Dialogue sur une banquette. — « Qu'est-ce que tu penses, quel futur aurons-nous dans cinq ans ?” — « Je n'en ai aucune idée ! Dans notre pays, on ne sait même pas quel passé nous aurons dans cinq ans ! » (Blague moscovite, été 1991).
Maria FerrettiC'est l'hiver de 1949. Dix années se sont écoulées depuis que la grande vague de la Terreur a emporté des centaines de milliers de personnes. Au sanatorium où elle s'est rendue en quête d'apaisement, Nina Sergeevna, écrivain de Leningrad, est harcelée par l'angoisse. Chaque nuit elle se réveille en sursaut, le visage mouillé de larmes. Des cauchemars atroces la persécutent. Elle y voit la mort de son mari, arrêté pendant les purges et condamné à « 10 ans sans droit de correspondance », euphémisme — mais on ne le saura qu'après — inventé par le pouvoir stalinien pour masquer les condamnations à la peine capitale. Depuis le verdict, Nina Sergeevna n'a plus reçu aucune nouvelle. Elle vit dans l'attente de son retour, tourmentée par les rêves nocturnes où elle voit mourir son AleSa pendant les tortures des interrogatoires. Ces interrogatoires, elle peut au moins les imaginer, car une amie lui en a parlé du bout des lèvres. Mais ce qu'elle ne peut même pas imaginer, c'est le camp où il aurait été envoyé. Le camp est, pour elle, sans couleurs, sans odeurs. Un grand vide gris. Inimaginable. Personne n'en parle, puisque ceux qui ont la chance d'en revenir, terrorisés, s'engagent à garder le secret le plus total. C'est justement cet « inconnu » qui, s'ajoutant à la douleur, rend intolérable son angoisse. Elle essaie désespérément d'arracher des bribes d'information à un écrivain rencontré au sanatorium.