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Big Data electoral. Dis-moi qui tu es, je te dirai pour qui voter Anaïs Theviot, Lormont, France : Éditions Le bord de l'eau (collection Territoires du politique), 2019, pp. 200

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Big Data electoral. Dis-moi qui tu es, je te dirai pour qui voter Anaïs Theviot, Lormont, France : Éditions Le bord de l'eau (collection Territoires du politique), 2019, pp. 200

Published online by Cambridge University Press:  09 December 2020

Philippe R. Dubois*
Affiliation:
Université Laval (philippe.dubois.3@ulaval.ca)
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © The Author(s), 2020. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

L'association entre politique et « big data » est désormais bien connue du grand public, particulièrement depuis le scandale Cambridge Analytica. Beaucoup s'inquiètent d'ailleurs des conséquences de leur utilisation, alors que d'autres vantent leurs mérites. Dans Big Data electoral. Dis-moi qui tu es, je te dirai pour qui voter, la spécialiste de la politique en ligne Anaïs Theviot (Université catholique de l'Ouest) se penche sur la question en étudiant le rôle des données dans les élections françaises.

Trois objectifs guident l'ouvrage. Premièrement, Theviot propose un tour d'horizon de l'utilisation des données par les principaux partis. Deuxièmement, l'auteure dit vouloir comprendre comment les « travailleurs de la donnée » sont devenus incontournables en politique. Finalement, elle annonce son désir de « déconstruire les fantasmes » quant à l'utilité réelle du « big data » en politique. Ce livre est donc à la fois une entrée en matière sur le sujet et une analyse critique du phénomène.

Sur la plan méthodologique, l'ouvrage mobilise 77 entrevues semi-dirigées réalisées à l'occasion de deux élections présidentielles (2012 et 2017) et d'une primaire de la droite et du centre (2016). Les participants, des « professionnels de la communication numérique », sont affiliés au Parti socialiste, à l'UMP/Les Républicains, et dans une moindre mesure à La République en marche. L'ouvrage traite cependant peu de ce parti. S'ajoutent à cela « une vingtaine » d'entrevues réalisées avec du personnel d'entreprises offrant des services liés aux données politiques, dont Liegy Muller Pons et NationBuilder. Cette mise en relation entre les discours des prestataires de services et celui de leurs clients s'avère particulièrement intéressante.

L'ouvrage est constitué de trois chapitres. Le premier présente un survol descriptif de l'utilisation du Web à des fins électorales en France. À l'aide de plusieurs exemples, Theviot illustre l’évolution tantôt hésitante, tantôt sinueuse des pratiques numériques des grands partis français. L'utilisation de nombreuses captures d’écran est particulièrement appréciée.

Le second chapitre propose « d'ouvrir la boîte noire de la data analytics » pour y « déconstruire les fantasmes autour de la "révolution" des big data » (75–76). Theviot ne manque pas de souligner que la collecte de renseignements sur l’électorat n'est pas chose nouvelle. L'auteure montre comment les acteurs de la donnée français se revendiquent des pratiques étasuniennes (sans les reproduire fidèlement). Cette rhétorique, associée à la modernité et à l'efficacité, est aussi mobilisée par les partis afin de contribuer à la « mise en scène » de leur campagne (86). On y expose aussi le fonctionnement des outils technologiques utilisés par les candidats et comment ils sont utilisés dans l'espoir d'optimiser les élections, à défaut de pouvoir les prédire.

L'ultime chapitre porte plus spécifiquement sur la période 2012–2017. Pour Theviot, la campagne présidentielle de François Hollande a cristallisé la croyance en l'efficacité des données massives, propulsant un nouveau marché d'acteurs commerciaux (119). Elle décrit aussi la transformation du rôle des données au sein des organisations partisanes : de simple appui aux actions de communication, elles sont devenues centrales et incontournables.

Dans l'ensemble, Theviot dresse un portrait mitigé du rôle que joue les « big data » en politique française : « les machines, croisant une masse de données incroyable, ne remplacent pas la stratégie politique et donc le conseil politique » (175–176). Pour elle, cette efficacité tant vantée n'est pas à la hauteur des pouvoirs prédictifs que plusieurs lui attribuent. Jusqu'ici, elle ne constate pas de révolution des pratiques électorales dans l'Hexagone.

L'ouvrage, bien rédigé et agréable à lire, atteint les objectifs énoncés. En plus d’être une bonne introduction au sujet, il présente un panorama bien documenté de l'utilisation des données à des fins électorales.

Certes, les détails méthodologiques demeurent limités. Il aurait été intéressant de joindre en annexe les informations sur la sélection des participants aux entretiens et la méthode d'analyse. Soulignons aussi que l'ouvrage, essentiellement descriptif, aurait sans doute bénéficié d'un cadre théorique mieux défini permettant de contextualiser les pratiques étudiées tout en donnant une portée plus explicative à la démarche de l'auteure.

En revanche, l'utilisation judicieuse des entretiens contribuent réellement à l'argumentaire. La mise en parallèle du discours des prestataires de services avec celui des utilisateurs permet de porter un regard inédit sur la stratégie politique « orientée données » en France.

Trois éléments appuient la pertinence de ce livre. D'abord, c'est sans doute l'ouvrage francophone le plus complet à ce jour portant sur les campagnes de données. Ensuite, il offre une occasion de valider les observations faites en contexte étasunien, dominant dans la discipline. Sa lecture en parallèle à d'autres travaux comme Presidential Campaigning in the Internet Age (Stromer-Galley, Reference Stromer-Galley2019) s'avère particulièrement instructive, permettant la comparaison de l’évolution des campagnes numériques au niveau présidentiel. Finalement, plusieurs observations de Theviot représentent des avenues de recherche prometteuses. C'est le cas notamment des facteurs qu'elle identifie comme des freins à l'adoption de stratégies électorales basées sur les données. Elle parle entre autres des « pesanteurs partisanes » et autres chasses gardées typiques des partis traditionnels ainsi que de leurs élites, souvent réfractaires aux changements. Théviot nous offre ici quelques pistes intéressantes à explorer.

References

Bibliographie

Stromer-Galley, Jennifer. 2019. Presidential Campaigning in the Internet Age (deuxième édition). Oxford : Oxford University Press.CrossRefGoogle Scholar