Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Depuis une dizaine d'années, l'attention des chercheurs de langue française a été attirée sur la littérature généalogique. Georges Duby, dans une étude parue en 1967, posait les fondements de travaux poursuivis depuis dans le cadre de son séminaire au Collège de France. Léopold Genicot vient de donner presque simultanément une étude exemplaire de la généalogie des comtes de Boulogne et un fascicule de la Typologie des Sources du Moyen Age occidental consacré précisément aux généalogies. Ces travaux sur l'histoire des familles nobles montrent l'importance des représentations que ces familles se donnent de leur ascendance, et les liens qui existent entre ces représentations et les préoccupations des princes au moment de la mise au point des généalogies. Ils sont venus éclairer pour nous des recherches entreprises par ailleurs sur ces listes épiscopales développées que sont les Gesta Episcoporum.
The episcopal list, found in the gesta episcoporum (Metz, Naples, Ravenna, Le Mans, Auxerre, and Verdun), fulfills the same functions as does the genealogy in family histories: it establishes an episcopal pseudolineage which begins with Christ's apostles. The initial capital of saintliness is transmitted, from bishop to bishop, up to the one whose term of office is contemporary with the writing of the gesta; and often it is this person who commissioned the work. The libellus of the bishops of Metz even presents the unusual feature of grafting a true genealogy, that of the Carolingian kings, onto the episcopal list. In this way the saintliness of the episcopal pseudo-lineage is transmitted to the true royal lineage, thus legitimizing its accession to the throne. Further, the gesta establish the bishop's familia; for he fulfills a certain number of paternal functions: foster-father, builder, and parent, the bishop-father is above all the administrator of a patrimony. The family model plays a decisive twofold role in the ninth century, on the one hand, in the process of the structuration of the social group constituted by the episcopal church, and, on the other hand, in the defense of its patrimony.
1. Les éléments de cet article ont fait l'objet d'un premier exposé au séminaire de Georges Duby au Collège de France, séminaire consacré, depuis 1973, aux systèmes de parenté dans la chrétienté latine des Xe-XIIe siècles. Nous ne saurions assez souligner ce que la recherche présentée ici doit à ce séminaire. Un résumé en a été donné au Colloque des historiens médiévistes de l'Enseignement supérieur à Tours, le 10 juin 1977. Ce colloque était consacré à l'historiographie médiévale.
2. Duby, G., « Remarques sur la littérature généalogique en France aux XIe et XIIe siècles », Académie des inscriptions et belles-lettres, comptes rendus des séances, 1967, pp. 123–131 Google Scholar. La recherche allemande était déjà engagée dans cette voie, en particulier : Hauck, K., « Haus-und sippengebundene Literatur mittelalterlicher Adelsgeschlechter », Mitteilungen des Instituts für Oesterreichische Geschichtsforschung, 62, 1954, pp. 121–145 Google Scholar (repris dans Geschichtsdenken und Geschichtsbild im Mittelalter, Wege der Forschung), XXI, 1961 ; K. Hauck, « Lebensnormen und Kultmythen in germanischen Stammes- und Hersshergenealogien », Saeculum, 6, 1955, pp. 186-223.
3. Genicot, L., « Princes territoriaux et sang carolingien », La genealogia comitum Bulonensium. Études sur les principautés lotharingiennes, Louvain, 1976, pp. 217–306 Google Scholar ; L. Genicot, Les généalogies. Typologie des sources du Moyen Age occidental, fasc. 15, 1975. Nous prenons ici « généalogie » au sens large de littérature généalogique. Sur la définition précise du genre, voir l'ouvrage ci-dessus pp. 11-13.
4. Pour les listes épiscopales de Gaule, l'ouvrage fondamental reste : Duchesne, L., Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule, Paris, 1894-1899, 2e éd., 1910, 3 vol.Google Scholar ; voir aussi H. Leclercq, art. «Listes épiscopales», DACL, 9', 1930, col. 1207-1535. Une mise au point récente: Dubois, J., «La composition des anciennes listes épiscopales», BNSAF, 1967, pp. 74–104 Google Scholar.
5. « Pauli Warnefridi liber de episcopis mettensibus », éd. G. Waitz, MGH SS, pp. 260-270 (cité désormais Waitz) ; « Gesta episcoporum neapolitarorum », éd. G. Waitz, MGH Ser. Rer. Langob., pp. 398-436 ; « Agnelli qui et Andres liber pontificalis ecclesiae ravennatis », éd. O. Holder-Egger, ibid., pp. 265-391 (cité désormais H.-E.); «Actus pontificum cenomanis in urbe degentium », éd. G. Busson et A. Ledru, Archives historiques du Maine, t. 2, Le Mans, 1902, pp. 28-306 (cité désormais Busson) ; « Gesta episcoporum virdunensium », éd. G. Waitz, MGH SS, t. 4, pp. 36-45 (cité désormais W.).
Nous n'envisageons ici que les premières réactions de ces ouvrages : ils sont ensuite continués. Mais les continuations, composées souvent notice par notice, ne présentent plus les mêmes représentations d'ensemble de l'histoire.
6. W., pp. 37-38.
7. Hypothèse soumise à son séminaire par G. Duby et reprise dans Dialectiques, n” 10-11, pp. 114-115, «Histoire, société, imaginaire».
8. Waitz, p. 261.
9. Busson, p. 28.
10. Duru, p. 310.
11. Histoire des Francs, X, 31. Cité ici dans la trad. R. Latouche, Paris, 1965, p. 315.
12. Waitz, p. 261 ; H.-E., p. 278.
13. Busson, p. 47.
14. Ibid., p. 54 : «Victurius…a fonte eum suscepit et eum in filium sibi adoptavit, seu fideliter et pie docuit et enutrivit… »
15. Ibid., p. 98.
16. Ibid., p. 245.
17. Voir plus loin, note 22 ; et le § u de cet article.
18. Sur les nombreux problèmes d'érudition posés par les Actus du Mans, voir en dernier lieu: J. van der Straeten, «Hagiographie du Mans, notes critiques», An. Bol., 85, 1967, pp. 474-501.
19. H.-E., pp. 358-359 : Surge sancte Apolonaris, célébra nobis missam die nativitatis Domini. Te nobis dédit sanctus Petrus pastorem. Ideo lui summus oves. Ad te concurrimus, salva nos. Non hic consecrationem accepisti, sed ipse apostolus suis te beavit manibus et Spiritum Sanctum tribuit ; ad nos direxit, et nos tuant recepimus praedicationem. Ad gubernandum missus es, non ad delendum. Tu ante aequissimum iudice stas, certa pro nobis, confringe ora cruenta lupi, ut nos deducere valeas per amoena pascua Christi. Quod si non surrexeris et hodie in hac nativitate missas non celebraveris, omnes unanimiter statim ex domo tua egredimur et proficiscimur Romam ad beatum Petrum magistrum tuum, et eum lamentationibus ante eum prosternemus, et eum ingenti luctu immensaque fletu magnisque eum suspiriis dicemus: « Fuimus ad discipulum tuum, praesulam nostrum et praedicatorem, quem nobis dedisti, et noluit missas in tali praecipuo die nativitatis Domini celebrare. Aut vindica nos de eo, aut da nobis novum pastorem, qui nos defendat de ore draconis, qui infra nostra moenia cubât et nostras cundoleat afflictiones.
20. W., p. 37 : Idcirco etenim facta orthodoxorum praesulum litteris annotavi, ut eorum memoria sit nobiscum aeterna, quorum nomina in caelo credimus aeternaliter esse scripta.
21. Voir notre article : « Organisation de l'espace et historiographie épiscopale dans quelques cités de la Gaule carolingienne », dans Guenée, B., Le métier d'historien au Moyen Age, Paris, 1977 Google Scholar. Au moment de la rédaction de l'article ci-dessus, n'était pas encore parue la remarquable étude de J.-C. Picard, « Espace urbain et sépultures épiscopales à Auxerre », Rev. d'Hist. de lÉgl. de Fr., 1976, pp. 205-222.
22. A la bibliographie de la note 2, ajouter sur ce point précis : K. Hauck, « Geblùtsheiligkeit », dans Liber Floridus, Festschrift fur Paul Lehmann, 1950, pp. 187-240. Et bien sûr… M. Bloch, Les rois thaumaturges, Paris, 1924, rééd. 1962, pp. 54 ss.
23. Sur la généalogie des Carolingiens et la cité de Metz, voir : Oexle, O. G., « Die Karolinger und die Stadt des heiligen Arnulf», Fr¨hmittelalterliche Studien, I, 1967, pp. 250–374 Google Scholar ; Jaeschke, K. U., « Die Karolingergenealogien aus Metz und Paulus Diaconus », Rheinische Vierteljahrsbldtter, 34, 1970, pp. 190–218.Google Scholar
24. Waitz, p. 265.
25. Ibid., p. 261 ; voir plus haut p. 434.
26. La notice d'Arnoul, qui contient tout ce qui concerne la généalogie des Carolingiens, occupe près de la moitié de l'ouvrage : Waitz, pp. 264-267.
27. Ibid., p. 264 : Haec ego non a quolibet mediocri persona didici, sed ipso totius veritatis assertore, praecelso rege Karolo, referente cognovi ; qui de eiusdem beati Arnulfi descendens prosapia, ei in generationis linea trinepos extabat.
28. Ibid., pp. 264-265 : Agit venerandus pater gratias filio, et praedicit ei, pluriora eundem quam relinquerat habiturum -, insuper benedixit eum eiusque cunctam progeniem nascituram in posterum. Factum est. Nam et pluriores Anchiso quam relinquerat divitiae acceserunt, et ita in eo paterna est constabilita benedictio, ut de eius progenie tam strenui fortesque viri nascerentur, ut non immerito ad eius prosapiam Francorum translatum sit regnum.
29. Y. M. Congar, « Les ministères d'église dans le monde féodal jusqu'à la réforme grégorienne », Rev. de droit canonique, 23, 1973, montre que pouvoir royal et pouvoir épiscopal ne sont pas incompatibles ni antagonistes au VIIIe siècle. Les deux ministères d'autorité ont une même origine : le Christ régnant dans le ciel. Il est parfaitement satisfaisant dans cette perspective, que le roi descende de l'évêque et par lui, des apôtres et du Christ : l'unicité d'origine des ministères est ainsi exprimée et « vérifiée » dans l'histoire écrite.
30. Waitz, pp. 267-268.
31. W” pp. 43 et 44.
32. H.-E., p. 301 : « …hic vir venit ad te et pro suisfiliis cupit animam suam morti tradere, ne suant subversionem videat civitatis… » (réponse d'Attila) : « …Quomodo potuit hic unus homo procreare tantos filios ? » (explications de l'entourage) : « …Non ex conceptu carnis aut ex pollutione libidinis, sed spirituales filii sunt, quos ipse omnipotenti deo acquisivit et ex paganorum cultu protraxit… »
33. Ibid., pp. 314, 376.
34. Ibid., p. 321 : (Ecclesius) fuit cum ovibus velut pater cum filiis. Voir dans le même sens, ibid., pp. 327, 341.
35. Ibid., pp. 355, 377, 388. On peut se demander si l'évêque-père est aussi époux, selon la métaphore ancienne, fréquemment reprise plus tard dans la lutte contre le mariage des prêtres, du sponsus ecclesiae. Elle n'apparaît que deux fois dans nos textes, et indirectement, pour dire que l'église de Ravenne est « veuve » de son pasteur (H.-E., p. 326), et qu'elle est « mère » des clercs (H.-E., p. 382).
36. Waitz, p. 268.
37. H.-E., pp. 287, 288, 345 ss.
38. Au moment des spoliations de Charles Martel à Auxerre, l'évêque Aidulfus contulit basilice Sancti Stephani res proprietatis sue in pago Tornoderensi… ea ratione ut stipendiis pauperum perpetuo deservirent, Duru, p. 350. Et son successeur Maurinus, …imitator bene memorie predecessoris sui, contulit res proprietatis sue Sancto Stephano, ut pauperum indigentis subministrarent, ibid., p. 351.
39. W., p. 41.
40. H.-E., p. 355.
41. Ibid., p. 332 : …res ecclesiae soli deglutiunt…
42. Duru, p. 38.
43. H.-E., p. 287.
44. Busson, p. 300.
45. Voir en dernier lieu : La topographie chrétienne des cités de la Gaule des origines à la fin du VIIIe siècle, publication du Centre de recherche sur l'Antiquité tardive et le Haut Moyen Age, Université de Paris-X Nanterre, 1975. A propos d'Auxerre (J.-C. Picard), du Mans (J. Biarne), de Metz (N. Gauthier).
46. H.-E., p. 288 : Ursus…primus hic initiavit templum construere Dei, ut plebs christianorum, quae in singuli teguriis vagabat, in unum ovile piisimus collegeret pastor.
47. Ainsi Chrodegang de Metz à Gorze, Waitz, p. 268.
48. Busson, p. 48 : …seminaque verbi divini sapienter gentibus parturienda…
49. Duru, p. 314 : (ecclesia)…per predicationem beatissimi Amatoris ita cepit pullulare…
50. H.-E., p. 332 : …nec ecclesia serviunt sed magis depopulant…
51. H.-E., p. 281 : …fecundus Spiritu sancto… diaconos presbiterosque consecreavit plurimos.
52. H.-E., p. 280 : …presbiteros et diaconos ordinavit, infirmos sanavit, daemones effugavit, leprosos mundavit…, multos baptizavit.
53. Par exemple, Duru, p. 314.
54. Busson, pp. 31-37.
55. Ibid., p. 36 : Multi vero nobilium illius regionis virorum omnia ad praedictum locum dabant nonnulli etiam proprietatis eorum vendebant, et preci ad jam dictum locum et ad praefixum episcopum afferebant, et communem vitam ibi ducebant ; atque juxta apostolorum omnia illius communia erant.
56. Ibid., pp. 58, 83.
57. Ibid., pp. 270-271 : …sed tamen magnum instat periculum Mis qui praefixum censum negligat persolvere et exigere neglexerunt vel negligunt, et ante tribunal districti judicis, ubi a sepedictis sanctis, id est, sancto Innocentio et sancto Karileffo invitati sunt rationes ex hac neglegentia reddere, sicut in eorum scriptis continetur, graviter dijudicabuntur. Nam in praeceptum evangelicum eos, ut reor, non praeteribit.- quod apostolis et successoribus eorum concessum est ita : quaecumque ligaveritis super terram erunt ligata et in coelis ; et quaecumque solveritis super terram erunt soluta et in coelis.
58. Ibid., par exemple p. 162 : Similiter et exemplar praecariae…his in Gestis insère placuit ; ut si, quod absit, aliquo casu aut negligentia autenticum ejus perditum fuerit, ut saepe fieri solet…hoc exemplar ejus inveniatur, per quod sciatur qualiter actum fuit, et si necesse fuerit ex hoc recuperatio fiât.
59. H.-E., p. 382.
60. L'église n'est pas, dans nos textes, épouse de l'évêque. Voir plus haut la note 35.