En 1666, Jean-Baptiste Colbert décidait d’engager Martin di Marcara Avachinz, un marchand arménien originaire de Perse et d’Inde, comme agent de la Compagnie française des Indes orientales nouvellement instituée. Ce dernier réussit à négocier, auprès du souverain du sultanat de Golconde, l’octroi d’un édit qui permettait aux Français d’ouvrir un comptoir dans le port de Masulipatam en 1669. Cependant, peu de temps après, Marcara fut brutalement arrêté, torturé et envoyé en France par ordre de son supérieur, François Caron. Cet article propose une analyse fouillée des factums, les mémoires judiciaires produits durant son procès tenu à Paris à la suite de sa libération en 1675. À travers une « microhistoire globale » de la vie de Marcara, suivie d’un continent à l’autre, il s’agit de mieux comprendre les mécanismes du commerce de longue distance dans l’océan Indien. L’enjeu est d’abord de comparer le réseau de la Compagnie française des Indes orientales et des autres compagnies à charte avec celui des diasporas négociantes « sans État », représentées ici par les marchands arméniens venus de la Nouvelle-Djoulfa, la ville d’où est originaire Marcara, à la périphérie de la capitale safavide Ispahan. L’article examine ensuite le fonctionnement et le rôle des factums dans la France de l’époque moderne. Enfin, il revient sur la façon dont l’histoire « exceptionnellement normale » de la vie de Marcara témoigne des perceptions françaises de l’Orient, notamment de l’hostilité et de la crainte à l’égard de certaines communautés de marchands, banquiers et courtiers arméniens et indiens.