Published online by Cambridge University Press: 28 July 2009
Par un paradoxe tout à fait conforme à la théorie webérienne de la relation entre Ies intentions des agents et le sens historique de leurs actions, la contribution la plus importante que Max Weber ait apportée à la sociologie de la religion se situe sans doute sur un tout autre terrain que celui qu'il a choisi pour son affrontement de toute une vie avec Marx. Si, dans son effort obstiné pour établir l'efficacité historique des croyances religieuses contre Ies expressions Ies plus réductrices de la théorie marxiste, Max Weber est parfois conduit à une exaltation du charisme qui, comme on l'a remarque, n'est pas sans évoquer une philosophic «héroique» de l'histoire a la manière de Carlyle, par exemple lorsqu'il désigne le chef charismatique comme « la force révolutionnaire spécifiquement ‘créatrice’ de l'histoire » (I), il reste qu'il fournit lui-même le moyen d'échapper à l'alternative simpliste dont ses analyses Ies plus incertaines sont le produit, c'est-à-dire à l'opposition entre l'illusion de l'autonomie absolue portant à concevoir le message religieux comme surgissement inspiré et la théorie réductrice qui en fait le reflet direct des conditions économiques et sociales: il met en effet en lumière ce que Ies deux positions opposées et complémentaires ont en commun d'oublier, à savoir le travail religieux que réalisent Ies agents et Ies porte-parole spécialisés, investis du pouvoir, institutionnel ou non, de répondre, par un type déterminé de pratiques ou de discours, à une catégorie particulière de besoins propres à des groupes sociaux déterminés.
(1) Weber, Max, Wirtschaft und Gesellschaft (Cologne/Berlin, Kiepenheuer und Witsch, 1964), tome II, p. 837Google Scholar.
(2) W.G. t. I, p. 335: « L'opposition est dans la réalité assez fluide, comme pour secontous les phénomènes sociologiques. Les critères de différenciation conceptuelle ne sont pas clairement définissables. […]. Cette opposition, claire sur le plan conceptuel, est ‘fluide’ dans la réalité. […] La distinction devra être trouvée qualitativement, cas par cas […] ».
(3) Cette analyse s'appuie principalement sur le chapitre de Wirtschaft und Gesellschaft qui est expressément consacré à la religion (W.G. pp. 317–488) et sur la section VII de la sociologie du pouvoir, intitulée « Pouvoir politique et pouvoir hiérocratique » (W.G. pp. 874–922), textes qui ont été écrits entre 1911 et 1913; et aussi, secondairement, sur des textes postérieurs à 1918, comme le § 8 du chapitre I, intitulé « Le concept de lutte » (W.G. pp. 27–29) ou le § 17 du même chapitre, intitulé « Groupe politique et groupe hiérocratique » (W.G. pp. 39–43). On a renoncé, pour éviter d'alourdir l'analyse, à renvoyer, en particulier pour des illustrations historiques, aux Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie (Tübingen, J.C.B. Mohr, 1920–1921), 3 volsGoogle Scholar.
(4) Les numéros de pages mis entre parenthèses sans autre indication renvoient à Wirtschaft und Gesellschaft, édition citée.
(5) Entre les omissions résultant du fait que, faute d'avoir construct le champ religieux en tant que tel, Max Weber présente une série de points de vue juxtaposés qui sont pris chaque fois à partir de la position d'un agent particulier. La plus significative est sans doute l'absence de toute référence explicite à la relation strictement objective (puisqu'elle s'établit par-delà le temps et l'espace) entre le prêtre et le prophète d'origine et, du même coup, de toute distinction claire et explicite entre les deux types de prophétie avec lesquels toute prêtrise doit compter, la prophétie d'origine, dont elle perpétue le message et dont elle tient son autorité, et la prophétie concurrente, qu'elle combat.
(6) Selon les termes de la promesse faite à ceux qui honorent leurs parents: W.G. p. 317.
(7) C'est en particulier l'objet du § 7 intitulé « Groupes de status (Stände), classes et religion », W.G. pp. 368–404. On trouvera aussi une autre analyse des différences entre les intéreêts religieux des paysans et des petites bourgeoisies citadines, au chapitre intitulé « Pouvoir hiérocratique et pouvoir politique », W.G. t. II, pp. 893–895.
(8) W.G. p. 385: « Toute demande de rédemption est une expression d'un ‘besoin’ et l'oppression économique et sociale est la plus importante, mais pas l'unique cause de sa constitution ».
(9) Nietzsche, Frédéric, La généalogie de la morale (Paris, Mercure de France, 1948)Google Scholar; Weber, , W.G., I, pp. 386–391 et II, p. 685Google Scholar.
(10) C'est moi qui souligne.
(11) Sur le « charisme de la parole » et ses effets en différents contextes sociaux et en particulier dans la démocratic électorale, voir W.G. t. II, p. 849.
(12) Mauss, Marcel, Œuvres, (Paris, Éd. de Minuit, 1969), t. III, « Cohésion sociale et divisions de la sociologie » pp. 333–334Google Scholar. (Souligné par moi.)
(13) Inversement, la secte « refuse la grâce institutionnelle et le charisme d'institution ». Elle s'attache au principe de la « prédication des laïcs » et du sacerdoce universel » (que « toute Église conséquente ordiinterdit »), de « l'administration démocratique directe » exercée par la communauré elle-même (les fonctionnaires ecelésiastiques étant considérés comme les « serviteurs » de la communauté), de la « liberté de conscience » qu'une Église à prétention universaliste ne peut accorder (W.G., II, pp. 920–922).
(14) Le néologisme de « banalisation » ne traduit à peu près exactement (aux jeux de mots prés) les deux aspects du concept webérien de Veralltäglichung que si on l'entend au double sens de « processus consistant à devenir banal, quotidien, ordinaire », par opposition à l'extra-ordinaire ou à l'extra-quotidien (Ausseralltäglichkeit) et au sens d' « effet exercé par le processus consistant à devenir banal, quotidien, ordinaire ».
(15) W.G., p. 39 (coercition hiérocratique); p. 435 (grâce institutionnelle, Antsaltsgnade).
(16) W.G. p. 365. Max Weber observe que la part faite à la prédication (par opposition à la cure des âmes) varie en sens inverse de l'introduction d'éléments magiques dans la pratique et les représentations (comme en témoigne l'exemple du protestantisme).