Socrate, le partisan
Plutôt qu'un philosophe engagé dans la recherche détachée, désintéressée et transcendantale de la Vérité, Socrate semble avoir été un authentique partisan politique, voire même l'un des plus grands idéologues de tous les temps. Une telle affirmation n'a pas pour but de dénigrer ni la personne ni la philosophie de Socrate, mais bien de permettre une meilleure compréhension de son activité intellectuelle et, possiblement, de la philosophie en général. Contrairement à l'opinion généralement répandue selon laquelle Socrate était d'origine populaire, il appert que sa provenance familiale, son éducation, son mariage et ses revenus (en début de carrière, tout au moins) le classent probablement dans une strate sociale supérieure à la moyenne de ses concitoyens athéniens. Parmi ses amis et ses connaissances, d'un statut social similaire au sien, on retrouve plusieurs opposants à la démocratie athénienne et défenseurs de la politique de Sparte. On conçoit done facilement que les idées politiques de Socrate aient été enracinées dans une conceptualisation foncièrement anti-démocratique composée des éléments suivants: une antipathie fondamentale à l'égard des assises de la pratique démocratique que sont l'égalité et le consensus; un mépris ouvert pour les milieux populaires; une critique forcenée des institutions et des dirigeants de la démocratie athénienne; et une admiration pour les institutions et la politique de Sparte. De plus, il apparaît que ses propositions philosophiques les plus importantes, concernant les notions de définition, de connaissance et d'âme, traduisent, en même temps qu'elles leur procurent des assises intellectuelles, et son idéologie anti-démocratique et sa position de classe. Toutes ces considérations nous permettent de mieux comprendre – à défaut d'excuser – la condamnation de Socrate par le peuple et les dirigeants athéniens en 399 av. jc, à la suite de leur désastreuse défaite aux mains de Sparte et de l'expérience traumatisante du terrorisme sous les Trente Tyrans.