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Silvia Hunold Lara Palmares & Cucaú. O Aprendizado da Dominação São Paulo, Edusp, 2022, 456 p.

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Silvia Hunold Lara Palmares & Cucaú. O Aprendizado da Dominação São Paulo, Edusp, 2022, 456 p.

Published online by Cambridge University Press:  25 April 2024

Gautier Garnier*
Affiliation:
gautier.garnier@casadevelazquez.org
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Race et esclavage (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Le livre de Silvia Hunold Lara est la version augmentée d’une thèse de titularisation soutenue à l’Universidade de Campinas à São Paulo en 2009. L’autrice se confronte à un volume de manuscrits jusque-là méconnus, conservé aux archives de l’Universidade de Coimbra au Portugal, qui contient notamment des lettres et un document officiel produits par la capitainerie de Pernambouc. L’utilisation de cette documentation permet de sortir de l’oubli un épisode des guerres contre Palmares. En 1678, Gana Zumba, chef de cette région du nord-est du Brésil peuplée d’esclaves fugitifs, négocie la paix avec le gouverneur Pedro de Almeida. L’historienne rapproche ainsi deux champs de recherche, ceux de l’esclavage et de la domination coloniale portugaise. Elle contextualise cette négociation entre des esclaves marrons et l’administration coloniale dans le cadre de l’Atlantique-Sud, entre rives brésilienne et angolaise.

S. Hunold Lara s’appuie ici sur la « matrice coloniale » de l’Atlantique portugais, décrite ailleurs par Luiz Felipe de Alencastro 1 . Au xvii e  siècle, les esclaves présents au Pernambouc et dans les Palmares viennent de la région Congo-Angola. En outre, de nombreux administrateurs ont occupé des postes de part et d’autre de l’Atlantique-Sud. Gana Zumba semble agir comme les sobas – chefs de lignages – d’Afrique centrale, et les autorités coloniales à Pernambouc voient en lui un roi ou ngola , à la manière des souverains Ndongo (Angola). Aussi conçoivent-elles la hiérarchie des pouvoirs dans les Palmares au regard de la position de chaque individu dans les lignages. Cette configuration permet d’expliquer les actions des uns et des autres, en particulier la peur portugaise de voir les Palmares s’allier avec les princes du Ndongo exilés au Brésil.

Cette enquête projetée à l’échelle impériale repose sur une lecture serrée des sources. La Relação de 1678 du père Antônio da Silva, source incontournable des travaux consacrés aux guerres contre Palmares, fait l’objet d’une relecture : destinée à un lectorat métropolitain, elle est vue comme un moyen de célébrer le bilan de l’ancien gouverneur, Pedro de Almeida. La spécificité de l’étude de S. Hunold Lara réside dans l’attention portée aux écrits administratifs conservés à l’Arquivo Histórico Ultramarino. Produits par le gouvernement de Pernambouc et le Conseil d’Outre-mer installé à Lisbonne, ils ont longtemps été laissés de côté par les différentes historiographies. Cet ouvrage contribue ainsi à la compréhension de l’administration impériale portugaise et des ressorts de sa domination, montrant comment des outils forgés dans le contexte africain peuvent être employés dans l’ Estado do Brasil .

Cet apport passe par l’analyse du lexique de la documentation en tenant compte de l’évolution de son usage. Sont mises en évidence les « syntaxes politiques » (p. 242) africaines et européennes qui structurent les négociations de paix de 1678 dans la capitainerie de Pernambouc. S’arrêtant sur le « papier » (p. 73) signé par le nouveau gouverneur Aires de Sousa de Castro, l’historienne insiste sur l’ambiguïté du texte et la diversité de ses interprétations possibles. Ni traité de paix ni accord, cet écrit officiel vassalise Gana Zumba, dont la liberté est « remise » (p. 76), et non rendue ou concédée. En même temps que l’autorité du roi des Palmares sur ses habitants est reconnue, celui-ci se voit inscrit dans la hiérarchie des pouvoirs de la monarchie d’Ancien Régime. Par conséquent, l’étude du déroulement des négociations conduit l’enquête du côté des rapports entre Couronne portugaise et souverains angolais.

Dans la Relação de 1678 , les Palmares apparaissent comme un État bien organisé, placé sous l’autorité d’un roi, composé de juges et de magistrats, doté d’une force militaire et capable d’envoyer une ambassade. En outre, l’évocation des rituels entourant la venue des représentants de Gana Zumba à Recife auprès du gouverneur donne à voir deux États. S. Hunold Lara dépasse le biais ethnocentrique de la source pour restituer ce qui se joue alors pour le pouvoir colonial, à savoir la « restauration » de la capitainerie de Pernambouc (p. 88). Ce terme avait déjà été employé au xvii e  siècle pour désigner la guerre contre l’Espagne en 1640 et l’expulsion des Hollandais d’Angola en 1648. Si les Palmares sont reconnus comme une entité politique à part entière – le vocabulaire usité y contribue puissamment –, ils n’en sont pas moins considérés comme un refuge pour esclaves en fuite.

Le problème central auquel se confronte le livre apparaît dès lors : l’Estado do Brasil peut-il reconnaître les mocambos , ces communautés d’esclaves fugitifs ? « Palmares » est-il un cas exceptionnel ou non ? Mobilisant les travaux de Richard Price et d’Alvin O. Thompson, l’historienne mentionne différents exemples de négociations entre autorités coloniales et mocambos , parmi lesquels Panamá (1580), Carthagène (1619) et La Martinique (1665). Les clauses de la paix de 1678 font bien écho à d’autres expériences similaires. Y a-t-il eu convergence des politiques liées à l’esclavage durant la période de l’Union dynastique ? Si S. Hunold Lara ouvre ici une piste de réflexion plus large, elle ne perd pas de vue son terrain d’enquête : guerres et paix au Pernambouc ont partie liée à la question de la remise en esclavage des habitants des mocambos .

La paix de 1678 qui garantit la liberté aux natifs des Palmares fournit l’occasion de souligner les hésitations et divisions des acteurs. Si à Lisbonne la politique du Conseil d’Outre-Mer penche en faveur de la liberté accordée aux Indiens, regroupés dans des aldeias (territoires à la juridiction spécifique gouvernés par les religieux), les hésitations sont plus vives au sujet des populations des mocambos . Concéder la liberté aux descendants d’esclaves nés dans les Palmares revient en effet à affaiblir un élément structurant de l’esclavage moderne. Les maîtres des moulins à sucre ne laissent pas de s’opposer aux gouverneurs successifs : si les premiers identifient la population des Palmares à des « esclaves fugitifs » (p. 79), les seconds les considèrent, au moins dans un premier temps, comme des « Noirs soulevés » (p. 79). Les débats portant sur le recours ou non aux sertanistas de São Paulo, chasseurs d’Indiens et de Noirs marrons, indiquent assez l’inscription brésilienne des Palmares.

La rencontre des différentes « grammaires politiques » (p. 152) au regard de la question de l’esclavage se cristallise dans le sort réservé à Cucaú. Alors que Gana Zumba rejoint ce site, concédé par le gouverneur en 1678 et inspiré de la politique indigéniste coloniale, une partie de la population soutient Zumbi et ses guerriers qui refusent de s’y installer. Zumba assassiné et après le siège de Cucaú par les Portugais durant trois mois, la fin de la localité et de son autonomie politique pose aux autorités la question du sort réservé aux habitants. Une nouvelle fois, l’historienne rend compte des hésitations au Pernambouc comme à Lisbonne. Finalement, la décision royale de 1682 réaffirme les termes de 1678 en ce qui concerne la liberté des Palmaristas et de leurs enfants. Sur place, la guerre reprend : si Gana Zumba était considéré comme un roi angolais, Zumbi est lui désigné par l’autorité coloniale comme un « capitaine » (p. 360) placé à la tête d’esclaves en fuite.

Le livre montre ainsi comment les glissements sémantiques opérés par le pouvoir accompagnent le regard porté sur les Palmares dans les décennies 1680 et 1690. La lecture des sources administratives des deux côtés de l’Atlantique-Sud permet de retracer l’histoire des usages des termes mocambo et quilombo . Celui de mocambo vient de la langue quimbundo en Angola. Toutefois, c’est à São Tomé qu’il sert à désigner un groupe de fugitifs qui lancent des attaques contre les plantations. Au Brésil, mocambo nomme spécifiquement les communautés des Noirs fugitifs dans la région des Palmares. Face à la résistance de ses habitants, le terme de quilombo est substitué à celui de mocambo . En Angola, kilombo renvoie à des sociétés rituelles rassemblant des guerriers. Au xviii e  siècle, le vocable, américanisé, entre dans la langue juridique : le quilombo des Palmares perd alors ses contours pour devenir une catégorie du droit.

S’il est impossible de savoir comment les Palmaristas se sont désignés, le livre réussit à rendre Palmares à son historicité entre Afrique, Europe et Nouveau Monde. En suivant à la trace les inflexions lexicales, l’historienne surmonte la difficulté de dresser une cartographie exacte des Palmares, un temps appelés Angola par certains acteurs. Le site de Cucaú a constitué, pendant un bref moment, un « chemin alternatif pour de nombreux habitants des Palmares » (p. 378) : cette voie vers la liberté a été aussi américaine qu’africaine. Qu’il ait été considéré comme une aldeia sur le modèle des villages réservés aux Indiens ou bien comme un territoire dirigé par un soba , sa destruction n’a pas mis fin aux guerres, ni à la multiplication des mocambos ou quilombos par ceux qui refusèrent la paix de 1678. La Serra da Barriga, dernier grand repère des révoltés, n’est détruit qu’en 1694 après plusieurs échecs.

Finalement, cette histoire politique des Palmares bâtie autour des acquis récents de l’historiographie discute de manière filée les interprétations proposées depuis le xix e  siècle en les rapportant systématiquement aux sources. Le lecteur peut facilement consulter en annexe une sélection de ces dernières, partie intégrante d’une démonstration centrée sur les mots du pouvoir.

References

Luiz Felipe de Alencastro, « Le versant brésilien de l’Atlantique-Sud : 1550-1850 », Annales HSS , 61-2, 2006, p. 339-382.