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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  14 February 2024

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l’EHESS

Alexis Lycas

Production et circulation des savoirs locaux dans les documents géographiques de Dunhuang à l’époque médiévale

Comment travaillent les fonctionnaires et géographes médiévaux postés en Asie centrale, dans une préfecture située aux confins du monde impérial chinois ? Comme ailleurs, ils produisent des écritures grises afin d’informer le pouvoir central et leurs successeurs de leur gestion administrative et de la situation sociale de la zone dont ils ont la charge. Cette paperasse n’était logiquement pas destinée à être conservée. Cependant, la découverte fortuite de milliers de manuscrits emmurés à Dunhuang présente à l’historien et à l’historienne une dizaine d’écrits géographiques locaux susceptibles de combler les blancs d’une production scripturaire importante mais méconnue. L’analyse proposée dans cet article suit une trajectoire double. Elle s’attelle d’une part à montrer la codification de genres géographiques comme les guides et les traités illustrés, dont peu d’éléments matériels sont connus. D’autre part, elle dévoile les indices qui attestent une richesse typologique indéniable, à travers la présence de topographies et de récits narratifs. L’étude de ces manuscrits souligne combien la circulation du savoir géographique était tant verticale qu’horizontale, et bien plus complexe que l’image héritée de l’historiographie impériale. Ce travail permet de réévaluer les débuts du tournant local dans la production des savoirs bureaucratiques, de caractériser l’affirmation du rôle des acteurs locaux en dépit d’un anonymat de façade et de mettre en évidence la manière dont se construit une localité dans la Chine médiévale.

The Production and Circulation of Local Knowledge in Medieval China: The Geographical Documents of Dunhuang

How did medieval officials and geographers work in Central Asia, in a prefecture located at the edge of the Chinese Empire? As elsewhere, they produced pragmatic writings to inform both the imperial center and their successors about their bureaucratic administration and the social situation in the area they oversaw. Such paperwork was not, of course, intended to be preserved. However, the chance discovery of thousands of manuscripts walled up in Dunhuang has furnished historians with a small collection of local geographical texts that can tell us much about this important but little-known scriptural production. This article proposes a twofold analysis. First, it demonstrates the codification of geographical genres such as illustrated guides and treatises, for which we have no material evidence beyond Dunhang. Second, it points to evidence of an undeniable typological richness, based on the presence of topographies and narrative accounts. The study of these manuscripts reveals that the circulation of geographical knowledge was both horizontal and vertical, and far more complex than the vision inherited from imperial historiography. It also makes it possible to reassess the beginnings of the local turn in the production of bureaucratic knowledge, to foreground the growing role of local actors behind seemingly anonymous documents, and to highlight how a locality was constructed in medieval China.

David Bramoullé

Archives et État dans l’Orient islamique (note critique)

Loin de se limiter à fournir des informations relatives aux communautés juives de l’Égypte médiévale, les documents dits de la Genizah du Caire contiennent de très nombreuses pièces d’archives de l’administration du califat fatimide (910-1171) lors de sa phase égyptienne (973-1171). Considéré comme l’un des califats les plus puissants de son temps, le fonctionnement de son administration n’était jusqu’à présent connu qu’à travers quelques manuels de chancellerie rédigés au xiie siècle et édités. Ces textes, composés par des administrateurs fatimides, offrent soit des données techniques et très spécifiques qu’il est difficile de généraliser soit une tentative de réforme d’une administration considérée entre les lignes comme sinon défaillante en tout cas amendable. Marina Rustow se propose de comparer les différentes pièces d’archives fatimides retrouvées dans le corpus de la Genizah du Caire avec certains manuels de chancellerie afin d’éclairer les procédures administratives fatimides. Son objectif est de mettre en évidence le caractère moderne et même wébérien, selon ses termes, de l’administration fatimide afin de rompre avec ce qu’elle considère comme une idée reçue, à savoir que les administrations califales médiévales, aux mains de despotes orientaux, n’auraient pas été capables de créer des archives et des procédures standardisées d’administration et d’archivage. Cette approche, en tout point novatrice, permet à l’autrice des conclusions très intéressantes et audacieuses qui doivent toutefois être nuancées.

Archives and the State in the Islamic East (Review Article)

Although renowned for providing information on the Jewish communities of medieval Egypt, the documents known as the Cairo Genizah also contain numerous archives produced by the administration of the Fatimid Caliphate (910–1171) during its Egyptian phase (973–1171). Considered one of the most powerful caliphates of its time, the workings of this administration were previously known only through a few chancellery manuals written in the twelfth century and available in modern editions. These texts, composed by Fatimid administrators, concern either highly specific technical data that are difficult to generalize or attempts to reform an administration implicitly seen as flawed or at least improvable. Marina Rustow sets out to compare the various Fatimid documents found in the Cairo Genizah corpus with a selection of chancellery manuals to shed light on the caliphate’s administrative procedures. Her goal is to highlight its modern and even what she calls “Weberian” nature, and in so doing to challenge the preconception that medieval caliphal administrations, in the hands of Eastern despots, were incapable of creating standardized administrative and archival procedures. This innovative approach leads Rustow to draw interesting and original conclusions that must nevertheless be nuanced.

Marilyn Nicoud

À l’épreuve de la peste. Médecins et savoirs médicaux face à la pandémie (xive-xve siècles)

Longtemps dénigrée pour son incapacité à guérir et à comprendre les mécanismes de diffusion de la maladie, la littérature de temps de peste, rédigée en grand nombre à partir du milieu du xive siècle, mérite d’être réexaminée pour ce qu’elle représente : une tentative de réponse à un défi intellectuel et social majeur qui met en péril la survie des sociétés européennes. L’effort d’objectivation des médecins médiévaux, majoritairement formés dans les universités, s’y conjugue à un souci de prévention et à des conseils thérapeutiques, fruits de l’expérience répétée de crises épidémiques. Rédigés à la demande d’autorités publiques ou d’individus soucieux de bénéficier de conseils, ces traités contre la peste témoignent de la place qu’occupe, aux derniers siècles du Moyen Âge, le métier médical dans les questions de santé et des efforts de la profession pour se construire une image d’expert.

Tested by Pestilence: Physicians and Medical Knowledge in the Face of the Pandemic (Fourteenth and Fifteenth Centuries)

The plague literature produced in abundance from the mid-fourteenth century onwards has long been disparaged for its inability to propose a cure or comprehend the mechanisms by which the disease spread. It nevertheless merits reconsideration as an attempt to address a major intellectual and social challenge that jeopardized the survival of European societies. In these texts, the efforts of medieval physicians, principally trained in the universities, to produce an objective analysis were combined with an interest in prevention and therapeutic guidance derived from the repeated experience of epidemics and the crises they induced. Written at the request of public authorities or individuals seeking advice, these treatises against the plague bear witness to the role of the medical profession in health-related matters during the late Middle Ages, and to its endeavors to construct an identity based on expertise.

Oded Rabinovitch

Hommes de lettres et révolution scientifique. Genèse d’un récit au temps de Louis XIV

Au contraire d’autres mouvements équivalents, le mouvement scientifique né dans l’Europe du xviie siècle s’inscrivit dans la durée au lieu de s’essouffler au bout de quelques générations. Afin de comprendre cette persistance, cet article s’appuie sur le cas de la France au temps de Louis XIV (r. 1643-1715). Il soutient que les hommes de lettres ont joué un rôle crucial dans la légitimation du mouvement scientifique naissant. Ces hommes de lettres, qui jouissaient d’une affinité sociale, intellectuelle et esthétique avec la « nouvelle science », tissèrent le récit du progrès scientifique en mettant en avant l’idée d’une rupture radicale avec le passé. Défenseurs des idées modernes ou des modèles classiques, ils diffusèrent ce récit au sein de l’élite culturelle, mobilisant penseurs, découvertes et instruments scientifiques de leur époque à travers des débats variés. Ce faisant, ils forgèrent le récit d’une « révolution scientifique », qui exerça une profonde influence sur l’histoire sociale et culturelle de la science moderne.

How Men of Letters Invented a Scientific Revolution: The Emergence of a Narrative in the Age of Louis XIV

In contrast to other scientific renaissances, the culture forged in seventeenth-century Europe became an enduring phenomenon rather than dissipating in a few generations. In an effort to understand the persistence of European science, this article uses the case study of France under Louis XIV (r. 1643–1715) to argue that men of letters played a crucial role in the legitimation of the nascent scientific movement. These men of letters enjoyed a social, intellectual, and aesthetic affinity with the “new science” and developed a narrative of scientific change that foregrounded the idea of a radical break with the past. They diffused this narrative among the cultural elite, mobilizing recent thinkers, discoveries, and scientific instruments as they participated in wide-ranging debates, regardless of whether they supported modern innovations or classical models. In so doing, they invented the narrative of a “scientific revolution,” a construction that has wielded a profound influence over the social and cultural history of European science.