Les Miroirs des princes ont connu, dans les sociétés islamiques, une diffusion sans commune mesure avec celle qui caractérise le monde occidental, et une pérennité tout aussi remarquable dans leur production et leur compilation, du VIIIe jusqu’au début du XXe siècle. Ils constituent à la fois un genre autonome et une production diffuse, invasive jusque dans le conte et la littérature orale, se référant instamment à une sagesse anonyme et universelle, intemporelle. C’est pourquoi, par delà la tradition du conseil aux princes, ils sont continûment perçus comme un lieu propre du politique, éventuellement distinct du religieux et antérieur même à l’islam. Un fort accent y est mis sur l’équité et la justice, dans le refus explicite de marquer toute spécificité islamique, constamment relativisée. La recherche sur cette littérature a généralement privilégié une approche centrée sur la typologie du genre et ses différentes évolutions, mais au détriment de l’étude de son sens global dans l’ensemble de la littérature politique, comme trésor commun de sagesse, comme fond argumentaire dialogique propre aux dirigeants comme aux sujets. En dépit d’oscillations dans le dynamisme de cette production, on constate sa permanence jusqu’au début du XXe siècle, avec même une possible reviviscence, puis un effondrement, non seulement de cette littérature mais de l’ensemble de la culture sultanienne dont elle est le support, qui est une culture séculière du politique, et qui bascule soudainement dans l’oubli, frappée de désuétude. Après avoir envisagé quelques interprétations à ce brusque déclin, on ne peut que suggérer une possible modernité de cette littérature et souhaiter que soit mise en œuvre sa relecture politique aujourd’hui.