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Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône (1865-1940). Migrations méditerranéennes et colonisation de peuplement en Algérie, Rome, École française de Rome, 2017, 628 p.

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Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône (1865-1940). Migrations méditerranéennes et colonisation de peuplement en Algérie, Rome, École française de Rome, 2017, 628 p.

Published online by Cambridge University Press:  13 November 2023

Thibault Bechini*
Affiliation:
thibault.bechini@univ-paris1.fr
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Abstract

Type
Histoire des pêches (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

À partir de l’exemple de Bône, quatrième ville d’Algérie et capitale économique du Constantinois au tournant du xxe siècle, Hugo Vermeren brosse une histoire des appartenances nationales en contexte impérial qui s’entremêle avec une étude fine des « modalités d’insertion de l’immigration italienne dans un espace urbain et colonial » (p. 11). Tout en articulant différentes échelles d’analyse – celles de l’Empire français, de la Méditerranée occidentale, de l’Algérie coloniale, de la ville de Bône et de ses quartiers –, l’auteur renoue avec une approche monographique de la présence étrangère en ville, enrichie des apports de l’histoire globale et prenant appui sur une vaste documentation archivistique conservée en Algérie, en France et en Italie. La focale est plus particulièrement mise sur deux groupes, qui ne se recoupent pas tout à fait : celui des pêcheurs italiens qui s’adonnent à l’extraction du corail le long des côtes nord-africaines et celui des Italiens de Bône ayant acquis la nationalité française.

Le propos s’ancre dans un espace liquide, celui de la « Méditerranée du corail » (p. 24), à laquelle les activités halieutiques et les échanges commerciaux ont donné des contours mouvants entre la fin de l’époque médiévale et le début du xixe siècle. Largement ouverte sur le reste du monde, cette « Méditerranée du corail », qui se déploie entre les littoraux tyrrhénien et nord-africain, est un terrain de choix pour les enquêtes d’histoire globale et connectée, ainsi que Francesca Trivellato l’a magistralement démontré pour l’époque moderneFootnote 1. Dans un récit qui court des lendemains de la conquête française à la fin des années 1930, H. Vermeren s’attache, pour sa part, à restituer le fonctionnement et les reconfigurations des réseaux migratoires façonnés par les circulations « transméditerranéennes » (p. 3) des corailleurs – et, plus largement, des travailleurs de la mer – originaires d’Italie.

Fréquenté par les pêcheurs campaniens dès avant la conquête française et en amont de l’unité italienne, le port de Bône n’est, dans la première moitié du xixe siècle, qu’une étape parmi d’autres au sein d’itinéraires laborieux marqués par la saisonnalité des activités. Cependant, à partir des années 1860, avec l’installation définitive de nombreux natifs de la Péninsule, la ville tend à apparaître comme un « prolongement de l’Italie » (p. 65). Cela est vrai tant du point de vue de la démographie – les Italiens, de concert avec les Maltais, sont plus nombreux que les Français jusqu’aux années 1870 – que de la participation des immigrés italiens aux mutations du tissu urbain. Relevant une corrélation entre l’évolution du courant migratoire en provenance d’Italie et les transformations morphologiques de la ville, l’auteur distingue trois phases : celle de la « migration maritime », qui correspond à l’ouverture de la ville sur la Méditerranée ; celle de la « première stabilisation », concomitante de la construction de la ville nouvelle à partir des années 1860 ; enfin, celle de la « sédentarisation massive » des migrants, qui entraîne le développement des faubourgs au cours des deux décennies qui précèdent la Grande Guerre (p. 238).

L’étude conjointe de la spécialisation affirmée des Italiens de Bône dans les métiers de la pêche, de leurs parcours résidentiels et de leurs affiliations nationales sous-tend une grande partie de la démonstration. Cependant, la crise que connaît le secteur halieutique à partir des années 1880, en signant « la fin d’un cycle migratoire » (p. 398), conduit l’auteur à développer des analyses qui embrassent la société bônoise dans son ensemble pour les trois premières décennies du xxe siècle. On passe alors d’une observation centrée sur le groupe des pêcheurs à une réflexion plus large sur l’insertion des Italiens dans le milieu local, étayée par la construction rigoureuse d’une base de données reconstituant les biographies de 200 natifs de la péninsule italienne établis à Bône et naturalisés français.

Il est alors possible de comparer les trajectoires résidentielles des pêcheurs à celles des autres Italiens de Bône. Ce faisant, H. Vermeren met en évidence l’attachement durable des familles issues de la migration maritime au quartier de la Marine, y compris lorsque de nouvelles occupations professionnelles supplantent, au tournant du xxe siècle, celles en lien avec la mer. Parallèlement, l’étude de la mobilité résidentielle des naturalisés confirme que la situation des pêcheurs se dégrade après 1880. En outre, l’analyse des dossiers de naturalisation permet de constater la survivance – jusqu’à la Première Guerre mondiale et malgré le déclin de la pêche du corail – de chaînes migratoires qui relient Bône à certains ports italiens comme celui de Torre del Greco. Toutefois, de l’aveu même de l’auteur, ces données, pour riches qu’elles soient, auraient gagné à être mises en regard d’informations comparables sur les Italiens de Bône ayant conservé leur nationalité. Sur ce point, la difficulté d’accès aux listes nominatives des recensements constitue l’un des principaux obstacles auxquels l’historien s’est heurtés.

Les développements consacrés à la procédure de naturalisation, dont H. Vermeren souhaite « comprendre la dimension locale » (p. 205), n’en demeurent pas moins cruciaux pour qui veut saisir le long processus d’« appropriation juridique par la France des richesses naturelles algériennes » (p 134). Selon l’auteur, les ressources halieutiques auraient porté la marque de cette appropriation bien avant les ressources foncières, les restrictions protectionnistes liées à l’appartenance nationale – à partir des années 1880 – succédant à une période de libéralisation totale de la pêche – mise à mal à partir des années 1870 –, dont l’objectif premier était de faire du corailleur italien « un auxiliaire de la conquête » (p. 39). S’observe alors le glissement progressif d’une volonté d’« algérianniser » la pêche – en exigeant des armateurs qu’ils soient domiciliés en Algérie, quelle que soit leur nationalité – vers une francisation pure et simple du secteur halieutique qui engagerait les pêcheurs italiens à devenir français.

Des conclusions importantes sont tirées sur l’usage de la naturalisation comme permis de pêche dans ce contexte de nationalisation des ressources naturelles algériennes, le commerce de la pêche et la navigation côtière étant réservés aux seuls Français à partir de 1888. L’exemple des pêcheurs originaires de Trani, dans les Pouilles, est particulièrement éclairant : alors même qu’ils ne résident pas de manière permanente à Bône, les Tranesi parviennent à obtenir la nationalité française afin de poursuivre leurs activités le long du littoral algérien. La dernière partie de l’ouvrage prolonge cette histoire des appartenances nationales en Algérie à travers les réflexions que l’auteur consacre aux initiatives des autorités consulaires italiennes pour entraver la politique française de naturalisation alors que s’implante, après 1922, « un fascisme de proximité » (p. 451).

Avec la francisation de la pêche, H. Vermeren constate la « désagrégation de pratiques migratoires séculaires » (p. 138), que ne parviennent pas à occulter les stratégies déployées par les quelques groupes de pêcheurs qui usent de la naturalisation comme d’un permis de pêche. Cela ne signifie pas pour autant l’effacement de la présence italienne à Bône. Bien au contraire, la Belle Époque semble marquée par l’émergence d’une « culture locale » (p. 350) dont les immigrés italiens sont partie prenante comme animateurs du monde associatif bônois, en particulier dans la sphère musicale. Plus encore, la fin de la décennie 1900 voit l’accession à la municipalité de Napoléon Maggiore, ancien ferblantier né à Milan en 1839 et naturalisé français en 1873. Il existe alors à Bône un personnel politique issu de l’immigration italienne, dont l’origine étrangère est parfois brocardée, mais qui appartient sans conteste au milieu des notabilités locales.

Suivre un groupe social ou national sur la longue durée, mesurer son « intégration urbaine » (p. 169) et, plus encore, apprécier sa contribution aux transformations d’un territoire n’est pas chose aisée. Sous ce rapport, les méthodes éprouvées de la biographie collective demeurent un précieux instrument de connaissance des mondes sociaux. Aussi les données réunies par H. Vermeren sur les 200 naturalisés de Bône nés en Italie, bien qu’elles appellent la comparaison avec d’autres cohortes, tant à l’échelle locale que régionale, sont-elles le socle d’analyses qui rappellent tout le parti que l’historien peut tirer de la mise en série des parcours individuels.

References

1 Francesca Trivellato, Corail contre diamants. De la Méditerranée à l’océan Indien au xviiie siècle, trad. par G. Calafat, Paris, Éd. du Seuil, [2009] 2016.