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Les territoires gagnés de la République ? Chroniques de trois années de bricolage municipal face à la question religieuse en banlieue Arnaud Lacheret, Lormont : Le Bord de l'eau : 2019, pp. 168

Published online by Cambridge University Press:  28 September 2021

Yves Laberge*
Affiliation:
Centre de recherche en éducation et formation relatives à l'environnement et à l’écocitoyenneté (Université du Québec à Montréal)
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © The Author(s), 2021. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Le premier livre d'Arnaud Lacheret porte sur une des banlieues de France dans lesquelles les forces de l'ordre n'osaient plus se rendre en raison des tensions qui y régnaient, en région lyonnaise. Politicologue, l'auteur est directeur de la French Arabian Business School de l'Arabian Gulf University, au Bahrein.

Les territoires gagnés de la République ? se subdivise en douze chapitres qui tentent de montrer les stratégies et les compromis pour répondre aux diverses demandes des communautés religieuses, sans pour autant dévier des devoirs de la neutralité républicaine. Au Québec, on emploierait à ce propos l'expression « d'accommodements raisonnables » et les comparaisons avec les problèmes et solutions en usage en France pourraient certainement nous intéresser. En se concentrant sur sa propre expérience de travail de non-élu œuvrant dans l'administration municipale à Rillieux-la-Pape (19), Arnaud Lacheret décrit de l'intérieur la situation particulière de cette banlieue tourmentée, dans un contexte où l’élection d'un nouveau maire (en 2014) avait entraîné « une forte hausse du nombre des incendies de véhicules pendant les quelques jours qui suivirent les élections » (36). L'auteur se veut optimiste et décrit comment sa municipalité a pu parvenir à une « bonne entente » afin d'accommoder les minorités installées dans ces banlieues. Il y est successivement question de « l'air du temps », si l'on ose dire, par exemple après les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, ou encore des menus pour les élèves (dans les garderies et les écoles publiques), subtilement conçus pour tenir compte des exigences des enfants issus de l'immigration (115). Un autre chapitre traite d'une marche des femmes organisée dans un secteur infréquentable et autour d'un café fréquenté principalement par des clients masculins, où les dames sont habituellement peu visibles, afin de tenter de conscientiser les commerçants du secteur sur cette réalité inquiétante, mais banalisée puisqu'on la retrouve aussi dans plusieurs régions de la France (141). Les questions d'ethnicité, d'immigration et d'intégration, de l’égalité des sexes et de l'acceptation des femmes sont largement évoquées dans un contexte où les principes de la République, qui impliquent de placer la Loi des hommes au-dessus de la Loi de Dieu, sont à la fois fondateurs, contestés et souvent rejetés systématiquement par une proportion impressionnante de croyants-pratiquants vivant en France. Il en découle une méfiance envers les institutions de la République, et inversement une forte adhésion envers les influenceurs et leaders spirituels. Inévitablement, on se reformule la question énoncée dans le titre pour se demander sur quoi ces territoires auraient été regagnés et comment ceux-ci auraient auparavant été « perdus ». L'auteur n'y répond pas toujours.

Dans cet exercice pouvant parfois s'apparenter à de l'observation participante, le style d'Arnaud Lacheret apparaîtra plutôt indulgent, souvent conciliant, avec quelquefois ce réflexe, peut-être inconscient, de vouloir relativiser certains constats qui devraient pourtant inquiéter les banlieusards: « le nombre de fichés S ne semble pas être particulièrement important (même si nous ne le connaissons pas précisément…) » (34). En France, un « fiché S » désigne un individu, pas forcément citoyen français, considéré comme potentiellement dangereux et devant être surveillé par les forces de l'ordre. Sur le même ton conciliant, on lira plus loin que le Président et le Premier Ministre français « sont parfois raillés pour leur participation à des ruptures du jeûne à l'invitation de personnalités ou d'institutions musulmanes, mais ces critiques ne font pas long feu » (35). Or, l'auteur nous avait prévenu dès les premières pages par un constat de demi-échec des initiatives émanant des administrations précédentes pour réaffirmer les fondements mêmes de la République et du principe de la séparation de l’État et des religions; selon lui: « Vouloir imposer la République brutalement n'aura strictement aucune chance de donner des résultats » (19). Sur un ton optimiste, Arnaud Lacheret préfère se représenter le verre comme étant « à moitié plein ». Et il reconnaît par ailleurs que dans le cadre de ses observations, établies sur plusieurs années, « Nous nous situons dans des secteurs où l’État de droit est à géométrie variable » (21). En lisant ce livre, on se demande parfois si ce propos est révélateur, symptomatique, ou s'il fait partie d'un problème plus large et mal circonscrit. Ce sont autant d'invitations à poursuivre la recherche sur ces questions.

Même si l'exercice n'est pas toujours convaincant et se concentre parfois sur des cas isolés, Les territoires gagnés de la République ? s'inscrit résolument dans un débat beaucoup plus large sur la compréhension des fondements de la laïcité républicaine dans la France du 21e siècle, débat qui n'est d'ailleurs pas près de se terminer; à preuve, seulement quelques mois plus tard, le professeur Bernard Rougier a publié aux PUF une nouvelle variation sur le même thème: Les territoires conquis de l'islamisme (2020), tandis que Jean-Pierre Obin faisait paraître Comment on a laissé l'islamisme pénétrer l’école (Paris, Éditions Hermann, 2020). Non, ce débat n'est pas clos.