Depuis plusieurs années, une nouvelle tendance historiographique s’intéresse aux archives non pas comme simples réserves de documents, mais comme objets d’enquête à part entière. Certaines études analysent l’évolution de leur organisation et de leur administration, dans la mesure où s’y reflètent les présupposés politiques des institutions qui les contrôlent. Cet article prend acte de ce tournant documentaire et en offre une illustration tirée du célèbre cas de la Chancellerie vénitienne entre le XIVe et le XVIIe siècle, à un moment de fort développement de la gestion des archives. Il propose toutefois une approche plus large, replacée dans son contexte social, afin de montrer que les archives n’étaient pas seulement des instruments de pouvoir, mais aussi des lieux de conflits économiques, sociaux et politiques. Une lecture attentive fait apparaître, dans le document précis qui inspira l’image institutionnelle des archives vénitiennes comme « coeur de l’État », l’inquiétude des dirigeants patriciens concernant la fragilité de leurs archives et la fiabilité des notaires qui en avaient la charge. Cette perspective nous aide à expliquer la glorification des archives au Moyen Âge tardif et à l’époque moderne – représentation qui, dans son interprétation littérale, n’a cessé d’inspirer certaines analyses historiques, proposées encore aujourd’hui – en dévoilant les difficultés matérielles des pratiques de l’époque en matière de conservation. L’histoire des archives fait émerger un champ d’enquête prometteur, par sa capacité précise à éclairer à la fois l’histoire de l’État et le contexte social dans lequel ce dernier devait traiter.