La science des urines, fondée sur l’examen de ce fluide corporel qui débouchait sur un « jugement », s’est peu à peu constituée comme une branche dominante de la sémiologie médicale, au point de symboliser à elle seule la culture médicale savante occidentale à partir de la fin du XIIe siècle. Dans le même temps, le corps médical s’est lui-même structuré et des divisions sont venues délimiter les attributions respectives de différents groupes de praticiens. Or l’uroscopie en tant que doctrine savante et pratique réservée a progressivement débordé son cadre d’origine et suscité émulation, voire appropriation indue, au sein du corps médical et même hors de ce monde. Le présent article s’intéresse donc à la science des urines considérée non du point de vue de l’histoire des théories médicales, mais comme objet de diffusion et de vulgarisation et comme révélateur de luttes ou empiètements entre différents groupes. Outre la question des limites mouvantes du savoir médical et de la pratique, cette enquête sur la science des urines comme enjeu culturel croise celle de la professionnalisation de la médecine, de la variété de ses acteurs comme de la diversité des modes de transmission du savoir, et notamment du partage des eaux entre latin et langues vernaculaires.