Published online by Cambridge University Press: 11 October 2017
L'armée française, abondamment étudiée dans son organisation, la tactique de ses différentes armes et la stratégie de ses généraux, l'a été beaucoup moins comme corps social et dans l'esprit qui, à travers les siècles, l'a inspirée. C'est en vain que le reproche, souvent porté contre les officiers de métier, de constituer une « caste » plaçait leurs adversaires et leurs défenseurs sur la voie où (mis de côté le terme inutilement péjoratif), ils auraient été amenés à considérer cette partie de la nation française pour ce qu'elle est, du point de vue social : une classe, avec une mentalité particulière répondant à des devoirs spéciaux — mentalité et devoirs changeant d'ailleurs avec les époques. Les historiens de l'armée, ceux qui étaient d'origine militaire, fidèles à l'enseignement purement technique reçu ou donné à Saint-Cyr ou à l'École supérieure de Guerre, ne voulaient s'intéresser qu'au combat, à sa préparation et à son exploitation.
page 135 Note 1. Voir notamment, dans ces Annales (2e fascicule de 1940), mon article « Economie et religion. Les protestants français au XVIIIe siècle ».
page 136 Note 1. Mieux vaut dire, dès le début, que l'on ne trouvera pas dans ces pages le dépouillement de documents inédits, mais le fruit de la lecture de quelques excellents livres bien connus, ceux que j'ai déjà cités et, parmi les autres, notamment les études de Menthion, du colonel Reboul sur l'armée, de M. Henri Carré sur La Noblesse de France et l'Opinion publique au XVIIIe siècle. Et aussi que c'est principalement du corps des officiers qu'il sera parlé, et parce qu'il fut alors le seul à s'exprimer et (parce que, très divers d'origines et de rangs, il représente bien en fait toute l'armée, le lieutenant « de fortune » restant par bien des côtés très près de ces bas-officiers et de ces soldats dont il sort.
page 138 Note 1. Notamment grâce à une extraordinaire mémoire de cartographe : « C'est une carte vivante, écrivait Luxembourg à Louvois, en 1672, et il en fait une juste de ce qu'il n'a vu qu'une fois »
page 139 Note 1. Aux exemples souvent donnés de oe recrutement populaire des grades inférieurs, j'ajouterai celui d'un lointain grand-oncle. Jean Mabelly, d'Aubais près de Nîmes (nous ne faisons que copier ses états de services), s'était engagé au Dauphin-dragons le 7 juin 1687 ; brigadier en 1695, maréchal-des-logis en 1702, « blessé au château de Crézenat en Allemagne, à Estinquerque en Flandre et à Gàstelnau sur le Bormidat en Italie », il devint officier le 6 mars 1707. A la paix, il fut réformé, le 6 octobre 1714, comme lieutenant à la suite du régiment, avec deux cents livres de pension. Gela représentait vingt-sept ans de vie militaire et, de nos jours, une carrière normale d'officier sorti du rang. Que par la suite, retiré dans son village, il y restât « officier à la retraite », on le voit par une lettre de son compatriote le général de brigade François de Baschi-Saussan au juge d'Aubais, pour lui demander « quelques beaux hommes… pas au-dessous de cinq pieds quatre pouces, bien plantés sur leurs jambes, ei d” la face, s'il se peut » : M. Mabelly, lieutenant de dragons, ajoutait te brigadier, « ne me refusera pas de vous y aider ».
page 142 Note 1. Maurice de Saxe compare nos armées encombrées de bagages à celles des Perses décrites par Quinte-Curce. Le général en chef tient table ouverte de deux cents couverts, « où les jeunes officiers d'état-major viennent, retenir leur place en retournant leur assiette comme à l'auberge ». L'exemple était naturellement suivi.
page 142 Note 2. On entend par qui ils furent remplacés : « Le ministre de la Guerre, d'Angervilliers, ne sachant où trouver des gentilshommes de race qui veuillent être officiers, fait rechercher par les intendants tous les fils de magistrats « vivant noblement », auxquels leurs parents pourraient faire, dit-il, des pensions de 1 200 ou de 1 000 livres, même des pensions de 800 ou de 700 livres ; il va jusqu'à promettre die faire entrer ces jeunes gens au «Régiment du Roi » (CARRÉ). L'armée était ainsi envahie par les jeunes bourgeois riches, soit qu'ils achetassent leurs emplois, sojt que les colonels et capitaines endettés envers des financiers ou des négociants passassent avec eux des « concordats », aux termes desquels ils admettaient les fils comme officiers. On lit dans une lettre écrite au ministère de la Guerre, le 8 mars 1741, que le colonel du régiment de Piémont « recevait pour ses lieutenants toutes sortes de gens, pourvu qu'ils eussent de l'argent », et que « tous les emplois dont il disposait se vendaient comme viande de boucherie, les lieutenances 1 000 écus, les compagnies 2 000. Vers 1774, le colonel du Royal-Nassau-Hussards, M. de Nassau, qui était criblé de dettes, « chassera » de son régiment de vieux officiers et vendra leurs places… à des fils de banquiers de Strasbourg et de Francfort » (CARRÉ).
page 143 Note 1. Une thèse de mérite sur La vie et les oeuvres de l'abbé Coyer, préparée à Paris par Mlle Louise Elsoffer, lui a valu en juin 1941 le doctorat de l'Université d'Aix. Elle est restée manuscrite. N'ayant point eu depuis de nouvelles de l'auteur, alors en butte aux « lois » raciales, je souhaiterais qiue ce mot me permît d'en recevoir, et qui ne fussent pas navrantes.
page 145 Note 1. « L'étiquette et les moeurs s'y opposaient, remarque M. Carré. Même quand les circonstances auraient exigé qu'ils prissent la tenue militaire, les princes revêtaient l'habit de Cour. En 1772 le comte d'Artois, petit-fils de Louis XV et colonel-général des Suisses et Grisons, fait annoncer sa visite aux élèves de l'École militaire, et ces jeunes gens, qui doivent tous être soldats, s'attendent à le voir arriver à cheval et en uniforme, escorté de gardes du corps ou de chevaulégers ; la déconvenue est grande : il apparaît en carrosse, en habit de soie vert-pomme, brodé d'or et d'argent, les cheveux poudrés, le chapeau sous le bras.
page 145 Note 2. CH. De Gaulle, Le fil de l'épêe, p. 95.