Entre le début du xviiie siècle et les années 1970, il s’est noué dans les Alpes briançonnaises un ensemble de relations entre une ressource, le charbon, et une population d’hommes, paysans et montagnards, concrétisées dans des formes spécifiques d’exploitation, les char-bonnières, qui ont cohabité durablement avec les petites mines industrielles installées progressivement dans le bassin. Contre le point de vue surplombant d’une histoire des techniques pointant le défaut de rationalité des travaux miniers paysans, rejoignant ainsi le procès en irrationalité et en gaspillage des ressources instruit par les représentants de la technologie minière, les ingénieurs des mines, cet article veut souligner l’intérêt d’une approche pragmatique qui, appliquant le principe de symétrie généralisée de la « sociologie de la traduction », s’attache à faire le récit de ces relations, à parcourir la chaîne des associations au moyen desquelles les paysans et le charbon se sont simultanément inventés, concourant à la constitution d’une «socio-nature». Ainsi l’activité charbonnière paysanne tient-elle principalement à quatre associations: la relation au charbon et sa naturalisation comme charbon adapté au marché; l’investissement « communaliste » de la forme d’État de la concession; la stabilisation d’un dispositif sociotechnique qui offre une troisième voie à l’alternative socio-économique à laquelle sont soumises les populations montagnardes: émigrer ou rester et subir le « bagne » de la mine industrielle; enfin une relation instrumen-tale à la technologie, c’est-à-dire à l’équipement pratique et discursif de la mine rationnelle et industrielle porté par les ingénieurs des mines.