Le lecteur des Voyages de Gulliver se souviendra peut-être du séjour accompli par le héros dans l'île des Laputiens, ce peuple qui cultive la science de la géométrie jusque dans la découpe des viandes apportées à table. En effet, lisons-nous, Gulliver se voit servir une épaule de mouton découpée en triangle équilatéral, un morceau de bœuf découpé en rhomboïde et un pudding en forme d'un cycloïde — pour ne rien dire des façons multiples du pain. Et, avec l'attention propre à l'ethnographe, Gulliver note ensuite les instruments divers grâce auxquels cette découpe fort exacte s'effectue dans la cuisine du roi. Seulement, l'application de la géométrie ne se fait pas avec le même soin dans tous les domaines de la vie laputienne et, à la sortie de la cuisine royale, Gulliver constate, avec quelque irritation, que les maisons des Laputiens sont toutes de construction maladroite : dans les appartements, il n'y a pas un seul angle droit.
Pour qui s'est occupé quelque peu du partage des viandes chez les anciens Grecs, le récit de Jonathan Swift n'est certainement pas sans rappeler Yisomoiria — « géométrique » ou « arithmétique » — pratiquée dans la découpe sacrificielle, dès Homère jusqu'à Plutarque, dont le dernier nous a livré un précieux Propos de table à ce sujet.