Published online by Cambridge University Press: 11 October 2017
L'article stimulant de Mme M. Bordeaux pose à nouveau, en termes raisonnables et neufs, le problème difficile des rapports entre l'histoire biologique et l'histoire socio-culturelle. Nos lecteurs sauront gré à l'auteur d'avoir fait preuve de réserve et de prudence dans sa présentation d'hypothèses très audacieuses, comme celle qui met en corrélation l'emploi du retrait lignager et l'existence biologiquement reconnue d'un vieux substrat ethnique, fruit de migrations très anciennes.
L'hématologie géographique, science neuve, est fondée sur l'écologie humaine et les caractères génétiques des populations. La lecture d'un traité d'hématologie géographique, science de synthèse, offre des perspectives surprenantes tant en anthropologie qu'en biologie, tant en géographie humaine qu'en prospective sociale. La pluridisciplinarité s'est établie ici avec bonheur au plus haut niveau de collaboration scientifique. Cette ouverture au monde, prise dans sa globalité, est un élément attractif pour l'historien.
1. L'écologie humaine est la science qui étudie les conditions du milieu dans lequel vivent ou ont vécu les hommes, milieu pris dans son sens le plus large.
2. Bernard, J. et Ruffié, J., Hématologie géographique, Paris, Masson, 1966,t.I, 436 p.Google Scholar
3. L'accent sur le lien caractères sérologiques-caractères raciaux a été mis dès la fin de la première guerre par L. et H. Hirzfeld, en particulier dans leur article « Essai d'application sérologique aux problèmes des races », Anthropologie, 1918, n° 29.
4. Nous ne citerons ici que quelques publications générales en envisageant une nomenclatureplus précise par région française p. 1278, n. 3. (Pour une bibliographie complète de la question, cf. J. Bernard et J. Ruffié, op. cit., en fin de chacun des chapitres.) P. Bosch-Gimpera, « La prehistoria de los Iberos y la etnologia vasca », Revue internationale des Études basques, 1925, p. 492. B. Glass et C. C. Li, « The dynamics of racial intermixture, an analysis based on the American Negro », Amer. J. Hum Genêt., t. V, 1935, pp. 1-20. Haldane, J., « The blood group frequencies of European peoples and racial origins », Human Biology,t. XII, 1940, pp. 457–480 Google Scholar. H. Vallois, « La répartition anthropologique des groupes sanguins en France et plus particulièrement dans le Sud-Ouest », Bull, et Mém. Soc. Anthr. de Paris, 9e S., t. V, 1944, pp. 53-80. Vallois, H., « L'anthropologie en France durant la guerre », Mon,n° 18, 1947 Google Scholar. Boyo, C., traduit par Bourloere, et Sutter, , Génétique et races humaines, Payot, Paris, 1952 Google Scholar. Ruffié, J., « Hémotypologie et évolution diversifiante des groupes humains », C.R. Acad. Se, 262, 1966, p. 657 Google Scholar. Ruffié, J., Les groupes sanguins chez l'homme. Étude sérologique et génétique, Masson, Paris, 1953 Google Scholar. M. Lahovary, Les peuples européens. Leur passé ethnologique et leur parenté réciproque d'après les dernières recherches sanguines et anthropologiques, Neuchâtel, La Baconnière, 1946, 688 p.
page 1276 note 1. J. Ruffié, « Le Monde » du 30 septembre 1967, p. 11.
page 1276 note 2. H. Vallois, médecin et anthropologue, travaille en ce sens ; en plus des travaux cités n. 4 de la p. 1275, voir : « Les groupes sanguins de part et d'autre des Pyrénées », Primer Congreso int. del Inst. de Est.pirenaicos, Saragoza, n° 56,1951, 32 p., avec P. Marquer, «La distribution des groupes sanguins A, B, O en France », C.R. Acad. Se, 1964, p. 258.
page 1276 note 3. Les Israélites sont issus de deux rameaux raciaux : anatolien brachycéphale et sud oriental dolichocéphale. Ils présentent des fréquences géniques, qu'ils soient Askhenazim ou Séphardim, comparables à celles des populations au milieu desquelles ils vivent dans la Diaspora.
page 1276 note 4. Il s'agit, d'une part, des systèmes érythrocytaires portés donc par les globules rouges, des systèmes plaquettaires et leucocytaires ; d'autre part, des systèmes enzymatiques ou de déficit enzymatique et des systèmes sériques (molécules protéiques du plasma à définition immunologique ou électrophorétique).
page 1276 note 5. Bernstein, F., « Ergebnisse einer biostatistischen zusammenfassenden Betrachtung uber die erblichen Blutstrukturen des Menschen. Klin. », Wschr., 1924, 3, p. 1495 CrossRefGoogle Scholar. Huron, R. et J. Ruffié, , Les méthodes en génétique générale et en génétique humaine, Paris, Masson, 1959.Google Scholar
page 1277 note 1. Systèmes A, B, O, rhésus, Lewis, MNSs, Kell, Duffy, etc.
page 1277 note 2. Rappelons pour mémoire qu'il existe, portées par les globules rouges, des substances naturelles ou agglutinogènes (A par ex.), dont la propriété spécifique est l'agglutination par les anticorps correspondants ou agglutinines (a par ex.). Dans les circonstances physiologiques naturelles le phénomène ne joue pas, car chaque individu a des agglutinogènes et des agglutinines de type différent, donc incapables d'agglutination réciproque (A et [s par ex.). Par contre, dans certaines conditions artificielles (transfusion, groupage), l'agglutination, voulue ou pas, peut se produire. Ce sont des accidents de transfusion qui amenèrent Landsteiner à entreprendre ses recherches avant 1900.
page 1277 note 3. H. Vallois écrit : « du point de vue de l'anthropologie générale… on doit alors se demander si, dans l'interprétation du peuplement racial des diverses parties du monde, il ne faut pas faire intervenir une sorte de hiérarchie des caractères utilisés : certains, comme ceux d'ordre sérologique, strictement indépendants de l'action du milieu, marquant des parentés anciennes, la répartition primitive des groupes ; d'autres, comme ceux de la forme de la tête et de la couleur, certainement plus labiles, marquant des différences secondaires qui ont modelé les races telles qu'elles se présentent à nous aujourd'hui »
page 1278 note 1. On construit un diagramme en portant en abscisse les valeurs de p (fréquence du gène A) et les valeurs de q (fréquence du gène B), pour chacun des échantillons réalisés dans une aire géographique délimitée. On démontre que, lorsqu'une race M est issue de deux races originelles RI et R2, les trois points M, RI et R2, se trouvent sur une même droite (M occupant la position intermédiaire entre RI et R2) ; que l'importance réciproque des éléments constituants RI et R2 est en raison inverse des distances MR1 et MR2. L'illustration, la critique, et le dépassement de cette méthode sont parfaitement réalisés et compréhensibles dans la thèse du professeur J. RuffiÉ aux pages 41-48. Cf. aussi la note 1, page suivante du présent article, où sont regroupées en un tableau les données chiffrées concernant les fréquences géniques dans les vallées pyrénéennes, ainsi que le diagramme de la page 1280.
page 1278 note 2. H. Vallois parle de « gradients des groupes sanguins » et dresse une carte de ces variations régulières, dans « La distribution des groupes sanguins A, B, O, en France », op. cit., p. 2179.
page 1278 note 3. Ajouter aux publications déjà citées sur la séro-anthropologie française : Cazal, P. et Graafland, R., « Les groupes sanguins dans la population montpelliéraine », Le sang, 21, 1950, pp. 623–627 Google Scholar. Moulinier, J., « The Rh factor in Southwestern France », Amer. J. of phys. Anthr.,t. VII, 1949, pp. 545–548 CrossRefGoogle Scholar. Mourant, A., « The blood groups of the Basques », Nature, 160, 1947, p. 505.CrossRefGoogle ScholarPubMed
page 1278 note 4. L'ouvrage principal est la thèse de M. J. Ruffié, Étude séro-anthropologique des populations autochtones du versant nord des Pyrénées, thèse Sciences, Toulouse, 1958, Masson, 1958, 91 p. (bibliographie qui comporte les études précédentes). Joindre M. A. Eyquem, « Répartition des groupes sanguins chez les Basques », Bull. Acad. nat. Méd., 7-8, 1950, p. 171. Suivre les « Monographies du Centre d'Hémotypologie de Toulouse », édit. Hermann, Paris, qui analysent les composants des différentes ethnies (par ex. J. Ruffié et N. Taleb, Étude hémotypologique des ethnies libanaises, 1965).
page 1279 note 2. Pour la situation géographique exacte des zones citées, voir la carte jointe au présent article, qui donne en même temps la répartition des éléments primitifs qui sont à l'origine des populations actuelles; voir page suivante : diagramme de « recherche des constituants initiaux ».
page 1279 note 3. Les autres systèmes se répartissent : Rhésus : dominance du chromosome r ; richesse relative de R.
M et H : de même fréquence.
Kell : 10%.
P : 75 % P +.
page 1279 note 4. Autres systèmes : Rhésus : dominance de r ; appauvrissement de R2.
page 1280 note 1. Les autres systèmes sont particulièrement importants à étudier, car c'est sur eux que repose la distinction en deux groupes de l'élément méditerranéen. Pour le 1” groupe Mj : N>M,>p, Kell faible — 3 %. Pour le 2e groupe M>H, p>p, Kell 5 %.
page 1280 note 2. Les populations celtes de Dordogne (échantillons dispersés dans ce département et régions de Couze et Bergerac) sont sans différence significative avec celles du sud du Tarn (Lacaune, Labruguière, Dourgne…) J. RuffiÉ, Étude séro-anthropologique des populations autochtones du versant nord des Pyrénées, op. cit., pp. 34-35
page 1281 note 2. D'après Humbolt, Bogel et Petten-Koffer, l'existence d'antigènes hétérologues sur les bacilles pesteux ou les virus varioliques serait responsable du phénomène qui pourrait jouer finalement un rôle considérable dans la répartition du facteur A, B, O, dans certaines parties du monde
page 1283 note 1. Cf. J. Poumarède, Recherches sur les successions dans le sud-ouest de la France au Moyen Age, Thèse Droit Toulouse, 1968, 453 p. dact.
page 1283 note 2. J. Poumarède, pp. 363-378.
page 1283 note 3. J. Poumarède, pp. 379-409.
page 1283 note 4. Notons accessoirement la persistance jusqu'à nos jours de certaines manifestations coutumières en Pays basque, comme celle de la tombe privée annexée à la propriété de la maison, vestige d'un culte familial funéraire ancien. (Cour Appel Pau, 14 juin 1967, Lesbeyguerie contre Lacuey y Perez.)
page 1283 note 5. P. Ourliac, « Le retrait lignager dans le sud-ouest de la France », R.H.D., 1952, pp. 328-355 R. Catllemer, « Le retrait lignager dans le droit provençal », Studi giuridici C. Fadda, t. IV, 1906, p. 15. E. Jarriand, Histoire de la Novelle 118 dans les pays de droit écrit, thèse Paris 1889, p. 204 et suiv. Voir A. SOURIE, « Le retrait lignager dans la Coutume de Bordeaux », Rev. jur. et éc. du Sud- Ouest, série jur., Bordeaux, 1961, qui attribue à des « traits communs primitifs » les originalités de la Coutume de Bordeaux et de celles de l'Ouest (p. 6) et insiste sur leurs résistances aux influences romaines.
page 1283 note 6. P. Ourliac, « Le retrait lignager », op. cit., p. 345 « L'ancienneté du retrait étant admise, il devient difficile de le faire procéder de la laudatio parentum ». Contra : L. Falleti, Le retrait lignager en droit coutumier français, thèse, Paris 1923, (p. 61) et J. De Laplanche, La réserve coutumière dans l'ancien droit français, thèse, Paris, 1925, pp. 66-11
page 1284 note 1. R. Grand, « L'histoire de la Coutume de Paris », Journal des Savants, p. 5, XXII, 1924, pp. 57-64, cité par P. Ourliac, op. cit., p. 350.
page 1284 note 2. Voir Laferrière, F., Histoire du droit civil de Rome et du droit français,t. II, 1846 Google Scholar, F. Jobbé Duval, Études sur la condition résolutoire en droit romain. L'histoire du retrait lignager et la vente à réméré. Thèse droit Paris, 1874, pp. 82 et 102.
page 1284 note 3. Les Basques espagnols, plus mélangés, comprennent environ pour moitié des éléments paléolithiques, et, chacun pour un quart, des éléments néolithiques et méditerranéens. Ce qui suppose desvoies migratoires méditerranéennes au sud de la chaîne des Pyrénées. Cette influence méditerranéenne est réelle, mais faible.
page 1285 note 1. Il est certain qu'une étude d'hémotypologie comparée éclaire le «mystère#basque. (Cf. la récente étude de Estornes LASA, Origines de los Vascos, éd. Aunamendi, Saint-Sébastien, 1965.) Les fréquences élevées de O qui le caractérisent principalement se retrouvent dans les populations « périphériques » (Ecosse, Irlande, Islande, Sud-Ouest de l'Afrique), dans certaines vallées plus proches comme la Bigorre où le flot néolithique a été moins dense. L'absence (dans les groupes les plus purs) du gène B, la rareté du gène E et la fréquence, unique dans les populations mondiales, du gène « d” ne se retrouvent pas ensemble ailleurs. Une certaine parenté par les fréquences de « d » peut s'établir avec les pays ukrainiens, de « O » nous l'avons vu, avec les foyers « périphériques » et par le « B » très bas, ils se rapprocheraient des Lapons. Ces derniers comme les Basques parlent une langue qui n'appartient pas au groupe indo-européen.
page 1285 note 2. Brutails, A., Etudes sur la condition rurale du Roussillon au Moyen Age, Paris, 1891, p. 93, n. 2 Google Scholar, rapporté par P. Ourliac, « Le retrait lignager », op. cit., p. 350.
page 1285 note 3. Des caractères spécifiques maintiennent d'ailleurs une originalité basque du retrait, en particulier ce retrait spécial accordé à tous les voisins à rencontre des étrangers.
page 1285 note 4. Reprenant l'exemple basque, on s'aperçoit, d'après le tableau de répartition des éléments raciaux comme d'après la carte jointe, que l'élément paléolithique basque s'étale sur les vallées voisines. Les exceptions sont dues à des barrières bio-géographiques (Foix).
page 1285 note 5. Il est possible pour la Gascogne, englobant la région centre-ouest du versant nord-pyrénéen,de comparer des cartes linguistiques (G. Seguy, Nouvel Atlas linguistique et ethnographique de la Gascogne, 4 vol. 1964, C.N.R.S., Paris) et celles que nous pouvons dresser de la répartition des fréquences géniques des groupes sanguins. L'édition n'étant pas terminé dans les volumes parus, aucun vocable ayant trait à l'institution du retrait ne nous permet de porter de conclusion sur cet exemple précis.
page 1286 note 1. Nous nous sommes efforcés de faire ressortir de multiples interrogations au fur et à mesure du développement.
page 1286 note 2. Cette étude doit être exhaustive dans toute la mesure du possible. Il s'agit de repérer dans les actes de la pratique d'une aire pré-délimitée toutes les institutions coutumières remontant au delà du xme siècle, puis de les soumettre au décapage de la preuve biologique et linguistique (avec les nuances précisées dans la note précédente).
page 1286 note 3. Relire les anciens ouvrages de Beauchet ne peut que nous pousser en ce sens quand on y trouve : « le droit lignager que l'on rencontre chez presque tous les peuples indo-germaniques. » « Si ce régime fonctionne encore chez certains peuples slaves méridionaux, il n'était plus pratiqué chez les peuples germains à l'époque où leurs lois sont rédigées… » R. Beauchet, De la propriété familiale dans l'ancien droit suédois, R.H.D., 1901, p. 5, R.H.D., 1900, p. 604.
Et les controverses sur le droit ménapien ne pourraient-elles trouver une solution ? (Meijers, « Le droit ménapien », Tidj. v. Recht, XVII, 1950 (pp. 5-18) « Si donc le droit en'question n'est pas un droit des conquérants germaniques mais un droit d'une population assujettie, on pense à ceux qui ont devancé les Francs dans cette contrée » (p. 6).