Depuis l'Ancien Régime, les avocats ne cessent de proclamer que le désintéressement est un devoir, que l'honneur commande et non la fortune. Comment se fait-il qu'une morale apparemment hors du monde ait pu être si durablement revendiquée ? Que confrontée au marché, la profession n'ait cessé de fonder ce qui l'anime sur le détachement des intérêts matériels ? Cette orientation qui a traversé les siècles et qui, aujourd'hui persiste encore, quoique sous une forme plus modeste, semble déjouer l'histoire. Par sa permanence même, elle n'a cessé d'alimenter les deux interprétations contraires de l'angélisme et de l'illusion, du spiritualisme et de la mystification. Mais l'oscillation tient tout entière à une certaine définition du phénomène. A le suivre dans ses connexions et ses ramifications, le désintéressement, loin de se limiter à la formulation d'un impératif abstrait et général qui s'appliquerait en quelque sorte de l'extérieur aux comportements des avocats, désigne un ensemble complexe et variable de définitions, de doctrines, de règles et de situations que la profession a instauré et transformé et par lequel elle a donné une forme concrète à ses relations avec la justice et la société.