans le premier axe de l’action inquisitoriale évoquée ci-dessus. Mais le terme peut aussi renvoyer à l’aveu de l’état d’esprit hérétique qui sous-tendait les signes matériels réunis comme preuves. Une telle confession constituait le premier pas vers la repentance, une demande de pardon et la réintégration au sein de l’Église catholique – en d’autres termes, la conversion. Elle pouvait intervenir à tout moment durant le procès, les accusés confessant leur intention hérétique et implorant le pardon et la clémence y compris au dernier moment ou après qu’une sentence de relaxation ait été prononcée. Cependant, plus tôt ils le faisaient, mieux c’était pour eux. Le harcèlement psychologique à travers l’isolement dans les prisons secrètes et l’intimidation mentale pendant les audiences contribuaient à amollir les esprits les plus endurcis. Or, les inquisiteurs ne prenaient pas cette confession pour argent comptant. Le défendeur devait démontrer la sincérité et l’authenticité de son revirement. L’évaluation se faisait au regard d’un ensemble de manifestations extérieures plus ou moins intenses de contrition et de désir de réintégration, manifestations recensées dans la doctrine inquisitoriale telle que la formalisaient les traités publiés (annexe 2). Parmi celles-ci, les larmes et autres expressions de regret jouaient un rôle prépondérant : souvent mentionnées dans les résumés de procès, elles ne sont que rarement évoquées dans les récits des historiennes et des historiens. Ce qui peut aujourd’hui ressembler, aux yeux du lecteur, à une démonstration émotionnelle mélodramatique constituait pour les contemporains un signe sincère de contrition et d’émotion religieuses, doté d’une force intrinsèque de persuasion. Certes, le pardon n’était pas systématique. Certains défendeurs ne remplissaient pas les conditions requises pour leur réintégration, soit parce qu’ils la refusaient, soit parce qu’ils avaient déjà été réconciliés et avaient rechuté ultérieurementFootnote 43. Cependant, dans ce troisième axe, les inquisiteurs pouvaient montrer de la clémence, et en faisaient souvent preuve. La logique est ici religieuse et non judiciaire : en quelque sorte, la conversion l’emporte sur la punition.

La sentence

La sentence inquisitoriale se situait à la confluence des axes brièvement présentés ci-dessus. Conformément au double caractère judiciaire et religieux du procès, les personnes reconnues coupables étaient condamnées à la fois à une peine et à une pénitence. Bien que formellement distinctes et souvent différentes, ces deux sanctions se recoupaient parfois, notamment dans le cas des amendes qui pouvaient être infligées à l’un ou l’autre titre. Distinguer peine et pénitence requiert en pratique une compétence judiciaire qui a souvent manqué aux contemporains des procès comme par la suite aux historiens et aux historiennes. La sévérité de la sentence suivait en tout cas une logique qui prenait en compte tant la gravité du délit que l’état d’esprit religieux de la personne reconnue coupable. Ces critères ont évolué au fil du temps, les peines devenant bien plus légères, et les pénitences plus sévères. Dans son manuel écrit dans les années 1650, l’inquisiteur San Vicente accompagne presque systématiquement la fiche qu’il dresse pour chaque délit de remarques telles que : « La grande générosité de notre époque… », ou « Autrefois l’on suivait plus rigoureusement les lois », ou encore « De nos jours, les lois ne sont pas appliquées dans toute leur rigueur »Footnote 44. Enfin, outre la formulation de la peine judiciaire et de la pénitence religieuse, la sentence comportait un dernier élément, fondamental, qui avait trait aux relations du défendeur avec l’Église catholique. En avait-il été séparé ? Si oui, acceptait-il d’y être réintégré ? C’est le type même de la conclusion de l’affaire qui contenait la réponse à ces questions.

Si, au cours de ce procès, les signes extérieurs d’hérésie avaient été « détruits » (c’est-à-dire qu’il avait été démontré qu’ils n’avaient pas de valeur probante d’un point de vue juridique), ou si les conditions nécessaires pour caractériser l’hérésie n’étaient pas remplies, les inquisiteurs se dessaisissaient de l’affaire. À cette fin, ils interrompaient leurs activités et « suspendaient » le procès, acquittant le défendeur du chef d’accusation ou le condamnant à une pénitence légère – mais pas à une peine judiciaireFootnote 45. Si, au contraire, l’hérésie était démontrée judiciairement, mais qu’elle s’articulait autour de problèmes mineurs et que l’intention hérétique était incertaine, le défendeur était jugé coupable et condamné à abjurer son crime de levi ainsi qu’à une peine judiciaire et à une pénitence. Point d’angélisme toutefois : si « de levi » signifiait un léger soupçon d’hérésie, la peine pouvait quant à elle être sévère, tels, notamment, la flagellation publique, le bannissement et la condamnation aux galères. Par exemple, en 1724, Andrés García de Soria, alias don Manuel López de Toro, fut reconnu coupable de bigamie à Murcie et condamné à abjurer de levi, à 200 coups de fouet et à huit années de bannissement, dont les cinq premières en tant qu’esclave de galèreFootnote 46. Dans les affaires où l’hérésie n’était pas pleinement prouvée judiciairement mais concernait des sujets graves tels que l’apostasie à l’islam, au judaïsme ou au protestantisme, et aux cours desquelles le défendeur avait témoigné d’un désir de vivre désormais en catholique, la sentence était l’abjuration de vehementi – signifiant un fort soupçon – accompagnée d’une peine et d’une pénitence sévères.

Ces trois types de sentence entraînaient une condamnation qui n’affirmait pas que le défendeur s’était déjà trouvé en dehors du giron de l’Église catholique, même si son discours ou son comportement en avait provoqué le soupçon légitime. En revanche, certaines personnes qui comparaissaient devant le tribunal du Saint-Office n’étaient pas seulement soupçonnées : il était juridiquement déclaré qu’elles avaient été rejetées en dehors de la communauté catholique par une hérésie formellement prouvée. Dans de tels cas, lorsque l’hérésie était juridiquement prouvée – autant que faire se pouvait – et que les faits étaient graves, si le défendeur faisait une confession complète de son hérésie et de ses intentions hérétiques, puis se repentait en toute sincérité et demandait le pardon et la réintégration dans l’Église catholique, la sentence prononcée était habituellement la réconciliation, la confiscation des biens, l’emprisonnement et différentes formes de pénitence. Bien que le délit fût généralement plus sérieux d’un point de vue religieux – l’hérésie étant constituée –, la peine judiciaire réelle pouvait être paradoxalement moins sévère que celle des accusés condamnés à abjurer le soupçon d’hérésie. Enfin, si l’hérésie était juridiquement prouvée et soulevait des questions graves sans que le défendeur ne l’eût confessé ni ne se fût repenti de manière convaincante, ou s’il avait rechuté dans l’hérésie, la sentence entraînait la confiscation des biens et la remise du condamné, promis au bûcher, au bras séculier.

Le moyen d’éviter cette peine ultime, en cas d’hérésie démontrée, consistait à solliciter la voie de la clémence. Il fallait, pour l’obtenir, faire une confession convaincante et implorer le pardon tout en montrant du remords et de la repentance. Ce n’était pas un chemin sans embûche, et si les inquisiteurs soulignaient le fait que les accusés devaient se confesser et implorer la réintégration de leur plein gréFootnote 47 – un principe central dans l’économie chrétienne du salut –, dans la pratique, les méthodes employées pour arracher ces confessions étaient coercitives, si ce n’est systématiquement violentes physiquement.

Sous la variété des formes, une profonde continuité

Les inquisiteurs étaient parfaitement conscients de l’existence des trois axes décrits ci-dessus. Les prendre en compte a plusieurs implications importantes. En premier lieu, ils établissent une continuité entre le procès de foi en forme et les multiples procédures abrégées qui étaient également à la disposition de l’Inquisition. Un procès de foi abrégé conservait les principes fondamentaux du procès complet, mais permettait de passer outre certaines étapes. Lorsque les inquisiteurs de Tolède, dans la première moitié du xvie siècle, visitaient leur district, se déplaçant d’un endroit à un autre, s’installant dans les tavernes et les mairies, ils recevaient un grand nombre d’autodénonciations pour des délits relativement mineurs tels que le blasphème ou la violation des interdits inquisitoriaux par les descendants d’hérétiques condamnés. Ils expédiaient ces affaires en l’espace de quelques heures : une confession, un interrogatoire rapide au sujet des circonstances, de temps à autre un bref récit de la vie du défendeur et, en guise de conclusion, une amende et une pénitence spirituelle légèreFootnote 48. Un procédé similaire est décrit dans une circulaire émise par le conseil de l’Inquisition (carta acordada) au début du xviie siècle pour des procès qui ont lieu au siège du tribunal :

Si un étranger se présente et se dénonce pour avoir été un luthérien ou un membre de toute autre secte, qu’il lui soit demandé en quelles erreurs il croyait, à quelle secte il appartenait et dans quelle région, avec qui il en parlait, dans quel pays, s’il possédait ou avait reçu une certaine connaissance de notre sainte foi catholique, s’il en avait reçu les enseignements, quand, et par qui […]. Envoyez des instructions aux commissaires des ports [agents de l’Inquisition dans les principaux ports du royaume] leur permettant de recevoir de telles confessions et si les déclarations [des intéressés] donnent clairement à voir qu’ils ont reçu les enseignements de notre sainte foi catholique, les réconcilier à l’Église, sans confiscation ni [obligation de porter] une tenue pénitentielle ; ceux qui n’ont jamais reçu l’enseignement de la foi doivent être absous ad cautelam Footnote 49.

Pendant longtemps, nous ne comprenions pas de quelle manière les inquisiteurs articulaient des pratiques aussi hétérogènes. À partir du moment où le dépouillement exhaustif des sources a permis d’établir la continuité entre ces différentes formes procédurales, le procès de foi abrégé apparaît cependant pour ce qu’il est : un procès en forme dépourvu de son enveloppe criminelle. Une autodénonciation – qui de fait ressemblait beaucoup à une confession au sens sacramentaire du terme –, un délit considéré comme relativement mineur, un manque évident d’instruction ou l’absence de volonté de causer du tort à l’Église catholique rendaient superflu le déploiement de l’attirail de la procédure formelle pour établir les faits. L’inquisiteur pouvait se concentrer sur l’état spirituel du défendeur, qui était traité davantage comme un pénitent que comme un criminel. Il n’avait pas même besoin d’agir lui-même en tant que juge, encore moins de réunir ses consultores (experts) et le représentant de l’évêque pour rendre une sentence définitive, comme c’eût été le cas dans un procès en forme. Il pouvait même mandater n’importe quel prêtre pour effectuer le travail.

En deuxième lieu, notre enquête invite à interroger l’évolution de la plasticité de la procédure inquisitoriale au fil du temps. La recherche que nous présentons s’appuie sur des documents allant du milieu du xvie siècle jusqu’à la fin du xviiie siècle. Au cours de cette période relativement brève, qui exclut les soixante-dix premières années de l’activité du Saint-Office en Espagne – sans parler de la totalité du Moyen Âge européen –, les aspects pénitentiels semblent prendre de plus en plus de place dans les procès au détriment de la dimension criminelle et juridique. Cette montée du pénitentiel est-elle un fait incontestable ou un biais dû aux sources ? Il n’est pas facile de mesurer objectivement une telle évolution. Il est certain qu’au fil du temps les inquisiteurs ont noté de façon de plus en plus précise les détails de leur activité. Les affaires dont l’orientation est plus pénitentielle que criminelle ont tendance à être moins formelles. Elles engendrent moins de paperasse et, par conséquent, laissent une moindre empreinte dans les archives, ce qui favorise un sous-enregistrement qui tend à les rendre invisibles lorsqu’on se contente de noter l’essentiel. Qui plus est, la plupart des traces écrites générées par la Suprema antérieures à 1561 ont été perdues. Une étude minutieuse sur les différents types de sources les plus anciennes reste à mener pour retracer l’origine de ce double système.

Malgré ces incertitudes, il semble bien, ce sera notre troisième point, que la tension entre peine judiciaire et pénitence, justice et miséricorde, ait imprégné l’univers inquisitorial depuis les origines du Saint-Office et qu’elle existait probablement avant même sa création. En ce qui concerne l’Inquisition espagnole, Stefania Pastore a repéré la coexistence de ces deux visions du droit dès le milieu du xve siècle, au moment où l’on commence à peine à envisager la création future du tribunal en Castille. Elle l’interprète avec justesse comme un débat juridictionnel entre les instances épiscopale et inquisitoriale, mais y voit également une confrontation entre deux vertus – la miséricorde et la justice – qui auraient relevé de juridictions différentesFootnote 50. Était-ce vraiment le cas ? Ou avaient-elles déjà été réunies au sein d’une procédure judiciaire unique, comme cela fut, indubitablement, la pratique un demi-siècle plus tard ? Cette dualité était-elle inhérente au fonctionnement de l’Inquisition ou bien un hasard dû aux circonstances spécifiques de l’Inquisition en Espagne ? Des recherches récentes laissent à penser que ce lien intime a existé dès l’origine : processus de repentance et procédure judiciaire formalisée semblent avoir été deux dimensions étroitement liées dans les bureaux de la Pénitencerie apostolique dès le xiiie siècle, au moment même où cette institution était en train d’élaborer une définition de la culpabilité juridique distincte du péché – une séparation qui façonna la théorie chrétienne du droit dans son ensembleFootnote 51.

L’enquête a permis, ce sera notre quatrième point, de mettre en lumière l’ambivalence du procès inquisitorial. Par construction, le procès de foi était en réalité composé de deux éléments conflictuels rassemblés au sein d’une seule structure. Leur coexistence en faisait un édifice instable qui pouvait facilement basculer d’un côté ou de l’autre – justice ou miséricorde – en fonction des choix de l’inquisiteur. Quiconque parcourt, ne serait-ce que sommairement, le dossier d’une cause de foi, ou quelques lettres du conseil de l’Inquisition adressées à un tribunal provincial, se familiarise rapidement avec la formule que les inquisiteurs répétaient devant chaque accusé : « S’il confesse la vérité, son procès se déroulera aussi rapidement et miséricordieusement que possible ; sinon, justice sera rendueFootnote 52. » Répétée à l’envi, cette phrase souligne avec force une caractéristique fondamentale de la procédure inquisitoriale. Elle maintenait ouvertes deux options et laissait le juge décider laquelle utiliser, qu’il agisse de son plein gré ou en réponse à une pression extérieure. Nombre d’épisodes de l’histoire de l’Inquisition trouvent leur sens lorsqu’ils sont analysés en gardant cette instabilité à l’esprit. C’est la condition structurelle qui rend possible les revirements judiciaires spectaculaires, que nous avons déjà mentionnés comme produits des circonstances : lors de la frénésie anti-converso qui se propagea dans la région de Murcie au milieu du xvie siècleFootnote 53 ; lors de l’affaire des sorcières de Navarre, en 1609-1614, où l’enquête de l’inquisiteur Alonso de Salazar y Frías provoqua en quelques mois un retournement complet de la jurisprudence du tribunalFootnote 54. Dans cette situation de d’équilibre instable entre des principes contradictoires, des interventions politiques, comme celles qui marquèrent l’affaire du Cristo de la Paciencia dans les années 1630 à Madrid, même légères, peuvent faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre, avec des conséquences très différentes pour les accusésFootnote 55. Pour mieux saisir la façon dont l’Espagne de l’époque moderne a construit un sentiment d’identité centré autour de la religion, il reste encore à évaluer de façon plus précise le rôle joué par cette dimension pénitentielle – ses causes, ses variations en intensité, ses sujets privilégiés et son évolution dans le temps. Une telle entreprise nécessiterait également un réexamen complet de l’histoire de l’Inquisition espagnole et, pour cette raison, devra attendre une prochaine recherche.

En dernier lieu, cette recherche invite à s’interroger sur l’éventuel élargissement de ce modèle dual. L’Inquisition espagnole était-elle la seule institution dans laquelle principes explicites (ici, le droit) et implicites (ici, la miséricorde), inséparables, entraient en conflit structurel ? Assurément, cette dichotomie s’explique pour partie par le fait que l’Inquisition se tenait, d’un point de vue institutionnel, à mi-chemin entre les sphères religieuse (miséricorde) et civile (justice). Si cette position ambiguë a pu rendre la faille plus visible, elle n’en est toutefois pas seule responsable. Il existait au moins une autre institution où le même caractère dual a été détecté au-delà de tout doute raisonnable : les enquêtes espagnoles de « pureté de sang » (limpieza de sangre). Elles étaient censées prouver que les ancêtres du « prétendant » qui en faisait l’objet avaient été nobles et personnes honorables pendant au moins trois générations, exempts de toute trace d’hérésie transmise par le sang d’ancêtres juifs ou musulmans. Elles visaient à exclure des honneurs les personnes entachées d’une telle tare. Officiellement, elles étaient fortement encadrées par des règles juridiques de plus en plus rigoureuses au fil du temps, qui devaient en garantir la véracité. Les témoins, les preuves, les formalités juridiques étaient définis de façon stricte par les dispositions les plus contraignantes du ius commune, et la volonté d’exclusion constamment affirmée. Plusieurs études ont cependant démontré qu’un grand nombre de ces enquêtes nourrissaient des mensonges flagrants – ce dont les acteurs eux-mêmes étaient tout à fait conscientsFootnote 56. Sous le vernis juridique dont on faisait grand cas, en effet, le véritable objectif était tout autre que celui affiché. Il s’agissait de faire évaluer l’acceptabilité sociale des candidats pour le groupe dont ils souhaitaient devenir membres. Les questions de fait quant à leur ascendance importaient peu. Comptait beaucoup, en revanche leur position sociale au présent, telle qu’elle se traduisait dans les relations qu’ils entretenaient avec les membres du groupe auquel ils voulaient s’intégrerFootnote 57. Nous avançons l’hypothèse qu’une analyse détaillée d’autres institutions, et pas uniquement judiciaires, produirait des résultats similaires. Les faits sociaux sont des objets complexes, et si le droit fournit des outils pour les appréhender, il n’est pas nécessairement seul à les façonner.

Annexes

Annexe 1 – Manuels rédigés par et pour les inquisiteurs, et utilisés dans cet article
Annexe 2 – Traités cités par les inquisiteurs dans les travaux mentionnés dans l’annexe 1

References

1 Cet article participe des résultats du projet « Injecting Legality » mené dans le cadre de l’alliance universitaire européenne Arqus avec l’université de Lyon, l’université de Grenade et l’université de Bergen (2020-2021).

2 L’Inquisition espagnole (officiellement nommée, à l’époque, le tribunal du Saint-Office de l’Inquisition) était un tribunal ecclésiastique, placé sous le contrôle indirect de l’État, qui avait la responsabilité de poursuivre en justice les « hérétiques » – en l’occurrence, des chrétiens baptisés qui ne se soumettaient pas pleinement aux enseignements de l’Église catholique. Sa juridiction couvrait l’Espagne, la Sicile et la Sardaigne ainsi que les colonies espagnoles des Amériques et les Philippines. Elle était dirigée par le Conseil de l’Inquisition Suprême et Générale, dit la Suprema, présidé par un Inquisiteur général, qui était lui-même un commissaire du pape. Elle était représentée à l’échelle locale par quelque vingt tribunaux de district qui, outre une abondante correspondance quotidienne, faisaient parvenir à la Suprema de manière régulière des rapports d’activité. Les archives de la plupart des tribunaux de district ont été perdues. Les rares qui ont été sauvegardées (provenant, notamment, de ceux de Tolède, Cuenca, Mexico, des îles Canaries et de Saragosse) contiennent encore des milliers de dossiers originaux, mais ne représentent malgré tout que des épaves. Seules les relations de causes permettent de se faire une idée de l’activité globale de l’institution. Voir Bartolomé Bennassar, avec la collab. de Catherine Brault-Noble et al., L’Inquisition espagnole, xv- xixe siècle, Paris, Hachette, 1979.

3 Jaime Contreras et Gustav Henningsen, « Forty-Four Thousand Cases of the Spanish Inquisition (1540-1700): Analysis of a Historical Data Bank », in G. Henningsen et J. Tedeschi, en collab. avec C. Amiel (dir.), The Inquisition in Early Modern Europe: Studies on Sources and Methods, DeKalb, Northern Illinois University Press, 1986, p. 100-129 ; Jean-Pierre Dedieu et René Millar Carvacho, « Entre histoire et mémoire. L’Inquisition à l’époque moderne : dix ans d’historiographie », Annales HSS, 57-2, 2002, p. 349-372.

4 Au moment de la rédaction de cet article, l’EMID contenait plus de 108 000 entrées comportant des informations sur 100 000 procès du Portugal et de l’Espagne. La publication de la première version de la base de données est prévue en 2023, https://emid.h.uib.no/.

5 Peines que le droit canon portait ipso facto contre les hérétiques, même secrets : excommunication, suspension des ordres sacrés, interdit (exclusion des sacrements, y compris l’enterrement chrétien).

6 Ad cautelam peut être traduit par « par précaution » ou « au cas où ». Cette expression a engendré beaucoup de confusion et ne désigne pas une absolution ni un acquittement. En vérité, elle fait référence à la levée « par précaution » de toutes les censures ecclésiastiques encourues par le défendeur – sans pour autant les spécifier.

7 Plus de 75 % des défendeurs mentionnés dans les sources compilées dans la base de données EMID sont des hommes, aussi utilisons-nous systématiquement, dans cet article, la forme masculine.

8 Une liste complète est accessible en annexe à la fin de cet article.

9 E. William Monter leur donne le nom de « comparutions pour la forme devant le Saint-Office » lorsqu’elles s’appliquent à des renégats et des convertis au protestantisme. Cette formulation minimise l’importance de ces affaires et le fait qu’elles s’inscrivent dans la continuité d’une pratique antérieure, les très classiques procès abrégés en temps de grâce – c’est-à-dire les périodes au cours desquelles, par décision de l’Inquisiteur général, un ou plusieurs des nombreux tribunaux locaux s’abstenaient de condamner des défendeurs qui s’étaient dénoncés eux-mêmes à l’une ou l’autre des peines portées au titre de la procédure criminelle et se limitaient à des peines infligées au niveau pénitentiel. E. William Monter, Frontiers of Heresy: The Spanish Inquisition from the Basque Lands to Sicily, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 250.

10 Nous avons cependant pu voir, grâce à l’EMID, que le Saint-Office avait en réalité poursuivi au moins 15 personnes pour ce délit dans d’autres tribunaux que ceux dits compétents.

11 Il est à noter que Henry Charles Lea a trouvé des documents établissant que le secret, un élément typique du procès inquisitorial, avait pu être imposé dans certains de ces procès, même en contravention directe avec les lois locales que le tribunal était censé suivre. Nos propres recherches montrent cependant que de tels procès n’étaient habituellement pas jugés dans le secret. Henry Charles Lea, A History of the Inquisition of Spain, vol. 2, New York, Macmillan, 4 vol., 1906-1907, p. 473.

12 Sur le milieu d’origine et l’éducation des inquisiteurs, voir Julio Caro Baroja, El Señor Inquisidor y otras vidas por oficio, Madrid, Alianza Editorial, 1968 ; Kimberly Lynn, Between Court and Confessional: The Politics of Spanish Inquisitors, Cambridge, Cambridge University Press, 2013. Soulignons ici que H. C. Lea se trompait lorsqu’il affirmait que les inquisiteurs espagnols étaient des théologiens. Ce ne fut vrai que lors des toutes premières années (H. C. Lea, A History of the Inquisition…, op. cit., passim).

13 Manlio Bellomo, The Common Legal Past of Europe, 1000-1800, trad. par L. G. Cochrane, Washington, The Catholic University of America Press, 1995, p. 90-91.

14 Jean-Pierre Dedieu, « L’inquisition et le droit. Analyse formelle de la procédure inquisitoriale en cause de foi », Mélanges de la Casa de Velázquez, 23, 1987, p. 227-251, ici p. 241.

15 Pour l’Espagne, voir Johannes Michael Scholz, « Relatores et magistrados. De la naissance du juge moderne au xixe siècle espagnol », in R. Descimon, J.-F. Schaub et B. Vincent (dir.), Les figures de l’administrateur. Institutions, réseaux, pouvoirs en Espagne, en France et au Portugal, xvie- xixe siècle, Paris, Éd. de l’EHESS, 1997, p. 151-164. En France, un juge se chargeait spécialement, dans les faits, du suivi du dossier et endossait la fonction de rapporteur auprès de ses collègues assemblés qui prononçaient plus tard la sentence. Voir, par exemple, J. H. Shennan, The Parlement of Paris, Londres, Routledge, [1968] 2021.

16 María Paz Alonso Romero, El proceso penal en Castilla, siglo xiii-xviii, Salamanque, Ed. Universidad de Salamanca, 1982, p. 260-262 ; Pablo Pérez García, « Perspectivas de análisis del proceso penal en el Antiguo Régimen. El procedimiento ordinario de Valencia Foral (ss. xvixvii) », Clío & Crímen. Revista del Centro de historia del crimen de Durango, 10, 2013, p. 35-82, ici p. 77. D’autre part, Nuria Verdet Martínez a montré que Francisco Jerónimo de León, un juge de la Haute cour civile du Royaume de Valence, avait utilisé ses propres sentences pour débattre de points de droit dans ses écrits théoriques : par conséquent, il y exposait, en profondeur les motifs de ses sentences, ce qu’il ne faisait pas, par écrit du moins, lorsqu’il agissait en tant que juge dans les procès. Nuria Verdet Martínez, « Francisco Jerónimo de León. Cultura política y práctica administrativa en la Valencia de los Austrias menores », thèse de doctorat, université de Valence, 2014, p. 90-111.

17 M. Bellomo, The Common Legal Past of Europe…, op. cit., p. 97.

18 H. C. Lea, A History of the Inquisition…, vol. 2, op. cit., p. 482. L’expression est répétée à de nombreuses reprises dans les quatre volumes.

19 Tiberio Deciano, Tractatus criminalis D. Tiberii Deciani utinensis, comitis, equitisque, ac celeberrimi juris utriusque consulti… duobusque tomis distinctus, omnibusque plane cum in foro, tum in scholis versantibus, non minus necessarius quan utilis…, Turin, apud haeredem Nicolai Bevilaquae, 1593, vol. 1, lib. 5, chap. 20, Haeresis specialia, §41, fol. 208v.

20 Prospero Farinaccio, Tractatus de haeresi, in quo per questiones, regulas, ampliationes, limitationes quidquid jure civili et canonico, quidquid Sacris Consiliis, Summorumque Pontificum constitutionibus sancitum et communiter in ea materia receptum, quidquid denique in praxi servandum, brevi methodo illustratur, cum argumentis, summariis et indice locupletissimo, Anvers, apud Ioannem Keerbergium, 1616, Quaestio CLXXIX, §8.

21 Giorgia Alessi Palazzolo, Prova legale e pena. La crisi del sistema tra evo medio e moderno, Naples, Jovene, 1979.

22 Tomás de Torquemada, Instructions à Séville, 1484, §13. Voir Miguel Jiménez Monteserín, Introducción a la Inquisición española. Documentos básicos para el estudio del Santo Oficio, Madrid, Editora Nacional, 1981, p. 86-105 et Consejo de Inquisición, Compilacion de las Instrucciones del Oficio de la Santa Inquisición, hechas por el muy Reverendo Señor Fray Tomás de Torquemada…, Madrid, Diego Diaz de la Carrera, 1667, fol. 3r-9r.

23 T. Deciano, Tractatus criminalis…, op. cit., vol. 1, lib. 5, cap 20, Haeresis specialia, §54, fol. 249v.

24 Ibid., §33, fol. 247r.

25 Jean-Pierre Dedieu, L’administration de la foi. L’Inquisition de Tolède, xvie- xviiie siècle, Madrid, Casa de Velázquez, 1989, p. 144.

26 P. Farinaccio, Tractatus de haeresi…, op. cit., Quaestio CLXXIX – 3, §23.

27 Ibid., Quaestio CLXXIX – 4, §39 et 40.

28 Antonio Montes de Porres, Suma Diana recopilados en romance todos los onze tomos del R. P. D. Antonino Diana…, Madrid, Melchor Sanchez, 1657, p. 345.

29 Madrid, Archivo histórico nacional (ci-après AHN), Inquisición (ci-après Inq.), leg. 1931, exp. 15, Relación, n. d.

30 P. Farinaccio, Tractatus de haeresi…, op. cit., Quaestio CLXXIX – 3, §23.

31 A. Montes de Porres, Suma Diana…, op. cit., p. 344.

32 P. Farinaccio, Tractatus de haeresi…, op. cit., Quaestio CLXXIX – 3, §29-33.

33 AHN, Inq., leg. 1988, exp. 67, Relación, n. d.

34 Voir ci-dessous la différence entre acquittement et suspension.

35 AHN, Inq., lib. 730, Relación, fol. 315r-v, n. d.

36 A. Montes de Porres, Suma Diana…, op. cit., p. 344.

37 AHN, Inq., lib. 1245, fol. 68v-69r, n. d.

38 Voir J.-P. Dedieu, « De l’adhésion à la connaissance. Vie religieuse et pastorale catholique », in L’administration de la foi, op. cit., p. 35-54, §31.

39 Jaime Contreras, Pouvoir et Inquisition en Espagne au xvie siècle, trad. par B. Vincent, Paris, Aubier, [1992] 1997 ; Juan Ignacio Pulido Serrano, Injurias a Cristo. Religión, política y antijudaísmo en el siglo xvii, Alcalá de Henares, Universidad de Alcalá, Servicio de publicaciones, 2002 ; Ricardo García Cárcel, Herejía y sociedad en el siglo xvi. La Inquisición en Valencia, 1530-1609, Barcelone, Península, 1980 ; id., Orígines de la Inquisición española. El tribunal de Valencia, 1478-1530, Barcelone, Península, [1976] 1985.

40 Gustav Henningsen, The Witches’ Advocate: Basque Witchcraft and the Spanish Inquisition, 1609-1614, Reno, University of Nevada Press, 1980. L’affaire Lucero mérite encore à ce jour une analyse exhaustive. Voir John Edwards, « Trial of an Inquisitor: The Dismissal of Diego Rodríguez Lucero, Inquisitor of Córdoba, in 1508 », Journal of Ecclesiastical History, 37-2, 1986, p. 240-257 ; Ana Cristina Cuadro García, « Acción inquisitorial contra los judaizantes en Córdoba y crisis eclesiástica (1482-1508) », Revista de historia moderna, 21, 2003, p. 11-28 ; John Edwards, The Inquisitors: The Story of the Grand Inquisitors of the Spanish Inquisition, Stroud, Tempus, 2007, p. 41-55 ; H. C. Lea, A History of the Inquisition…, op. cit., vol. 1, p. 189-211.

41 La première audience du procès de foi en forme, à partir de 1540, était généralement consacrée à un interrogatoire détaillé des accusés au sujet de leurs parcours de vie et de leur connaissance de la doctrine et des prières chrétiennes. Les Instructions de Fernando de Valdes de 1560 rendirent obligatoire cet interrogatoire. Voir Jean-Pierre Dedieu, « ‘Christianisation’ en Nouvelle Castille. Catéchisme, communion, messe et confirmation dans l’archevêché de Tolède, 1540-1650 », Mélanges de la Casa de Velázquez, 15, 1979, p. 261-294.

42 Gunnar W. Knutsen, « Religious Life in Seventeenth Century Norway Seen through the Eyes of the Spanish Inquisition », Arv. Nordic Yearbook of Folklore, 61, 2005, p. 7-23 ; id., « El Santo Oficio de la Inquisición en Barcelona y soldados protestantes en el ejército de Cataluña », Estudis : Revista de historia moderna, 34, 2008, p. 173-188 ; Pauline Croft, « Englishmen and the Spanish Inquisition, 1558-1625 », The English Historical Review, 87-343, 1972, p. 249-268 ; Werner Thomas, Los protestantes y la Inquisición en España en tiempos de Reforma y Contrareforma, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2001.

43 Dans les faits, de tels cas auraient dû être relaxés. La doctrine est explicite sur ce point. Néanmoins, au cours de notre travail sur l’EMID, nous avons trouvé plusieurs cas où les défendeurs avaient été réconciliés plus d’une fois. Par exemple, Ana Súarez fut réconciliée à Carthagène des Indes pour sorcellerie en 1634, et de nouveau en 1650. En 1636, elle fut encore acquittée du délit d’avoir rompu son bannissement après sa condamnation en 1634. AHN, Relaciones, Inq., lib. 1020, fol. 313r-359r et 453r-485r, et lib. 1021, fol. 157r-230v et 235r-269v, n. d.

44 AHN, Inq., lib. 1245, fol. 68r et 70r, n. d.

45 Si l’accusé avait démontré judiciairement la fausseté des témoignages le visant, et non simplement leur insuffisance, il était acquitté, sans que l’on puisse plus tard rouvrir ce dossier-là contre lui.

46 AHN, Inq., leg. 2853, Relación, « Memoria de los reos que salieron en el auto particular de fe que el Santo Oficio de la Inquisición de la ciudad y reino de Murcia celebró el día treinta de noviembre de 1724 en la iglesia del convento de San Francisco de dicha ciudad », n. d.

47 Sur l’importance du libre arbitre dans les questions de foi, voir Isabelle Poutrin, « La conversion des musulmans de Valence (1521-1525) et la doctrine de l’Église sur les baptêmes forcés », Revue historique, 648-4, 2008, p. 819-855.

48 J.-P. Dedieu, L’administration de la foi, op. cit., p. 74-95.

49 Madrid, Biblioteca nacional de España (BNE), mss/5760, Anonyme, « Manual práctico para inteligencia y prompto despacho de causas y expedientes que regularmente suelen ocurrir en el Santo Oficio de la Inquisición », n. d. [fin du xviie siècle ?], p. 331.

50 Stefania Pastore, Il vangelo e la spada. L’inquisizione di Castiglia e i suoi critici, 1460-1598, Rome, Ed. di storia e letteratura, 2003, p. 63-75, notamment p. 99 et 208-214.

51 Arnaud Fossier, Le bureau des âmes. Écritures et pratiques administratives de la Pénitencerie apostolique, xiiie- xive siècle, Rome, École française de Rome, 2018, p. 618. Voir également, dans le présent numéro, le compte rendu de cet ouvrage par Ninon Dubourg, https://doi.org/10.1017/ahss.2023.50.

52 Pablo García, Orden que comunmente se guarda en el Santo Oficio de la Inquisición acerca de procesar en las causas qu’en el se tratan…, Valencia, Antonio Bordazar, 1737, p. 14.

53 J. Contreras, Pouvoir et Inquisition…, op. cit.

54 G. Henningsen, The Witches’ Advocate, op. cit.

55 J. I. Pulido Serrano, Injurias a Cristo, op. cit.

56 Jean-Pierre Dedieu, « La información de limpieza de sangre », in S. Muñoz Machado (dir.), Los grandes procesos de la historia de España, Barcelone, Crítica, 2002, p. 193-208. La tension qui se résout, dans le cas des informations de pureté de sang, en faveur de l’intégration, se résout dans d’autres contextes en faveur de la fermeture, comme l’ont bien montré Jean-Frédéric Schaub et Silvia Sebastiani dans Race et histoire dans les sociétés occidentales ( xve- xviiie siècle), Paris, Albin Michel, 2021. Tout est affaire de circonstances.

57 J.-P. Dedieu, « La información de limpieza de sangre », art. cit., p. 193-208.

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Figure 1 Figure 1 – Procédure judiciaire formelle du procès de foi inquisitorial,Espagne, début du xvie siècleLégende : Zone bleue : audiences ad libidum. Lesinquisiteurs pouvaient garder les accusés en détention sans limite de temps etles faire comparaître à l’audience aussi souvent qu’ils le voulaient. Ils’agissait d’un moyen d’action psychologique essentiel pour obtenir laconversion.

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Figure 2 Figure 2 – La juridiction ecclésiastique et ses divisions

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Figure 3 Figure 3 – Les trois axes du procès de foi inquisitorial