Au moment où les Annales ont ouvert leur heureuse « enquête sur les noblesses », nous orientions déjà nos études sur les patriciens, puissants personnages ou, comme l'on disait, « Magnifiques Seigneurs », des Républiques et des principales municipalités, ancêtres de l'élite que fut la grande bourgeoisie du XIXe siècle.

Notre premier sujet d'études fut l'ancienne République de Gênes dirigée d'abord par des viscomtiles et un patriciat aristocratique, puis par des éléments qui leur furent hostiles, les popolari, « nobles » eux aussi à cause de leur participation aux hautes charges publiques. Des efforts en vue de mettre un terme aux compétitions entre familles en les fusionnant par groupes, durent être abandonnés. La lutte se précisa entre « anciens » et « nouveaux » nobles, au cours d'une période de forte ploutocratie, pour aboutir à la déconsidération des uns et des autres, et finalement à la destruction du « Livre d'or » lors de l'arrivée de l'armée française (1796).

La navigation fluviale a été en France, jusqu'au milieu du siècle dernier, le grand mode de communication. Le Rhône, par la puissance de ses eaux, sa jonction avec le réseau navigable du territoire, joua dans l'économie du pays un rôle qui a été défini par Strabon à l'époque d'Auguste. Il ne changea point jusqu'au second Empire, qui marque, mieux que le moyen âge, en ce domaine, la coupure entre les mondes antique et moderne.

La fonction d'Arles était essentiellement celle d'un port de fleuve en liaison avec la mer. Ce caractère très particulier mérite d'être souligné, dans cette Provence qui ne semble être méditerranéenne, comme on l'a écrit très justement, que par son climat.

Les Annales, dès l'origine, ont apporté aux problèmes monétaires dans le passé et le présent, une toute particulière attention. Inutile de rappeler ici l'imposante série de leurs articles monétaires — depuis l'Enquête sur l'Or et les remarquables articles de Mickwitz (l'Antiquité) ; de Marc Bloch (le Moyen Age) ; de F. Gautier (le Soudan) ; de Gutmann (Les temps contemporains et le Problème international de l'Or) jusqu'à cette série novatrice d'articles sur les monnaies qui, partant de la discussion critique par Marc Bloch d'un problème capital (Economie-nature ou Economie-argent) se continue avec les éludes de Van Werveke sur les Instruments d'Echange aux XIe et XIIe siècles ; de SAYOUS, sur La Monnaie à Gênes aux XIIe et XIIIe siècles ; de Hamilton sur La Monnaie en Gastille au temps des Rois Catholiques pour aboutir aux temps contemporains avec le mémoire d'Houdaille sur Les Vicissitudes du franc français, et l'article solide de Matsukoa sur Un Etalon monétaire fondé sur le change-or (le Japon).

Cinquante mille Sociétés coopératives, vingt millions d'adhérents, et même soixante millions, si l'on tient compte de l'Union Soviétique : peu de sociétés, dans le monde, peuvent s'enorgueillir d ‘ un nomhre semblable de fidèles librement recrutés. Entre les deux guerres, en effet (celle de 1914-1918 et celle de 1939…), l'essor des coopératives de consommation fut rapide. Il a cependant peu frappé l'observateur ou géographe. Si des revues spéciales se consacrent à son étude, elle touchent peu le public lettré ; et les revues les plus lues ne lui font que peu de place. Avec ses innombrables incidences industrielles, agricoles, maritimes, et aussi politiques, sociales, intellectuelles, il nous semble pourtant mériter quelque attention.

Il n'y a pas lieu de répéter pour les lecteurs des Annales ce qui a été exposé excellemment par Pierre Monbeig (La réforme agraire en Espagne, Annales d'histoire économique et sociale, V, 1933, 541-560) sur la situation agraire de l'Espagne en 1931, à la chute de la royauté. Rappelons seulements que les traits essentiels de la structure rurale étaient les suivants :

1° Un pays de cinquante millions d'hectares dont vingt seulement étaient cultivés et, parmi ces vingt, un million seulement irrigué : en d'autres termes, deux cinquièmes seulement du sol utilisables et un vingtième de ces deux cinquièmes ou un cinquantième du total en plein rendement. Reconstitution du sol ici, travaux hydrauliques là étaient donc les problèmes préjudiciels à résoudre.

On s'était haibitué à penser assez communément, dans les dernières années du XIXe siècle, que la Révolution des Prix s'était propagée d'Espagne aux autres pays par étapes successives, et, qu'après s'être tout d'abord fait sentir en Franche-Comté et aux Pays-Bas, pays placés plus ou moins directement sous l'obédience du Roi Catholique, elle avait atteint successivement, et dans cet ordre, l'Italie, la France et finalement l'Europe Centrale et l'Angleterre. Cette opinion commune n'est pas fondée, nous dit, au seuil d'un remarquable travail sur la Révolution des Prix à Florence, M. Giuseppe Parenti.

Les Annales sont bien en retard pour signaler à leurs lecteurs la traduction française, sous le titre de : L'homme et les métaux, du livre de T.-A. Rickard : Man and Metals. Livre de technicien, d'ingénieur qui a beaucoup voyagé et beaucoup pratiqué ; livre dense, copieux, serré — qu'une typographie un peu aride ne rend pas plaisant à la vue, qu'aucun croquis, aucun tableau n'éclaire, aucune reproduction non plus — mais qui cependant offre l'intérêt d'un roman, ou, si l'on veut, d'une épopée du labeur humain.

Le curieux livre que M. Robert-Léon Wagner intitule Sorcier et Magicien, et qui représente une intéressante Contribution à l'histoire du vocabulaire de la Magie, abonde en textes notables et en remarques utiles. Il repose sur un travail de dépouillement et d'inventaire considérable. Et cependant, il laisse dans l'esprit du lecteur une impression un peu déconcertante d'ambiguïté.

Etude de vocabulaire : dès la première ligne, elle est placée sous l'invocation de Ferdinand Brunot. Mais étude partielle — car, si elle eût prétendu embrasser tout le vocabulaire de la magie, elle eût excédé de beaucoup, nous dit l'auteur, les limites normales d'une thèse secondaire. Donc, elle se restreint justement au « problème posé par la naissance du mot magicien et par sa coexistence en français avec le mot sorcier.

Voici, coup sur coup, dans la série dos Schriften für deutsches Recht, trois nouveaux volumes de Germanenrechte : les lois des Visigoths ou du moins, les plus anciennes, celles d'Euric et de Léovigild, seules retenues comme étant, nous dit-on, les plus proches du primitif esprit germanique ; deux recueils suédois, le coutumier de Westrogothie, qui est du milieu du XIIIe siècle, et le code royal de l'Upland, promulgué en 1276 ; la grande compilation islandaise, couramment dénommée « Grâgâsi ». Des lois visigothiques, nous avons le texte avec la traduction ; des documents Scandinaves, la traduction seulement.

Henri Bullinger, le successeur et continuateur de Zwingli, le patriarche de la Réforme à Zurich ; Henri Bullinger, l'irénique et l'œcuménique, qui pendant des années, à la tête d'une des églises dirigeantes, de la Réforme, fit preuve des plus belles et des plus humaines qualités ; Henri Bullinger, l'auteur de cette précieuse Correspondance qui a la valeur non pas tant d'un témoignage direct et personnel sur un homme, que d'une sorte d'ample recueil journalistique sur les événements d'une époque troublée. — Henri Bullinger, est-ce vraiment un beau sujet d'études historiques, ou un faux beau sujet ?

Le sentiment moral varie suivant les classes, et peut-être y a-t-il un rapport entre une certaine exacerbation de puritanisme et d'ascétisme, entre une dureté et même une cruauté absolues dans les jugements portés sur le prochain, surtout Sur un groupe d'une situation plus élevée, et le clivage social tel qu'il apparaît à tels moments de l'histoire.

Sur ce thème, Svend Ranulf soutient une thèse, savoir qu'il existe une indignation morale, c'est-à-dire « une disposition désintéressée à punir, à aider à la piunition des criminels » et qu'elle résulte d'une sorte d'envie déguisée, propre à la petite bourgeoisie, plus exactement à la partie inférieure de la classe moyenne (lower middle class).

« Capitalisme pas mort ! » En d'autres temps le lecteur du gros livre que Jean Lejeune vient de publier sur la vie économique à Liège et dans la principauté au XVIe siècle, aurait pu s'amuser à résumer ainsi, au sortir d'une lecture profitable, les 350 pages substantielles que livre à ses réflexions un jeune historien plein d'ardeur. Entendez que le titre même du livre met l'accent sur le gros mot en isme dont nous étudions ici même la genèse, il n'y pas bien longtemps. La formation du Capitalisme moderne dans la Principauté de Liège au XVIesiècle, c'est un beau sujet ; et ce qu'il y a d'un peu dogmatique, voire de scolastique dans la formule a paru, j'imagine, à l'auteur, propre à conférer à sa belle et bonne étude d'histoire régionale une dignité superéminente. Le profit est-il vraiment aussi grand qu'il l'a cru ? Je n'en sais trop rien ; mais nous y reviendrons.

Les événements donnent une tragique actualité au livre de R. Winkel sur la Vistule, — le premier que l'on ait consacré à ce grand fleuve de l'Europe Orientale. Souhaitons que, une fois le calme revenu, bien des pages en paraissent périmées.

Toute la littérature géopoliticienne qui remplit la première partie de l'ouvrage a été scindée en deux chapitres confiés à deux auteurs différents. Une fois éliminées ces considérations, il restera beaucoup à prendre dans ce gros volume. On glanera, dans la seconde partie, de nombreux renseignements d'histoire économique.

J'ai ouvert avec grande curiosité — j'allais dire avec grand appétit — les deux volumes que M. Jean Robert vient de consacrer à la maison rurale des Alpes Françaises. Le beau sujet, si riche et si varié : presque trop riche et trop varié ? Or, il s'agissait d'une thèse de doctorat, soutenue devant la Faculté de Grenoble : de quoi allécher le lecteur. Je ne voudrais pas déprécier injustement l'œuvre d'un homme qui a beaucoup travaillé. Mais il me faut bien traduire une déception.

M. Jean Robert nous offre deux volumes. L'in-quarto, un bel album de 149, planches, contient de très nombreux dessins, des photographies, des vues, des coupes, des plans qui nous montrent tous les aspects de la maison rurale dans le territoire envisagé : une vraie galerie que complètent quatre croquis de répartition et un extrait de la carte au 320.000e. L'inoctavo, c'est en quelque sorte le texte explicatif de l'album : un texte de 520 pages, dense, compliqué, hésitant et consciencieux à la fois.

On connaît — ou plutôt, je le crains, on connaît assez mal chez nous — le mouvement qui se désigne lui-même sous le nom de « Mass Observation ». Fort actif en Angleterre, il a, si je ne me trompe, pris naissance aux Etats-Unis. Il se définit en somme comme une tentative raisonnée pour analyser les attitudes d'une collectivité, vis-à-vis d'événements ou de problèmes déterminés. De toute évidence, l'enquête ne saurait songer à toucher chaque individu en particulier ; elle procède donc au moyen d'un réseau, aussi dense que possible, de points de sondage. Les témoignages sont ensuite classés, par type humain, et, quand faire se peut, chiffrés.