J'aime beaucoup les premières phrases de chapitre qui vous donnent par leur tenue une pleine satisfaction de vous-même, vous délivrant en une seconde de toute appréhension d'unanimisme, de passéisme, de populisme, et habillent les personnages pour les vraies tragédies du cœur,—la première phrase de ce chapitre, par exemple. La voici, ample et réelle: Nancy Rolla, adorablement coiffée par Rose Desca, ses jambes croisées mettant en valeur de minuscules souliers en serpent de Perugia, un rouge Antoine spécial et des yeux violets composant sur son visage mat une alliance de couleurs qu'aucun pavillon national jamais ne réalisera, dans le fond de sa Bugatti, et tout en contemplant un magnifique ciel signé lui aussi, attendait Maléna que le chauffeur était monté prévenir, et se demandait pourquoi sa jeune amie l'avait convoquée si tôt—-des aiguilles de diamant marquaient dix heures à sa montre de rubis,—dans ce matin de printemps débutant dont les premiers effluves caressaient, sur une gorge ravissante, les revers et les fronces du manteau de marocain noir livré la veille par Chanel … Au moins l'on sait, avec une pareille phrase, où l'on est, dans quelle époque, quelle humeur, et la littérature atteint une vérité encore supérieure aux vérités que lui procurent les écoles ci-dessus nommées : celle du chromo.