Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
” La France doit recomposer ses annales pour les mettre en accord avec les progrès de l'intelligence », cette formule de Chateaubriand dans la préface de ses Études historiques pourrait figurer en exergue des Lieux de mémoire de Pierre Nora. Non, bien évidemment, que la situation fût la même, mais pour Chateaubriand après 1830, comme pour Nora au début des années quatre-vingt, il s'agissait de partir d'un diagnostic sur le présent et d'en prendre acte. Pour reconstruire « sur un nouveau plan » disait Chateaubriand ; pour se demander, au préalable, ce que « recomposer » veut dire dans le cas de Nora : « Comment écrire l'histoire de France » ?
How to write the history of France today? This is the question Pierre Nora poses in Les Lieux de mémoire. This major undertaking (1984-1994) accompanies, records and reflects upon the cult of memory which, since the middle of the 70s, has arisen, among other places, in France. A sharp diagnosis of the present, an expression of an historiographic moment in the discipline, Les Lieux de mémoire are also the symptom of a deep crisis in our relation with time, in which 1989 represents a symbolic date. By proposing the notion of a regime of historicity, we would like to test this hypothesis and reintroduce, in an active way, an interrogation on time in history.
1. Les Lieux de mémoire, III, Les France, I, Paris, Gallimard, 1993, pp. 11-32. Le présent article développe une conférence donnée à Darthmouth Collège, en juillet 1994, à l'aimable invitation des professeurs L. D. Kritzman et R. Stamelman.
2. La vague a peut-être entamé son reflux, voir Todorov, Tzvetan, Les abus de la mémoire, Paris, Arléa, 1995.Google Scholar
3. Chateaubriand, , Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978.Google Scholar Hartoo, F., « Les anciens, les modernes, les sauvages ou le temps des sauvages », dans Chateaubriand. Le tremblement du temps, sous la direction de Berchet, J.-C., Université de Toulouse- Le-Mirail, 1994, pp. 177–200.Google Scholar
4. Koselleck, R., Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, traduit de l'allemand par J. et Hoock, M.-C., Paris, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1990, 334 p., édition allemande, 1979.Google Scholar
5. Thucydide entendait transmettre aux hommes de l'avenir un instrument d'intelligibilité de leur propre présent : La guerre du Péloponnèse constituée par celui qui était son premier (mais aussi dernier) historien en type idéal.
6. Halbwachs, M., Les cadres sociaux de la mémoire, 1925, Paris, Albin Michel, 1994, p. 262.Google Scholar
7. En plusieurs occasions, Lucien Febvre répond à Valéry, lui abandonnant l'histoire sans vie et lui reprochant d'ignorer l'histoire vivante, voir Combats pour l'histoire, Paris, Armand Colin, 1992, pp. 24, 102, 423.
8. Eliot, T. S., On Poetry and Poets, Londres, 1957, p. 69.Google Scholar
9. Nowotny, H., Le temps à soi. Genèse et structuration d'un sentiment du temps, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, Paris, 1992.Google Scholar
10. Voir Écrire l'histoire du temps présent. En hommage à François Bédarida, Paris, CNRS Éditions, 1993, en particulier l'article de M. Trebitsch.
11. Nora, P., « Le retour de l'événement », Faire de l'histoire, Paris, Gallimard, 1974, t. 1, pp. 225–226.Google Scholar
12. François, É., « Nation retrouvée, nation à “contre-cœur”. L'Allemagne des commémorations », Le Débat, 78, 1994, pp. 62–70.Google Scholar
13. La nouvelle histoire, sous la direction de J. Le Goff, R. Chartier, J. Revel, Paris, 1978, « Il s'agirait, écrit Nora, de partir des lieux, au sens précis du terme, où une société […] consigne volontairement ses souvenirs ou les retrouve comme une partie nécessaire de sa personnalité : lieux topographiques […] lieux monumentaux […] lieux symboliques […] lieux fonctionnels […] : ces mémoriaux ont leur histoire », p. 401.
14. P. Nora, « E. Lavisse : son rôle dans la formation du sentiment national », Revue historique, juillet-septembre, 1962.
15. Péguy, C., Œuvres complètes III, Paris, Gallimard, 1992, pp. 1176–1178.Google Scholar
16. Nora, P., « Comment écrire l'histoire de France », Les France, op. cit., I, p. 20.Google Scholar
17. C. Péguy, op. cit., pp. 1083-1084.
18. Leniaud, J.-M., L'utopie française. Essai sur le patrimoine, préface de Marc Fumaroli, Paris, Mengès, 1992, 180 p.Google Scholar
19. P. NORA, ibid., p. 29.
20. Essais d'ego-histoire, Paris, Gallimard, 1987.
21. Voir, par exemple, Passés recomposés. Champs et chantiers de l'histoire, sous la direction de Boutier, J. et Julia, D., Paris, Éditions Autrement, 1995, 349 p.Google Scholar
22. Sur les bouleversements du temps historique en Russie, voir Garros, V., « Dans l'ex- URSS : de la difficulté d'écrire l'histoire », Annales ESC, 1992, n° 4-5, pp. 989–1002 Google Scholar
23. Ricœur, P., Temps et récit III, Paris, Éditions du Seuil, 1985, p. 313.Google Scholar Lepetit, B., « Le présent de l'histoire », dans Les formes de l'expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, pp. 295–298.Google Scholar
24. Le Débat, 78, 1994.