En des temps récents, le droit d’aubaine – soit le droit des souverains français de saisir les propriétés des étrangers décédés dans leurs territoires sans héritiers légitimes – a été inter- I I prété comme le symbole d’une irréductible originalité de l’État français concernant le thème de la naturalité. Celle-ci tiendrait, d’une part, à une incapacité successorale des personnes provenant de l’extérieur, ainsi qu’à la première de ses conséquences : le fait que, en France, seul le souverain serait en mesure de transformer un étranger en un de ses sujets, à travers l’attribution de lettres de naturalité qui lui permettront de disposer de ses propres biens. En s’appuyant sur des sources concernant ce même droit d’aubaine qui était aussi en vigueur dans l’État savoyard, cet article voudrait montrer que d’autres interprétations de ce droit, différentes, sont possibles, qui ne relèvent pas tant de la diversité des terrains d’enquête que du choix des sources ainsi que de leur interprétation. Plusieurs centaines de procédures suscitées par les prétendues saisies des biens des étrangers montrent que, loin d’être l’expression d’une volonté punitive ou xénophobe, l’intervention des fonctionnaires royaux répondait à une demande sociale de mise en ordre de la succession douteuse, exprimée avant tout par les créanciers de l’héritage. En outre, c’était la nécessité de protéger les propriétés « n’appartenant à personne » de prises de possession illégitimes qui déterminait l’extrême urgence de l’intervention royale. A` travers l’aubaine, nous sommes ainsi introduits à la complexité de la culture propriétaire de l’Ancien Régime ; à sa capacité de construire des relations de parentèle et, finalement, de construire « l’étranger » ou bien « le citoyen ». L’irréductible originalité de l’État français s’estompe ainsi, et la voie s’ouvre à de possibles comparaisons.